La Badaliya selon Massignon

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François-Xavier
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La Badaliya selon Massignon

Message non lu par François-Xavier » mar. 07 juin 2011, 15:53

Dans la dernière livraison de France Catholique, vous pourrez trouver un article(1) sur la parution de certains écrits de Louis Massignon, présentés par Mauroce Borrmans et Françoise Jacquin, avec une préface du Cardinal Tauran, signé par Yves Floucat. Cet article parle de la Badaliya; la "mystique de subsitituion des âmes" des Musulmans créée par Louis Massignon.

Je m'interroge sur l'opportunité d'encenser ce curieux personnage et je m'appuie pour cela sur la réflexion d'un certain nombre d'islamologues et de scientifiques : reconnus :
Exposé du P. Edouard-Marie Gallez lors de la soirée organisée par la Fondation de Service Politique le 16 mars 2011, avec Mr Xavier Lemoine
http://www.libertepolitique.com/politiq ... ologique-r
Extraits du texte et des commentaires
“… La théologie occidentale a fait de l’acte de foi l’agent du salut, à la place du Christ lui-même. De la sorte, inexorablement, cette pensée théologique a glissé vers la promotion des « religions » comme autres moyens de salut. Pour autant, ce n’est pas ce qu’ont voulu dire les Evêques réunis lors du Concile Vatican II. Leur jugement global sur « les religions » est loin d’être positif :
« Bien souvent, malheureusement, les hommes trompés par le démon, se sont égarés dans leurs raisonnements, ils ont délaissé le vrai Dieu pour des êtres de mensonges, servi la créature au lieu du créateur, ou bien, vivant et mourant sans Dieu dans ce monde, ils sont exposés aux extrémités du désespoir » (Lumen gentium n. 16).
En fait, le Concile voulait s’attacher au cheminement de chacun vers la vérité, ce qui explique que les textes conciliaires ne mentionnent jamais aucun système de pensée comme tel : ni le communisme, ni l’islam, ni le bouddhisme par exemple, mais uniquement des personnes, les musulmans et les juifs – le Concile ne pouvait pas manquer de parler de ceux-ci, ce qui explique sans doute que ceux-là soient également mentionnés explicitement. Pour le reste, les allusions sont indirectes pour éviter, justement, d’enfermer le cheminement personnel dans l’étiquette d’un système.
On commence donc à voir pourquoi les chrétiens occidentaux de 2011 ont spontanément tendance à considérer leur foi comme une foi parmi d’autres. Une certaine tradition et un manque de contacts avec les chrétiens orientaux expliquent ce relativisme. Mais il existe d’autres raisons. Parmi celles-ci, il faut évoquer, rapidement hélas, l’influence qu’a eue Louis Massignon en milieu catholique. Baptisé à sa naissance en 1883 mais élevé dans une famille ayant une foi assez particulière, Massignon découvrit l’Islam et l’Orient à la suite d’un voyage en Egypte avec son amant espagnol Luis De Cuadra, qui s’était fait musulman. Plus tard, selon ce qu’il raconte, il découvrit Dieu, en 1908, à Bagdad. Cette expérience solitaire, vécue sans contact avec les chrétiens autochtones, servira par la suite de base à sa théologie et à celle de ceux qu’il influença et qui, d’ailleurs, s’y réfèrent aujourd’hui encore. Massignon avait été faussement arrêté comme espion puis, et atteint de fièvre, fut hospitalisé ; c’est durant ces jours-là qu’il dit avoir fait une expérience religieuse « mystique », une « expérience de Dieu le Père », située en quelque sorte au-dessus du christianisme et de l’islam.
En réalité, cette expérience « mystique » n’était pas sans lien avec l’atmosphère dans laquelle il avait baigné dans son enfance et sa jeunesse ; son père, qui portait le nom d’artiste de Pierre Roche, n’était pas vraiment un athée ; il s’était lié à un prêtre défroqué (et ex-communié), l’abbé Boullan, qui avait élaboré une doctrine mystique par laquelle il imaginait que le chrétien pouvait se substituer au pécheur. En d’autres termes, le chrétien aurait le pouvoir de valoir à d’autres le salut, indépendamment de toute rencontre avec le Christ. Cette théorie-là de la substitution, à laquelle Jésus devient évidemment extrinsèque, donnera naissance à la mystique islamo-chrétienne de Massignon qu’il appellera plus tard lui-même en arabe badaliya, c’est-à-dire « substitution ». Dans cette pensée, l’évangélisation devient inutile, voire nuisible, puisque le dialogue mystique est lui-même instrument de salut. Louis Massignon réussit à en convaincre des autorités catholiques romaines, du fait de leur ignorance en matière d’islamologie. Après sa mort en 1962, ses adeptes créèrent ainsi à Rome le Pontificio Istituto di Studi Arabi e d’Islamistica (PISAI), où jusqu’il y a peu les cours étaient souvent en français, et que Benoît XVI voulut supprimer au début de son Pontificat ; mais il dût y renoncer.
Derrière cette institution existent des réseaux 2 qui, très concrètement, ont monopolisé les questions islamo-chrétiennes. Ceci a eu pour effet d’empêcher toute recherche scientifique islamologique en milieu catholique, au profit de la poursuite du rêve de Massignon. Néanmoins, certains responsables catholiques latins reconnaissent en privé ou même ouvertement parfois que les dizaines d’années d’existence du dialogue islamo-chrétien n’ont abouti qu’à l’établissement de liens personnels, avec parfois des retombées positives. Ce modèle de dialogue a d’ailleurs été copié un peu partout dans le monde, y compris à Tripoli sous l’égide de Mouammar Kadhafi.”

