Gregor a écrit : ↑sam. 21 mars 2020, 1:00
Bonsoir à tous.
Je me permets d'intervenir ce soir, après la lecture de plusieurs messages de ce fil de discussion, pour tenter de ramener à la fois de la raison, de la paix, et de l'espérance.
J'aimerais préciser que je suis infirmier dans une petite ville du sud-ouest, et que ma pratique professionnelle m'amène à m'occuper de personnes parmi les plus fragiles et les plus vulnérables de notre société, et ce, quelque soit leurs convictions philosophiques ou religieuses...
A la lecture des différents messages, je ne peux que constater ma lassitude, et en même temps mon empathie pour tous ceux qui les postent. Je pense notamment aux différents messages s'attristant (de manière parfois vive) des disposition actuelles de confinement, qui nous empêchent, en tant que catholiques, de vivre de manière concrète et physique en tant que communauté de frères unis à Notre Seigneur et voulant se mettre à sa suite... Le premier, je suis profondément attristé de ne pouvoir assister à aucun office, à aucune messe, à aucun temps de célébration communautaire pour les prochaines semaines à venir. Je suis profondément attristé de ne pouvoir recevoir régulièrement le Corps et le Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ de manière sacramentelle, que ce sot lors d'une messe dominicale ou de semaine. Ces temps de prière ensemble sont pour moi des respirations, dans un quotidien parfois difficile, dû notamment au fait des charges que je suis amené à porter dans mon exercice professionnel, et du délabrement dramatique de notre système de santé et d'assistance auprès des plus démunis.
Oui, c'est vrai... Au départ, j'étais plutôt sceptique quant à l'affolement général concernant le coronavirus. Une épidémie lointaine, loin de ma porte, loin de mon quotidien... Et puis aujourd'hui, les premiers cas officiels viennent d'être annoncé dans l'hôpital ou j'exerce. Mes collègues commencent à être en arrêt maladie, pour des motifs plus ou moins liés à l'épidémie qui commence à sévèrement se propager en France (et ailleurs). Les nouvelles ne sont pas bonnes ailleurs, et je pense particulièrement à tous mes collègues de l'est de la France, débordés face à une situation sanitaire qui devient plus que critique, et qui n'a plus rien à voir avec une simple grippe un peu plus virulente, un peu plus exotique que les autres...
Pourtant, cette situation me fait comprendre quelque chose de fondamental, et qui traverse de manière lumineuse toute ma vie : puisque mes pauvres mains de pécheur ne peuvent pas grand chose, il me reste l'essentiel, c'est à dire la foi en Dieu qui est Amour, et l'espérance qu'il ne cesse de semer dans nos coeurs.
Dieu a fait toute chose bonne. L'épidémie de coronavirus n'en fait pas parti, et c'est plus que clair... Mais voilà l'occasion, peut-être de choisir pour de bon la Vie. De s'attacher avec encore plus de force à la Providence Divine, qui nous invite à la confiance, à l'espérance, et plus que tout, à la charité. Je ne peux plus assister à la messe, me laisser ronronner dans une sorte de confort spirituel qui me berne -parfois- quant à l'essentiel. Maintenant, choisir Dieu n'est plus une affaire privée et un peu tiède, mais une nécessité qui me pousse vers mon frère, où qu'il soit, par l'union de prière et la compréhension qu'une réelle bienveillance devient plus que nécessaire, totalement urgente et inconditionnelle. Alors que je dois rassurer les malades de mon service qui ont peur - à juste titre- et qui ne se cachent pas pour parler de mort, je comprends que je dois les aimer, les soigner avec plus d'ardeur, les porter dans ma prière quotidienne, et les supporter, dans les bons et encore plus dans les mauvais moments, lorsque l'angoisse inonde tout et arrache la certitude de tout maitriser. Pauvre petit infirmier, je ne maitrise plus grand chose, et j'ai peur, moi aussi, face à ce grand inconnu qui se dessine (car bien malin celui pourra esquisser les conséquences de cette épidémie, et ce, à tous les niveaux). J'ai peur de contaminer, et j'ai peur de tomber malade. J'ai peur de finir seul, chez moi, et j'ai peur de voir un de mes proches succomber sans pouvoir lui dire au revoir. J'ai peur pour mes vacances - alors que je n'en ai pas pris depuis six longs mois- et j'ai peur de ne pas remettre les pieds dans une église avant si longtemps... Et bien, puisque j'ai peur, puisque je ne maitrise plus