Réflexions à propos de la communion sous une seule espèce

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archi
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Réflexions à propos de la communion sous une seule espèce

Message non lu par archi » sam. 17 déc. 2011, 11:58

La communion sous une seule espèce et à l'inverse, la pratique actuelle de la communion sous une seule espèce - obligatoire sauf exceptions rarissimes de Trente à Vatican II, et restée prédominante depuis - sont souvent l'objet de débats. On en a pas mal parlé sur l'internet catholique anglo-saxon récemment (suite à certaines directives épiscopales aux USA). Cela, et l'intervention d'Onubense dans le fil "catholicisme et orthodoxie"
(http://www.cite-catholique.org/viewtopi ... 28&t=19676)
m'ont conduit à une réflexion sur ce sujet, et je pense que c'est une question importante et trop facilement négligée.

D'un côté, on ne peut ignorer le fait que la communion sous les 2 espèces, normative dans les rites orientaux (unis ou non à Rome), est également restée la norme dans l'Eglise latine jusqu'au XIIe Siècle. Ce qui a dès le début conduit certains à se demander si on pouvait altérer ce rite sans conséquences.

De l'autre côté, on doit nécessairement tenir compte de l'enseignement dogmatique de l'Eglise, du Concile de Trente en particulier, sur le sujet. Suffit-il à faire le tour de la question? J'ai cherché à faire la synthèse de tous ces aspects. Après avoir tourné le sujet dans tous les sens, voici ce que je peux en dire. Pour les sources, en plus des sources habituelles (CEC, Denzinger) et de divers articles sur Internet, il y a l'article de l'Encyclopédie Catholique en ligne (http://www.newadvent.org/cathen/04175a.htm) qui donne beaucoup d'informations sur le sujet.

Il me semble nécessaire de partir du rappel de quelques points fondamentaux:

- tout d'abord, ce qui a toujours été observé "partout et par tous" depuis l'époque apostolique est normatif. Pour ce qui est de la communion, elle est traditionnellement administrée sous les 2 espèces lors de la célébration du Saint Sacrifice. La communion sous 1 seule espèce a toujours également existé - elle ne peut donc pas, en soit, être interdite ou invalide - mais soit pour des cas particuliers (enfants...), soit hors de la messe, à la maison (à l'époque pré-constantinienne), pour les malades, lors des liturgies des Présanctifiés... Depuis environ le XIIe Siècle jusqu'à Vatican II, dans l'Eglise latine, le précieux Sang a été réservé au célébrant seul (quelles que soient les raisons de ce changement: disparition des diacres, disparition - préalable - de la communion pour les enfants? Là ce ne sont que mes hypothèses).

- Un rite sacré effectue ce qu'il signifie, c'est le b-a-ba de la théologie sacramentelle. De ce fait, beaucoup se sont demandés ce que signifiait (et donc effectuait) la suppression du calice. A cela, et surtout en raison des mouvements de contestation violents qui s'étaient développés à partir de cette question (notamment la querelle Utraquiste), les Conciles de Constance et de Trente ont répondu que sous chacune des espèces, le Corps et le Sang du Christ tout entier sont intégralement présents (ce qu'enseignait déjà St Thomas), et qu'aucune grâce "nécessaire au salut" ne manque. Ceci dit, ils n'ont pas voulu ni même pu affirmer que la même quantité de grâces étaient présentes sous une seule espèce, étant donné que c'était un point disputé parmi les théologiens.

Il y a bien un rite qui signifie ce que les 2 conciles ci-dessus ont affirmé, c'est le rite de la commixtion, par lequel le prêtre fait tomber une miette d'hostie dans le calice, indiquant que le Corps et le Sang du Christ, séparés par la mort sur la Croix, sont réunis dans la Résurrection. Autant que je sache, c'est bien ce que croient également les Orthodoxes.

Alors, si en recevant l'hostie on reçoit bien le Corps ET le Sang réunis, pourquoi s'encombrer de débats sur la communion sous les 2 espèces? Celle-ci apparaît superflue, en plus d'être délicate à mettre en oeuvre, et beaucoup de catholiques actuels, "tradis" entre autres (mais pas seulement), la voient comme telle...

