Un passage de Jacques Grand'Maison, tiens!
Extrait :
"La capacité d'inscription dans le temps est le premier test de vérité de la qualité de notre fibre humaine, de notre tonus moral, de notre profondeur culturelle et spirituelle. [...] La boutade de l'économiste Keynes : "A long terme nous sommes tous morts" se révèle tragique quand je vois la cohorte des "prospères" d'aujourd'hui préoccupés avant tout de leurs intérêts immédiats [...] sans véritable souci des enjeux à long terme.
M'inspire ici ce propos de
Simone Weil dans son ouvrage
L'enracinement :
- De par sa durée, la collectivité pénètre déjà dans l'avenir. Elle contient de la nourriture non seulement pour les âmes des vivants, mais aussi pour celles d'êtres non encore nés qui viendront au monde au cours des prochains siècles. Enfin, de par la même durée, la collectivité a ses racines dans le passé. Elle constitue l'unique organe de conservation pour les trésors amassés par les morts, l'unique organe de transmission par l'intermédiaire duquel les morts puissent parler aux vivants. Et l'unique chose terrestre qui ait un lien direct avec la destinée éternelle de l'homme, c'est le rayonnement de ceux qui ont su prendre une conscience complète de cette destinée, transmis de génération en génération.
Et j'ose dire qu'il serait dommage qu'entre autres références, la tradition judéo-chrétienne, qui a marquée si profondément l'histoire occidentale, devienne lettre morte. Les générations futures nous reprocheront peut-être d'avoir cédé à pareille tentation de refus global et de tabula rasa. Même l'athée Jean-Paul Sartre s'inquiétait, à la fin de sa vie, de cette aveugle impasse.
[...]
Jean-Marie Domenach le rappelait, il y a quarante ans, à ses interlocuteurs [au Québec] de la revue
Partie pris. Il leur demandait comment ils pouvaient se réclamer de l'histoire, tout en discréditant totalement leur souche principale en Occident. Depuis ce temps, dans les débats et projets auxquels j'ai participé, on pensait et agissait comme si cette composante de l'histoire et de l'expérience humaine non seulement n'avait aucun sens mais, pire encore, comme si elle n'existait pas. Toujours la table rase. Pas la moindre question sur les conséquences de l'évacuation de la religion de l'espace public.
Quand je soulève ce problème, on se met à parler des Amérindiens et des autres communautés culturelles et de leur religion, mais de
nous, point question. On ne se reconnait aucune filiation historique de cet ordre.
[...]
Je n'ai jamais oublié une conversation avec un sociologue juif qui connaît bien le Québec. Il me disait :
- Vous êtes un peuple qui historiquement a défié, par sa singularité entêtée, tout l'Amérique du Nord. A ce chapitre, je vous admire, mais vous faites aussi des choses insensées qui minent votre admirable dynamisme historique. Je suis athée, mais il ne me viendrait pas une minute à l'esprit de ne pas initier mes enfants à la Bible, ni de rayer l'histoire religieuse de mon peuple qui a traversé l'histoire depuis plusieurs millénaires. Notre dynamique juive doit beaucoup à cette filiation.
Vous, vous avez brisé plusieurs de vos filiations. Vous avez sombré dans le mythe mortifère du meurtre du père. Vous ne pouvez pas continuer sur cette erre sans compromettre gravement votre avenir. Le meurtre d'Abel par Caïn son frère est le symbole le plus juste de l'effet pervers de la négation de toute filiation historique. C'est le rituel le plus nihiliste après la disparition des rites qui nous inscrivent dans le temps et permettent une socialité dans laquelle tout le peuple peut se reconnaître.
Vous vous croyez plus libres, plus émancipés en bricolant chacun vos repères. Mais vous ne savez plus vous réunir rituellement. Vous m'objecterez que vous vous êtes inventés de nouveaux rites collectifs. Moi, je les trouve très évanescents et ponctuels. C'est une conception bien pauvre et superficielle de ce qu'est la ritualité avec sa profondeur historique, culurelle, sociale, temporelle et religieuse.
Les élites québécoises n'ont rien compris du message que Gaston Miron lançait quand il les a convoquées à l'église de Sainte-Agathe pour célébrer ses funérailles. Il avait, lui, le sens de la continuité historique. Tout ce qui tient lieu de fondement exige de la durabilité. Autrement, c'est un peu comme si vous confondiez la longue gestation des bouillon de culture à l'écume évanescente des vagues. Vous méritez plus que ce mirage. Il faut savoir assumer aussi bien ses nuits que ses jours, sinon on désapprend la beauté des étoiles à déchiffrer et on passe d'une noirceur à l'autre.
"
[Remarque personnelle : J'ai déjà évoqué Gaston Miron dans ce forum. Je n'avais pas signalé que notre poète national, ce cher Gaston, était un homme qui avait conservé sa foi catholique.
Les animateurs de la revue [l]Parti pris[/i] était quant à eux des nationalistes québécois, adeptes d'une vraie révolution sociale, socialisante, en réaction contre l'Église, ne voulant plus tenir compte de la dimension religieuse sinon pour condamner ses méfaits ]