Héraclius a écrit : ↑lun. 09 janv. 2017, 17:42
> Sur le Manichéisme : Je ne crois pas que définir le choix du mal comme 'authentique' revient à défendre une version altérée du manichéisme. D'ailleurs, la forme de votre argument anti-manichéen, soit le rejet de l'essentialité du mal (le mal 'n'est' pas, il consiste en une privation du bien) est largement hérité de la tradition... augustinienne (et remonte en fait à Plotin, puisque le néo-platonisme a servi à Augustin de 'pont' entre le manichéisme et l'Eglise). Et comme vous le remarquez, la vision augustinienne de l'enfer s'oppose à la vôtre (ce qui n'est pas en soi un problème, ce n'est pas ce que je veux dire).
Oui c'est ce que je disais. Augustin a effectivement combattu le manichéisme et nous avons pourtant une approche différente de l'enfer. Mais malgré son combat contre le manichéisme, j'émettais la possibilité que sa vision de l'enfer (qui m'apparaît sur certains points manichéenne) ait été influencée (inconsciemment) par son passif manichéen. Nous sommes tous influencés par notre vécu et notre approche des choses en est forcément imprégné un minimum, qu'on en ait conscience ou pas.
Héraclius a écrit :Le Mal est une privation de bien et n'existe pas en tant que tel : oui, vous avez tout à fait raison. Mais cela ne veut pas dire que le rejet du bien induit par le péché n'est pas réel. Le mal n'est pas un étant, mais cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas, un peu comme un pli dans une serviette en papier : seule la serviette est un 'étant', le pli n'étant qu'une forme de l'étant serviette, mais le pli existe bien pour autant.
Mon argument ne se situe pas vraiment au niveau de l'être du bien et du mal , mais plus de la définition du bien moral - de l'Amour, Caritas - comme étant un choix constitué en état plutôt qu'un état amené par un choix. Ce que je veux dire, c'est que l'Amour est par essence un choix, que le choix du Dieu-qui-est-Amour est l'Amour. Or, pour qu'un choix soit un choix, il faut qu'il existe une alternative entre au minimum deux option. En l'occurence, le choix divin consiste en une alternative dans lequel l'homme peut (a) aimer (b) ne pas aimer.
Or, pour que l'Amour soit totalement et pleinement lui-même, il faut que son rejet soit une réalité - au grand minimum balthasarien, une réalité potentielle.
J'ai dû pas mal cogiter sur la question, au point que parfois j'en perds le fil et la clarté.
Que dire ?
Je n'ai pas de problème avec le fait de dire que le mal (non-amour), le rejet de Dieu soit une possibilité, j'ai du mal avec le fait de les placer sur le même plan, de les rendre égaux.
Le mal n'existe pas en lui-même, il ne tire son existence que de l'amour. Mais l'amour existe en lui-même, il ne tire pas son existence ni du mal ni d'autre chose. Il se suffit à lui-même pour ne pas dépendre d'une nécessité contraire.
Dire que l'amour aurait besoin, ne serait-ce que de la possibilité, du mal c'est comme placé une dépendance à l'amour et de rendre le mal co éternel. Car il faudrait que le mal puisse exister de toute éternité pour authentifier l'amour de toute éternité ?! (D'ailleurs, c'est un peu amusant car il y a quelques années j'avais ouvert ce
fil-ci avec le même genre de remarque. Il est intéressant de voir ce qui m'avait été répondu, en particulier de Raistlin (qui m'avait convaincu de l'erreur). On y trouve aussi l'exemple intéressant de la réponse d'Einstein sur le mal)
Mais votre remarque sur la nécessité de choisir entre 2 options m'a fait cogiter car ça paraît correct mais à bien y regarder, est-il si inévitable d'avoir 2 options ?
Car le seul choix qui se pose en réalité est celui d'aimer. Je peux choisir d'aimer mais si je ne choisis pas d'aimer, quelles conséquences sinon que je n'aime pas ? Ainsi, ne pas aimer ne consiste pas en un choix mais est la conséquence de ne pas choisir d'aimer. Ce n'est pas "je choisis de ne pas aimer" mais "je ne choisis pas d'aimer" et donc tout revient à l'amour.
L'amour est l'harmonie, l'ordre, la joie, la justice, la liberté. Dès lors qu'on ne choisit pas l'amour en découle le chaos, le désordre, la souffrance, l'injustice, l'esclavage.
Disons qu'ici les choses sont placées ainsi :
Amour <------|pas d'amour (mal)
Où tout se réfère à l'amour, en découle.
