Elle a été présentée dans un livre avant qu’il n’accède à l’épiscopat (Les raisons de croire, Fayard, 1987) mais elle a été reprise lors d’une conférence du 2 juillet 1998 :
http://www.lemediateur.net/projetnouvea ... 1/d21b.htm
Quelques extraits permettent de la présenter avec des questions qu’elle suscite :
Mgr Léonard part de « cette intégrité originelle de l’homme et du cosmos » (p. 205) et constate que « Dieu n’a pas fait la mort » (p. 206). « Mais, objectera-t-on, la mort et même le péché ne font-ils pas manifestement partie des « lois de la nature » ? » (p. 207).
Est-ce que les choses « meurent » ? Le grain de blé qui tombe en terre pour y pourrir et permettre le germe d’un blé nouveau « meurt » t-il ? Peut-on parler de « péché » de la nature, des choses ?
Dans une telle perspective, que devient l’humanité pendant les milliards d’années lumière précédant l’arrivée de l’homo sapiens ?Mgr Léonard a écrit : Si donc nous voulons maintenir l’affirmation chrétienne de l’intégrité originelle de l’homme et de l’univers tout en prenant acte du caractère naturel du mal dans le monde présent, il nous faut logiquement conclure que c’est l’ensemble du monde présent, avec ses lois inexorables, qui n’est pas naturel … La création telle qu’elle est sortie des mains de Dieu était intègre … la corruption du monde présent s’est inscrite jusque dans les lois de la nature … la contagion du péché, porteuse de mort, s’est installée jusqu’au cœur de la nature, jusque dans les lois de fonctionnement, qui acheminent désormais tout être vivant vers sa mort…
La rupture causée par le premier péché n’est donc pas une variation comparable aux modifications survenues dans l’univers présent au cours de son évolution cosmologique, géologique, climatologique ou historique. Il s’agit d’une altération qui, tout en préservant son identité foncière, atteint cependant sa qualité d’être, sa condition ontologique ou, en termes plus simples, son niveau ou son degré d’existence…
Notre monde est bien le même que connut le premier Adam avant la chute, et notre humanité présente reste substantiellement identique à la sienne. Cependant, entre lui et nous, comme entre la création originelle et le cosmos présent, il y a aussi une discontinuité, une rupture qualitative…
A ce point de notre réflexion, une conclusion décisive se dégage : il ne faut donc pas se représenter la chute originelle comme se produisant à l’intérieur du monde présent…
Autrement dit, le péché originel n’a pas été commis par les premiers hominisés de l’évolution biologique … dans cette perspective, le passage du monde réel avant la chute au monde réel après la chute est tout aussi irreprésentable par l’imagination, ou même par la science, que le passage de ce monde-ci au monde nouveau de la Résurrection (p. 207-211)…
C’est exactement, en effet, l’autre point de vue que Mgr Léonard envisage et que, personnellement, je préfère défendre.Mgr Léonard a écrit : Certains lecteurs préféreront s’en tenir à la représentation courante selon laquelle Adam et Ève désignent les premiers hommes issus de l’évolution biologique à l’intérieur du monde actuel et de notre histoire présente … en ce qui concerne l’origine (la protologie), ils jugeront nécessaire de situer le Premier Adam dans le temps de l’évolution et de placer le paradis terrestre dans un coin déterminé de la planète. Si on le juge indispensable, on peut s’en tenir à cette vision des choses (p. 221)
Effectivement, dans cette autre perspective, Adam et Eve sont susceptibles de mourir s’ils mangent un fruit défendu et sont dotés « des dons préternaturels d’immortalité, de science et d’intégrité ».Mgr Léonard a écrit : dans cette perspective, Adam et Eve naissent fragiles et mortels comme tout être vivant à l’intérieur de ce monde, et cela en dépit de l’infusion en eux de l’âme immortelle créée immédiatement par Dieu. Il faut alors se représenter que Dieu les dote par miracle des dons préternaturels d’immortalité, de science et d’intégrité et les entoure d’un paradis terrestre artificiel échappant aux lois de la nature (p. 221)
