Etrigan cite longuement la Genèse et le Concile, mais ses messages ne sont-ils pas plutôt un commentaire des souvenirs de ses livres d’enfance ?
Je peux comprendre ses réactions si je me réfère à certaines caricatures. Etrigan souhaite des arguments sérieux, rationnels, raisonnables. Mais, il faut, pour cela, parler d’autre chose que d’une historicité littérale d’images pour enfants qui ne doit pas nous empêcher de réfléchir à l’histoire réelle que les récits de nos livres d’enfants ont essayé de nous raconter.
Est-il d’accord d’examiner les questions qu’il pose avec les deux pieds sur terre ? Avant de parler de métaphysique.
La Genèse est riche de nombreux enseignements profonds sur notre réalité, mais ici, il s’agit de savoir si elle nous dit quelque chose par rapport à notre origine bien concrète.
Je me permets de reproduire ici mon message de hier dans l’Agenda sur un colloque. Merci à Etrigan de me confirmer que nous parlons bien de la même chose.
Le sujet, c’est l’apparition de l’homme sur la terre. Nul ne conteste qu’elle survient dans l’histoire, qu’il y a un avant et un après cette apparition dans le temps et dans l’espace, qu’elle constitue un fait dont la réalité concrète et terrestre est observable par tout scientifique, même si le croyant ajoutera que le scientifique ne peut pas tout observer.
Pour le biologiste, l’homme apparaît lorsqu’arrive sur la terre un être génétiquement compatible avec nous, un être qui, en imaginant une union avec un humain actuel de sexe opposé, pourrait enfanter un descendant humain.
Pour l’anthropologue, l’homme apparaît lorsqu’arrive sur la terre un être doué de conscience et de réflexion abstraite.
Pour le chrétien, l’homme apparaît lorsqu’arrive sur terre un être doté d’une âme immortelle dont la personne peut vivre au-delà de la réalité matérielle de son corps.
Dans tous les cas, il y a un fait. Une survenance dans l’histoire réelle et concrète. Elle est incontestable. Il y a bien eu, à un moment historique bien concret, un ou plusieurs premiers humains.
Et, il y a une première question. Dieu agit-il dans l’histoire ? Pour beaucoup, cette idée même est insupportable, même pour beaucoup de croyants. Tout au plus peuvent-ils admettre un dessein intelligent. A l’origine de l’origine, avant le big bang, Dieu a inventé le monde et ses règles qui déroulent désormais leur développement de manière autonome dans l’univers, même si Dieu savait qu’un jour des humains arriveraient.
Il est possible de tout penser de cette manière, y compris l’incarnation qui aurait été lentement préparée pour aboutir à ce cas naturel extraordinaire d’une auto-reproduction dans le sein de Marie. Même les miracles auraient une explication naturelle tout à fait logique simplement encore inconnue.
Même pour chaque prière, la pré-science de Dieu l’aurait prévue et il aurait prévu, dans son grand plan, la réponse.
Un absolu déterminisme sans réelle liberté ni pour les humains, ni pour Dieu lui-même.
L’Eglise a une autre réponse.
Il y a une autre question. Le mal existait-il avant l’homme ? La question doit être posée, en réalité, de manière plus difficile. D’où vient le mal, s’il ne vient pas de l’homme ?
Il est possible de considérer que le mal est une réalité ontologique qui n’a pas de début, qui était présente avant l’apparition de l’humain.
Il est aussi possible de considérer que l’humain, lorsqu’il est arrivé sur terre, a lui-même introduit le mal.
Ici, les deux questions se rejoignent. Si Dieu agit dans l’histoire, qu’il s’y est incarné en Jésus de Nazareth, que Jésus s’est montré capable de dominer la création (marchant sur les eaux, changeant de l’eau en vin, multipliant des pains, guérissant des malades, ressuscitant des morts, arrêtant une tempête, voyant une pièce dans la bouche d’un poisson, et franchissant sa propre mort), l’homme a-t-il reçu, lors de son apparition sur la terre, une capacité similaire ?
L’a-t-il perdue par un choix concret, réel et libre des premiers humains dont les effets se poursuivent jusqu’à nous ?
Malgré les opinions contraires, la réponse de l’Eglise, exprimée par le Magistère, a toujours été claire.
