Avé
La position de Zarus me paraît dictée par le bon sens...
Cela dit, quand on lit, bien en détail, le texte de Léon XIII, on s'aperçoit qu'il donne une position assez équilibrée ; je pense même que pour l'époque, elle devait être assez ouverte, et que des conservateurs ont dû grincer des dents en la découvrant. Lisez précisément ceci (je cite un morceau du texte) :
Il suit pareillement que ces diverses sortes de libertés peuvent, pour de justes causes, être tolérées, pourvu qu'un juste tempérament les empêche de dégénérer jusqu'à la licence et au désordre. Là enfin où les usages ont mis ces libertés en vigueur, les citoyens doivent s'en servir pour faire le bien et avoir à leur égard les sentiments qu'en a l'Eglise. Car une liberté ne doit être réputée légitime qu'en tant qu'elle accroît notre faculté pour le bien; hors de là, jamais.
Autrement dit, ce texte permet une adaptation aux réalités concrètes des sociétés, à charge aux autorités de savoir les déchiffrer.
Il faut encore tenir compte d'autre chose, me semble-t-il, et c'est là qu'intervient la dernière phrase citée. On a vu, au 20ème siècle, ce qu'entraînait une situation de pouvoir prétendant dominer, avec les moyens modernes, inconnus aux siècles précédents, les cœurs et les consciences. Plusieurs des prélats présents au Concile avaient pu l'éprouver eux-mêmes. Dans une telle situation, où règne la terreur, les langages, les sentiments, les mots mêmes, les gestes, tout est truqué ; tout le monde vit comme dans Orwell, avec double, triple, quadruple langage, mensonge, dissimulation. Tous sont soumis au pouvoir et à l'aliénation morale et spirituelle. Voulez-vous qu'on fasse la même chose avec un régime qui se veut catholique ?
Pour en donner une idée, voici une citation extraite du livre du grand reporter polonais sur les dernières années du règne du Négus, Hailé Sélassié (soutenu par l'Eglise de son pays). Pour le lectorat polonais, l'allusion au régime de l'époque était transparente, mais elle mérite aussi d'être lue pour elle-même :
"... grâce à la sollicitude et à la générosité de Notre Bienfaiteur à l'égard des forces de l'ordre, les effectifs de la police augmentèrent à tel point qu'au cours des dernières années du règne de Notre Monarque, les oreilles se mirent à croître et à se multiplier (...) à tel point que voulant se protéger du fléau des délateurs, les gens - sans qu'on sache comment, ni où, ni quand, sans écoles, sans cours, sans disques et sans dictionnaires - apprirent une nouvelle langue. Rapidement, ils se mirent à parler couramment un nouveau langage, le maîtrisant à la perfection et le maniant avec une grande virtuosité. C'est ainsi que des hommes simples et frustes se transformèrent en locuteurs parfaitement bilingues. Ce bilinguisme leur était grandement utile. Il leur sauvait même la vie, leur assurait la tranquillité, leur permettait d'exister. Bien que chacune des deux langues eût un vocabulaire et une grammaire spécifiques, tout le monde finit par venir à bout des difficultés d'apprentissage et par s'exprimer dans le langage voulu au moment voulu".
Après cela les possibilités d'amélioration morale - même très imparfaites - offertes par la liberté moderne sont tout simplement incomparables. On répondra que les régimes en question n'étaient pas chrétiens (c'est même le moins que l'on puisse dire) et que l'oppression qu'ils faisaient régner n'avait rien à voir avec notre religion. Vrai en apparence, sauf que certains régimes soutenus ou tolérés par l'Eglise locale sont aussi tombés dans ces horreurs (les premières années de l'Espagne de Franco, le Chili de Pinochet ou l'Argentine de Videla). Et assurément, on a peine à imaginer à quel point une situation de pouvoir abusif, avec tous les moyens d'aujourd'hui, peut détruire les consciences. Le pouvoir est une chose intrinsèquement destructrice, à plus forte raison lorsqu'il est mis au service d'une cause qui se veut "totale". Le risque est si grand, et si vérifié, qu'à la fin un régime de liberté est mille fois préférable.
Amicalement
MB