—extraits des commentaires —
Dans un contexte de confusions, le jeune Massignon n’a pas rectifié les déviations mystico-théologiques dans lesquelles il avait baigné, et s’est intéressé ainsi à Al-Hallaj et aux mystiques chrétiens qui semblent illustrer son idée de la « substitution ». Et il se détourna de l’homosexualité. Au faîte de sa gloire et à l’instance de Mary Khalil, ce professeur de sociologie musulmane au Collège de France durant 35 ans, dévoué à ses élèves, se fit ordonner prêtre en janvier 1950 alors qu’il était marié depuis des années à une certaine Marcelle Dansaert ; pour ce faire, il passa par la Communauté melkite catholique d’Egypte. Il ne célébrait la messe que discrètement et seul. Voilà le personnage réel que d’aucuns évitent de présenter. Et utiliser les moines de Tibhirine ou Charles de Foucauld pour le cautionner n’est pas honnête (seul le P. de Chergé, formé au Pisaï, partageait la mystique massignonienne, comme son Testament le suggère – Charles de Foucauld avait une perspective toute autre). Massignon a enseigné que l’Islam résultait d’une « volonté positive de Dieu » par Ismaël (lequel est dépourvu de tout fondement comme figure islamique) : “L’Islam constitue une réponse mystérieuse de la grâce à la prière d’Abraham pour Ismaël et les Arabes” auxquels “Dieu a donné le Coran en signe de bénédiction” (Parole donnée, Paris, Seuil, rééd. 1983, p.267) ; il a également affirmé le contraire, à savoir que l’Islam était diabolique – mais peut-être n’est-ce pas le contraire selon sa mystique [de substitution-badalyyia]. Quoi qu’il en soit, lui-même et son mouvement se sont toujours opposés aux recherches historiques, au nom d’un supposé respect dû aux Musulmans, et c’est pourquoi l’islamologue Maxime Rodinson le traitera de « confit en dévotion islamique ».
Quant aux conséquences anti-évangélisatrices de ses positions, même s’il a pu écrire parfois le contraire et le contraire du contraire, voici ce qu’en pensait Pierre Rocalve :
“Jusqu’à Massignon, le christianisme cherchait à convertir. Lui préconise une attitude de compassion-substitution... pour lui, l’Islam est non seulement une vraie religion, avec ses saints (Hallaj, Salmân,...), mais une religion vraie qui a sa place dans l’histoire de la Révélation”(Louis Massignon et l’Islam, coll. Témoignages et documents n° 2, Institut Français, Damas, 1993, p.28.95).
Massignon se justifie ainsi : “Cet expatriement où nous entraîne notre « substitution » aux âmes musulmanes, cette grâce de Dieu qui les justifie devant Lui, en nous sanctifiant”, et expliquait que la vie chrétienne est une “mise à la disposition spirituelle, toute offerte au désir que Jésus a des âmes, pour répondre à leur place à Son Appel” (Lettre de la Badaliya n° 3 et 4, citées par Jacques Kéryel (Louis Massignon et..., Paris, Karthala, 1997, p.365). Les textes sont nombreux et clairs. Pour en savoir plus sur la massignolâtrie :

http://www.notredamedekabylie.net/Autre ... etien.aspx et également http://www.notredamedekabylie.net/FORUM ... fault.aspx .

Cela n'a l'air de rien, mais le battage médiatique actuel orchestré par certains (qu'on peut très bien identifier) autour de la question du "dialogue islamo-chrétien" centré sur la pensée massignonienne ne se limite pas à l'hebdomadaire France-Catholique, il est vrai peu lu.... Il faut voir qu'en même temps, en première page du site web du diocèse de Lyon - http://lyon.catholique.fr/ , sous l'intitulé "à voir," et "M. le président Gaci, merci", on a une vidéo réalisée par RCF Fourvière (2) interview d'Azzedine Gaci, qui commence par ces mots : la diversité religieuse, c'est une volonté divine, c'est Dieu qui a voulu qu'il y ait des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans"... C'est immédiatement contraire à l'enseignement de l'Eglise : http://www.vatican.va/roman_curia/congr ... us_fr.html


J'ose espérer que ce n'est pas cela que les participants à la formation sur le dialogue interreligieux de février dernier à Lyon auront retenu....
Cela va de pair avec la lecture biaisée de l'affaire de Thibérine par certains (.... aussi également très identifiables) qui cherchent à faire du P. de Chergé le fondateur d'une théologie du dialogue islamo-chrétien, chose qu'il n'a jamais prétendu faire ou être. Il ne se décrivait lui même comme quelqu'un qui n'était pas théologien.
http://www.laprocure.com/livres/christi ... 78183.html
Image
J'insiste : c'est dangereux. Avec ce genre de choses, nous allons dans une direction sans issue théologique....

(1) L'article n'est pas disponible en ligne pour le moment, mais du même auteur, on trouve sur le site de France Catholique la recension d'un autre livre du même tonneau : http://www.france-catholique.fr/Louis-M ... logue.html Je vous laisse y goûter...
(2) A quelques jours du premier tour des élections du Conseil Régional du Culte Musulman / Rhône-Alpes (CRCM), dimanche 5 juin, la web TV / lyon fourvière donne la parole à Azzedine Gaci, son président sortant. Cette vidéo a été tournée le 16 février 2011, à Lyon, en marge de la session doctrinale des évêques de France sur le dialogue interreligieux. Cette vidéo est proposée par la Web TV / lyon fourvière, rendez-vous vidéo du site http://www.lyon.catholique.fr, réalisée en partenariat avec KTO.

Dernière modification par François-Xavier le mer. 08 juin 2011, 8:58, modifié 2 fois.

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Re: La Balaliya selon Massignon

Message non lu par Raistlin » mar. 07 juin 2011, 17:05

Merci François-Xavier pour ces précisions. Effectivement la mystique de Massignon semble profondément antichrétienne (comme quoi, la pseudo mystique déconnectée de la foi de l'Église, ça vaut pas tripette ! :D ).


