Mai 68

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Arzur
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Mai 68

Message non lu par Arzur » jeu. 22 mai 2008, 17:45

Mai 68, un séisme dans les Eglises
Par Henri Tincq.


René Rémond disait que Mai 68 avait fait en France trois principales victimes : l'université, le Parti communiste et... l'Eglise catholique. Tous les ingrédients de l'actuelle crise de langueur du christianisme se trouvent en effet dans l'explosion du carcan clérical, sous l'impact d'un double événement majeur et concomitant. Le concile Vatican II (1962-1965), par lequel l'Eglise catholique, en se réformant, acceptait "le risque de sa propre déstabilisation", comme l'observe l'historien Denis Pelletier (La Crise catholique, 1965-1978, Payot) ; puis Mai 68, qui allait saper l'autorité des Eglises, comme d'autres institutions porteuses de sens, de normes morales et prescriptions dogmatiques, trop insérées dans la culture du temps pour ne pas en subir les chocs et traumatismes.

Le constat est accablant. En 1950, l'Eglise catholique ordonne en France 1 033 nouveaux prêtres ; en 1965, ils ne sont plus que 646 ; en 1977, 97. Entre 1965 et 1980, 4 000 prêtres quittent les ordres. En quarante ans, le clergé chutera de moitié (moins de 20 000), séparé par un gouffre démographique entre les vieux prêtres, qui ont résisté, et les jeunes, en soif de reconquête. La crise des vocations n'est pas la seule. Une nouvelle " figure religieuse" émerge, écrit Jean-Louis Schlegel dans le dernier numéro d'Esprit : celle du catholique "qui n'obéit plus, ne conteste plus, part sur la pointe des pieds", celle du "croyant sans appartenance".

L'autorité des Eglises est frappée de plein fouet par des révolutions internes qui avaient commencé en amont et que Mai 68 a amplifiées. L'historien protestant Jean Baubérot rappelle que la première grève dans les facultés protestantes a commencé à Montpellier, le... 22 mars 1968. Dès le début des années 1960, de jeunes protestants se regroupaient autour d'une revue qui prône la libération sexuelle et presse leur Eglise de se dépoussiérer. En juin 1968, une "inter-communion" sauvage réunit des catholiques et des protestants dans un temple parisien. Paul Ricoeur est l'un des initiateurs : " Il y a des transgressions qui détruisent, d'autres qui, en détruisant, édifient.", écrit-il. Le pasteur Georges Casalis fait de l'utopie 68 "le nom d'une spiritualité nouvelle", le lieu "de signes, de rappels et d'échos de l'Evangile" (dans l'hebdomadaire Réforme du 14 mai).

Il y a aussi un "gauchisme catholique" qui lit Althusser (Denis Pelletier) et prétend retrouver la saveur des origines chrétiennes dans des "communautés de base" ou autour de figures emblématiques, comme Bernard Besret ou Jean Cardonnel, qui prêche le Carême à... la Mutualité sur le thème "Eglise et révolution". Le 21 mai, une quinzaine de personnalités catholiques et protestantes (dont Ricoeur) lancent un appel commun : "La présence des chrétiens à la révolution suppose et requiert la présence de la révolution à l'Eglise."

Un fossé de générations s'est creusé. Celle qui avait préparé Vatican II était la génération de la Résistance et des théologiens d'avant-garde (Congar, Chenu, etc.) en lutte contre l'intransigeance romaine. Pour eux, le concile était un aboutissement. Mais la génération chargée de l'appliquer est celle de Mai 68, d'une culture de la liberté et de la spontanéité. Pour elle, le concile n'est qu'un commencement. La réforme liturgique, avec ses débordements, suscite en réaction une contestation de type traditionaliste qui, malgré son faible poids, ne cessera plus, de Paul VI à Benoît XVI, de hanter les nuits des décideurs romains.

