Nature et grâce chez les protestants à l'occasion d'Ellul

« Assurément, il est grand le mystère de notre religion : c'est le Christ ! » (1Tm 3.16)
Règles du forum
Forum de discussions entre chrétiens sur les questions de théologie dogmatique
Avatar de l’utilisateur
lmx
Barbarus
Barbarus

Nature et grâce chez les protestants à l'occasion d'Ellul

Message non lu par lmx » lun. 20 févr. 2012, 20:32

"La subversion du christianisme" de Jacques Ellul
C'est très limite, voire tout simplement mensonger, sur le plan historique. En tant que protestant existentialiste, il n'aime pas la mystique. Il en fait alors un phénomène tardif et étranger au christianisme qui a été sur ce point contaminé par d'autres religions ! Or l'idée que "Dieu s'est fait homme pour que l'homme se fasse Dieu", c'est à dire que le Christ soit venu tout récapituler en lui (ramener toute chose à la tête, càd à Dieu), est non seulement biblique mais déjà théorisé chez les premiers théologiens tels que St Irénée de Lyon.
Il n'arrive pas à concevoir qu'il y ait eut d'autres manières d'être chrétien. Son christianisme est un christianisme moderne où l'accomplissement de l'homme réside dans la capacité à assumer une autonomie et une liberté totale et où même Dieu constitue un obstacle à cette liberté.
Son problème vient du fait qu'il n'arrive pas à comprendre que "la grâce parfait la nature" (et donc qu'elle ne lui fasse pas violence), le protestantisme étant porteur d'une vision conflictuelle de ces deux ordres : nature et grâce qui s'opposent
Ainsi, il n'arrive pas à comprendre que l'union à Dieu dans le Christ, loin d'annihiler la volonté et de dissoudre le sujet humain ait au contraire pour conséquence de parfaire la volonté et de permettre à la personnalité authentique (au "nouvel homme") d'apparaître. Pour lui l'union à Dieu ne peut faire que violence à la liberté de l'homme, ce qui entre par donc en conflit avec sa vision d'un christianisme moderne. Mais, c'est une théologie profondément erronée et surtout tardive.

Isabelle47
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1896
Inscription : mer. 22 juin 2011, 22:49

Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Isabelle47 » lun. 20 févr. 2012, 22:22

@lmx

Je crois comprendre, au contraire, que la thèse d'Ellul est qu'il n'y a de véritable liberté qu'en Dieu.
Je cite: " l'homme qui rompt avec Dieu acquiert bien une indépendance, une autonomie, jamais la liberté, car Dieu seul est libre et la relation avec lui est la seule possibilité pour devenir libre" (in: "La subversion du christianisme")
Et qu'en revanche, l'homme qui se crée sa petite liberté personnelle (en s'éloignant de Dieu) ne crée qu'un "mensonge de la liberté" (ibid.)
"Aussi, croyez-moi, vous pratiquerez beaucoup mieux la vertu en considérant les perfections divines, qu'en tenant le regard fixé sur votre propre limon"
(Thérèse d'Avila)

Avatar de l’utilisateur
lmx
Barbarus
Barbarus

Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par lmx » lun. 20 févr. 2012, 22:44

La liberté en Dieu dont il parle est une liberté qui se pose encore en face à celle de Dieu. En protestant, il est incapable de penser une union des deux volontés qui accomplirait la volonté de l'homme en la transfigurant.
C'est pourquoi il rejette la mystique (puisqu'elle ne colle de toute façon pas à son idée bourgeoise du christianisme) et invente une thèse mensongère selon laquelle il y eu derrière elle l'influence de l'islam. Comme si St Grégoire de Nysse et les autres pères cappadociens qui ont vécu au 4 è siècle avaient eu besoin de l'islam pour élaborer leur théologie mystique ...
Il y a encore des attaques grotesques contre le sacré dont il ne comprend tout simplement pas la signification. Alors il affabule, simplifie, caricature et sort les vieilles rengaines contre l'Eglise "païenne" et "corrompue". Affirmer qu'il n'y a pas eu de sacré chez les juifs pour légitimer le processus de désacralisation de la messe opéré par le protestantisme est une thèse sans fondement.
Partout l'homme ne voit plus que son empreinte, plus de sacré pour mettre de limite à son action destructrice, plus rien ne peut lui échapper, il peut tout manipuler. Voilà qui réjouit ce type théologien protestant porteur d'un christianisme fin de siècle réinterprété à partir des philosophies existentialistes.