Je "savoure" tout particulièrement cette absurdité qu'on retrouve chez Louis Massignon et chez Azzedine Gaci :
Louis Massignon a écrit :"L’Islam constitue une réponse mystérieuse de la grâce à la prière d’Abraham pour Ismaël et les Arabes” auxquels “Dieu a donné le Coran en signe de bénédiction"
Azzedine Gaci a écrit :"la diversité religieuse, c'est une volonté divine, c'est Dieu qui a voulu qu'il y ait des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans"
Absurdité qui a pour conséquence de dire que Dieu se contredit dans Sa Révélation puisque l'islam s'oppose aux principaux dogmes du christianisme. Voilà le Dieu auquel ils veulent nous faire croire : d'un côté Il instaure le christianisme qui est censé être universel et définitif, de l'autre il instaure l'islam qui a pour mission de supplanter le christianisme... Sans commentaire. :/
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Re: La Balaliya selon Massignon

Message non lu par lmx » mar. 07 juin 2011, 17:54

neutraliser le christianisme et ses dogmes, remplacer Jésus par "Issa", nier la Trinité, en somme l'islamiser doucement de l'intérieur.
Effectivement la mystique de Massignon semble profondément antichrétienne (comme quoi, la pseudo mystique déconnectée de la foi de l'Église, ça vaut pas tripette ! :D ).
C'est Massignon qui était anti chrétien tout court, vous connaissez des "chrétiens" qui prêchent l'islam et qui ont des conversions à l'islam à leur actif ? ça existe un "chrétien" qui dit hypocritement qu'il ne faut pas évangéliser tout en prêchant l'islam à des chrétiens ?
Jamais l'Eglise n'aurait prêtée attention à des infiltrés dans son genre il y a encore un siècle ...

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Re: La Balaliya selon Massignon

Message non lu par Raistlin » mer. 08 juin 2011, 9:18

lmx a écrit :C'est Massignon qui était anti chrétien tout court, vous connaissez des "chrétiens" qui prêchent l'islam et qui ont des conversions à l'islam à leur actif ? ça existe un "chrétien" qui dit hypocritement qu'il ne faut pas évangéliser tout en prêchant l'islam à des chrétiens ?
Je ne comprends pas vraiment la mystique de Massignon comme vous. Pour moi, il était chrétien et ne prêchait pas l'islam, mais il avait une vision de la place de l'islam et du Salut opposée à la raison (car il est absurde de prétendre que le christianisme et l'islam sont toutes les deux voulues positivement et révélées par Dieu) et à la foi catholique (car il niait la nécessité d'évangéliser).

Au demeurant, j'ai tendance à moins en vouloir à Massignon - qui ne fût jamais qu'un pseudo mystique parmi tant d'autres (si vous saviez comme c'est simple de se dire "mystique" !) - qu'aux catholiques (ministres et fidèles) qui ont prêté une oreille attentive à ses sottises. Il y a des jours où je me demande si le bon sens n'aurait pas purement et simplement abandonné l'Église !
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Re: La Badaliya selon Massignon

Message non lu par Yves FLOUCAT » sam. 25 juin 2011, 9:30

Vous auriez pu au moins reproduire les réponses que j'ai données au P. Gallez sur le site de "Liberté politique" http://www.libertepolitique.com/index.p ... le&id=6651 :

Y. Floucat (26/03/2011): Comment peut-on calomnier la figure de Louis Massignon - pour mieux faire accréditer des thèses pour le moins très personnelles sur l'islam et ses origines - au point d'inventer l'existence chez lui, après sa conversion au catholicisme, d'une expérience mystique "située en quelque sorte au-dessus du christianisme et de l'islam"? Comment peut-on écrire sans état d'âme que cette expérience spirituelle a donné naissance à une "mystique islamo-chrétienne" de la substitution "à laquelle Jésus devient évidemment extrinsèque" et qui rendrait "l'évangélisation inutile, voire nuisible"?

Il suffit de lire les textes de Louis Massignon aux membres de la Badaliya - aujourd'hui publiés par les soins, notamment, du père Maurice Borrmans (autrement informé de ces questions) - pour réaliser à quel point ce genre de discours est proprement mensonger (cf. Badaliya. Au nom de l'autre (1947-1962, Cerf, 2011). Le but de la Badaliya selon Massignon? "Par cet Esprit d'abandon offert, sans réserve, à nos frères séparés, aussi fils d'Abraham, leur faire retrouver Jésus, qui fut formé par cet Esprit en Marie, inséparable de sa Mère, avec Meryem et par Meryem" (p. 58). "Méditons l'exemple des martyrs chrétiens en terre d'islam, en terroir arabe : orientaux, occidentaux, jusqu'à notre ami Ch. de Foucauld, jusqu'aux derniers martyrs grecs, arméniens, géorgiens, maronites, syriens, coptes, chaldéens : shuadâ'l-Hubb al-ajall : témoins de l'amour suprême" (p. 62).

Pour Massignon, selon le voeu de Foucauld, cette spiritualité de la substitution était une manière d' "aller au front", à l'image du Christ crucifié et dans l'espérance de la Résurrection. Jamais Massignon n'a prétendu que le Christ ne fût la seule voie de salut. Il voulait, par un témoignage d'amour et d'abandon, que cette image du Christ se formât au fond du coeur de ses frères musulmans. Certains l'ont accusé d'être un prosélyte. D'autres aujourd'hui lui reprochent d'avoir refusé toute évangélisation. A la vérité, il y a plusieurs manières d'évangéliser et aucune n'est à exclure. S'il pratiquait le sacrifice de soi comme témoignage de l'Amour du christ pour ses frères égarés, Massignon n'a jamais reculé devant l'attestation directe de sa foi au Fils de Dieu, il n'a jamais refusé d'accompagner jusqu'au bout ceux qui, musulmans, voulaient devenir catholiques. Il fut ainsi, par exemple, le parrain de celui qui deviendrait le père Jean-Mohammed Abel Jalil.