- C'est là qu'il faut rappeler un autre point: l'Eglise ne fait pas les choses de façon superflue. En tous cas pas sur des points aussi essentiels et centraux pour la foi que la réception du sacrement pendant le Saint Sacrifice. Or, pendant des siècles, elle a donné la communion sous les 2 espèces. Si la réception des 2 espèces apparaît comme superflue, c'est qu'il manque quelque chose à notre raisonnement. L'enseignement post-Vatican II a prudemment suggéré que le symbole était "plus complet" sous les 2 espèces, ce qui reste néanmoins vague, indiquant que la réflexion n'est pas achevée...

Je dois dire que c'est sur le blog d'un prêtre américain doutant de l'utilité de la communion sous les 2 espèces que j'ai récemment trouvé un élément de réponse intéressant: dans la théologie occidentale, il s'est creusé un écart entre le sacrement et le sacrifice. La théologie occidentale s'est focalisée sur les grâces reçues individuellement par le communiant. Et sans que ça soit absolument sûr (cf ci-dessus), il est probable (c'est le sens dans lequel ont penché les théologiens dans les derniers siècles) que le fidèle ne perde rien à ne recevoir qu'une seule espèce. Mais en poussant jusqu'au bout cette logique, on tombe sur la conséquence, très sensible dans la crise actuelle, que la messe n'est après tout nécessaire que pour "fabriquer" des hosties consacrées et refaire le plein de la Réserve Eucharistique (et que le prêtre n'est nécessaire que pour cela).

Maintenant, le Saint Sacrifice de la Croix, rendu présent ici et maintenant est un acte à part entière, c'est même l'action fondamentale de l'Eglise d'où tout le reste découle (c'est ce qu'oublient les protestants et les modernistes), la "production" du sacrement que l'on distribue aux fidèles n'en est qu'un aspect. Que la communion sous les 2 espèces soit nécessaire à l'intégrité du Sacrifice, c'est ce qu'enseigne l'Eglise puisqu'elle tient que le célébrant doit toujours communier sous les 2 espèces, que cela est une condition nécessaire à l'intégrité voire à la validité du sacrifice (la question entre intégrité et validité n'est pas tranchée).

Si je ne me commets pas d'erreur, la logique derrière cela, c'est que le célébrant portant à l'autel la prière des fidèles, ce dernier point est suffisant: le célébrant accomplit le sacrifice à lui tout seul au nom de tout le Peuple. Reste que cette logique exclut plus ou moins les fidèles du sacrifice, qui n'y sont représentés que par voie de délégation - à ce sujet il est intéressant de savoir qu'au Concile de Trente, certains évêques ont sérieusement proposé, heureusement sans succès, que les fidèles n'aient plus à assister à la messe, qui serait ainsi devenue la seule affaire des clercs. On aurait ainsi atteint l'extrémité de la logique de "privatisation" de la messe, dont un des résultats a été la perte du sens liturgique des fidèles.

A contrario, il faut rappeler d'une part, la discipline pluriséculaire de l'Eglise (je ne sais pas exactement à quelle époque elle a été formalisée), maintenue de façon constante jusqu'au Code de Droit Canon de 1982 (qui a innové de manière quelque peu discutable sur ce point), selon laquelle sauf cas exceptionnel, la messe ne doit pas être célébrée par un prêtre seul, sans la présence d'au moins 1 servant ou fidèle représentant le peuple, indiquant que la délégation au prêtre de la prière du peuple n'est pas suffisante et ne doit pas exclure ce dernier.

D'autre part, le mouvement liturgique du début du XXe Siècle a clairement voulu rendre au Saint Sacrifice sa dimension de participation de tous les fidèles - contre la privatisation de la messe. D'où la notion de "participation active" si mal comprise. D'où la notion de "concélébration" qui ne devrait pas seulement être comprise dans un sens sacramentel: les chrétiens orientaux considèrent que tout le peuple de Dieu "concélèbre" ou "co-célèbre" la messe, chacun dans son rôle propre - il n'y a pas pour autant confusion du rôle des fidèles et du rôle du prêtre qui porte leurs prières sur l'autel, et les deux sont indispensables.

