Lumendelumine a écrit :
Si la forme de cette statue est à ce point identique à celle d'un homme que cette statue est douée de vie et de pensée, alors, c'est un homme, pas une statue, et ça ne pose aucun doute. Mais un truc inerte qui ressemble géométriquement à un homme, sa forme est extrêmement éloignée de l'âme humaine, aucune confusion possible: elle n'est même pas un principe vital, encore moins intellectuel.
Nous sommes bien d'accord, mais à ce moment-là vous êtes justement obligé de faire intervenir des notions: la vie, la pensée, qui sont irréductibles à la matière inerte, à son organisation spatiale, et aux forces physiques qui la régissent.
Or vous savez probablement que le matérialisme se refuse à reconnaître l'existence de principes, comme le principe vital et le principe de la pensée, en plus des principes matériels. Pour illustrer cela je vous citerais Darwin:
""La Vie", ça n'existe pas, à moins de croire que c'est une sorte d'entité, comme une âme, qui vient habiter la matière et lui donner Vie, la rendre mobile, éventuellement sensible, etc. Je trouve symptomatique que, de la même façon que les scientifiques ne recherchent plus à mettre la main sur l'âme des choses, ils n'ont pas pour objet d'étude "la Vie", mais, par exemple, des processus biochimiques. De leur point de vue, qui est aussi le mien, "la vie", ça n'existe tout bonnement pas !!! C'est un raccourci sémantique, support à mysticisme, mais c'est un concept dont il n'y a rien à faire. On ne peut en déduire ni généralités sur "la matière vivante", ni conséquences éthiques, ni métaphysique, ni rien du tout. Autant le jeter à la poubelle et passer à autre chose !"
(Charles Darwin / 1809-1882)
Donc comme vous le constatez, si les matérialistes peuvent nier l'existence d'un principe vital et d'un principe de la pensée, c'est parce qu'ils ne sont pas observables en tant que tels dans le monde sensible et que le matérialiste ne reconnaît que l'existence des principes observables ou dont les effets peuvent être observés dans le monde sensible.
Vous allez me dire alors qu'il existe des effets dans le monde sensible propres aux êtres vivants et que par conséquent les matérialistes devraient admettre l'existence de ces principes supérieurs pour rendre compte de ces effets. Mais, et toute la difficulté est là, les matérialistes objectent que ces effets peuvent être produits sans faire appel à des principes d'un ordre supérieur, et que par conséquent ils perdent leur caractère propre pouvant justifier l'existence de ces mêmes principes.
La démarche matérialiste présente certaines analogies avec la démarche athée qui cherche à expliquer les miracles sans faire intervenir le surnaturel: non pas nier l'effet miraculeux mais l'expliquer par un modus operandi naturel: phénomène météorologique, coïncidence, effet psychosomatique, hallucination, fraude etc...
Prenons un exemple, vous connaissez probablement l'histoire de cet homme qui prétendait avoir construit un automate capable de jouer aux échecs, je ne sais plus à quelle époque cela se passait, peut-être au XVIIIème, en tout cas à cette époque cela tenait du prodige. Le fait est que de grands joueurs d'échecs avaient perdu contre cet automate. A l'époque certains ont dit: "pour jouer et surtout gagner aux échecs face à des champions il faut pouvoir élaborer des stratégies complexes et ceci est un des caractères propres de l'intelligence humaine, donc derrière cet automate se cache un homme", et pour le coup ils avaient raison. Mais quelques siècles plus tard leur raisonnement sonne faux:
Philadelphie, le 11 mai 1997. La manche décisive a débuté depuis moins d’une heure, dans une salle comble et devant des millions de téléspectateurs. Soudain, le grand Garry Kasparov couche son roi noir sur l’échiquier et se lève. Sans un mot, bras levés, il quitte la salle. Il abandonne.
Son adversaire reste impassible, campé sur son mètre quatre-vingts et ses 1 400 kilos. Il vient pourtant de réaliser un exploit historique. Le nom de ce héros ? « Deep Blue », ordinateur sponsorisé par IBM et piloté par une équipe de 7 personnes. Pour Feng-Hsiung Hsu, informaticien mordu d’échecs, cette victoire est la consécration de 12 ans d’un travail acharné. Et pour le monde de l’intelligence, c’est un moment historique.
Donc "savoir déplacer des pièces sur échiquier en poursuivant une stratégie gagnante" n'est pas un des propres de l'intelligence humaine, et ne permet pas en tout cas d'en inférer l'existence d'une intelligence spécifiquement humaine et donc d'une âme rationnelle.