Aurions-donc déjà oublié le témoignage des moines de Tibhirine? Ils se sont situés, dans leur fidélité au Christ jusqu'au martyre (un échec sans doute à vue humaine comme le fut d'abord la Croix pour les disciples de Jésus, mais une fécondité promise à cause du sang versé pour le Christ) dans la ligne même de ce qu'avait dit et fait Massignon. Au vrai, lorsqu'on relit aujourd'hui les textes de ce dernier, on se hausse à mille coudées au-dessus de toutes les calomnies que l'on ne cesse de déverser sur sa personne et sur sa vie. Aussi bien, je regrette que, durant cette table ronde autour du thème "Islam et laïcité", la parole n'ait pas été donnée à une personnalité qui connaît bien l'oeuvre de Massignon et l'histoire, certes complexe et difficile, mais néanmoins féconde, du dialogue entre musulmans et chrétiens dont il a été, parmi d'autres, à l'origine. C'est pourquoi j'ai demandé à mon ami le père Maurice Borrmans de faire le point dans un livre qui paraîtra bientôt, je l'espère, dans une collection que je dirige aux éditions Pierre Téqui. Au moment où la laïcité à la française manifeste clairement ses limites et où les catholiques détournent leurs yeux du vrai problème qu'est leur complaisance à l'égard d'un sécularisme clairement anti-chrétien et, plus largement, dirigé contre les trois grandes religions monothéistes, il est plus que jamais nécessaire que d'autres voix se fassent entendre. Le pape Benoît XVI, contrairement à ce que l'on semble insinuer, ne cesse de les encourager en paroles et en actes.

Y. Floucat (05/04/2011): Si je comprends bien le P. Gallez, la théologie médiévale - et saint Thomas lui-même - nous conduit à un impasse quant à la question du salut des non chrétiens. Le cardinal Journet lui-même, non suspect de progressisme ou d'admiration pour Karl Rahner, n'a pas réussi à en sortir. Dès lors que penser de l'affirmation de la constitution dogmatique "Lumen Gentium" (c.2, § 16) : "Le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui professent avoir la foi d'Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour. Et même des autres, qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu'ils ignorent, Dieu n'est pas loin, puisque c'est lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses (cf. Act. 17, 25-28), et puisqu'il veut, comme Sauveur, que tous les hommes soient sauvés (cf. 1 Tim. 2, 4). En effet, ceux qui, sans qu'il y ait de leur faute, ignorent l'Évangile du Christ et son Église, mais cherchent pourtant Dieu d'un coeur sincère et s'efforcent, sous l'influence de sa grâce, d'agir de façon à accomplir sa volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, ceux-là peuvent arriver au salut éternel. A ceux-là même qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de Dieu, mais travaillent, non sans la grâce divine, à avoir une vie droite, la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires à leur salut. En effet, tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l'Église le considère comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie. Bien souvent, malheureusement, les hommes, trompés par le malin, se sont égarés dans leurs raisonnements, ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, en servant la créature de préférence au Créateur (cf. Rom. 1, 21 et 325) ou bien vivant et mourant sans Dieu en ce monde, ils sont exposés aux extrémités du désespoir. C'est pourquoi l'Église, soucieuse de la gloire de Dieu et du salut de tous ces hommes, se souvenant du commandement du Seigneur : 'Prêchez l'Évangile à toutes les créatures' (Marc 16, 16), met tout son soin à encourager et soutenir les missions".

Les Pères Conciliaires ont-ils été victimes des légitimes hésitations d'un Massignon, d'un Journet, ou d'une "massignolâtrie" inguérissable en écrivant ces lignes d'une constitution dogmatique? Leur souci de ne pas enfermer l'adage "hors de l'Église point de salut" dans une interprétation restreinte à l'Église visible leur a-t-il fait ignorer l'importance de la mission et récuser qu'en dehors du Christ il n'est pas de voie de salut? Mais peut-être le P. Gallez a-t-il une autre solution théologique ou dogmatique à proposer?

Quant à Massignon, on peut admirer sa personnalité sans être d'accord en tous points avec tout ce qu'il a écrit. Je ne connais pas un seul de ses disciples qui ait été inconditionnel (contrairement aux phantasmes du P. Gallez). Enfin, en ce qui concerne les points de la vie de Massignon qui sont ici rappelés à juste titre , en quoi disqualifient-ils ce "personnage réel" prétendument "confit en dévotion islamique"? Qui cherche à éviter de les exposer? En quoi seraient-ils déshonorants? Encore faut il tenter de bien comprendre la signification spirituelle du sacerdoce de Louis Massignon au regard de ce sa "courbe de vie" (pour reprendre une de ses expressions favorites)...


Y. Floucat (16/04/2011): Ce n'est pas le lieu de rappeler l'autorité particulière, dans l'Église, d'un concile oecuménique. De grands théologiens comme les cardinaux de Lubac ou Journet l'ont fait et bien fait. En ce qui concerne la constitution "Lumen gentium", dite "dogmatique", elle a d'autant plus d'importance qu'elle est surtout doctrinale. Elle se situe dans une parfaite continuité avec l'enseignement de l'Église et il serait particulièrement déplacé de la lire selon une herméneutique de la rupture!