Dans ce cadre-là, on peut se demander si l'intégrité du sacrifice est réellement célébrée lorsqu'une de ces 2 composantes indispensable n'est reçue que par le seul célébrant et pas par le corps des fidèles. Je me souviens avoir lu que St Albert le Grand, Docteur de l'Eglise, enseignait que l'unité du Corps Mystique n'est pas pleinement réalisée par la réception sous une seule espèce...

Je pencherais donc pour l'idée que la communion sous une seule espèce ne "lèse" pas, individuellement, les fidèles qui la reçoivent, mais que, du point de vue collectif, la bonne santé du Corps mystique qu'est l'Eglise réunie autour de l'Eucharistie exigerait qu'elle redevienne la norme, dès lors qu'elle peut être donnée d'une façon qui ne désintègre pas à son tour l'unité de ce Corps (ce qui est sans doute le cas avec l'abus des "ministres extraordinaires", avec l'auto-communion par intinction, ou d'autres pratiques modernes trop répandues). C'est sans doute ce dernier point qui bloque les choses.

In Xto,
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Re: Réflexions à propos de la communion sous une seule espèc

Message non lu par Anaisunivers » sam. 17 déc. 2011, 18:40

Très intéressant Archi !

Il reste bien sûr la communion par intinction, le prêtre doit le faire ; dans les faits, c'est le communiant qui se trempe dans le calice et se donne la communion ! D'où l'expression "auto-communion"
Dans ma paroisse, le prêtre apporte à ceux qui vont donner la communion le patène dans une main et le calice dans l'autre. Donc la personne prend l’hostie pour le tremper dans le calice. On ne doit pas faire ainsi, non ?

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Re: Réflexions à propos de la communion sous une seule espèc

Message non lu par Relief » sam. 17 déc. 2011, 22:57

archi a écrit : Je pencherais donc pour l'idée que la communion sous une seule espèce ne "lèse" pas, individuellement, les fidèles qui la reçoivent, mais que, du point de vue collectif, la bonne santé du Corps mystique qu'est l'Eglise réunie autour de l'Eucharistie exigerait qu'elle redevienne la norme, dès lors qu'elle peut être donnée d'une façon qui ne désintègre pas à son tour l'unité de ce Corps (ce qui est sans doute le cas avec l'abus des "ministres extraordinaires", avec l'auto-communion par intinction, ou d'autres pratiques modernes trop répandues). C'est sans doute ce dernier point qui bloque les choses.

In Xto,
archi.
Je vous rejoins totalement, Archi.
Depuis mon adolescence je suis dans le questionnement quant à la communion sous une seule espèce. Si Dieu veut, nous retournerons bientôt à la communion sous les deux espèces.

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Re: Réflexions à propos de la communion sous une seule espèc

Message non lu par Laurent L. » dim. 18 déc. 2011, 17:52

Anaisunivers a écrit : Dans ma paroisse, le prêtre apporte à ceux qui vont donner la communion le patène dans une main et le calice dans l'autre. Donc la personne prend l’hostie pour le tremper dans le calice. On ne doit pas faire ainsi, non ?
En effet.
instruction redemptionis sacramentum a écrit : - 104 - Il n’est pas permis à celui qui reçoit la communion de tremper lui-même l’hostie dans le calice, ni de recevoir dans la main l’hostie, qui a été trempée dans le Sang du Christ. De même, il faut que l’hostie, destinée à la communion par intinction, soit confectionnée en employant une matière valide, et qu’elle soit consacrée; il est donc absolument interdit d’utiliser du pain non consacré ou fabriqué avec une autre matière.

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Edid
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Re: Réflexions à propos de la communion sous une seule espèce

Message non lu par Edid » dim. 07 juil. 2019, 11:43

Merci de cet article excellent sur le fond. Je me permettrai une remarque qui me paraît importante dans la crise que vit l'institution ecclésiale aujourd'hui. Je pense que la réforme grégorienne qui va hiérarchiser fortement entre Clerc et laïc n'est pas étrangère à l'évolution du rite. L'attitude que vous soulignez De père du concile de Trente est révélatrice de la mise en place insidieuse du cléricalisme suite à cette réforme dont l'enjeu était plus temporel que spirituel. La remise en place de la communion sous deux espèces pourrait donc également manifester plus pleinement la nécessaire communion des etats de vie et donc de tous les membres du corps pour actualiser le sacrifice du Christ.

