Retrouver le sens de la vie

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Cinci
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Retrouver le sens de la vie

Message non lu par Cinci » jeu. 21 déc. 2017, 2:41

Bonjour,

Simplement pour partager ou faire connaître un peu un auteur sans doute méconnu. Il s'agit de Viktor E. Frankl

Viktor E. Frankl (1905-1997)

Professeur de neurologie à la faculté de médecine de Vienne, il dirigea pendant vingt-cinq ans la polyclinique de Vienne. Élève de Freud et d'Adler, il créa la logothérapie, ou thérapie par le sens (logos) de la vie, qu'il enseigna dans de nombreuses universités (Harvard, Standford, Pittsburgh, San Diego).

Frankl "... tout d'abord seul, puis avec l'aide d'Otto Pötzl, le directeur de la clinique psychiatrique de Vienne, il parvint à soustraire de nombreux patients juifs au programme d'euthanasie d'Hitler et de von Schirach, ce qu'il fait en établissant de faux diagnostic (Neugbauer 1997), et en attribuant les lits de la maison de repos situé sur la Malgasse (Vienne) à des patients psychotiques. Il était interdit à cet établissement d'admettre des malades mentaux, mais ... "
Je parvins à contourner la loi en rédigeant des diagnostics d'aphasie (qui est une maladie organique du cerveau) pour protéger les schizophrènes (Frankl)
Il fut lui-même déporté et amené à connaître l'internement à partir de 1942. Transférés d'un camp à l'autre pour aboutir à Auschwitz. Frankl est un rescapé des camps de la mort.

Il écrira plus tard :
La recherche humaine de sens est la motivation fondamentale de la vie et non pas une rationalisation secondaire des instincts qui gouvernent l'être humain. L'homme moderne a besoin d'être considéré davantage que comme une simple réalité psychophysique, un mécanisme psychique ou un produit de son environnement économique. Son existence spirituelle ne peut pas être négligée; il n'est pas un simple organisme, il est une personne.

Une psychothérapie qui ignore cette dimension spirituelle et qui de ce fait ignore la volonté de sens, exclut l'un des aspects les plus précieux de l'être humain.

Les citations seront tirées de l'ouvrage Viktor E Frankl, Retrouver le sens de la vie, anthologie réunie par Alexander Battyany, 2017.

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Re: Retrouver le sens de la vie

Message non lu par apatride » jeu. 21 déc. 2017, 3:21

Hâte de lire vos citations, Cinci. J'ai un livre sur la logothérapie qui trône dans ma bibliothèque depuis quelques semaines, le docteur Jordan Peterson (dont j'ai partagé quelques vidéos en ces lieux) ayant attiré mon attention sur les travaux de Victor E. Frankl, mais je n'ai pas encore trouvé l'occasion de m'y mettre.

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Re: Retrouver le sens de la vie

Message non lu par Cinci » jeu. 21 déc. 2017, 4:14

Merci apatride. Et une drôle de coïncidence avec le docteur Peterson en effet!

Pour ma part, je ne me souviens plus par quel biais j'aurai pu prendre connaissance de l'existence de Frankl et du grand thème directeur de ses ouvrages.

:)

(... attendez ... Ah oui! Ce fut en consultant des textes d'un jeune prêtre français qui travaille à Montréal, qui enseigne à l'université et qui est spécialiste de la question des soins palliatifs, de la fin de vie, de la question de l'éthique, du suicide assisté, etc. Le père est une personne ressource dans le diocèse, a accompagné notre ex-archevêque au travers les derniers moments de son existence ici-bas. Je l'ai vu aussi en conférence l'été dernier)


En tout cas ...

Je me suis trouvé moi-même à être confronté directement, et coup sur coup, avec cette question du suicide chez des personnes en fin de vie, trois personnes ne se connaissant pas; et c'est d'où l'Intérêt de Frankl. Je me dis qu'Il y a un phénomène ("suicide de confort"; la vie n'a plus de sens) qui va bientôt nous submerger. Nous n'avons pas fini de rencontrer le problème!

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Re: Retrouver le sens de la vie

Message non lu par Cinci » jeu. 21 déc. 2017, 4:52

Là-dessus, un premier passage m'aura frappé chez Frankl.