Le passage concernant le dialogue avec les musulmans, que je citais, est repris - faut-il le rappeler ? - dans le "Catéchisme de l'Église catholique" (§ 841). Il n'affirme rien sur le caractère réellement abrahamique de la foi musulmane, mais ne le nie pas non plus, que cela plaise ou pas. Dans son livre de dialogue "Lumière du monde", le cardinal Ratzinger - Benoît XVI se situe dans la même ligne lorsqu'il affirme que "ce qui nous rassemble" avec les musulmans, c'est "la foi en Dieu et l'obéissance à Dieu".

Par ailleurs, on veut à tout prix dissocier la spiritualité de Massignon de celle du bienheureux Charles de Foucauld. Il y aurait même, selon le père Gallez, quelque malhonnêteté à ne pas le faire!... Cela reste pour le moins à démontrer lorsqu'on connaît la profondeur de leur lien spirituel. Et l'abbé Jean-François Six n'est certes pas la seule référence en la matière, même s'il a écrit sur cette question des pages à ne pas négliger. Puisqu'il est devenu fréquent, pour les opposer, de citer une lettre du père de Foucauld en date du 29 juillet 1916 (en la tronquant d'ailleurs habilement), puis-je me permettre de renvoyer au moins à la mise au point - qui est en même temps une bonne mise en perspective historique - de l'abbé Six sur le lien http://www.gric.asso.fr/spip.php?article283 ?

Louis Massignon, qui ne prétendait pas être un théologien et ne l'était pas, s'est posé la question de la place de l'islam dans le plan de Dieu et a varié dans ses réponses. Il reconnaissait lui-même ses propres hésitations. Qu'y a-t-il là de déshonorant? Faut-il être bardé de certitudes bien arrêtées pour être un bon scientifique et un bon islamologue catholique?

Est-il illégitime de se demander quelle est la place de l'islam dans le plan de Dieu? Le père Samir Khalil Samir, non suspect de vaines complaisances, le faisait récemment pour l'agence Zenit et il répondait :
"Je crois que pour nous chrétiens il (l'islam) est un stimulant pour nous ramener au fondement de tout : Dieu est l'Unique, la Réalité Ultime ! Que représente l'affirmation juive et chrétienne fondamentale, reprise par le Coran dans la belle Sourate 112 : « Dis: Dieu est l'Unique! Dieu est l'impénétrable! » etc. Une affirmation que la vie moderne risque de nous faire oublier. L'islam nous rappelle que, si le Christ constitue le centre de la foi chrétienne, il l'est toujours par rapport au Père ; pour rester dans l'unicité, même si le Coran na pas réussi à comprendre ce qu'est l'Esprit Saint."

Cette réponse mérite réflexion dans un débat qui ne sera salutaire que s'il se refuse à entretenir le climat délétère d'un inéluctable conflit des civilisations. Le premier défi en notre vieille Europe n'est pas, me semble-t-il, l'islam (dont je ne nie pas qu'il soit aussi un vrai défi), mais celui de notre sécularisme haineux envers les religions en général, et particulièrement envers les trois religions monothéistes qui se réclament d'Abraham.

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Re: La Badaliya selon Massignon

Message non lu par François-Xavier » mer. 03 août 2011, 12:01

Yves Floucat a écrit :Vous auriez pu au moins reproduire les réponses que j'ai données au P. Gallez sur le site de "Liberté politique" http://www.libertepolitique.com/index.p ... le&id=6651 :
Mon intervention ne parle pas des réponses que vous avez faites sur le blog de Liberté Politique, mais de vos interventions suivies dans l'hebdomadaire France Catholique.
Par ailleurs, si vous faites des réponses, on aimerait tous que vous nous expliquiez vraiment la teneur - selon vous - des relations troubles entre Massignon et l'abbé Boullan via Huysmans, et le contenu théologique de cette idée de Substitution. Et d'en tirer les conséquences sur les rapports entre christianisme et Islam. Je ne vois rien de tel ni sur ce forum, ni sur le blog de Liberté Politique.
Yves Floucat a écrit :Louis Massignon, qui ne prétendait pas être un théologien et ne l'était pas, s'est posé la question de la place de l'islam dans le plan de Dieu et a varié dans ses réponses. Il reconnaissait lui-même ses propres hésitations. Qu'y a-t-il là de déshonorant? Faut-il être bardé de certitudes bien arrêtées pour être un bon scientifique et un bon islamologue catholique?
Dans ces conditions, pourquoi sa "pensée" devrait elle être à l'origine de toute théologie du dialogue islamo-chrétien ? Ce que vous dites est également valable pour le P. de Chergé. Il ne prétendait pas pas être théologien ; pourtant ses "disciples" en font une théologie :
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Il est pourtant crucial aujourd'hui de construire une théologie du dialogue interreligieux... Ou plutôt de faire connaître, apprécier et enseigner le magistère de l'Eglise à ce sujet.... En particulier Paul VI, mais aussi Vatican II.
Yves Floucat a écrit :Est-il illégitime de se demander quelle est la place de l'islam dans le plan de Dieu? Le père Samir Khalil Samir, non suspect de vaines complaisances, le faisait récemment pour l'agence Zenit et il répondait :
"Je crois que pour nous chrétiens il (l'islam) est un stimulant pour nous ramener au fondement de tout : Dieu est l'Unique, la Réalité Ultime ! Que représente l'affirmation juive et chrétienne fondamentale, reprise par le Coran dans la belle Sourate 112 : « Dis: Dieu est l'Unique! Dieu est l'impénétrable! » etc. Une affirmation que la vie moderne risque de nous faire oublier. L'islam nous rappelle que, si le Christ constitue le centre de la foi chrétienne, il l'est toujours par rapport au Père ; pour rester dans l'unicité, même si le Coran na pas réussi à comprendre ce qu'est l'Esprit Saint."
Ce n'est pas parce qu'il y a dans le Coran des beaux passages - qui sont en fait chrétiens - que l'Islam est voulu par Dieu. L’Église n'a jamais nié qu'il a dans la tradition islamique tout comme dans d'autres traditions, des choses intéressantes et belles. Toutes les hérésies ont été des stimulants pour la doctrine, le combat spirituel, l'approfondissement d'une foi chrétienne orthodoxe. Le P. Samir ne dit rien d'autre. Ne tournons pas autour du pot. Par ailleurs, comme au sujet de Charles de Foucauld, il me semble très facile d'essayer de récupérer des personnalités à votre profit. Je sais de source directe ( - directe ! - ) que le P. Samir n'est pas d'accord avec vous. A la différence de Charles de Foucaud, il n'est pas mort. C'est donc plus difficile de tenter une OPA posthume sur lui, et pour cause.
Yves Floucat a écrit :Cette réponse mérite réflexion dans un débat qui ne sera salutaire que s'il se refuse à entretenir le climat délétère d'un inéluctable conflit des civilisations. Le premier défi en notre vieille Europe n'est pas, me semble-t-il, l'islam (dont je ne nie pas qu'il soit aussi un vrai défi), mais celui de notre sécularisme haineux envers les religions en général, et particulièrement envers les trois religions monothéistes qui se réclament d'Abraham.
Mais que croyez vous ? Nous sommes dans un conflit de civilisation. C'est la réalité. J'habite dans une ville où il y a (statistiques officieuses) 56% de Musulmans. Il est très à la mode dans les "milieux lancés" (ceux qui lisent "Le Monde" et s’abreuvent de la pensée "Sciences Po" : je sais de quoi je parle, je fus étudiant rue Saint Guillaume) de critiquer Samuel Huntington et son "Clash of Civilizations" ; alors même qu'on ne sait pas très bien si on parle de son article (plus nuancé ) ou de son livre. Oui c'est une lutte entre l'Islam en tant que civilisation et un Occident en pleine régression culturelle. Libre à vous de ne considérer cette question uniquement comme une approche se résumant à une lutte "sécularisme" versus religiosité.
Commençons plutôt par nous poser des vraies questions au regard de la philosophie, et de la théologie. Posons nous aussi la question : comment se fait-il qu'en 2011 il puisse y avoir une ville en France où il y a 56% de Musulmans sans que personne que ce soit au niveau ecclésial ou administratif se soucie de mettre en place une pastorale ou une politique orientée vers eux ?

