(suite et fin, car je fatigue
)
4.2 Les contre-vérités et la méthode du livre de Pierre Perrier
Un érudit (c’est Pierre Perrier qui se présente ainsi) qui dès le début de son livre écrit qu’il est
notoire que le bouddhisme est arrivé en Chine au IIème siècle est discrédité.
Je ne suis qu’un amateur, mais j’ai lu depuis 20 ans plus de 500 livres sur l’histoire antique. Je n’ai jamais trouvé ce type de contre-vérité.
Pierre Perrier sait que c’est faux, mais son affirmation lui permet de montrer que le songe de Mingdi, qui a réellement eu lieu au 1er siècle (d’après lui) ne peut pas se rapporter au bouddhisme, ce qui ouvre la voie à l’hypothèse d’une vision du Christ. C’est donc une tromperie.
Toutes les phrases du livre relatives au texte du songe de Mingdi ne laissent aucun doute au lecteur sur le fait que la traduction de Pierre Perrier est faite sur un texte parfaitement connu. J’ai relevé 45 expressions du type « rigueur », « il est clair », « c’est notoire » devant ses affirmations.
Quand on connaît l’explication finale, improbable et invérifiable, on doit admettre que c’est une tromperie.
Quand on sait que Pierre Perrier a modifié les noms des émissaires bouddhistes pour tenter de faire croire à une étymologie araméenne, c’est une tromperie.
Pierre Perrier fait allusion à une tombe chrétienne sans mentionner le rapport contradictoire écrit en 2007.
Pour n’importe quel amateur d’histoire, ces uniques 4 faits sont largement suffisants pour complètement discréditer son auteur.
4.3 L’analyse de la fresque de Kong Wang Shan
Pour pouvoir discuter pertinemment son analyse, n’importe quel historien doit aller la voir sur place.
Un reportage photographique examiné « en usant des capacités de traitement d’images de mon ordinateur » (page 77) est largement insuffisant dans un contexte « normal ». Venant après les tromperies précédentes, cela ne peut que susciter une énorme méfiance.
Je ne peux donc pas faire une contre-analyse pertinente, mais seulement donner mes impressions :
L’interprétation ne peut être que subjective, mais je suis quand même très gêné par la restitution des photos en dessins :
- Le 1er personnage me semble bien asiatique sur la photo et beaucoup moins sur le dessin, grâce à des yeux nettement arrondis
- Le T figurant sur le corps de ce personnage est transformé en croix
- Je ne vois pas sur les photos les autres croix représentées sur le dessin 5.2, et encore amplifiées sur le dessin de la page 225
- L’enfant de la Vierge est impossible à deviner, et il est particulièrement maladroit d’avoir fait figurer une Vierge aux yeux bleus
Je suis encore plus gêné par les représentations de croix latine du dessin 5.2 car les chrétiens n’ont pas utilisé le symbole de la croix latine avant le IIe siècle. Elle apparaissait avant sous des formes dissimulées (mât, ancre, ascia,…) [voir par exemple dans « Les premières images chrétiennes » de Frédérick Tristan (1996)]
Je suis également très gêné par les représentations d’auréoles des dessins 10.2 à 10.4, car les auréoles ne sont représentées par les chrétiens qu’à partir du IIIe ou IVe siècle (Référence déjà donnée).
Bref, ce dossier photos et dessins ne me convainc pas. Les interprétations graphiques sont « poussées » pour aller dans le sens de la démonstration, et apparaissent dans ces dessins des éléments anachroniques.
D’autres éléments alimentent le doute :
- P.Perrier nous dit que des éléments importants ont été « nettoyés », donc ne sont pas vérifiables
- La frise n’a pas encore été formellement datée par des archéologues
- La seule datation connue est celle d’Alain Thote qui la situe au IIIe siècle
- L’hypothèse que ces sculptures seraient datées des années 60 ap. J.-C. et représenteraient le songe de Mingdi tombe évidemment si on considère que ce songe est une légende.
4.4 L’habileté de Pierre Perrier
Un certain nombre de mes interlocuteurs reproche à Pierre Perrier son style « pas très académique » ou ses passages confus.
J’ai du mal à croire que Pierre Perrier ait pu faire sa carrière sans être très rigoureux. Je pense que ses « maladresses » sont volontaires.
