Sur un
autre fil, Zef m’a sommé de déclarer ma position de libertarien, ou d'ultralibéral, sur l’avortement. Je m’exécute avec plaisir.
condamner [l’avortement] suffisamment haut et fort pour plaider en faveur d'une abrogation de la loi Veil et le retour à une loi replaçant cet acte à son niveau réel , celui de crime ? C'est à dire ne pas en faire un choix individuel privé, mais protéger l'enfant à naître par une juste coercition légale ? Qu'en disent nos trois libéraux ?
Bonjour Zef,
Il est intolérable pour un libéral,
parce que follement dangereux pour nous tous, qu’un gouvernement quelconque puisse décider à son bon plaisir
qui est un être humain et qui ne l’est pas.
Dans tel pays on est un être humain à 24 semaines de gestation et à ce titre protégé par la loi ; avant, on est une tumeur. Dans tel autre pays, c’est 20 semaines. Ou 22. Ou 16… On n’est pas un être humain pour avoir un père suborneur brutal. On n’est pas un être humain pour avoir une mère trop pauvre ou dépressive.
En l’absence d’évènement biologique, constatable scientifiquement, qui permettrait de repérer l’apparition de son humanité chez un embryon, il faut le déclarer humain dès sa conception. Le détruire à tout moment après cet évènement est donc bien tuer un être humain.
Tuer, néanmoins, peut être légitime. Notamment lorsqu’un agresseur menace la vie d’autrui. Si la grossesse ou l’accouchement présente un danger mortel pour la mère, l’avortement est assimilable à un acte de légitime défense. Peu importe
l’intention de celui dont la présence menace la vie d’autrui (et certes l’enfant n’a aucune
intention meurtrière !). S’il n’existe qu’une bouée de sauvetage et trois inconnus autour de moi, je considère a priori que ma vie vaut la leur, que je vivrai aussi bien s’ils ne sont plus de ce monde et je me cramponne à la bouée en les laissant se noyer. En revanche, je sais que la perte d'êtres chers, la femme que j'aime, notamment, m'affectera profondément. Et donc, dans ces situations de vie ou de mort, je n’aurai aucune hésitation à recommander à ma femme, à
toutes les femmes, avec la plus vive instance, d’avorter. Il appartient à la mère, et à la mère seule, de décider si elle souhaite se sacrifier, mais l’avortement en ce cas devrait être la norme afin de lui éviter de porter une trop lourde culpabilité. Je sais que je ne suis pas dans le droit fil du Magistère en défendant cette position :-( , mais encore une fois, je suis prêt à offrir ma vie pour quelques très rares personnes que je connais, que j’aime, dont j’apprécie les qualités, mais pas pour celui ou celle que je ne connais pas.
Certains chrétiens et législateurs humanistes vont plus loin. Ils admettent l’avortement en cas de viol. Le crime est immonde, certes, mais l’enfant en est innocent. L’avortement ne fait qu’ajouter une victime à celle qui existe. Le viol ne saurait constituer un motif juridiquement valable d’avortement.
Voilà exposée ma position personnelle. J’emploie dans cet article le mot
enfant où d’autres utiliseraient
embryon ou
fœtus, pour souligner mon parti pris. Mais je n’ignore pas d’autres approches.
Celles de certaines féministes gauchistes, par exemple. Elles recyclent l’argument libertarien de
John Locke en revendiquant la
propriété de soi : « Mon ventre est moi ». (Ces féministes gauchistes versent dans l’incohérence en s’opposant dans le même souffle à la prostitution, aux mères porteuses, à la vente d’organes, etc. Que peut bien signifier « Mon corps est à moi » si je n’ai pas le droit de le louer ni de le vendre
). Assurément, la propriété de son corps est indéniable. On ne saurait la réfuter sans la manifester dans l’acte même de la réfutation (l’objecteur ferait la démonstration de la pleine propriété de ses organes vocaux et de ses membres pour dire ou écrire qu’ils ne sont pas sa propriété). Soit. Les féministes poursuivent le raisonnement en constatant que l’enfant est perçu par certaines femmes comme un intrus dans leur corps. Or chacun a le droit d’évincer un intrus de sa propriété, même s’il s’y est aventuré par inadvertance et sans intention de nuire. L’avortement serait alors justifié comme cas particulier d’éviction d’un indésirable.
L’argument n’est pas idiot, mais disséquons-le.
Ceux qui attribuent à la propriété un caractère absolu, les libertariens américains, par exemple, admettent sans battre un cil qu’on flingue n’importe quel intrus sur son domaine. J’entends d’ici les féministes gauchistes glapir d’indignation. Mais, ô incohérence, elles exigent exactement la même loi du Far West en clamant : « Mon ventre est à moi, tuez l’indésirable. »
Cette logique libertarienne ‘propriétariste’ est-elle imparable ? Elle fonctionne si on l’applique au cas de viol. L’embryon est bien ‘entré par effraction’. Il est innocent, certes, mais, dans la mesure où un conscrit peut être tué avec impunité (si l’on en croit la théorie de la ‘guerre juste’ prônée par l’Eglise catholique et défendue ici par Popeye) alors que le malheureux ne voulait aucun mal aux habitants du pays attaqué, alors un enfant innocent envahissant la propriété de sa mère peut l’être aussi. Si l'on défend la
guerre juste, il faut accepter logiquement le refoulement de tous les intrus. Je crois que je suis plus cohérent que les juristes canoniques
en refusant toute légitimité, tant à une guerre qui implique de tuer des civils (conscrits) qu’à l’avortement en cas de viol.
L’argument ‘propriétariste’ vacille, me semble-t-il, dans les cas de rapports sexuels consentis. Les partenaires ne peuvent ignorer que la procréation est une conséquence possible de ces rapports, de même que l’accident est une conséquence possible de la pratique d’un sport. On fait tout pour l’éviter — et l’usage de contraceptifs manifeste cette prudence — mais on ne peut que s’y résigner s’il survient. (« C’est ainsi, c’est la vie » serait l’expression parfaitement appropriée).
L’intrus, dès lors, n’en est plus un. Il n’est pas entré par effraction. Une porte était restée ouverte. Et l’on serait bien coupable de le tuer en l’expulsant.
Or
c’est justement tuer que l’on veut. Et voici où l’argument des propriétaristes s’effondre totalement. Je discute peu d’avortement, mais chaque fois que je m’y suis risqué, j’ai émis l’hypothèse suivante : « La question de l’avortement ne sera-t-elle pas résolue un jour prochain lorsqu’on mettra au point un
utérus artificiel ? L’enfant sera délicatement extrait de l’utérus de la mère qui n’en veut point pour être remis à des parents qui l’adopteront à la fin de sa gestation. » Choc, émoi ! Tollé de mes amies ! « Il me serait intolérable, disent-elles en substance, que mon enfant vive quelque part, soit élevé par une autre femme, et puisse ressurgir dans ma vie. Je ne pourrais jamais
en faire le deuil. »
Oublié l’argument ‘propriétariste’. Il n’était qu’un cache-sexe. Posez la question autour de vous, vous verrez. Ce n’est pas « Mon ventre est à moi » qui est la revendication, c’est bien la mort de l’enfant.
Puisque vous me l’avez demandé, cher Zef, voilà à ce stade de ma réflexion et très schématiquement ma position sur l’avortement.
Cordialement
Christian