En pleine révolution sexuelle, Paul VI publie, le 25 juillet 1968, Humanae vitae, une encyclique sur l'amour qui dénonce toute contraception dissociant la sexualité de la procréation. La condamnation de la pilule fait l'effet d'une bombe. Des centaines de théologiens américains se rebellent et invitent les couples à désobéir. La conférence des évêques de France adoucit le caractère contraignant du texte et plaide la liberté de conscience. C'est le début d'une autre hémorragie, celle des couples, des médecins, des scientifiques, qui ne va plus cesser devant les autres incursions du magistère, au nom de la lutte contre le "relativisme éthique", dans le domaine de l'intime : condamnation du divorce, de l'avortement, des relations homosexuelles, des recherches sur l'embryon.


LES "HÉRITIERS PARADOXAUX"


Quarante ans après, personne ne nie l'échec de ce "gauchisme" des Eglises. Les contestataires ont disparu ou perdu la partie. Plus aucun acteur sérieux ne croit qu'une révolution mettra fin à la crise. Les fruits de Mai 68 sont chez ceux qui, comme Maurice Clavel, ont misé sur un sursaut de l'esprit. Et il y a plus d'un lien à faire entre l'ébullition de Mai et l'émergence d'un "Renouveau" de type charismatique chez les catholiques, pentecôtiste chez les protestants. Conversion, engagement radical, attestation sans complexe de la foi en Dieu : les charismatiques sont les "héritiers paradoxaux" de Mai 68, constate Denis Pelletier. Ils bouleversent les cadres établis de l'évangélisation. En 1975, le pape bénit ce "nouveau Printemps".

Héritiers paradoxaux, car c'est bien une ligne anti-Mai 68 qui a triomphé. Revanche de ceux qui avaient dû se taire face à la contestation des curés, à la confusion entre Evangile et révolution. Ceux qui, comme Jean-Marie Lustiger, aumônier du centre Richelieu à la Sorbonne, ne voyaient dans les événements que "foutoir" et manipulation. Ceux qui, comme Josef Ratzinger, théologien réformateur à Vatican II, ont pris leurs distances avec une application désordonnée du concile. Depuis, comme pape, Ratzinger défend une interprétation du concile " en continuité", et non "en rupture", dit-il, avec la tradition de l'Eglise, au risque de sembler donner des gages aux intégristes.

Avec d'autres théologiens (Henri de Lubac, Hans-Urs von Balthazar), autour d'une revue internationale comme Communio, ces hommes ont misé sur une ligne de réaffirmation de l'identité catholique et de l'autorité dans l'Eglise. Ils ont rejoint un pape polonais ayant fait l'expérience de la "révolution", et la plus tyrannique, celle qui réprime les croyants. Jean Paul II a conduit son pontificat au nom de l'"attestation" de la foi, de l'ouverture au monde, mais sans compromis avec lui. Il a fait de la formation, de la communication moderne, des rassemblements de masse les piliers d'une "nouvelle évangélisation". Ces hommes au pouvoir dans l'Eglise ont été les héritiers à la fois du concile, dans son interprétation la plus rigoureuse, et d'un besoin de liberté et de dialogue qu'ils ont fini par reconnaître, malgré des concepts intellectuels jugés mortifères, dans le mouvement de Mai.

tincq@lemonde.fr
Henri Tincq

Source : Journal le Monde
http://www.lemonde.fr/opinions/article/ ... _3232.html

Henri Tincq emploit le terme Eglises pour parler des communautés ecclésiales protestantes, or celle ci ne peuvent s'appeler Église (Cf. Vatican II et Dominus Iesus).
Mis à part cette erreur, pour une fois, je suis entièrement d'accord avec monsieur Tincq ! :)

Voici un article sérieux que je vous propose de lire.



Iesus Veritas Est
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La langue Bretonne et la foi sont frère et soeur en Bretagne !

