J'aimerais reprendre ici :
Cinci : «... nombre de pharisiens du temps ne croyaient absolument pas à la mission «spéciale» de Jésus de Nazareth. A partir de là, son comportement devenait inadmissible, choquant, dérangeant, inexcusable et tout.»
Peccator :« ... avec la compréhension erronée que les pharisiens avaient des commandements, le comportement de Jésus est tout simplement blasphématoire : il ose s'attribuer ce qui est le privilège de Dieu. [...] La colère de Jésus est dirigée vers cette profonde injustice qui fait que, parce que ces hommes ont déformé le commandement divin, ils entravent le dessein de salut de Dieu.»
Mac : «... votre démonstration pour moi est pertinente [celle de Peccator]. La seule chose c'est que cette injustice est faite par des hommes et pour revenir au texte les autorités juives de l'époque. Donc son regard de colère est bien en définitive porté sur eux d'ailleurs le texte le dit explicitement.
Donc, je ne vois pas qu'il puisse être un réel problème entre ce que l'un et l'autre nous disons.
Fée Violine écrivait :
il ne s'agit pas des "juifs" mais des "hérodiens" et des "pharisiens", c'est-à-dire de quelques personnes appartenant à certains partis politiques (les hérodiens) ou religieux (les pharisiens). Quant au chef de synagogue, il ne représente pas, à lui seul, "les juifs" ! Il représente par contre très bien les personnes trop légalistes, qui existent dans tous les pays et toutes les époques.
Les évangiles évoquent bien
ces chefs du Ier siècle et qui s'appuyaient sur le Temple à Jérusalem en particulier. On a aussi des leaders religieux, auprès desquels se retrouvait des considérations de «politique nationale» formant un foyer à partir duquel pouvoir édifier leur propre vue des choses; ce qui va constituer également un des éléments de la rupture entre eux et Jésus de Nazareth.
Il s'y trouve bien «quelque chose» qui outrepasse de simples questions d'attitude personnel cf. tartufferie, trop légaliste, hypocrisie, etc. Il y a le conflit des intelligences tout simplement.
Il ne faudrait pas diminuer non plus la question du rejet de la personne de Jésus de Nazareth ainsi que de ceux (parmi les juifs; exclus de la synagogue) qui auront voulu le suivre dans la suite; une exclusion signée par les Pharisiens suivant l'an 70. Parce que les Pharisiens d'après l'an 70 (la seule autorité qui reste encore debout dans le monde juif) : ils vont non seulement dénier toute possibilité à ce que ce Jésus puisse être le Messie, en rétrospective, mais ils vont en bloc, collectivement, comme en plein sanhédrin svp, décider un jour de reconnaître officiellement comme Messie du peuple juif, un Simon Bar Kocheba, lors de la seconde révolte de l'an 132 après J.C. Ce n'est pas un hasard.
Ce n'est pas un hasard, mais parce que les Pharisiens nourrissaient, par devers eux, le portrait-type du genre de Messie qu'ils auraient voulu avoir. Ils ne se satisfaisaient de rien d'autre.
Il leur prenait un nouveau Judas Maccabée, un chef ou un héraut militaire pour faire prévaloir en force le mosaïsme, la Loi et les conceptions pharisiennes des choses. Il intervient ici un phénomène de personnalité corporative, un phénomène de groupe et pour lequel les questions individuelles s'effacent. La question de la bonté personnelle de Trucmuche ou de l'hypocrisie de Totor ne sont plus des points pertinents à la question.
Les Pharisiens du Ier ou du IIe siècle vont se révéler à l'usage des adversaires de l'hellénisme (à l'inverse des chrétiens), des avocats du repli sur soi contre la menace extérieure.
Pour Israël et puis les Pharisiens également
André Chouraqui dit ceci :
- [+] Texte masqué
- «... cette pensée qui a interprété et développé les principes directeurs de la Bible en les adaptant aux conditions nouvelles de la vie en Israël pendant l'Exil. Ezra, le premier et le modèle des scribes, devait tracer la voie à ses successeurs qui, maîtres du destin d'Israël, allaient consacrer toutes leurs énergies spirituelles et intellectuelles à l'étude et l'enseignement des commandements de Dieu. Israël, dès l'époque du Second Temple et plus encore après sa destruction en l'an 70, allait devenir une communauté religieuse tout entière consacrée à Dieu.
La Torah devient le code unique et totalitaire qui domine la vie de la nation, informe l'esprit, et commande la conduite des fidèles. Toute est dans la Torah, rien ne peut se faire sans elle, contre elle ou en dehors d'elle. Étudier la Torah, en instruire les fidèles, demeure la principale, voire l'unique occupation des scribes, qui, après Ezra, deviennent les instructeurs et les guides spirituels de la nation. La méditation et l'enseignement de la Bible ont pour objet d'assurer la permanence du texte révélé et d'en faire la loi vivante d'une communauté sanctifiée par elle. La foi en la révélation de la Bible est le principe cardinal sur lequel repose toute la pensée talmudique. Dieu n'est et ne peut être connu que par la révélation de sa volonté qu'il a transmise à Moïse. Les maîtres en Israël devaient, dès lors, imposer l'interdiction soit d'ajouter à la Torah puisqu'elle vient de Dieu et qu'elle contient tout, soit d'en rien retrancher puisqu'elle est par essence éternelle, immuable.
[...]
Les docteurs étaient ainsi mis dans l'obligation d'adapter la loi aux circonstances nouvelles de la vie d'Israël. L'exégèse avait pour but d'adapter la volonté éternelle et incrée du Seigneur aux contingences de l'histoire terrestre d'Israël. L'exégèse juridique, cependant, grâce aux règles de l'herméneutique, se donnera libre carrière et se permettra toutes les subtilités afin d'assurer l'adaptation de la pensée biblique à la situation concrète d'Israël. [...]