- Les répétitions,
- Le manque de sources,
- Les allusions,
- Les retours en arrière,
- Les formules « naïves » : page 32 « Oh ! Mais le premier moine tient en main une croix ! », page 34 : « Il y a une femme aussi ! »
- Les répétitions à satiété de ses titres scientifiques, de son équipe pluridisciplinaire de chercheurs, de « la rigueur qui nous commandait de nous reporter au texte chinois ancien »
- Son dénigrement des bouddhistes « de formidables hâbleurs » qui « profèrent sans fin de monstrueuses paraboles » (page 69)
- Mais quand cela l’arrange « Or il est évident, la tradition en fait foi » (page 49) le recours à ces traditions
- La sélection de bouts de phrase qui vont dans son sens, et l’omission de celles qui vont dans un sens contraire : voir mon analyse de l’utilisation du texte de Granet de 1922, que le Père Charbonnier confirme
- …
ont pour but d’endormir le lecteur, de lui faire croire à la bonne foi d’un Monsieur rigoureux, gentil, et qui ne peut évidemment pas dénaturer la vérité.
5- L’opinion des historiens
Aucun historien n’a confirmé l’hypothèse de Pierre Perrier depuis maintenant plus de 6 ans.
C’est compréhensible si on suit mon exposé.
Ce qui est plus difficile à comprendre est pourquoi n’existe-t-il aucun texte d’historien réfutant cette hypothèse.
C’est la 1ère réflexion que je me suis faite quand j’ai pris connaissance du livre de Pierre Perrier fin 2013.
Je me suis donc inscrit à un cours sur « les premiers temps du bouddhisme en Chine », à l’EPHE, cours que j’ai suivi pendant 6 mois pour essayer de comprendre un petit quelque chose sur le bouddhisme.
J’ai parlé à mon professeur du livre de Pierre Perrier et lui ai communiqué certains éléments. Sa réponse :
RE: Tr : Thomas fonde l'Eglise en Chine
12 mar. 2014
À XX XXX
Merci cher Monsieur,
Les réponses sont consternantes. Cet homme ne connait pas le chinois, il s'est fait traduire de manière très approximative (sinon très grossière) une seule version du rêve de Mingdi par quelqu'un qui ne savait pas décoder les éléments de ce rêve (sur la couleur d'or, sur la lumière, sur la taille de l'homme vu en rêve; chacun de ces éléments a une signification précise), et il se prend pour un spécialiste! Il est autant ridicule que fat. Sa phrase "mais bien sûr je n’ai pas inventé les termes de cheveux blonds à la peau claire qui justifiaient dans le texte bouddhiques qu’il s’agissaient d’envoyés uu Bouddha hindou venus du haut indus ,où sont les seuls blonds (kouchanes) d’Inde proche du pays supposé de naissance du Bouddha" est un summum de ...
Finalement je pense que je vais lire son (ses) livres, qui sont d'excellents exemples de ce qu'il ne faut pas faire. Je m'en servirai pour mettre en garde les étudiants.
Très bonne fin de semaine.
Bien cordialement,
YY YYY
Il a acheté ses 3 livres et nous a fait un cours en juin 2014 sur les différents textes concernant le songe de Mingdi, en disant que « l’article de Henri Maspéro n’avait pas pris une ride ».
(Ce professeur reçoit régulièrement des « commandes » de spécialistes chinois pour les aider à interprétrer certains anciens textes chinois).
Ce professeur m’a dit qu’il fallait absolument réagir. Il en a parlé à un de ses collègues, spécialiste de l’archéologie chinoise des premiers siècles, qui lui a répondu qu’il préparait une communication en association avec un spécialiste des religions. Et depuis,… cette communication n’a pas été publiée.
Pourquoi ?
Ayant pris ma retraite depuis plus d’un an, je suis actuellement étudiant dans le cadre d’un Master d’histoire antique. Je côtoie donc des spécialistes de très haut niveau dans leurs spécialités, et je commence à les connaître.
Ils ne se permettent pas d’écrire un article (a fortiori un livre) sans aller au fond du sujet et dans notre cas, de relever toutes les approximations ou erreurs. Le livre de Pierre Perrier en contient trop et il est complètement discrédité aux yeux du moindre amateur d’histoire. Un livre écrit par eux devrait faire au moins le double ou le triple de celui de P.Perrier. Cela n’intéresse finalement aucun spécialiste d’aller perdre son temps pour contredire un auteur qui, de façon évidente pour leurs potentiels lecteurs, n’est pas fiable. Ils se discréditeraient même aux yeux de leurs collègues pour avoir écrit un tel article ou livre.
(Il faut être amateur, et un peu fêlé comme moi, pour passer autant de temps sur un sujet aussi mal traité)
Donc, à moins d’un miracle, aucun historien sérieux n’écrira sur ce sujet.