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Théophane
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Re: Mai 68, un séisme dans l'Eglise

Message non lu par Théophane » ven. 23 mai 2008, 11:36

Cet article est en effet très pertinent. Il faut cependant prendre garde de ne pas assimiler le Concile Vatican II à une révolution (l'auteur de l'article a assez de discernement, il me semble, pour ne pas tomber dans ce piège). En effet, si nous lisons les textes du Concile, nous nous apercevons qu'ils se situent dans la continuité de la Tradition catholique et témoignent d'une grande fidélité à celle-ci.

Le reste de ce texte décrit très bien la réalité. Je pense que le "gauchisme" catholique auquel il fait allusion, et qui est un véritable fléau, a tendance à se résorber peu à peu. Cela me gêne quelque peu d'assimiler le relativisme et la décadence à la gauche, étant donné qu'il me semble tout à fait compatible d'être catholique et de gauche dans la vie politique. C'est là un autre débat. Pour en revenir à ce que je disais, cette mentalité consternante est en train de s'effacer peu à peu. Si nous avons quelques années derrière nous, nous pouvons nous en apercevoir. Voilà dix ans que j'ai fait ma première communion, et je garde quelques souvenirs d'enfance qui, en les considérant à nouveau aujourd'hui, me donnent une image pour le moins étrange du catholicisme. Je me rappelle par exemple de revues catholiques proposant la vente du Coran, de messes "branchées", de catéchèses qui ne portaient pas sur la doctrine chrétienne mais plutôt sur la nocivité du tabac (cela ne m'a pas empêché de devenir fumeur) ou l'immoralité du racisme. Un autre point, et qui me semble considérable, est l'abandon presque total du sacrement de confession. Bien que je faisais partie de la paroisse la plus importante de ma ville, je ne me suis pas confessé au moment de ma première communion.

Aujourd'hui, tout semble rentrer peu à peu dans l'ordre. Je m'en aperçois avec beaucoup de satisfaction lorsque je vois certains changements autour de moi, dans mon diocèse : les messes redeviennent dignes, nobles, belles, dépourvues de fantaisies, les cours de catéchisme parlent de choses sérieuses et doctrinales, les enfants qui se préparent à recevoir l'eucharistie sont invités à se confesser, les prêtres et les religieuses retrouvent les signes distinctifs qui manifestent leur état de façon publique, leur place est rendue aux dévotions importantes de l'Eglise, telles que la piété mariale ou le culte eucharistique et... (même si ce n'est qu'un détail), de magnifiques portraits de Benoît XVI trônent dans les salles paroissiales.

De nos jours, les jeunes qui choisissent de s'engager vraiment dans l'Eglise, que ce soit dans le sacerdoce, la vie consacrée ou le mariage, recherchent un certain idéal qui n'accepte pas de compromis ni de médiocrité. C'est une très bonne chose, et je fais partie de cette génération qui a été abreuvée à l'excès d'une religion édulcorée construite sur le modèle du do it yourself. À présent je me sens vraiment bien dans l'Eglise et je me réjouis de voir que je ne suis pas le seul jeune catholique qui est "fan" du Souverain Pontife ou qui apprécie les prières en latin.
« Être contemplatifs au milieu du monde, en quoi cela consiste-t-il, pour nous ? La réponse tient en quelques mots : c’est voir Dieu en toute chose, avec la lumière de la foi, sous l’élan de l’amour, et avec la ferme espérance de le contempler face à face au Ciel. »
Bienheureux Álvaro del Portillo (1914-1994)

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Re: Mai 68, un séisme dans l'Eglise

Message non lu par Théophane » sam. 24 mai 2008, 9:16

Tant que nous y sommes, si certains sont intéressés, il y a aujourd'hui un colloque au Centre culturel Garnelles (Paris) sur le thème "Mai 68, entre héritage et inventaire". Il y a plusieurs conférences, de 10 h 30 à 17 h 30. Je compte y aller sans doute cet après-midi.
« Être contemplatifs au milieu du monde, en quoi cela consiste-t-il, pour nous ? La réponse tient en quelques mots : c’est voir Dieu en toute chose, avec la lumière de la foi, sous l’élan de l’amour, et avec la ferme espérance de le contempler face à face au Ciel. »
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mai 68