Isabelle47
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1896
Inscription : mer. 22 juin 2011, 22:49

Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Isabelle47 » mar. 21 févr. 2012, 12:31

lmx, je suis d'accord avec vous, Ellul n'est pas un grand théologien et sa notion du sacré est, disons: "très protestante". :(
En fait, j'en avais entendu parler pour ses analyses et réflexions à propos de la liberté. Il est vrai que son analyse du marxisme et des sociétés matérialistes est datée et inutile aujourd'hui.
Quand à son concept de l'homme ne voulant pas la liberté par lâcheté et refus des responsabilités, il semblerait aussi que cela soit un lieu commun!
En revanche, son explication du "scandale" du christianisme n'est pas totalement absurde. Mais là, de nouveau, il enfonce des portes ouvertes;cela a déjà été dit.
"Aussi, croyez-moi, vous pratiquerez beaucoup mieux la vertu en considérant les perfections divines, qu'en tenant le regard fixé sur votre propre limon"
(Thérèse d'Avila)

Avatar de l’utilisateur
lmx
Barbarus
Barbarus

Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par lmx » mar. 21 févr. 2012, 12:59

Il semble qu'il fut un meilleur sociologue que théologien. tout n'est pas à jeter, ça volonté de défendre le christianisme est louable et touchante mais c'est toujours le catholicisme qui est remis en cause, jamais le protestantisme. Bon, il est normal qu'il défende son protestantisme, mais au moins il aurait pu questionner sa théologie, ses manières de concevoir le monde... bref prendre un peu de recul
Or si le christianisme a tant décliné en occident, s'il a pu être réduit à peu de chose sous l'effet de la dialectique sécularisation/mécanisation du monde dont il semble grandement se féliciter, je pense que c'est parce que les théologies protestantes et catholiques aussi (comme le montre un Henri Lubac) ont préparé le terrain.

Isabelle47
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1896
Inscription : mer. 22 juin 2011, 22:49

Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Isabelle47 » mer. 22 févr. 2012, 21:42

En quoi les théologiens protestants ou/et catholiques ont-ils préparé le terrain?
Il serait intéressant d'ouvrir un nouveau sujet sous théologie, si vous le souhaitez, cela m'intéresse.
"Aussi, croyez-moi, vous pratiquerez beaucoup mieux la vertu en considérant les perfections divines, qu'en tenant le regard fixé sur votre propre limon"
(Thérèse d'Avila)

Avatar de l’utilisateur
coeurderoy
Pater civitatis
Pater civitatis
Messages : 5772
Inscription : sam. 31 mai 2008, 19:02
Localisation : Entre Loire et Garonne

Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par coeurderoy » mer. 22 févr. 2012, 23:18

bonsoir, je viens justement de commencer la subversion du christianisme il y a deux jours et je découvre qu'Isabelle est "en plein dedans"...à suivre...
"Le coeur qui rayonne vaut mieux que l'esprit qui brille"

Saint Bernard de Clairvaux

Isabelle47
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1896
Inscription : mer. 22 juin 2011, 22:49

Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Isabelle47 » jeu. 23 févr. 2012, 0:11

lmx a écrit :Il semble qu'il fut un meilleur sociologue que théologien. tout n'est pas à jeter, ça volonté de défendre le christianisme est louable et touchante mais c'est toujours le catholicisme qui est remis en cause, jamais le protestantisme. Bon, il est normal qu'il défende son protestantisme, mais au moins il aurait pu questionner sa théologie, ses manières de concevoir le monde... bref prendre un peu de recul
Or si le christianisme a tant décliné en occident, s'il a pu être réduit à peu de chose sous l'effet de la dialectique sécularisation/mécanisation du monde dont il semble grandement se féliciter, je pense que c'est parce que les théologies protestantes et catholiques aussi (comme le montre un Henri Lubac) ont préparé le terrain.