Bien à vous

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Re: Réflexions à propos de la communion sous une seule espèce

Message non lu par Toto2 » lun. 08 juil. 2019, 11:43

archi a écrit :
sam. 17 déc. 2011, 11:58


Maintenant, le Saint Sacrifice de la Croix, rendu présent ici et maintenant est un acte à part entière, c'est même l'action fondamentale de l'Eglise d'où tout le reste découle (c'est ce qu'oublient les protestants et les modernistes), la "production" du sacrement que l'on distribue aux fidèles n'en est qu'un aspect. Que la communion sous les 2 espèces soit nécessaire à l'intégrité du Sacrifice, c'est ce qu'enseigne l'Eglise puisqu'elle tient que le célébrant doit toujours communier sous les 2 espèces, que cela est une condition nécessaire à l'intégrité voire à la validité du sacrifice (la question entre intégrité et validité n'est pas tranchée).
Bonjour,

Je ne sais pas ce que vous appelez intégrité. Personnellement je ne connais que la différence entre licéité et validité.
Pour moi la question a déjà été tranchée ; la consécration d'une espèce est parfaitement valide quoique très gravement illicite.
Deux arguments :
a) Le code de droit canon interdit la consécration d'une seule espèce : Can. 927 - "Il est absolument interdit, même en cas d'urgente et extrême nécessité, de consacrer une matière sans l'autre, ou même les deux en dehors de la célébration eucharistique. " Cela montre donc bien que c'est possible de consacrer. Le prêtre peut (au sens de "a la capacité de") consacrer une seule espèce puisque c'est interdit. En effet, si c'est interdit, c'est donc qu'il a la capacité (technique, pas légale!) de le faire. Le code de la route interdit de rouler à plus de 130 Km/h, parce que techniquement il est possible de le faire. En revanche je ne vais pas vous interdire de vous transformer en chauve-souris géante puisque je sais que physiquement vous ne pouvez pas. Bref, l'interdiction "légale" sous-entend la possibilité technique d'être en capacité de réaliser l'acte.
b) c'est l'avis de Saint Thomas d'Aquin qui se base sur deux arguments : " Bien que la consécration du pain ne dépende pas de la consécration du vin, ce que certains ont affirmé, comme on l’a dit plus haut, d. 8, q. 2, a. 4, qa 1, celui qui n’aurait pas les deux devrait cependant plutôt cesser qu’accomplir [le sacrement] sous une seule espèce, contrairement à l’usage de l’Église, bien que s’il consacrait sous une seule espèce, il y aurait consécration. Mais il pécherait gravement, à moins qu’il ne soit tué après la consécration du corps et avant la consécration du sang ou qu’il n’en soit autrement empêché sans qu’il soit de sa faute." (Saint Thomas d’Aquin). Le texte évoqué est : "Cependant, [1] si le corps véritable du Christ ne se trouvait pas là dès que les paroles sont prononcées, alors qu’existe la signification du discours, cette [proposition] : «Ceci est mon corps», serait fausse. Or, dans le sacrement de la vérité, il n’arrive pas que quelque chose soit faux. La première forme n’attend donc pas la seconde pour agir.
[2] L’hostie ne doit pas être adorée avant la consécration. Or, selon l’usage commun de l’Église, dès que les premières paroles de la forme ont été dites sur le pain, avant la forme du sang, l’hostie est élevée pour être adorée par le peuple. L’hostie est donc consacrée avant la forme du sang."

En conséquence l'hostie est réellement transformée en Corps du Christ, peu importe ce qui se passe après. Ainsi le pain est validement consacré, mais le fait de ne pas avoir consacré le vin rend la messe illicite.
Si quelqu'un vient à vous sans cette doctrine, ne le saluez pas

que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d'y parler; [...] il est malséant à une femme de parler dans l'Église.

Nous réclamons la constance de votre zèle contre les ennemis du célibat ecclésiastique ....défendre de toutes vos forces une loi de si haute importance et de repousser les traits dirigés contre elle par des hommes que tourmentent les plus infâmes passions.

Omnes dii gentium daemonia

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