Voici le résumé qu’en donne le Catéchisme de l’Eglise Catholique : « Le récit de la chute (Gn 3) utilise un langage imagé, mais il affirme un événement primordial, un fait qui a eu lieu au commencement de l’histoire de l’homme. La révélation nous donne la certitude de foi que toute l’histoire humaine est marquée par la faute originelle librement commise par nos premiers parents. » (390)
Un événement. Un fait. Non dans l’abstrait, mais au commencement de l’histoire humaine. Dans la réalité concrète. Dans le temps et dans l’espace. Un acte libre d’humains déjà créés. Commis par nos premiers parents humains.
Un autre viendra, avec la même nature, dans la même histoire humaine, bien concrète, à un endroit et à un moment bien précis, mais son action libre sera bonne. Elle nous sauvera des effets désastreux du mal originel. Elle nous rétablira dans la vocation immortelle qui avait été donnée à nos premiers parents.
Je n’ai pas retranscrit l’entièreté du texte du Pape, mais il est utile de présenter à nouveau ici un extrait de son exposé du 3 décembre 2008 :
Comment cela a-t-il été possible, comment cela s'est-il produit ? Les choses demeurent obscures. Le mal n'est pas logique. Seul Dieu et le bien sont logiques, sont lumière. Le mal demeure mystérieux. On l'a représenté avec de grandes images, comme dans le chapitre 3 de la Genèse, avec cette vision des deux arbres, du serpent, de l'homme pécheur. Une grande image qui nous fait deviner, mais ne peut pas expliquer parce qu'elle est en elle-même illogique. Nous pouvons deviner, pas expliquer ; nous ne pouvons pas même le raconter comme un fait à côté d'un autre, parce que c'est une réalité plus profonde. Cela demeure un mystère d'obscurité, de nuit. Mais un mystère de lumière vient immédiatement s'y ajouter. Le mal vient d'une source subordonnée. Dieu avec sa lumière est plus fort. Et c'est pourquoi le mal peut être surmonté. C'est pourquoi la créature, l'homme peut être guéri.
Il ne faut pas oublier, en lisant la Genèse, qu’elle nous parle de la réalité terrestre mais aussi, simultanément, de la réalité spirituelle, des « cieux » que Dieu habite.
N’oublions pas que notre regard est actuellement très limité et que nous ne voyons guère les réalités spirituelles.
Dans le jardin d’Eden, il n’y a pas que des réalités terrestres. Il y a aussi des réalités spirituelles : un ange déchu, des « arbres » bien loin des réalités matérielles en ce qu’ils portent un fruit de la connaissance du bien et du mal ou la vie même, des conversations avec Dieu, un « lieu » qui sera gardé par des anges.
Pour prendre une image plus moderne. Imaginez que vous êtes en pleine nuit. Vous voyez certaines choses dans la pénombre. Imaginez qu’une lumière s’allume. Vous en apercevez beaucoup d’autres et vous apercevez tout autrement celle que vous perceviez un peu dans l’obscurité.
Lorsque la lampe est éteinte, vous ne voyez plus le jardin d’Eden. Adam et Eve le « voyaient » avant la chute. Ils voyaient aussi mais autrement la réalité dans laquelle nous sommes toujours.
Pour comprendre la situation d’Adam, le mieux c’est de regarder le Christ lui-même. Beaucoup pensent qu’il a pu faire tant de miracles parce qu’il était Dieu. Beaucoup oublient qu’il les a fait aussi parce qu’il était vraiment homme.
Le Christ parmi nous a pu voir et agir comme Adam avant sa chute. Avec la même nature que Adam. Il nous ouvre l’espérance de la même possibilité.
La création d’Adam n’a pas été plus extraordinaire dans l’histoire que l’incarnation du nouvel Adam, vrai Dieu et vrai homme. Pourquoi la première paraît-elle si difficile à admettre à beaucoup de chrétiens d’aujourd’hui ?
Etrigan a écrit : Ce mal subordonné, il est subordonné à quoi ? A Satan qui est là dans le Jardin parfait créé par Dieu !!
De là, deux idées :
*soit Satan y est entré de lui-même (on nous dit bien que Dieu a créé le Serpent - donc le Mal, merci) et donc Dieu n'a aucun contrôle sur sa créature.
*soit Dieu a installé le Serpent dans le Jardin - auquel cas, merci aussi Ceci est une citation et le texte à citer se trouve placé entre les balises.