En effet, l'acharnement qu'Ellul met à démontrer que les meilleurs exemples des forces du mal se trouvent illustrés dans l'Eglise catholique (chapitre "Les puissances et les dominations") est assez pénible et cela tient du cliché et de l'entreprise de démolition.
Est-ce le propre des protestants que de se définir uniquement comme étant dans la critique des catholiques"? :/
"Aussi, croyez-moi, vous pratiquerez beaucoup mieux la vertu en considérant les perfections divines, qu'en tenant le regard fixé sur votre propre limon"
(Thérèse d'Avila)

Avatar de l’utilisateur
lmx
Barbarus
Barbarus

Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par lmx » jeu. 23 févr. 2012, 1:02

En quoi les théologiens protestants ou/et catholiques ont-ils préparé le terrain?
les théologies de la pure nature (type baïanisme et jansénisme) dont on avait déjà parlé qui ont, en insistant de façon caricaturale sur la déchéance de la nature, isolé la nature de la grâce, ou qui pour revaloriser la nature (en réaction à la vision précédente) lui ont donné une finalité propre (molinisme). Cet isolement de la nature allait pouvoir entraîner son autonomisation en lui donnant une finalité propre ainsi que l'activité humaine.
Le monde perdant ainsi sa transparence à l'égard du divin, son caractère symbolique, pouvait devenir une simple machine comme chez Descartes. Et finalement, on avait permis de le penser comme un pure processus mécanique fonctionnant ... tout seul. Pendant ce temps, l'hypothèse Dieu devenait aussi de plus en plus superflue ... Aussi, connaitre le monde, réduit à un objet physique conçu selon un modèle mathématique, c'était savoir comment la machine fonctionne. Par là même, c'était vider le monde de son sens et rendre la recherche de celui-ci complètement inutile car non "scientifique, non "rationnelle"...

D'autre part, ce que Ellul ne dit pas, lui qui confond sacré et panthéisme, c'est que ceci a entraîné une homogénéisation des objets du monde et par là même rendu toute chose interchangeable permettant de tout "marchandiser". Or, ce que le sacré postule c'est qu'il y a de l'hétérogénéité, des qualités irréductibles qui font échapper des choses, des lieux, à toute logique ou toute attitude marchande, et que ces lieux sacrés étant littéralement ouverts sur l'au-delà (l'autel par exemple) permettent à l'homme d'éviter de s'enfermer dans un monde de plus en plus étouffant.

Pour ce qui est du protestantisme c'est son rejet de la raison entraînant une délimitation du domaine de la foi se heurtant au domaine de la raison, domaine qui allait s'attaquer à tous les domaines du réel et qui allait laisser de moins en moins de place à la foi. Par conséquent, deux attitudes se présentaient : fidéisme ou abandon de la foi. Sa mauvaise théologie a aussi accompagné le phénomène de mécanisation du monde et le capitalisme (cf Max Weber).
Bref, la problématique est extrêmement vaste et impossible de tout résumer. Mais, on peut observer comme l'a fait remarquer Lubac que les théologies les plus intransigeantes en apparence accompagnaient malgré elles, par leur inhabilité à penser les rapports Dieu/monde- nature/grâce, le phénomène de "laïcisation" du monde et contribuaient ainsi à circonscrire étroitement le domaine de la foi.
Dernière modification par lmx le dim. 26 févr. 2012, 16:48, modifié 1 fois.

jeanbaptiste
Pater civitatis
Pater civitatis
Messages : 3085
Inscription : mer. 30 avr. 2008, 2:40

Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par jeanbaptiste » dim. 26 févr. 2012, 16:23

Ce que vient de dire lmx est tout à fait juste et ne concerne pas que les protestants.

J'ai récemment été totalement surpris par échange que j'ai eu avec un ami.

Mon ami (qui travaille dans le domaine de la finance et est catholique) se lamentait au sujet de réunions catholiques sur l'économie auxquelles il avait été invité. La raison ? Le thèmes des échanges était la gratuité.

Il considérait que ça n'était pas sérieux, et que ça n'est pas comme cela que les cathos allait avoir un impact dans le monde économique.

Pourquoi ? Parce que selon lui la gratuité relève de la grâce et que la grâce provenant de Dieu, elle n'a rien à faire dans les rapports humains (je résume).

Séparation radicale entre nature et grâce = Dieu est parfaitement extérieur au monde et les hommes vivent leur vie dans l'attente du Jugement.