une sorte de réserve préternaturelle située à l’intérieur du cosmos tel qu’il est maintenant, une région qui échapperait aux lois réelles du monde présent, où se trouverait un hominisé récent, doué d’une perspicacité intellectuelle sans faille, d’une volonté sans défaillance, d’une responsabilité inouïe à l’égard de toute l’humanité et du cosmos, échappant par un miracle permanent à la souffrance et au déclin, au vieillissement et à la mort... S’il faut se représenter comme cela l’intégrité originelle, je comprends que l’on s’en débarrasse intellectuellement, qu’on y renonce ou qu’on déclare que c’est simplement du mythe au sens superficiel du terme.(Conférence du 2 juillet 1998)
Par contre, dans le monde « bon » que Dieu a créé, pourquoi faudrait-il nécessairement un « paradis terrestre artificiel échappant aux lois de la nature » ? Toute la terre était en harmonie avec l’homme. L’homme créé domine toute chose, domine les lois de la nature, comme le Christ pourra le faire lui-même. L’homme a été créé pour ordonner la création sous sa maîtrise.
Le simple renouvellement naturel des choses n’est pas une destruction ou une mort. Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme sans cesse dans le monde matériel. La mort concerne la destruction de la personne ou de la nature dont le contrôle est perdu.
La déchéance actuelle du monde ne s’explique-t-elle pas suffisamment par le fait que l’homme n’en a plus le contrôle, la maîtrise ? Le monde déchu est désordonné à cause de l’homme.
Le cardinal Joseph Ratzinger, devenu actuellement notre pape, me semble rester proche de « la représentation courante » évoquée ci-dessus, dans un petit ouvrage (Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, Fayard, 1986).
Ici, nous rejoignons l’histoire bien concrète de l’homme, son origine « dans le règne animal » qui fait l’objet des « connaissances scientifiques ».Le cardinal Joseph Ratzinger a écrit : on constate … la disparition presque totale du message de la Création dans la catéchèse, la prédication et la théologie. On cache les récits de la Création, leur signification est considérée comme n’étant plus supportable… je me suis rendu compte plus clairement encore de l’urgente gravité du problème de la Création dans la prédication actuelle… (p. 9).
Si l’on nous dit de distinguer entre images et sens, nous pouvons objecter : pourquoi ne l’a t-on pas dit plus tôt ? Car il semble bien que l’on ait enseigné auparavant autre chose : il n’aurait pu y avoir autrement de procès Galilée. On en vient finalement à soupçonner cette thèse de n’être qu’un subterfuge de l’Eglise et des théologiens, qui ne savent vraiment plus quoi faire, mais sans vouloir l’avouer, et qui cherchent ainsi quelque artifice derrière lequel se retrancher…
Mais nous ne pouvons échapper à la crainte d’être peu à peu poussés dans le vide, et que vienne le moment où il n’y aura plus rien à préserver, à protéger, où tout le domaine de l’Ecriture et de la foi sera occupé par un rationalisme peu enclin à prendre tout cela au sérieux. A quoi s’ajoute une autre inquiétude. Si les théologiens ou même l’Eglise peuvent modifier de la sorte les limites entre image et contenu, les frontières entre ce qui se perd dans le passé et ce qui garde aujourd’hui une valeur, pourquoi ne pas faire de même en d’autres domaines, par exemples celui, des miracles de Jésus ? Et pourquoi pas même jusqu’au cœur, là où se trouvent la Croix et la Résurrection du Seigneur ? Une argumentation qui prétend défendre la foi en disant « Derrière ce qui est écrit et que nous ne pouvons plus défendre, il y a quelque chose de plus profond », une telle argumentation finit par être davantage un péril pour la foi. C’est alors, en effet, que se pose … la question de savoir s’il subsiste encore quelque chose de solide. Après de telles explications théologiques, plus d’un est resté finalement sur l’impression que la foi de l’Eglise est une sorte de méduse que l’on arrive pas à rattraper, dans laquelle on ne peut rien trouver de ferme » (p. 16-18).
