Il ne se limite pas à assumer l’enseignement officiel de l’Église que son ministère lui confie.
Cette tâche de veiller au trésor de la foi reste assurée avec force et fidélité. Soyons-en sûr ! C’est Dieu lui-même qui garde son Église, le corps du Christ. Mais, les interpellations du monde sont fortes, nombreuses et complexes. Les réponses, qui se partagent aujourd’hui à la vitesse de l’éclair par l’internet et les réseaux sociaux, ne peuvent guère attendre la maturation nécessaire des enseignements officiels pour lesquels le Pape ne peut rien céder de la fidélité au trésor transmis par les générations précédentes, mais ne peut davantage ignorer les aspects nouveaux et les connaissances nouvelles qui apparaissent de manière démultipliée à notre époque.
Dans ce contexte, les paroles improvisées du Saint-Père lors d’interviews journalistiques doivent être accueillies en cherchant davantage à comprendre le cœur de ce qu’il a voulu exprimer qu’en s’arrêtant excessivement au sens précis de ce qu’il exprime lorsqu’il parle de manière improvisée sans avoir le temps de peser chacun de ses mots.
Écoutons le Pape avec affection et compassion, en n’oubliant pas qu’il est déjà âgé de 82 ans !
C’est, sous cet angle, qu’il me semble nécessaire d’écouter l’interview qu’il a donnée au journal italien La Stampa, ce 9 août, dont voici un extrait (en traduction libre) :
https://www.lastampa.it/vatican-insider ... 1.37325868De quoi a-t-on besoin pour le dialogue ?
Il faut partir de sa propre identité.
En fait, des identités : quelle est leur importance ? Si nous en faisons trop avec la défense des identités, ne risquons-nous pas l'isolement? Comment répondre aux identités qui génèrent de l’extrémisme ?
Je vous donne l'exemple du dialogue œcuménique: je ne peux faire de l'œcuménisme que si je pars de mon catholicisme, et l'autre qui pratique l'œcuménisme avec moi doit le faire en tant que protestant, orthodoxe ... Son identité n'est pas négociée, elle est intégrée. Le problème avec les exagérations est que l'on ferme son identité, on ne s'ouvre pas. L'identité est une richesse - culturelle, nationale, historique, artistique - et chaque pays a la sienne, mais elle doit être intégrée par le dialogue. Cela est décisif: à partir de sa propre identité, il faut s’ouvrir au dialogue afin de recevoir quelque chose de plus grand de l’identité des autres. N'oubliez jamais que le tout est supérieur à chaque partie. La mondialisation, l’unité ne doit pas se concevoir comme une sphère, mais comme un polyèdre : chaque peuple conserve son identité dans l’unité avec les autres.
Quels sont les dangers du souverainisme ?
Le souverainisme est une attitude d'isolement. Je suis inquiet parce que nous entendons des discours qui ressemblent à ceux d'Hitler en 1934. « D'abord, nous. Nous ... nous ... ": ce sont des pensées effrayantes. La souveraineté est la fermeture. Un pays doit être souverain, mais pas fermé. La souveraineté doit être défendue, mais les relations avec les autres pays et avec la Communauté européenne doivent également être protégées et promues. Le souverainisme est une exagération qui finit toujours mal: il conduit à des guerres.
Et les populismes?
Même discours. Au début, j’ai eu du mal à comprendre parce que, en étudiant la théologie, j’ai approfondi la popularité, c’est la culture du peuple : mais une chose est que les gens s’expriment, un autre est d’imposer une attitude populiste au peuple. Le peuple est souverain (il a une façon de penser, de s’exprimer et de ressentir, d’évaluer), mais les populismes nous mènent à des souverainismes : ce suffixe, "isme", n’est jamais bon.
Comment faire pour parler des migrants ?
Tout d'abord, n'oubliez jamais le droit le plus important : le droit à la vie. Les immigrants arrivent principalement pour fuir la guerre ou la faim, du Moyen-Orient et d'Afrique. Sur la guerre, nous devons nous engager et lutter pour la paix. La faim concerne principalement l’Afrique. Le continent africain est victime d'une malédiction cruelle : dans l'imaginaire collectif, il semble être exploité. Une partie de la solution consiste plutôt à investir sur place pour résoudre leurs problèmes et mettre un terme aux flux migratoires.
Mais puisqu'ils viennent à nous, comment devrions-nous nous comporter ?