Message non lu par Virgile » ven. 10 févr. 2012, 11:58

salésienne05 a écrit :Et j'avoue en avoir marre de ces catholiques qui conspuent sans cesse 1968 comme si un évènement isolé dans l'histoire pouvait être la cause de tous les maux. Sans que jamais personne ne s'interroge sur l'étouffement qui réganait aussi avant 1968... Il est arre qu'une "révolution" ne naisse de rien...
Bonjour,

mais d'autres peuvent en avoir également et légitimement "marre" qu'on leur serve une vision très mythologisée de "Mai 68" - qui n'est pas une "révolution", même avec des guillements, mais le plus important mouvement social de la France contemporaine.
Résultat politique nul, bien entendu, à part la victoire du Général aux élections suivantes - en revanche succès social et culturel complet : la quasi totalité de ce que nous avons aujourd'hui sous les yeux en matière de société et de culture procède de cette épisode éminemment burlesque de l'histoire de France... d'où un certain nombre de perplexités, de critiques et de questions à ce sujet.

Amicalement.
Virgile.

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Re: Manifeste des chrétiens indignés

Message non lu par Aldous » ven. 10 févr. 2012, 12:20

Bonjour,
vous dites le plus important mouvement social de la France contemporaine mais on sait que non seulement social c'est aussi et peut-être avant tout un grand mouvement culturel de fond. (d'ailleurs vous le dites vous-même aprés: succès social et culturel complet ).

Votre appréciation que c'était burlesque c'est votre mais pour ceux qui l'on vécu directement (dont je ne suis pas, j'étais trop jeune), ils disent avant tout que c'était un grand moment de partage, de discussion, de remise à plat, de fête, de création, bref on peut dire d'humanité quelque part (sans oublier les excés, mais que ne serait un tel mouvement sans cela). Quant à ce qu'il en reste, c'est mitigé à mon avis: sur certain points, ça mérite réflexion (sur l'autorité scolaire par exemple?) mais d'autre part on ne peut concevoir l'homme (adulte) sans liberté.

Et comme le dit Salésienne à sa façon: il n'y a pas de fumée sans feu. Si ce mouvement a eu lieu c'est qu'il est symptomatique de quelque chose qui était arrivé à bout de souffle dans la société.

Cordialement,

Virgile
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Re: Manifeste des chrétiens indignés

Message non lu par Virgile » ven. 10 févr. 2012, 14:02

Aldous a écrit :Votre appréciation que c'était burlesque... Et comme le dit Salésienne à sa façon: il n'y a pas de fumée sans feu. Si ce mouvement a eu lieu c'est qu'il est symptomatique de quelque chose qui était arrivé à bout de souffle dans la société.
Ce qui était arrivé à bout de souffle c'est surtout l'intelligence et la santé spirituelle des "jeunes" de 68. Et ce qui est essentiellement burlesque c'est de voir une génération entière se plaindre d'"étouffer" dans la société et puis dans l'Eglise par la même occasion - et d'en prendre le prétexte pour tout ficher en l'air en se souciant comme d'une guigne des conséquences du désastre: burlesque parce cette génération en est toujours restée à l'âge de la crise d'adolescence - jamais coupable de rien, jamais responsable de rien, mais désirant tout de même recevoir les fabuleux privilèges de l'âge adulte.

Comme le souligne Charles, le leg est impressionant: j'y ajoute l'ignorance massive des générations suivantes dans pratiquement tous les domaines exceptés ceux de l'intérêt personnel et du profit immédiat, et le sentiment - cette fois-ci bien réel et autrement dramatique, d'"étouffer" dans une société sans horizon spirituel, sans espérance et sans joie.

V.