Kaeso
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Re: La Badaliya selon Massignon

Message non lu par Kaeso » mer. 03 août 2011, 12:49

Je pense que le professeur Floucat prend simplement acte de la percée de la théologie du cardinal de Lubac dans les écrits du magistère...
La doctrine catholique n'a pas de pires ennemis que ceux qui l'ignorent ou qui la travestissent

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François-Xavier
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Re: La Badaliya selon Massignon

Message non lu par François-Xavier » mer. 03 août 2011, 14:46

Kaeso a écrit :Je pense que le professeur Floucat prend simplement acte de la percée de la théologie du cardinal de Lubac dans les écrits du magistère...
C'est intéressant. A quoi pensez-vous en particulier ? Cela est il à relier à la question d'une sorte de primat de la théologie augustinienne dans la pensée chrétienne contemporaine (et disons le - de ses dérives jansénistes) en particulier en relation avec le jugement particulier / dernier et à la question du salut des non chrétiens (notamment en rapport avec Balthazar ?).
Bref, je suis preneur d'un développement de votre part...

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Re: La Badaliya selon Massignon

Message non lu par Kaeso » jeu. 04 août 2011, 1:18

La théologie lubacienne se retrouve, pour le meilleur comme pour le pire, dans les pontificats de J.P.2 et B.16.

[ C'est quoi, ça, des vitamines ? :/

Je vous rappelle ce règlement du forum :

:arrow: Privilégiez l'emploi exhaustif du titre des personnes citées, en particulier s'il s'agit de participants à ce forum. Exemples : "Le Cardinal Ratzinger" et non "Ratzinger" ; "Jean-Paul II" (voire "S.S. le Pape Jean Paul II") et non "JP II" ; "M. l'abbé X" et non "X" ou "l'AB X"

Vous voulez sans doute parler du bienheureux Jean-Paul II et de Sa Sainteté Benoît XVI... Veuillez en tenir compte à l'avenir, Merci. La modération. ]



Sa grandeur est de considérer la dignité de la nature humaine à l'aune de sa vocation surnaturelle, inchoactivement inscrite en toute nature du seul fait de son désir naturel (indélibéré ou élicite) du surnaturel. A partir de là, il sera moins question de prêcher la foi aux infidèles que de se baser sur les germes de vérités, ces semences du Verbe, contenues dans les doctrines ou les pratiques de religions qui restent antéchristiques. D'où le baiser au Coran. Selon les deux premières théologies du surnaturel (nature pure et augustinisme catholique), un tel acte est nécessairement monstrueux, impie... Selon la troisième théologie, les deux premières ont raison en ce qu'elles affirmes (que les fausses religions sont antéchristiques) mais tort en ce qu'elles omettent (surtout l'augustinienne). Selon cette dernière perspective, le baiser au Coran l'est aux semences du Verbe (ce qui était probablement l'intention du Pape, mais cela n'ôte pas que le Coran est un tout, d'où un acte à tout le moins ambigu - sinon positivement sacrilège, impie, blasphématoire), en tant qu'elles disposent l'infidèle mahométan à la grâce du Christ. Dans le même sens, Assise ne sera pas le lieu où le Pape prêcherait positivement l'Evangile aux nations mais une tentative d'Eglise de conduire les infidèles à la grâce en recherchant en chacune des religions présentes les semences du Verbe capables d'y mener. L'horreur et révulsion que cette théologie suscite dans les esprit conservateurs s'explique aisément : Jésus n'est plus prêché ; l'Eglise semble pactiser aux puissances antéchristiques, le baiser au Coran est baiser à un livre blasphématoire ... Voilà à grands traits les problèmes que les pontificats d'inspiration lubacienne soulèvent. Cette nouvelle théologie induit des pratiques si radicalement contraires à celles des siècles passées qu'elles incitent à conclure la doctrine dont elles procèdent contraires à la foi catholique. Dès lors la conclusion admise, cette autre d'un état de nécessité, et la suite.