Ici :
De nos jours, il est de plus en plus admis que l'attitude du médecin affecte le patient, quelle que soit cette attitude [...] Et cela est vrai, même si le médecin ne formule pas explicitement ses convictions. [...] Généralement, les thérapeutes s'expriment assez peu. Néanmoins, ils usent souvent d'une réaction de type :"hum, hum", et dans certaines circonstances, cela peut avoir l'effet d'un véritable lavage de cerveau. Un jour un psychologue de l'université d'Indiana a demandé à ses étudiants de prononcer des mots, à mesure qu'ils se présentaient à leur esprit. Et lorsqu'un étudiant formulait un mot au pluriel, comme "tables", le psychologue réagissait par un "hum, hum". Au bout d'un moment, les étudiants se sont mis à prononcer beaucoup plus de mots au pluriel, qu'au début de l'exercice. "Hum", est un mot très important.

Il est particulièrement hasardeux, de la part du médecin d'exposer au patient sa conception de l'être humain et sa philosophie de la vie, dans une situation où le médecin est, au moins implicitement perçu comme un praticien qui ne se préoccupe que des pulsions et des buts libidinaux, et de l'équilibre de l'appareil psychique.

A ses débuts, la psychanalyse avait tendance à considérer l'être humain comme une simple mécanique pulsionnelle. A travers la néo-psychanalyse, et ce n'est pas moins unilatéral, l'être humain est réduit à n'être qu'un "pouvoir-faire", car sa finalité réside dans la recherche de son accomplissement, la réalisation de ses possibilités. La théorie de l'accomplissement de soi voit le but de la vie dans le plus parfait développement des meilleurs potentialités de l'individu, de manière à permettre son plus haut degré de satisfaction. Le problème de la valeur [de la personne, sous-entendue] n'y est pas pris en compte.

En opposition à ces conceptions, nous pensons que les possibilités qui nous concernent ici ne consistent pas dans le potentiel d'accomplissement de soi, mais dans l'actualisation de la signification et de la valeur.

p.144
Il peut être assez terrifiant de penser à quel point l'attitude de notre personnel médical à l'égard de l'existence, du sens de la vie, etc., peut exercer un impact majeur sur les individus. L'exemple du "hum, hum" nous montre à quel point peut être contagieux certaines orientations de pensée. Ici, au Canada, nous sommes déjà entrés dans une société dépressive, suicidaire et avec ces lois qui viennent encourager le suicide, pour transmettre l'idée que le suicide est un geste logique dû à diverses circonstances, quand on ne peut plus espérer une amélioration de sa condition, quand on ne peut plus jouir de la vie, etc.

J'aime le fait que Frankl puisse souligner l'importance de la question du sens. Pour lui, le sens représente un facteur clé de toute thérapie, résilience, diminution de souffrance, etc.

Je songe au fait que le sens représente la dernière chose dont les pouvoirs publics veulent s'occuper. On voit que c'est fondamental avec Frankl. Mais non! Allons-y pour sacrifier le département de philosophie, supprimer la théologie, les fonds de recherche en science sociale. Tout pour la recherche et le développement en ingénierie, rien pour l'âme!

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Re: Retrouver le sens de la vie

Message non lu par Cinci » jeu. 21 déc. 2017, 6:12

Le cas de l'infirmière ...
... la médecine spirituelle pour sa part s'adresse à la capacité de souffrir. Nous sommes confrontés ici à un problème très intéressant : la question de savoir quelle possibilités fondamentales sont susceptibles de donner un sens à la vie, mais aussi de permettre la réalisation de valeurs. La réponse est qu'il est possible de donner un sens à sa vie en réalisant ce que j'ai appelé des valeurs de créativité, ou en accomplissant certaines tâches. Mais l'on peut aussi donner un sens à sa vie en réalisant des valeurs d'expérience, en faisant l'expérience de la Beauté, de Dieu, de la Vérité, ou en faisant l'expérience de ce qu'il y a d'unique chez un être humain.

Et faire l'expérience d'un autre être humain, en tant qu'il est unique, en tant qu'il est véritablement un Tu, cela signifie l'aimer.

Mais, même un être humain qui se trouve dans la plus grande détresse dans laquelle il n'est ni possible d'affirmer des valeurs de créativité, ni des valeurs d'expérience - même une personne qui se trouve dans une telle situation peut encore donner un sens à sa vie, par sa manière de faire face à la souffrance, à la détresse, par sa manière de prendre sur lui la part de souffrance qui lui revient, comme un fardeau qu'il faut porter; en cela, il a aussi une dernière occasion de réaliser des valeurs. C'est ainsi que la vie possède une signification jusqu'au dernier souffle. La possibilité de réaliser des valeurs, par l'attitude que l'on décide d'adopter face à la souffrance, cette possibilité-là existe jusqu'au dernier moment. J'appelle ces valeurs des valeurs d'attitude. Affronter la souffrance avec courage est le plus grand accomplissement qui ait été donné à l'être humain.