Si en plus ça permet de justifier l'impossibilité de toute gratuité dans les rapports marchands, c'est le top ... ma liberté et mes intérêts financiers sont saufs !

Isabelle47
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1896
Inscription : mer. 22 juin 2011, 22:49

Re: Nature et grâce chez les protestants à l'occasion d'Ellu

Message non lu par Isabelle47 » dim. 26 févr. 2012, 18:49

Je crois savoir que le meilleur parmi ces théoriciens hypocrites est Calvin, réussissant à distordre le message du Christ au point d'en arriver à lui faire dire que l'enrichissement matériel (et personnel) était signe de grâce!
C'est probablement sur cette certitude que les banquiers appuient leurs coffre-forts et leurs bonnes consciences!
"Aussi, croyez-moi, vous pratiquerez beaucoup mieux la vertu en considérant les perfections divines, qu'en tenant le regard fixé sur votre propre limon"
(Thérèse d'Avila)

Avatar de l’utilisateur
lmx
Barbarus
Barbarus

Re: Nature et grâce chez les protestants à l'occasion d'Ellu

Message non lu par lmx » dim. 26 févr. 2012, 21:14

Je ne sais pas si Calvin a exactement dit ça (?). Il me semble qu'un des problèmes sur le rapport à l'argent vient de sa vision déterministe, à savoir que des hommes sont prédestinés à l'enfer. Ceci a plongé les hommes dans une telle angoisse qu'ils ont été conduits à chercher des "signes" pour interpréter leur destin. Parmi ces signes, il y a eu la situation matérielle qui est devenue un signe d'élection ou de réprobation.
En tout cas cette époque marque bien une affaiblissement de la théologie. On fait de la théologie de façon rigide comme on fait du droit ou de la géométrie à partir de principes plus ou moins bien compris dont on s'applique à déduire le maximum de conséquences. Rien que ça rend les Calvin, Baius et Jansénius suspects.

Séparation radicale entre nature et grâce = Dieu est parfaitement extérieur au monde et les hommes vivent leur vie dans l'attente du Jugement.
Le physicien Heisenberg dans sa célèbre conférence de 1953 sur le développement de la science moderne a parlé d'une "forme spécifiquement chrétienne d'impiété" qui consiste à pouvoir étudier le monde sans Dieu, comme si Dieu après avoir fait sa création était, tel un ingénieur, rentré chez lui ...
En disant que pour le savant Dieu semblait si loin, si haut au-dessus de la terre, il a mis le point sur un aspect psychologique important, à savoir, d'une vision erronée de la transcendance, une vision presque géographique d'un Dieu "habitant" dans un domaine extérieur à un monde conçu comme une machine. Bref, on a pris le symbole d'un Dieu habitant dans le ciel au mot ...
Forme d'impiété légitime pour le savant mais beaucoup moins pour le chrétien qui a tendance à considérer qu'il évolue dans deux domaines bien distincts et bien étanches et dont il a lui même tracé les limites ...

Isabelle47
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1896
Inscription : mer. 22 juin 2011, 22:49

Re: Nature et grâce chez les protestants à l'occasion d'Ellu

Message non lu par Isabelle47 » lun. 27 févr. 2012, 2:13

Selon Luther et Calvin, la "sola gratia", la grâce seule (peut sauver) mais pas tout le monde.

Cette théologie de la grâce seule et de la prédestination (tel sera sauvé, tel autre non, sans que ni l'un ni l'autre ne puisse ni le savoir, ni faire en sorte d'être sauvés par leurs actes) visait à lutter contre les indulgences qui, il faut le reconnaitre, se pratiquaient parfois abusivement à cette époque.
Mais elle a généré une angoisse en chacun - et on peut le comprendre!
La réponse à cette inquiétude a été de voir dans la réussite sociale et financière - (dans la mesure où l'argent gagné était réinvesti pour le bien de tous et non dilapidé ou dépensé pour son plaisir égoïste) un signe que la grâce était sur soi.
Max Weber, sociologue allemand (XIX ème et XX ème siècle) analyse cette théologie de la grâce et de la prédestination (et les dérives interprétatives y afférant) comme l'origine et la source du capitalisme.