Toute la tendance matérialiste d'aujourd'hui est là: montrer que toutes les manifestations de la vie, vie intelligente comprise, peuvent très bien s'expliquer sans faire appel à un principe vital ou principe intelligent, mais en s'en tenant à la matière inerte et aux principes strictement physico-chimiques qui la gouvernent. Réduire la vie à une complexité matérielle, expliquer l'intelligence humaine par des modèles d'intelligence artificielle.
Par conséquent tenter de contrer le matérialisme, qui implicitement légitime l'avortement (puisque selon cette doctrine c'est le niveau de complexité matérielle observable qui fait l'être humain) en ne faisant appel qu'aux données de l'observation expérimentale, me paraît voué à l'échec, car chaque fois que vous direz à un matérialiste qu'il observe un être humain, il vous rétorquera que pour sa part il n’observe que des processus physiques, chimiques, biologiques, qui à terme conduiront à l'émergence d'un être humain.
Je vais d'ailleurs reprendre l'exemple extrême de Marchenoir, celui du démiurge capable de construire par assemblage moléculaire un corps humain, en reproduisant exactement toutes les étapes du développement embryonnaire et les étapes ultérieures, donc à l'observation vous ne vous doutez de rien, croyez-vous qu'à l'arrivée vous aurez un être humain? Là encore nous butons sur la question du propre de l'homme et même plus généralement de la vie si nous nous en tenons à la stricte observation expérimentale, on sait comment Darwin a évacué la problématique, en faisant de la notion de vie et d'humanité une fiction.
Pour ces raisons, ce qui force à admettre l'existence de principes supérieurs comme la vie, l'âme et l'humanité, ce n'est pas l'observation expérimentale enfermée dans le monde sensible, mais l'intelligibilité: nous, êtres rationnels nous ne nous connaissons pas comme des agrégats de matière, aussi complexes soient-ils, nous nous connaissons comme des êtres vivants et pensants, différant non pas, en degré, mais en nature du minéral, du végétal et de l’animal, et cela commande d'ailleurs notre morale: nous n’agissons pas de la même façon avec un humain, une salade, un animal, un androïde ou un tas de pierres. Si maintenant un Darwin vient nous dire que ses observations expérimentales ne lui permettent pas d’établir de différence de nature entre la matière inerte, vivante et pensante, et que lui en conclut que la vie et l’humanité sont des fictions, nous que faut-il en conclure? Nous pouvons en conclure que :
Soit Darwin a raison et nous ne devons plus faire confiance à notre intelligence lorsqu’elle nous fait nous connaître comme des êtres transcendant le règne minéral, végétal et animal, finalement nous ne sommes que de la matière organisée en mouvement. Mais si nous nous défions de notre intelligence sur ce point-là en particulier pour avaler la couleuvre matérialiste, pourquoi ne devrions-nous pas non plus nous défier de notre intelligence sur tous les autres points, y compris justement sur le point matérialiste ? Finalement on en arrive à un doute hyperbolique à la Descartes, et il n’y a plus aucune intelligibilité de quoi que ce soit.
Soit nous continuons à faire confiance à notre intelligence et à nous considérer comme des êtres appartenant à une nature spécifique qui est la nature humaine, et nous rétorquons à Darwin que le principe de la vie et de la pensée est inobservable expérimentalement mais qu’il est nécessaire de l’admettre sous peine de sombrer dans l’inintelligible et à ce moment-là il n’y a plus aucune connaissance certaine, tout peut être vrai comme tout peut être faux.
L’adjonction de principes immatériels et inobservables pour comprendre le vivant et le pensant n’a donc rien de gratuit, au contraire sans ces principes on ne comprend plus rien ou l’on s’imagine comprendre alors que l’on ne fait qu’observer des phénomènes du monde sensible, dans tous les cas l’intelligibilité est perdue.
Lumendelumine a écrit :
Où est la difficulté? Contestez-vous qu'il ne pose aucune difficulté, au regard de l'expérience, que le bébé en développement dans le ventre de sa mère ait réellement l'âme humaine, et si oui, sur quelles bases vraiment?
Difficulté non, incertitude oui, les données expérimentales acquises en embryologie depuis l’époque de Saint Thomas ne nous permettent pas d’infirmer ou de confirmer sa thèse de l’infusion tardive de l’âme (je rappelle cependant que cela ne change rien à la question morale de l’avortement). Par contre, bien que ne connaissant pas le moment exact de l’infusion de l’âme, pour conserver une bonne intelligibilité de la nature humaine il faut admettre que l’âme est infusée à un moment ou à un autre .