* soit c'est l'Homme qui fait venir le Serpent en refusant la Lumière de Dieu
Mais, ce n’est pas Satan qui est entré dans ce jardin, c’est un ange de Dieu qui y a été créé. Comme l’humain plus tard, cet ange a lui aussi décidé de sortir de la communion qui l’unissait à Dieu.
Les cieux des êtres spirituels n’ont pas de frontières géographiques. L’ange déchu y était du fait même de sa création comme être spirituel. Il était une créature parmi les autres. Le diable ne s'est pas immiscé dans le chef d'oeuvre de la création. Il en faisait partie comme créature bonne, comme les autres.
Dieu n’a pas créé le mal, ni un serpent incarnant le mal. Il a créé les anges et les hommes. Certains anges ont rompu avec Dieu. Les hommes ont suivi.
Mais, il est exact que, pour permettre à des créatures de vivre réellement comme personnes, il a permis leur liberté. Et donc la liberté de faire le mal.
Ce n’est évidemment pas l’homme qui fait venir le serpent (la Genèse le présente comme un être animé qu’il ne faut pas assimiler nécessairement à un animal terrestre dont l’image est utilisée pour nous en parler).
Etrigan a écrit : (Prologue de Jean) et donc, on en arrive à dire que l'Humain est une belle saloperie puisque c'est lui qui a foutu royalement en l'air toute la Création. Si après ça on ne désespère pas...
Qui vous dit qu’il l’a foutu en l’air ? Il en a simplement perdu la maîtrise et la nature est privée de l’action bénéfique de l’homme en communion avec Dieu.
Heureusement que le Christ a été pensé de toute éternité. En quoi est-ce désespérant ? dangereux ? effrayant ?
Comment pouvez-vous écrire que « on ne peut qu'avoir peur : de l'Humain » ? De l’humain, par rapport au mal dans le monde, certes. Mais, de l’humain, délivré du mal par le Christ incarné dans la même nature humaine qu’Adam ?
Etrigan a écrit : En accord avec ce que Dei Verbum suggère, nous estimons qu'il n'y a pas lieu de considérer ce texte comme historique. Les sciences de l'univers nous proposent une théorie qui est hautement plus crédible que ce récit. De fait, nous en déduisons qu'il s'agit d'un conte (et d'ailleurs, un conte copié d'après un autre conte babylonien)
Rien dans Dei Verbum ne suggère qu'il n'y a pas lieu de considérer le récit des premiers chapitres de la Genèse comme historique. Du moins, sans nuance.
Le mot historique que vous utilisez est ambigu. Bien sûr que les sciences nous donnent une observation beaucoup plus précise de la réalité terrestre qu’elle peut observer. Mais, elles ne disent rien de la réalité spirituelle simultanément présente. Elles ne disent rien de l’action de Dieu, ni de la définition de l’homme par rapport à la vie éternelle, ni de l’origine du mal.
La Genèse est bien historique en ce qu’elle nous parle de la réalité concrète de l’apparition de l’homme dans le temps et l’espace, même si elle nous en parle d’une autre manière que la science.
Comme toute l’Ecriture Sainte, les lettres, les mots et les phrases qui composent la Genèse sont l’œuvre d’humains, qui ont écrit avec la culture de leur temps.
Il est tout à fait vraisemblable que la Genèse ait été constituée non seulement avec les modes d’expressions de l’époque, mais aussi avec des sources diverses. La vérité ne vient pas de chaque détail séparé mais de l’ensemble qui en a finalement été établi sous l’inspiration divine quels que soient les détails historiques de sa constitution dont l’Ecriture Sainte ne nous dit quasi rien.
Il est tout à fait possible que des images aient été puisées dans des religions et des cultures voisines du peuple hébreu dans lesquelles des éléments de vérité pouvaient exister. Il est aussi évident qu’il y a des vérités métaphysiques, des révélations symboliques et métaphoriques, ce qui n’empêche pas de parler aussi de la réalité concrète.
Etrigan a écrit : Dès qu'il y a existence, dès qu'il y a langage, il y a désir. L'Homme est prisonnier d'une langue qui l'habite et sans laquelle il ne peut se construire. Mais dès lors qu'il parle ou même pense (on ne pense qu'en parlant), il induit un vide, une erreur car le langage ne peut pas dire l'objet réel, il tourne autour, il suscite des complications, des doutes, des affirmations, des lapsus, des incohérences. Il révèle notre inconscient, qui est « les ténèbres n'ayant point reçu la lumière. » Eh oui ! Sitôt que nous sommes formés, l'intérieur de notre être est ténébreux et la lumière nous devons la faire venir à l'intérieur de nous.