grand chose, je peux me tourner en vérité vers le Seigneur lui confier tout cela. Mes patients, mes proches, plus encore ceux que je n'aime pas assez. Je peux me tourner vers la Vierge Marie, notre Mère du Ciel qui ne cesse de veiller sur nous, et dans mon chapelet quotidien, y trouver encore davantage de confiance, d'amour maternel pour veiller sur ceux qui, isolés à l’hôpital, sont si seuls. Je peux bénir et rendre grâce au Seigneur pour la beauté de la vie et celle de la bonne santé, si fragile, si volatile, qu'elle devient effectivement un don, et non plus un dû. Je peux me tourner vers le Seigneur dans le silence d'un Carême qui devient - pour de vrai- désert silencieux où quêter sa présence comme un pauvre pécheur, crasseux de toute la misère de son péché, pour le trouver dans le silence et la prière plus fréquente, plus nécessaire. Je peux me tourner vers le Seigneur dans la communion des saints, en sachant qu'enfin, l'essentiel est invisible aux yeux de chair, mais que l'amour ne connait pas l'absence du regard, et que la prière me porte, et que je peux porter avec moi tous ces frères que Dieu me donne à aimer, sans cesse, de plus en plus. Je peux me tourner vers le Seigneur en offrant cette souffrance de ne pas pouvoir communier sacramentellement, de ne pas pouvoir recevoir le sacrement de réconciliation, et me souvenir que les sacrements ne sont pas une obligation que Dieu aurait à mon endroit, mais bien un présent, un don, et qu'ils sont quelque chose d’infiniment précieux dont on peut si facilement perdre la valeur lorsqu'ils tombent dans la décrépitude de l'automatisme.
Je peux me tourner vers le Seigneur, Le bénir et Lui rendre grâce parce qu'enfin, je comprends ce que cela signifie que d'avoir besoin les uns des autres, non comme quelque chose de pesant, mais au contraire, comme une chaîne d'amour qui n'a de cesse de grandir et de faire grandir. Enfin, je peux me tourner vers le Seigneur , Le bénir et Lui rendre grâce pour tous nos ministres, diacres, prêtres et évêques, pour toutes les religieuses et les religieux qui se sont mis en route vers le Seigneur et nous portent dans la prière silencieuse et perpétuelle qu'ils ne cessent de faire monter vers Lui. Nous avons des prêtres, et c'est formidable ! Nous avons des religieuses et des religieux, et c'est tout aussi formidable. Les prêtres continuent à célébrer la Grâce que Dieu nous fait en la personne du Christ, qui vient nous sauver, par la célébration de l'Eucharistie, quand bien même nous ne pouvons y participer physiquement.
Il faut traverser le désert en ce Carême qui, décidément, n'a aucun des attributs habituels. Le dépouillement est rude, mais nécessaire, fécond. Il remet les choses à leur place, et remet Notre Seigneur au centre du jeu. Aimer Dieu... Et se laisser aimer, quoi qu'il arrive, quoique nous ayons peur du lendemain et de l'orage qui s'annonce.
Je prie pour vous, pour que ce Carême devienne pour vous aussi l'occasion de goûter à nouveau à la tendresse, à la sollicitude, à la confiance de Notre Dieu pour chacun de ses enfants. Car, comme le dit saint Augustin, "Dieu qui nous a créés sans nous, ne nous sauve pas sans nous". Nous pouvons être confiant, puisque Dieu nous fait confiance, malgré tout. Mais Il compte sur nous pour Le suivre. Il nous appelle à la liberté, et donc à la responsabilité.
Nous pouvons faire quelque chose de bon, de bien, en respectant les consignes, certes contraignantes, du confinement. Ce n'est simple pour personne, et particulièrement pour nous, catholiques, en cette période où nous nous préparons aux fêtes de Pâques. Mais il faut raison garder. S'adapter. Croire que Dieu nous invite à être inventif, sans nous détacher de toute la Tradition de notre Sainte mère l'Eglise.
Alors oui, je prie pour vous. Et je vous confie mes patients. Priez pour eux : ils ont tant besoin de goûter, eux aussi, à l'Amour et à la Lumière de notre Dieu.
Un catholique infirmier.
PS : respectez vraiment les consignes. Prenez soin de vos proches avec une certaine distance, en prenant notamment régulièrement de leurs nouvelles par téléphone. Priez pour les malades, les soignants, qu'ils découvrent vraiment combien Dieu les aime. Et plus que tout, gardez confiance en Dieu : Il sait ce qui est bon pour nous. A nous de discerner et de nous attacher sans cesse à Lui.
PPS : désolé de la longueur du message, je ne pensais pas que cela prendrait autant de place...