Toutes les controverses d'après-concile se jouent là. Elles sont doublées d'un débat ecclésiologique sur les éventuelles limites à l'obéissance au Pape (de sorte qu'exciper de l'obéissance due au Pape pour clore le débat est un moyen d'autorité commode qui, ici, ne résout rien). D'évidence, il faudra une définition dogmatique.

____________________


Je serais curieux de vous lire sur Balthasar.
Dernière modification par Christophe le jeu. 04 août 2011, 10:12, modifié 2 fois.
Raison : Rappel de la règle au sujet de l'emploi exhaustif du titre des personnes citées...
La doctrine catholique n'a pas de pires ennemis que ceux qui l'ignorent ou qui la travestissent

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François-Xavier
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Re: La Badaliya selon Massignon

Message non lu par François-Xavier » jeu. 04 août 2011, 9:52

Kaeso a écrit :Sa grandeur est de considérer la dignité de la nature humaine à l'aune de sa vocation surnaturelle, inchoactivement inscrite en toute nature du seul fait de son désir naturel (indélibéré ou élicite) du surnaturel. A partir de là, il sera moins question de prêcher la foi aux infidèles que de se baser sur les germes de vérités, ces semences du Verbe, contenues dans les doctrines ou les pratiques de religions qui restent antéchristiques. D'où le baiser au Coran.
Je ne dirais pas que le baiser du Coran ou les rencontres d'Assise sont un "écrit magistériel". Vous formulez très bien ce que j'essayais de dire avec cette question d'un "primat de l'augustinisme" dans la théologie contemporaine dont les paroles, les actions et les prises de position de nos pasteurs, y compris les papes, peuvent être imprégnées.
Ceci dit, pour boucler cette question de Coran, je pense qu'il ne faut pas voir dans cet acte seulement et uniquement de la part du Bienheureux Jean-Paul II une "prise de position" théologique, fait naturellement ou par réflexe dans le contexte des idées lubaco-augustiniennes.
Il faut surtout voir ce geste comme un acte diplomatique : ce sont des Iraqiens qui lui présentent le livre, en plein contexte de guerre imminente, alors même que le S. Père s'est prononcé énergiquement contre la guerre. Ce geste n'a d'ailleurs jamais été repris, fait l'objet d'une "réclame", d'une mise en avant. C'est une erreur tactique de la part de Jean-Paul II et non prévue par ses "conseillers communications" et non préméditée ; pas un acte ou un écrit du magistère infaillible.

J'ai l'impression que le mauvais augustinisme nous pousse vers une vision du salut qui est foncièrement stérile. Cette pensée est particulièrement forte en France à cause de notre passé janséniste et du mauvais rapport à la grâce, qui finit par amoindrir l'objectivité de la médiation de l’Église en général et en particulier de ses sacrements, de ses ministres, de sa prière (publique). Parce que si la seule chose importante dans la vie du chrétien, c'est la dernière minute avant la mort, le moment où il fait - ou pas - un mouvement vers son sauveur, et que ce mouvement est inscrit en lui naturellement, alors, oui, l'enfer s'il existe, est probablement vide. Vous reconnaissez là la caricature que l'on fait de la théologie de Balthasar. Cette approche est liée de façon très concrète à la soit disant "théologie des limbes " et à la question du salut des non-croyants : une mécompréhension de la question du jugement particulier, et concomitamment, du jugement dernier; un oubli dans la théologie occidentale depuis l'époque moderne, d'une théologie de l’eschatologie saine.
Tout cela mériterait une position claire du magistère ou le la Congrégation pour la Doctrine de la Foi; la commission théologique internationale a commencé à travailler sur la question en 2007... Évidemment, les plus "crispés" ont commencé à prétendre qu'on "nous changeait la religion"... Bref ! Résoudre cette question, c'est résoudre beaucoup de problèmes, et c'est à mon sens résoudre en même temps la question de l'apostolat vers l'Islam

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Yves FLOUCAT
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Re: La Badaliya selon Massignon