Superbe ! Aussi clair qu’exact ! Excellent !
A ne jamais oublier. Mais, sans oublier, non plus, que, malgré tout cela, Dieu vient nous parler par ce langage rempli des faiblesses humaines.
Etrigan a écrit : Nous n'avons repris que le deuxième récit car il est le seul à envisager la Chute. Ceci implique-t-il que pour le premier courant, il n'y avait pas de Chute ? Une hypothèse intéressante, non ?
Non. Ce n’est pas parce qu’un second récit nous éclaire d’un autre point de vue qu’il faut en déduire une contradiction avec le premier récit.
Dans le premier récit, il n’y a pas encore de chute. Le chapitre 2 de la Genèse nous détaille la création de l’homme. Le chapitre 3 nous détaille un événement au début de son histoire.
Etrigan a écrit : Soyons bref et clair : ce texte entend justifier la souffrance humaine et expliquer pour l'Homme se sent privé d'une part de sa dimension et pourquoi le mal existe donc la souffrance et la peine. Ce sont des questions ontologico-métaphysiques qui sont de toute éternité.
Tout à fait d’accord pour la réalité actuelle, mais non pour le constater en Dieu ou en l’homme « de toute éternité ». Ce serait désespérant. Contraire à la perfection de Dieu.
Etrigan a écrit : que nous enseigne la plus élémentaire des psychologies ? Que la perfection est source de mort : face à la beauté parfaite, comment ne pas se sentir laid ? Face au calme plat de notre vie, comment ne pas ressentir de l'ennui et du désappointement ? Bref, sans Adversaire, nous serions des êtres-pour-la-mort comme le dit Heidegger et rien que cela.
Vous abordez un grand mystère qu’est, en effet, celui de la mort.
Le thème est, en effet, au cœur de la Genèse et de toute réflexion sur la création autant sur la vie éternelle.
Nous ne sommes pas pour la mort, nous sommes pour le mouvement qui nous fait traverser la mort, la dépasser.
Je vais me limiter ici à vous donner en réponse un extrait de la récente encyclique Spe Salvi du Pape Benoît XVI (n°s 10-12).
S.S. Benoît XVI a écrit :Mais alors se fait jour la question suivante: voulons-nous vraiment cela – vivre éternellement? Peut-être aujourd'hui de nombreuses personnes refusent-elles la foi simplement parce que la vie éternelle ne leur semble pas quelque chose de désirable. Ils ne veulent nullement la vie éternelle, mais la vie présente, et la foi en la vie éternelle semble, dans ce but, plutôt un obstacle. Continuer à vivre éternellement – sans fin – apparaît plus comme une condamnation que comme un don. Certainement on voudrait renvoyer la mort le plus loin possible. Mais vivre toujours, sans fin – en définitive, cela peut être seulement ennuyeux et en fin de compte insupportable.
…l'élimination de la mort ou même son renvoi presque illimité mettrait la terre et l'humanité dans une condition impossible et ne serait même pas un bénéfice pour l'individu lui-même. Il y a clairement une contradiction dans notre attitude, qui renvoie à une contradiction intérieure de notre existence elle-même. D'une part, nous ne voulons pas mourir; surtout celui qui nous aime ne veut pas que nous mourrions. D'autre part, nous ne désirons même pas cependant continuer à exister de manière illimitée et même la terre n'a pas été créée dans cette perspective.
Nous désirons en quelque sorte la vie elle-même, la vraie vie, qui n'est même pas touchée par la mort…
L'expression « vie éternelle » cherche à donner un nom à cette réalité connue inconnue. Il s'agit nécessairement d'une expression insuffisante, qui crée la confusion. En effet, « éternel » suscite en nous l'idée de l'interminable, et cela nous fait peur; « vie » nous fait penser à la vie que nous connaissons, que nous aimons et que nous ne voulons pas perdre et qui est cependant, en même temps, plus faite de fatigue que de satisfaction, de sorte que, tandis que d'un côté nous la désirons, de l'autre nous ne la voulons pas….
…Nous pouvons seulement chercher à penser que ce moment est la vie au sens plénier, une immersion toujours nouvelle dans l'immensité de l'être, tandis que nous sommes simplement comblés de joie