Pour un catholique, il semble y avoir là une posture intenable: avoir la foi, sans certitude aucune d'être sauvé ou pas, sans pouvoir agir pour être sauvés (alors que par ailleurs il est dit que l'homme est libre) tout en sachant que seule la foi peut sauver.
Cela semble s'apparenter au "double message", situation idéale pour créer désespoir et névroses!
"Aussi, croyez-moi, vous pratiquerez beaucoup mieux la vertu en considérant les perfections divines, qu'en tenant le regard fixé sur votre propre limon"
(Thérèse d'Avila)

Isabelle47
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1896
Inscription : mer. 22 juin 2011, 22:49

Re: Nature et grâce chez les protestants à l'occasion d'Ellu

Message non lu par Isabelle47 » lun. 27 févr. 2012, 2:26

Pour ce qui est de la "forme chrétienne d'impiété", voulez-vous parler de l'homme sans Dieu?
Un Dieu qui serait créateur mais se serait éclipsé après la création -qu'il n'aurait d'ailleurs pas terminée et dont Il aurait laissé la charge aux hommes de la parachever?
Dans ce cas, ce serait abusif de parler de "forme chrétienne" car cette vision des choses serait le propre d'un déiste (Voltaire et son "horloger" par exemple, d'autres avec leurs "grand architecte")non d'un chrétien
"Aussi, croyez-moi, vous pratiquerez beaucoup mieux la vertu en considérant les perfections divines, qu'en tenant le regard fixé sur votre propre limon"
(Thérèse d'Avila)

Virgile
Pater civitatis
Pater civitatis
Messages : 1116
Inscription : mer. 14 janv. 2009, 10:33

Re: Nature et grâce chez les protestants à l'occasion d'Ellu

Message non lu par Virgile » lun. 27 févr. 2012, 7:21

Isabelle47 a écrit :Dans ce cas, ce serait abusif de parler de "forme chrétienne" car cette vision des choses serait le propre d'un déiste (Voltaire et son "horloger" par exemple, d'autres avec leurs "grand architecte")non d'un chrétien
Bonjour,

la principale difficulté avec Jacques Ellul, c'est son rejet explicite d'une morale fondée sur la Loi naturelle, et de le faire à partir d'une Christologie erronée. En fait, il imagine - de façon très négative, que la meilleure réponse à apporter au technicisme moderne ne peut pas se trouver du côté de la Loi naturelle. Tout simplement parce que, en très gros, il estime que l'état de la culture moderne et la prolifération des lois qu'elle engendre consituent autant de barrières insurmontables pour nos contemporains à toute compréhension de ce qu'est la Loi naturelle. Mais ceci est encore un autre problème...

D'ailleurs, on peut dire que c'est une option intellectuelle qu'il partage avec l'autre théologien "majeur" qu'était Barth - j'entends par là cette méfiance vis-à-vis de toute tentative pour trouver un terrain d'entente possible entre Chrétiens et "modernes" sur une base conceptuelle. Une telle tentative serait irrémédiablement vouée à l'échec, d'après lui, parce qu'elle relève d'une erreur de jugement : celle qui consiste à ne pas trop tenir compte de la séparation engendrée par la Révélation et la Grâce.

En somme, l'humanité que nous partageons tous ne serait sujette à aucune modification par la Grâce. Aussi, mettre l'accent d'une manière ou d'une autre sur la "nature", c'est abandonner aussitôt la Grâce et le "surnaturel" et détruire toute distinction entre ce qui relève de la Grâce et ce qui relève de la seule nature humaine.

En conséquence, la Loi naturelle - telle que la conçoit Ellul, est réduite à n'être qu'un élément fondamental d'une pensée "humaniste" qui prétendrait réconcilier le christianisme et la modernité en dehors de la Grâce. De là, le projet qui consisterait à faire de la Loi naturelle une loi universelle entrant en correspondant avec la Loi divine (et final basée sur elle) lui apparait comme une pure "hérésie" - tout simplement parce qu'elle présuppose la possibilité que les "modernes" acceptent la Volonté divine.

En conséquence également, pour Ellul, un Chrétien ne doit prendre la mesure de ce qu'est la Loi naturelle que par rapport aux Ecritures saintes - qui sont la seule règle de la foi.