La dialectique du Talmud
Cette méditation est conduite par des règles traditionnelles, codifiées à partir du Ier siècle de l'ère chrétienne par Hillel qui a défini sept règles herméneutiques, Ismaël a établit treize règles. Enfin, Rabbi Yossef Ben José, le Galiléen, a repris les règles de Hillel et d'Ismaël : il a défini, à la fin du IIe siècle, 32 règles qui permettent à la pensée d'approfondir le texte de la Bible. [...] les conclusions déduites à l'aide des règles traditionnelles ont, selon les rabbins, une valeur normative : elles s'imposent aux fidèles liés par l'alliance au Sinaï. Cependant, les rabbins se rendaient bien compte du danger qu'il y aurait à laisser chaque juif maître d'interpréter la Bible à sa guise - fût-ce avec les réserves que pouvaient apporter les règles très souples de l'herméneutique traditionnelle. Aussi, toute conclusion déduite du texte de la Bible en vertu des règles de l'herméneutique ne pouvait prévaloir contre la tradition ni contre l'opinion unanime des maîtres de la Torah.
[...]
Les rabbis du Talmud enseignent que la plénitude de la révélation de Dieu a été faite au Sinaï et à Israël. La Torah est considérée dans la pensée talmudiste comme la voie, la vérité et la vie. C'est par sa méditation et par son obéissance que le juif peut accéder à ses fins dernières. C'est elle qui permet à l'homme d'accéder à sa conformité divine et c'est elle qui est placée au centre de la vie nationale d'Israël. La Torah est parfaite. Elle ne sera jamais surpassée. Dieu par conséquent ne peut lui substituer une autre révélation. Tel est le dogme fondamental que les rabbins établissent.
Source : A. Chouraqui, La pensée juive, pp. 31-46
Israël et les nations
- [+] Texte masqué
- Si la réalité de l'élection de Dieu était certaine dans la pensée des rabbis, il ne faisait également aucun doute pour eux que ce n'était pas les mérites des Israélites qui leur avait valu ce privilège. L'élection est un acte d'amour gratuit. Les rabbis enseignent encore que cette élection, si elle vaut aux juifs le privilège d'avoir une terre et celui d'avoir un Dieu, fait peser sur eux les obligations les plus nombreuses comme les risques les plus graves : Israël, pour être fidèle à l'élection de Dieu, doit observer la Torah dont il est le dépositaire et le gardien. D'où chez les rabbis un prodigieux effort pour transformer la communauté juive en une immense abbaye où toutes les énergies des individus et du groupe seraient consacrées à l'adoration de Dieu et à l'étude de sa loi. Dans cette perspective, violer la loi constitue pour Israël une déchéance qui lui fait perdre son identité.
Inversement, tout païen qui observe la Torah est bien l'égal du grand prêtre. La portée universaliste de cette doctrine est visible et claire. L'élection qui, dans le judaïsme rabbinique a pu dégénérer parfois en exclusivisme ethnique étroit, constitue en principe le fondement réel de l'universalisme qui aspire au salut et à la rédemption de tous les peuples de la terre.
D'où un complément à l'élection : le devoir pour Israël d'apporter la Torah aux nations de la terre. L'esprit de mission, dont les juifs eurent par ailleurs tant à se plaindre, notamment pendant le IIe millénaire de l'ère chrétienne, a été une manifestation originale de la pensée d'Israël. L'esprit de mission est inventé, si l'on peut dire, par les juifs et découle essentiellement de leur foi en un Dieu universel qui devait devenir le Dieu de toute chair. On sait que jusqu'à la destruction du Temple, les juifs avaient des missionnaires qui ne se contentaient pas de visiter les communautés de la Diaspora, mais encore qui prêchaient et enseignaient les nations. Ainsi, a-t-on évalué le nombre des prosélytes juifs au sein de l'empire romain, au Ier siècle de notre ère, à quelque huit millions. L'esprit de mission que les juifs manifestaient avec ferveur et efficacité, pendant qu'ils étaient forts, s'affaiblit et disparaît après la ruine de la nation.
id.La pensée juive, p.49
Je rajoute :
Les Pharisiens sont à l'origine d'une volonté de ''démocratiser'' l'accès à Dieu, en soutenant que tous auraient une dignité religieuse égale à celle des prêtres. Mais, dans leur optique, une pareille «accessibilité» ne pouvant se réaliser chez l'un l'autre que par un souci de reprendre à son compte les règles de pureté lévitique qui, à l'origine, ne sont bien réservées qu'aux prêtres et à eux seuls.
Donc, ce qui peut apparaître comme une idée généreuse au départ (cf
permettre à tous d'expérimenter un état de sainteté semblable à celle des prêtres de la classe d'Aaron dans le Temple) fini par provoquer
une situation tout à fait contraire d'exclusion vis à vis le peuple, les pauvres et tout une masse de gens.
Parce que tout un tas de gens ne sont pas en état de pouvoir se plier aux différentes règles de pureté légale. De plus en plus, les pharisiens sont amenés à se retrancher des «impurs». Il faut une certaine aisance matérielle et le loisir pour pouvoir régler les dîmes, se garder du contact de ceci ou cela, pour faire l'aumône, etc. C'est parce que l'emphase ou une surrenchère intervient en Israël à cette époque en regard de la loi mosaïque. Si tout le monde méditerranéen s'éprend d'un souci de salut et de retour à la pureté, au Ier siècle, alors la voie pharisienne empruntera celle de la Loi. Mais être «pécheur» par rapport à la loi de Moïse n'est pas exactement la même chose non plus qu'être fautif au sens où l'on comprendrait le mot dans la morale chrétienne la plus classique (au sens des vertus chrétiennes).