Et vous, vous semblez me présenter les choses ainsi :
Amour <---|---> pas d'amour (mal)
Où le mal se présente comme une entité, comme une voie indépendante de l'amour, une option.
Le mal est une conséquence, pas un principe. Il découle de l'absence mais n'est pas une substance. Il n'a en réalité aucune légitimité pour être respecté.
Ce que vous faites dans votre approche, selon ce qu'il m'en semble, c'est légitimer le péché, rendre l'amour dépendant de la haine, Dieu dépendant du mal.
Dans la "déchéance", on " déchoit " de l'amour, la source, on ne se dirige pas vers le mal comme étant une autre source. On ne "déchoit" pas du mal.
Si on formulait les choses autrement en considérant la Vérité. On peut dire que l'erreur est possible mais l'erreur est-elle une nécessité ? La Vérité aurait donc besoin de l'erreur pour être vraiment la Vérité ?! Non, la Vérité est la Vérité, l'erreur en découle mais elle n'est pas nécessaire. Je pense qu'on confond ici une possibilité avec une nécessité.
Et puis à la base, de ce que l'on en sait, les péchés originaux (chute de Lucifer, chute de l'homme) ne sont pas un choix de rejeter Dieu mais plus un regard porté sur soi plutôt que sur Dieu. Lucifer ne s'est pas dit (à ce que je sache) "tiens, j'ai envie de rejeter Dieu aujourd'hui", non il a été pris d'orgueil et son " rejet" a suivi. De même, l'homme ne s'est pas dit dans sa désobéissance "je vais manger cette pomme pour enquiquiner Dieu", non il a écouté son envie. Je ne sais pas si on peut parler de choix à proprement dit plus que d'une inclination.
Un choix, c'est aussi prendre une décision, émettre un acte, un mouvement de volonté, un acquiescement. Ce n'est pas nécessairement choisir entre quelque chose et son contraire.
Car que dire du royaume des cieux, de la communion des saints, de la trinité ?
N'aime-t-on alors plus, étant privé de ce que vous appelez un choix du mal ? Étant privé de la réalité du mal ? Moi il me semble qu'ils ne peuvent plus "tourner vers le mal", ou plutôt déchoir, car ils sont arrivés à accomplissement, ils sont réalisés. Si Dieu a voulu vaincre le péché, c'est que c'était davantage une erreur, une faiblesse de la créature qu'un choix pur et indépendant, une liberté pleine. Car on pourrait alors penser que Dieu ne respecte pas vraiment la liberté humaine en la privant à un moment donné de la possibilité du mal ?!
Héraclius a écrit :L'interdiction est une privation de liberté légale/morale ; elle n'est pas une coerticion. La distinction entre les deux est capitale. Adam et Eve ne peuvent, en un sens, aimer Dieu sans la possibilité du mal (sinon leur Amour ne serait pas libre et donc ne serait pas Amour). Dieu laisse la libre-arbitre, la liberté-pouvoir, de Le rejeter. Mais, en temps que Divin Législateur, il place une interdiction morale sur le fruit. Or c'est l'interdiction morale elle-même qui constitue le fruit, si je puis dire. Dieu place un interdit librement franchissable parce que c'est nécessaire à l'obéissance, avec l'inconvénient de créer la possibilité de la désobéissance. Le but pour Dieu n'est pas de donner la liberté pour elle-même (Il ne les invite pas à "choisir", comme vous dites, comme un père qui ne voudrait pas baptiser son fils pour qu'il "fasse un jour son choix") mais de la donner pour que l'interdit soit un véritable interdit (l'interdit n,a de sens que si il peut être transgressé, sinon il n'est pas un interdit) et le 'véritable interdit' est néssécaire à l'obéissance/amour.
Oui, je suis d'accord avec l'idée que c'est l'interdiction morale elle-même qui constitue le fruit, mais plus avec une idée d'éprouver à mon avis que d'une nécessité de l'amour.
Héraclius a écrit :Justemment, le choix de l'Amour peut s'incrire comme un absolu, puisque qu'il ne dépend pas d'autres facteurs que de lui-même (le bien moral n'est pas conditionné par des variables comme le savoir ou la puissance). Et puis plus simplement, à la 'Fin des Temps' il n'y aura plus de temps, donc le choix constitué par notre existence temporelle sera - si je puis dire - figé dans l'éternité, et 'constituera' le Ciel ou l'Enfer. Du moins c'est ce que je pense.
Là je me pose la question de savoir qui de l'œuf ou de la poule est venu le premier.
N'y a-t-il plus de choix à la fin des temps parce qu'il n'y a plus de temps ou y a-t-il la fin des temps parce qu'il n'y a plus de choix, de choix à corriger justement, tout étant accompli ?