Message non lu par Yves FLOUCAT » sam. 06 août 2011, 10:00

François-Xavier a écrit :
Yves Floucat a écrit :Vous auriez pu au moins reproduire les réponses que j'ai données au P. Gallez sur le site de "Liberté politique" http://www.libertepolitique.com/index.p ... le&id=6651 :
Mon intervention ne parle pas des réponses que vous avez faites sur le blog de Liberté Politique, mais de vos interventions suivies dans l'hebdomadaire France Catholique.
Par ailleurs, si vous faites des réponses, on aimerait tous que vous nous expliquiez vraiment la teneur - selon vous - des relations troubles entre Massignon et l'abbé Boullan via Huysmans, et le contenu théologique de cette idée de Substitution. Et d'en tirer les conséquences sur les rapports entre christianisme et Islam. Je ne vois rien de tel ni sur ce forum, ni sur le blog de Liberté Politique.
Yves Floucat a écrit :Louis Massignon, qui ne prétendait pas être un théologien et ne l'était pas, s'est posé la question de la place de l'islam dans le plan de Dieu et a varié dans ses réponses. Il reconnaissait lui-même ses propres hésitations. Qu'y a-t-il là de déshonorant? Faut-il être bardé de certitudes bien arrêtées pour être un bon scientifique et un bon islamologue catholique?
Dans ces conditions, pourquoi sa "pensée" devrait elle être à l'origine de toute théologie du dialogue islamo-chrétien ? Ce que vous dites est également valable pour le P. de Chergé. Il ne prétendait pas pas être théologien ; pourtant ses "disciples" en font une théologie :
Image
Il est pourtant crucial aujourd'hui de construire une théologie du dialogue interreligieux... Ou plutôt de faire connaître, apprécier et enseigner le magistère de l'Eglise à ce sujet.... En particulier Paul VI, mais aussi Vatican II.
Yves Floucat a écrit :Est-il illégitime de se demander quelle est la place de l'islam dans le plan de Dieu? Le père Samir Khalil Samir, non suspect de vaines complaisances, le faisait récemment pour l'agence Zenit et il répondait :
"Je crois que pour nous chrétiens il (l'islam) est un stimulant pour nous ramener au fondement de tout : Dieu est l'Unique, la Réalité Ultime ! Que représente l'affirmation juive et chrétienne fondamentale, reprise par le Coran dans la belle Sourate 112 : « Dis: Dieu est l'Unique! Dieu est l'impénétrable! » etc. Une affirmation que la vie moderne risque de nous faire oublier. L'islam nous rappelle que, si le Christ constitue le centre de la foi chrétienne, il l'est toujours par rapport au Père ; pour rester dans l'unicité, même si le Coran na pas réussi à comprendre ce qu'est l'Esprit Saint."
Ce n'est pas parce qu'il y a dans le Coran des beaux passages - qui sont en fait chrétiens - que l'Islam est voulu par Dieu. L’Église n'a jamais nié qu'il a dans la tradition islamique tout comme dans d'autres traditions, des choses intéressantes et belles. Toutes les hérésies ont été des stimulants pour la doctrine, le combat spirituel, l'approfondissement d'une foi chrétienne orthodoxe. Le P. Samir ne dit rien d'autre. Ne tournons pas autour du pot. Par ailleurs, comme au sujet de Charles de Foucauld, il me semble très facile d'essayer de récupérer des personnalités à votre profit. Je sais de source directe ( - directe ! - ) que le P. Samir n'est pas d'accord avec vous. A la différence de Charles de Foucaud, il n'est pas mort. C'est donc plus difficile de tenter une OPA posthume sur lui, et pour cause.
Yves Floucat a écrit :Cette réponse mérite réflexion dans un débat qui ne sera salutaire que s'il se refuse à entretenir le climat délétère d'un inéluctable conflit des civilisations. Le premier défi en notre vieille Europe n'est pas, me semble-t-il, l'islam (dont je ne nie pas qu'il soit aussi un vrai défi), mais celui de notre sécularisme haineux envers les religions en général, et particulièrement envers les trois religions monothéistes qui se réclament d'Abraham.
Mais que croyez vous ? Nous sommes dans un conflit de civilisation. C'est la réalité. J'habite dans une ville où il y a (statistiques officieuses) 56% de Musulmans. Il est très à la mode dans les "milieux lancés" (ceux qui lisent "Le Monde" et s’abreuvent de la pensée "Sciences Po" : je sais de quoi je parle, je fus étudiant rue Saint Guillaume) de critiquer Samuel Huntington et son "Clash of Civilizations" ; alors même qu'on ne sait pas très bien si on parle de son article (plus nuancé ) ou de son livre. Oui c'est une lutte entre l'Islam en tant que civilisation et un Occident en pleine régression culturelle. Libre à vous de ne considérer cette question uniquement comme une approche se résumant à une lutte "sécularisme" versus religiosité.
Commençons plutôt par nous poser des vraies questions au regard de la philosophie, et de la théologie. Posons nous aussi la question : comment se fait-il qu'en 2011 il puisse y avoir une ville en France où il y a 56% de Musulmans sans que personne que ce soit au niveau ecclésial ou administratif se soucie de mettre en place une pastorale ou une politique orientée vers eux ?
Loin de moi l'idée curieuse de faire une OPA sur qui que ce soit, qu'il s'agisse du bienheureux Charles de Foucauld ou du père Samir Khalil Samir! Vous m'apprenez que ce dernier, pour lequel j'ai une grande estime, est en désaccord avec moi et que vous le savez directement. Je prends acte de ce que vous me dites, mais je n'ai pas eu pour ma part d'autre écho, ni direct ni indirect, en ce sens. Je m'efforce de comprendre du mieux que je peux l'oeuvre et la vie mystique de Louis Massignon. On trouvera dans la prochaine livraison de la revue Liberté politique la version complète de mon étude sur "Louis Massignon et la Badaliya" dont France catholique ne pouvait publier que des extraits. J'espère qu'elle vous éclairera un peu plus sur le sens que, selon moi, Massignon donnait à l'idée de "substitution".

J'ai reproduit ici quelques extraits de mes réponses au père Gallez, simplement parce que vous vous êtes appuyé sur ses propres propos.

Je me permets de signaler enfin deux livres qui me paraissent instructifs sur l'actualité du dialogue entre musulmans et chrétiens. L'un est paru : Islam et Coran. Idées reçues sur l'histoire, les textes et les pratiques d'un milliard et demi de musulmans, par Paul Balta, Michel Cuypers et Geneviève Gobillot, Paris, Éditions Le Cavalier Bleu, 2011. L'autre est à paraître en septembre ou octobre dans une collection que je dirige aux éditions Pierre Téqui : Dialoguer avec les musulmans. Une cause perdue ou une cause à gagner?, par le père Maurice Borrmans, collection "Questions disputées".

Cordialement,

Yves Floucat

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