Isabelle47 a écrit :Dans ce cas, ce serait abusif de parler de "forme chrétienne" car cette vision des choses serait le propre d'un déiste (Voltaire et son "horloger" par exemple, d'autres avec leurs "grand architecte")non d'un chrétien
Bonjour,
la principale difficulté avec Jacques Ellul, c'est son rejet explicite d'une morale fondée sur la Loi naturelle, et de le faire à partir d'une Christologie erronée. En fait, il imagine - de façon très négative, que la meilleure réponse à apporter au technicisme moderne ne peut pas se trouver du côté de la Loi naturelle. Tout simplement parce que, en très gros, il estime que l'état de la culture moderne et la prolifération des lois qu'elle engendre consituent autant de barrières insurmontables pour nos contemporains à toute compréhension de ce qu'est la Loi naturelle. Mais ceci est encore un autre problème...
D'ailleurs, on peut dire que c'est une option intellectuelle qu'il partage avec l'autre théologien "majeur" qu'était Barth - j'entends par là cette méfiance vis-à-vis de toute tentative pour trouver un terrain d'entente possible entre Chrétiens et "modernes" sur une base conceptuelle. Une telle tentative serait irrémédiablement vouée à l'échec, d'après lui, parce qu'elle relève d'une erreur de jugement : celle qui consiste à ne pas trop tenir compte de la séparation engendrée par la Révélation et la Grâce.
En somme, l'humanité que nous partageons tous ne serait sujette à aucune modification par la Grâce. Aussi, mettre l'accent d'une manière ou d'une autre sur la "nature", c'est abandonner aussitôt la Grâce et le "surnaturel" et détruire toute distinction entre ce qui relève de la Grâce et ce qui relève de la seule nature humaine.
En conséquence, la Loi naturelle - telle que la conçoit Ellul, est réduite à n'être qu'un élément fondamental d'une pensée "humaniste" qui prétendrait réconcilier le christianisme et la modernité en dehors de la Grâce. De là, le projet qui consisterait à faire de la Loi naturelle une loi universelle entrant en correspondant avec la Loi divine (et final basée sur elle) lui apparait comme une pure "hérésie" - tout simplement parce qu'elle présuppose la possibilité que les "modernes" acceptent la Volonté divine.
En conséquence également, pour Ellul, un Chrétien ne doit prendre la mesure de ce qu'est la Loi naturelle que par rapport aux Ecritures saintes - qui sont la seule règle de la foi.
Plus, le refus de la Loi naturelle par Jacques Ellul ne prend pas seulement pour fondement son opposition à l'autonomie du sujet telle que la conçoit la modernité. Il est clair que Jacques Ellul pense qu'il n'y a aucune place dans la Révélation pour un concept légal, une idée ou une loi gouvernant toutes les lois humaines et qui consitueraient la mesure de toutes les lois humaines. Et parce qu'il comprend les notions de justice, celle de jugement et celle de rétribution dans le seul contexte de la Rédemption, Jacques Ellul en vient à comprendre la loi comme une réalité exclusivement dépendante de la Croix du Christ - car pour lui, seule la Croix permet de comprendre ce qu'est la volonté divine.
La conception de la justice exprimée par Ellul est exclusivement christocentrique - et elle détruit radicalement non seulement l'idée d'une loi objective, mais aussi la pensée qu'il puisse y avoir une justice éternelle. C'est intéressant - mais ce n'est pas très catholique...
En conséquence, Ellul est contraint de se ranger à l'avis de Barth : si l'on s'en tient aux seules Ecritures (unique règle de la foi) une connaissance naturelle de Dieu par l'homme est impossible - non seulement, mais une connaissance naturelle du Bien par l'homme est impossible - du moins autrement que par la seule relation personnelle et vivante avec le Christ.
Bien entendu, Ellul ne dit rien - parce qu'il serait incapable d'en dire quoi que ce soit, de la manière dont Noé ou Abraham s'y sont pris pour distinguer le Bien du Mal... de toute façon, pour lui, il n'y a pas de morale normative du Bien - mais seulement une éthique de la Grâce. C'est tout de même un peu court.
En conséquence, Ellul est convaincu que la connaissance naturelle de Dieu ne provient pas de la Volonté de Dieu mais au contraire s'oppose à cette volonté. Et cette opposition ne peut produire que deux sources de la morale : l'une serait faite d'obéissance à la Parole de Dieu et à la personne du Christ, et l'autre serait tout simplement une forme de désobéissance. Par exemple, ce qu'en dit le catholicisme...
Pour Jacques Ellul, l'homme qui n'entretient pas de relation personnelle avec le Christ est radicalement incapable d'accomplir un bien authentique - et seul celui qui se converti radicalement au Christ peut faire le Bien. Il n'y a donc pas de "voix de la conscience" qui puisse conduire à une repentance et à une conversion - et aucune possibilité que puisse subsister ce que l'on appellait autrefois "imago Dei" dans l'âme de ceux qui ne croient pas au Christ. Mais cette brillante "idée" est pourtant contredite - dans la réalité même, il suffit de l'observer.
La diversité des morales selon les sociétés humaine semble en être pour lui comme la confirmation. Il n'y a pas de morale universelle : la morale fondée sur la Loi naturelle n'existe tout simplement pas - ce serait, d'après lui, un apport théologique datant des temps "médiévaux"..., elle ne peut donc avoir de prétention universelle. Mais on se demande tout de même si Jacques Ellul sait encore de quoi il parle : a-t-il vraiment voyagé?
En fin de compte les normes morales ne peuvent être que relatives - elles sont d'abord subjectives - et liées à la seule garantie d'une relation personnelle avec le Christ. C'est important pour le développement de la pensée de Jacques Ellul relativement à la "résistance" qu'il pense devoir opposer aux destructions opérées par la modernité.
On débouchera automatique sur une forme particulière d'anarchisme, ou de "pensée libertaire" qui prônera les modes d'action corrélatifs à l'impuissante où elle se met de combattre efficacement ce qu'elle dénonce: et en ce sens, sur le plan pratique, Ellul ne vaut guère mieux que Michel Onfray ou encore le pire gauchisme possible ou imaginable.
Un jugement bien sévère de ma part?
Est-il utile de se laisser induire en tentation par de tels "théologiens"? Est-il utile de les prendre au sérieux? En ce qui me concerne, la réponse est claire. C'est non. Et je ne m'étends pas ici sur l'inconséquence qu'il y a à prétendre résister à la modernité (parce que c'est au fond la prétention d'Ellul) avec les conceptions mêmes qui ont donné naissance à la modernité...
Ou pour mieux dire, entre Calvin et le Christ, il faut choisir.
Amicalement.
Virgile.