Il faut suivre des critères. Premièrement : accueillir, qui est aussi une tâche évangélique chrétienne. Les portes doivent être ouvertes et non fermées. Deuxièmement : accompagner. Troisièmement : protéger. Quatrièmement : intégrer. Dans le même temps, les gouvernements doivent penser et agir avec prudence, ce qui est une vertu du gouvernement. Celui qui administre est appelé à dire combien de migrants il est possible d’accueillir.
Et si le nombre est supérieur aux possibilités d’accueil ?
La situation peut être résolue par le dialogue avec d'autres pays. Il y a des États qui ont besoin de gens, je pense à l'agriculture. J'ai vu quelque chose comme cela qui s'est passé récemment face à une urgence: cela me donne de l'espoir. Et puis, savez-vous ce qui servirait aussi ?
Quoi ?
La créativité. Par exemple, on m'a dit que dans un pays européen, il y a des villes à moitié vides à cause du déclin démographique : certaines communautés de migrants pourraient être transférées là-bas, ce qui pourrait, entre autres, relancer l'économie de la région.
Lorsque Pape dit que « les populismes nous mènent à des souverainismes » et que « ce suffixe, "isme", n’est jamais bon », il ne condamne évidemment ni le christianisme, ni le catholicisme.
Le Pape ne condamne pas davantage toute forme de « populisme » ou de « souverainisme », mais une attitude particulière que ces mots peuvent exprimer.
Il ne faut pas s’arrêter trop vite aux apparentes contradictions d’une interview spontanée et lorsqu’il dit que « La souveraineté est la fermeture », il rectifie immédiatement après que « Un pays doit être souverain, mais pas fermé » et que « La souveraineté doit être défendue », mais que « les relations avec les autres pays et avec la Communauté européenne doivent également être protégées et promues ».
Le Pape ne désavoue pas l’opinion politique « souverainiste » de ceux qui pensent qu’il y a un déficit démocratique lorsque des pouvoirs sont donnés excessivement à des autorités supranationales non élues ou qu’une population locale ne peut plus suffisamment faire prévaloir sa spécificité.
Le souverainisme que le Pape désavoue clairement c’est une « attitude d’isolement », une « fermeture », une « exagération ». Ce n’est pas une position politique entre les défenseurs d’une Europe supranationale et ceux d’une Europe des nations.
Le Pape ne désavoue pas davantage l’opinion politique « populiste » de ceux qui pensent que le pouvoir ne peut être accaparé par « ceux qui savent », par les technocrates et les élites dont le discours rationnel croit pouvoir imposer des choix politiques ou de société. La volonté populaire d’un peuple peut légitimement être préférée à des choix théoriquement ou rationnellement préférables.
Bien au contraire, le Pape rappelle l’importance de la volonté de chaque peuple lorsqu’il déclare qu’il est essentiel dans tout dialogue de « partir de sa propre identité ». Il faut d’abord permettre à chacun d’être soi-même. « L'identité est une richesse - culturelle, nationale, historique, artistique - et chaque pays a la sienne, mais elle doit être intégrée par le dialogue ». Chaque peuple « a une façon de penser, de s’exprimer et de ressentir, d’évaluer » et « Le peuple est souverain ».
Chaque identité doit être respectée : il s’agit d’intégrer sans fusionner les identités diverses.
En fait, les valeurs que prône le Pape renvoient dos à dos ceux qui prétendent fondre les diverses identités dans une société multiculturelle où la pensée unique grise pourrait vite s’imposer de manière dictatoriale sans respect des personnes et de leurs différences, autant que ceux qui éliminent les « autres » par une identité particulière qui se fermerait aux autres et qui deviendrait vite une prison, une pensée unique qui pourrait tout aussi vite s’imposer de manière dictatoriale sans respect des personnes et de leurs différences.
Le Pape aborde les questions migratoires avec les mêmes nuances.
Il rappelle d’abord l’essentiel : « n'oubliez jamais le droit le plus important : le droit à la vie ». Il rappelle les critères de base d’une action chrétienne : « accueillir », « accompagner », « protéger » et « intégrer », mais il serait abusif d’y voir une position politique sur la gestion extrêmement difficile et délicate des flux migratoires de notre époque comme s’il estimait que n’importe qui devrait pouvoir se déplacer n’importe où, car il précise aussitôt que « Dans le même temps, les gouvernements doivent penser et agir avec prudence, ce qui est une vertu du gouvernement. Celui qui administre est appelé à dire combien de migrants il est possible d’accueillir. ».
Tout est en nuances et des opinions politiques différentes sont légitimes, mais les valeurs fondamentales doivent sans cesse être rappelées.