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Re: Manifeste des chrétiens indignés

Message non lu par Aldous » ven. 10 févr. 2012, 14:13

Virgile a écrit : cette fois-ci bien réel et autrement dramatique, d'"étouffer" dans une société sans horizon spirituel, sans espérance et sans joie..
A mon avis c'est exactement ce que ressentait la jeunesse à l'époque.

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Re: Manifeste des chrétiens indignés

Message non lu par Pneumatis » ven. 10 févr. 2012, 14:22

Je souscris à ce que disent Charles et Virgile, mais suis comme Cécile enclin à penser qu'une révolution ne part pas de rien. Les germes de cette "révolution" dite contre-culturelle sont sans doute à chercher dans une première forme de sécularisation de notre culture, qui n'avait déjà plus ses fondements dans la foi, mais dans une "obéissance à la loi" et donc d'une culture qui était devenu étouffante.

Ceci cette révolution a donné un grand n'importe quoi, comme l'expliquent Charles et Virgile : un mouvement contre-culturel qui est confronté aujourd'hui à son propre paradoxe d'être devenu culturel et donc de vider la culture de son essence. Parce qu'une contre-culture n'a rien pour fonder une culture. Le résultat de mai 68, c'est une culture exclusivement consumériste, apothéose de l'utilitarisme : tout doit être du prêt à consommer (et à échanger si non satisfait), des biens matériels aux religions, en passant par la personne humaine, le corps, les relations, ... Tout se consomme et tout s'échange. C'était ce qui était prôné par l'élan libertaire de mai 68. La conséquence supplémentaire et directe aujourd'hui, c'est que tout s'achète aussi désormais. Superbe révolution !

Comme dit dans l'article sur Liberté Politique sur l'écologie humaine : "Libéralisme et libertarisme sont en fait les deux faces d'une même médaille : comment ne pas voir le lien étroit entre la cupidité devenue valeur de référence et le non-respect de la vie humaine ?"
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Re: Manifeste des chrétiens indignés

Message non lu par Virgile » ven. 10 févr. 2012, 14:24

Aldous a écrit :
Virgile a écrit : cette fois-ci bien réel et autrement dramatique, d'"étouffer" dans une société sans horizon spirituel, sans espérance et sans joie..
A mon avis c'est exactement ce que ressentait la jeunesse à l'époque.
Et alors?
Cela signifie simplement que les jeunes sont aujourd'hui plus adultes que ceux d'hier: il ne "font" pas mai 68, eux. Sans compter que certains d'entre eux sont trop occupés à reconstruire ce qui a été détruit et n'ont pas de temps à perdre à s'"amuser" à "interdire d'interdire" et autres loufoqueries de "sous les pavés la plage"...

V.

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Re: Manifeste des chrétiens indignés

Message non lu par Aldous » ven. 10 févr. 2012, 14:30

Pneumatis a écrit : La conséquence supplémentaire et directe aujourd'hui, c'est que tout s'achète aussi désormais.
Bonjour,
Je partage tout ce que vous dites Pneumatis: mai 68 a une cause (qui n'est pas n'importe quoi) mais ses conséquences sont à revoir.
Sauf sur le point que je cite extrait de votre post. C'est-à-dire que déjà à l'époque la marchandisation de tout était fustigée. Je vous renvoie à Guy Debord et sa Société du spectacle (1967) que vous connaissez certainement (et même K. Marx qui déjà bien avant dénonçait que tout se vende et s'achète).

« La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une "immense accumulation de marchandises". »
(première phrase du Capital de Marx)
« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. »
(première phrase de La Société du Spectacle)

Bien à vous

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Re: Manifeste des chrétiens indignés

Message non lu par salésienne05 » ven. 10 févr. 2012, 15:41

Mes parents étaient des purs "soixante-huitard", entendus qu'ils avaient 18 ans en 1968. Issus de familles "bourgeoises" marseillaises. Mon père a appris cette année là au service militaire que des jeunes de son âge ne mangeaient pas à leur faim... Ma mère, en débutant ses études d'infirmière a appris grâce aux grands "forums" qui étaient organisés ci et là, que de très nombreuses jeunes filles de son âge vivaient dans la misère, étaient victimes de leur maris violents (à 18 ans !) imposés par les parents... Et pourtant, mon père était scout et ma mère élevée dans un pensionnat catholique où la seule chose qu'elle ait apprise sur Dieu, c'est qu'Il s'occupait avant tout des problèmes sexuels et corporels (étant donnée l'insistance des soeurs sur le sujet).