Tout cela est bien beau, peut-on se dire aujourd’hui, mais, en fin de compte, n’est-ce pas déjà réfuté par nos connaissances scientifiques sur l’origine de l’homme dans le règne animal (p. 57-58).
Il s’agit ici de considérer la création et l’évolution ensemble et non d’envisager un monde antérieur comme une « grosse boite dans laquelle les choses ont été mises telles quelles », de considérer l’apparition des premiers humains avant et en dehors de cette évolution.Le cardinal Joseph Ratzinger a écrit : les progrès de la pensée … nous aident ici encore à comprendre sous un jour nouveau l’unité interne de la Création et de l’évolution, de la foi et de la raison. Ce fut une découverte caractéristique du XIXè siècle que d’appréhender les choses dans leur histoire, leur développement… l’univers n’est pas une espèce de grosse boite dans laquelle les choses ont été mises telles quelles, mais est comparable à un arbre vivant , en croissance et en devenir… avec les progrès de la recherche, la façon de le comprendre correctement apparaît de façon de plus en plus claire…(p. 58-59)
La création de l’homme, comme l’indique la science, se produit bien par une action de Dieu dans l’évolution, dans le temps et dans l’espace. Sans tension, ni discordance entre la science, la raison et la foi.Le cardinal Joseph Ratzinger a écrit : D’après les lois physiques, la vie pouvait apparaître mais n’était absolument pas nécessaire. Monod ajoute ici qu’il était extrêmement improbable qu’elle fasse son apparition. … c’est très certainement une fois unique, et sur notre terre, que s’est produit cet événement hautement improbable de l’apparition de la vie.
Selon cette seconde constatation, cet être mystérieux qu’est l’homme pouvait exister sans qu’il y en eut aucune nécessité. Lui aussi est si improbable que Monod, en tant que scientifique, observe que son apparition n’a probablement pu se produire qu’une seule et unique fois. (p. 60)
Abordons maintenant directement le problème de l’évolution et de ses mécanismes… La stabilité existe et se manifeste de telle manière que chaque organisme transmet strictement son modèle… Il se reproduit exactement lui-même…
Monod trouve cependant une voie pour l’évolution dans le constat qu’il peut y avoir erreur de transmission dans la propagation du modèle. Comme la nature est conservatrice, cette erreur, une fois qu’elle s’est produite, se propage. De telles erreurs peuvent s’ajouter, et de leur somme peut surgir quelque chose de nouveau. Monod en tire alors une conclusion stupéfiante : c’est de cette manière que s’est fait l’univers du vivant, c’est de cette manière que s’est fait l’homme. Nous sommes le produit d’erreurs dues au hasard.
Que pouvons-nous dire d’une telle réponse ? Cela reste l’une des taches de la science d’expliquer dans le détail … Mais nous devons avoir le courage de dire : les grands projets du vivant ne sont pas des produits du hasard et de l’erreur. Ils ne sont pas davantage les produits d’une sélection à laquelle on attribue des propriétés divines qui, dans ce contexte, illogiques et non scientifiques, ne sont qu’un mythe moderne.
Les grands projets du vivant révèlent une raison créatrice. Ils nous montrent l’Esprit Créateur d’une manière aujourd’hui plus lumineuse et resplendissante que jamais. Aussi pouvons-nous dire aujourd’hui, avec une certitude et une joie nouvelles : oui l’homme est un projet de Dieu… L’homme n’est pas une erreur, il est voulu, il est le fruit d’un amour.(p. 61-64).
Les questions sont manifestement aussi difficiles pour les évêques que pour les simples fidèles.