Plus, le refus de la Loi naturelle par Jacques Ellul ne prend pas seulement pour fondement son opposition à l'autonomie du sujet telle que la conçoit la modernité. Il est clair que Jacques Ellul pense qu'il n'y a aucune place dans la Révélation pour un concept légal, une idée ou une loi gouvernant toutes les lois humaines et qui consitueraient la mesure de toutes les lois humaines. Et parce qu'il comprend les notions de justice, celle de jugement et celle de rétribution dans le seul contexte de la Rédemption, Jacques Ellul en vient à comprendre la loi comme une réalité exclusivement dépendante de la Croix du Christ - car pour lui, seule la Croix permet de comprendre ce qu'est la volonté divine.

La conception de la justice exprimée par Ellul est exclusivement christocentrique - et elle détruit radicalement non seulement l'idée d'une loi objective, mais aussi la pensée qu'il puisse y avoir une justice éternelle. C'est intéressant - mais ce n'est pas très catholique...

En conséquence, Ellul est contraint de se ranger à l'avis de Barth : si l'on s'en tient aux seules Ecritures (unique règle de la foi) une connaissance naturelle de Dieu par l'homme est impossible - non seulement, mais une connaissance naturelle du Bien par l'homme est impossible - du moins autrement que par la seule relation personnelle et vivante avec le Christ.

Bien entendu, Ellul ne dit rien - parce qu'il serait incapable d'en dire quoi que ce soit, de la manière dont Noé ou Abraham s'y sont pris pour distinguer le Bien du Mal... de toute façon, pour lui, il n'y a pas de morale normative du Bien - mais seulement une éthique de la Grâce. C'est tout de même un peu court.

En conséquence, Ellul est convaincu que la connaissance naturelle de Dieu ne provient pas de la Volonté de Dieu mais au contraire s'oppose à cette volonté. Et cette opposition ne peut produire que deux sources de la morale : l'une serait faite d'obéissance à la Parole de Dieu et à la personne du Christ, et l'autre serait tout simplement une forme de désobéissance. Par exemple, ce qu'en dit le catholicisme...

Pour Jacques Ellul, l'homme qui n'entretient pas de relation personnelle avec le Christ est radicalement incapable d'accomplir un bien authentique - et seul celui qui se converti radicalement au Christ peut faire le Bien. Il n'y a donc pas de "voix de la conscience" qui puisse conduire à une repentance et à une conversion - et aucune possibilité que puisse subsister ce que l'on appellait autrefois "imago Dei" dans l'âme de ceux qui ne croient pas au Christ. Mais cette brillante "idée" est pourtant contredite - dans la réalité même, il suffit de l'observer.

La diversité des morales selon les sociétés humaine semble en être pour lui comme la confirmation. Il n'y a pas de morale universelle : la morale fondée sur la Loi naturelle n'existe tout simplement pas - ce serait, d'après lui, un apport théologique datant des temps "médiévaux"..., elle ne peut donc avoir de prétention universelle. Mais on se demande tout de même si Jacques Ellul sait encore de quoi il parle : a-t-il vraiment voyagé?

En fin de compte les normes morales ne peuvent être que relatives - elles sont d'abord subjectives - et liées à la seule garantie d'une relation personnelle avec le Christ. C'est important pour le développement de la pensée de Jacques Ellul relativement à la "résistance" qu'il pense devoir opposer aux destructions opérées par la modernité.

On débouchera automatique sur une forme particulière d'anarchisme, ou de "pensée libertaire" qui prônera les modes d'action corrélatifs à l'impuissante où elle se met de combattre efficacement ce qu'elle dénonce: et en ce sens, sur le plan pratique, Ellul ne vaut guère mieux que Michel Onfray ou encore le pire gauchisme possible ou imaginable.

Un jugement bien sévère de ma part?
Est-il utile de se laisser induire en tentation par de tels "théologiens"? Est-il utile de les prendre au sérieux? En ce qui me concerne, la réponse est claire. C'est non. Et je ne m'étends pas ici sur l'inconséquence qu'il y a à prétendre résister à la modernité (parce que c'est au fond la prétention d'Ellul) avec les conceptions mêmes qui ont donné naissance à la modernité...

Ou pour mieux dire, entre Calvin et le Christ, il faut choisir.

Amicalement.
Virgile.

Répondre

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 188 invités