Mes parents ont choisi des voies contraires aux souhaits familiaux pour aider les autres (enseignement public pour mon père en tant qu'instituteur, et école d'infirmière pour ma mère). Ils n'ont jamais prôné la pornographie, la débauche, ou je ne sais quoi d'autres. Et la plupart de leurs amis partageant leurs idéaux sont plutôt du genre à être engagés auprès des plus démunis, et n'ont pas des vies de débauchés...

La débauche a toujours existé. N'avez-vous donc jamais eu la curiosité de lire les oeuvres libertines et érotiques du 16ème, 17ème, 18ème siècle ? Croyez-moi, en dehors des images, ce n'est guère plus reluisant que quelques siècles plus tard.

Un vrai vent de liberté a soufflé pour ceux qui ont vécu mai 68, et notamment la jeunesse, qui était complètement assujettie à la coupe parentale. Certains, il est vrai, le plus grand nombre, se sont servis des manifestations pour rater les cours, fumer ou "forniquer"... mais cette jeunesse là, un peu légère, a toujours existé et n'a pas attendu mai 1968 avant de se manifester. De tout temps, il a existé des pauvres filles engrossées, des hommes et des femmes libertins, des iconoclastes, des gens peu recommandables, ou des jeunes simplement insouciants.

Le problème de notre société, c'est que l'image a pris le dessus et qu'il est très difficile de s'y soustraire. Par exemple, pour une mère de famille comme moi, qui ai des enfants dont l'aîné de 7 ans sait déjà très bien se servir d'un ordinateur, je tremble que certaines images apparaissent, malgré les divers contrôles parentaux.

Par ailleurs, je trouve très réducteur de résumer une société à ce qu'elle fait ou non avec le sexe. Personnellement, je trouve qu'il y a des sujets bien plus graves, moralement parlant, que la sexualité... Et notamment que des hommes puissent encore mourir de faim et de froid dans notre pays.

Quant à la foi... là aussi, c'est un leurre que de penser que les hommes étaient plus saints à d'autres époques, ou plus croyants. Plus pratiquants certainement, mais c'était souvent sous le poids de la tradition et de l'éducation. Là aussi, quand on lit les hagiographies et biographies, même fort lointaines, la vie de foi ne va pas de soi. Même dans les temps où le problème de la foi ne se posait pas réellement, la majorité du petit peuple n'en avait cure. Par contre, la société baignait dedans, ce qui ne faisait pas plus de vrais croyants au final. Saint François de Sales, de son temps, se plaint déjà du manque de croyants, remarque les moqueries des gens vis à vis de la religion, mets en garde ses dévotes contre les empêchements qu'elles peuvent avoir en leur dévotion à cause de l'ensemble des mondains qui les entourent...

Lire les romans de ces époques lointaines est très instructif... Le vernis était sans doute lisse car la loi allait dans ce sens, mais par derrière, les choses étaient exactement les mêmes que de nos jours. Nous sommes les dévots d'aujourd'hui, et nous serons toujours entourés de mondains, même si les modalités de la mondanité ont changé (et qu'elles sont bien plus visibles).

Fraternellement.

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Re: Manifeste des chrétiens indignés

Message non lu par Suliko » ven. 10 févr. 2012, 15:56

Quant à la foi... là aussi, c'est un leurre que de penser que les hommes étaient plus saints à d'autres époques, ou plus croyants. Plus pratiquants certainement, mais c'était souvent sous le poids de la tradition et de l'éducation. Là aussi, quand on lit les hagiographies et biographies, même fort lointaines, la vie de foi ne va pas de soi. Même dans les temps où le problème de la foi ne se posait pas réellement, la majorité du petit peuple n'en avait cure. Par contre, la société baignait dedans, ce qui ne faisait pas plus de vrais croyants au final. Saint François de Sales, de son temps, se plaint déjà du manque de croyants, remarque les moqueries des gens vis à vis de la religion, mets en garde ses dévotes contre les empêchements qu'elles peuvent avoir en leur dévotion à cause de l'ensemble des mondains qui les entourent...
Je ne suis pas d'accord. Il n'y a en France pas plus de 4% de catholiques pratiquants, alors même si autrefois tous n'étaient pas plus saints, cela fait quand même une société bien plus croyante et pieuse qu'aujourd'hui. Je ne sais pas ce que vous entendez par vrais croyants, mais lorsque nous voyons la richesse de ce que les générations passées nous ont laissé dans le domaine religieux, on ne peut objectivement soutenir que nous ne sommes pas moins croyants aujourd'hui.
Par ailleurs, vous parlez du "poids" de la tradition et de l'éducation. Sachez qu'aujourd'hui, c'est sous le poids du matérialisme et du relativisme que se trouve la jeune génération.
C'est pourquoi elle seule, prédestinée avant les générations et annoncée par les prophètes, la Mère du Créateur de tout l'univers, non seulement n'a participé en rien à la tache originelle, mais elle est toujours demeurée pure comme le ciel et toute belle. (extrait du règlement pour le monastère de Biélokrinitsa (1841)

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Message non lu par Virgile » ven. 10 févr. 2012, 16:48

Aldous a écrit :Guy Debord et sa Société du spectacle (1967) que vous connaissez certainement
Bonjour,

soyons sérieux, Debord était d'abord un énorme plaisantin : il ne dénonce rien du tout - il s'est juste amusé à "détourner" la culture de gauche - et sa Société du spectacle n'est qu'une fumisterie extraordinairement réactionnaire.
Au fond, l'appréciation de François Truffaud sur le personnage est très juste: un Tartuffe.
Son seul objectif c'était d'être "indiscutable", et sa seule contribution à l'histoire de la "pensée" aura été la grande mystification constituée par l'Internationale situationiste plus, ce qui n'est pas rien, le film le plus ennuyeux de l'histoire mondiale du cinéma : In girum imus nocte et consumimur igni - même Agnès Varda ou Duras n'auraient pas osé pondre un truc pareil!!!

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Re: Manifeste des chrétiens indignés

Message non lu par Aldous » ven. 10 févr. 2012, 17:18

Un plaisantin qui a quand même allumé la mèche de 68 et dont on parle encore beaucoup aujourd'hui (et qu'on étudie même...).. (alors un plaisantin oui, mais pas un petit! )

http://www.monde-diplomatique.fr/2006/0 ... ETTA/13756

Ah non allez voir les films d'Andy Warhol c'est encore mieux! :cool:

Quoiqu'il en soit, le fait que tout soit devenu une marchandise à notre époque n'est pas la conséquence de 68. Le concept de marchandisation existe depuis trés longtemps (depuis Marx; et Debord l'a relayé quoique vous en pensiez)

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Re: Manifeste des chrétiens indignés

Message non lu par Virgile » ven. 10 févr. 2012, 17:41

Aldous a écrit :Ah non allez voir les films d'Andy Warhol c'est encore mieux! :cool:
Il n'y a aucune différence qualitative entre les productions d'Andy et celles de Guy. Andy est un peinturlureur honnête - il annonce la couleur : on se doute qu'à aller regarder Sleep l'action ne risque pas d'être mouvementée... Guy est un gros traître qui nous aguiche avec un flamboyant palindrome et nous laisse tomber des nues dès la première seconde de son "film"...

Le petit baigneur et les Tontons flingueurs : voilà des films intelligents! :-D

V.

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