Je voudrais illustrer cette idée par l'exemple suivant : Dans mon département, une infirmière souffrait d'une tumeur qui s'avéra inopérable. Prise de désespoir, elle me demanda de lui rendre visite, et notre conversation révéla que la cause de son désespoir n'était pas tant la maladie dont elle souffrait, que sa capacité à travailler. Elle avait adoré son métier par-dessus tout, et à présent elle ne pouvait plus l'exercer, elle en était désespérée. Que pouvais-je dire? Sa situation était vraiment désespérée; mais j'ai essayé de lui expliquer que travailler huit heures par jour, ou dix heures par jour, ou autant d'heures que l'on voudra, n'était pas en soi une grande chose, beaucoup de gens pouvaient le faire; mais être aussi impatiente qu'elle était de travailler dans sa situation, et être incapable de travailler, sans sombrer dans le désespoir - cela était un accomplissement dont peu de gens seraient capables.

Puis je lui demandais :"Ne seriez-vous pas injuste envers tous ces gens auxquels vous avez consacré votre vie en tant qu'infirmière; ne seriez-vous pas injuste si vous agissiez maintenant comme si la vie d'une personne malade ou d'une personne incurable, c'est à dire la vie d'une personne qui n'est plus en mesure de travailler, n'avait pas de sens? " J'ajoutais :"Si vous désespérez dans votre situation, alors vous agissez comme si le sens de votre vie dépendait du fait d'être capable de travailler de nombreuses heures par jour; mais en vous comportant de cette manière, vous priveriez tous les gens malades ou incurables de leur droit de vivre et de la justification de leur existence."

Il va sans dire que la réalisation des valeurs d'attitude, l'accomplissement d'un sens à travers l'épreuve de la souffrance, peut avoir lieu lorsque la souffrance est inévitable, et qu'il est impossible d'y échapper.

p. 223

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Re: Retrouver le sens de la vie

Message non lu par Cinci » jeu. 21 déc. 2017, 6:43

Le médecin dont la vie n'avait plus de sens ...
Je voudrais citer ici le cas d'un collègue, un praticien expérimenté , qui s'est adressé à moi, parce qu'il ne parvenait pas à surmonter la disparition de sa femme, décédée depuis quelques années. Son mariage avait été très heureux et il était en dépression depuis deux ans. Je lui ai simplement demandé :

Dites-moi, que ce serait-il produit si c'est vous qui étiez mort le premier et que votre femme vous avait survécu? Cela aurait été terrible, dit-il, presque impensable, elle aurait affreusement souffert - Eh bien, vous voyez, lui ai-je répondu, cela lui a été épargné, et c'est évidemment vous qui lui avez épargné cette souffrance, et c'est maintenant vous qui souffrez et qui êtes en deuil à sa place."

A ce moment précis, son deuil a pris un sens - il a revêtu la signification d'un sacrifice.

J'ai dit plus haut que l'être humain ne doit pas se demander ce qu'il attend de la vie, mais plutôt comprendre que c'est la vie qui attend quelque chose de lui. On peut encore formuler cette idée de la manière suivante : en dernier ressort, l'être humain ne doit pas se demander quel est le sens de sa vie, mais comprendre que c'est lui qui est requis; c'est la vie qui lui apporte ses problèmes, et il lui incombe d'y faire face en endossant sa responsabilité, mais aussi en répondant de sa vie. La vie est une tâche, et l'homme religieux diffère apparemment de l'homme irreligieux, en vivant sa vie non seulement comme une tâche, mais aussi comme une mission.

p.224
La remarque de Frankl à propos de "la vie qui attend quelque chose de nous" me rappelle l'anecdote au sujet de l'abbé Pierre. Un homme désespérée était venu le voir à l'époque de la fondation des chiffonniers d'Emmaüs. Et au lieu de venir en aide à l'homme désespérée, l'abbé Pierre avait plutôt réclamé l'aide de l'homme au contraire!

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Re: Retrouver le sens de la vie

Message non lu par Cinci » mer. 03 janv. 2018, 21:50

Le vide existentiel

Le vide existentiel est un phénomène répandu au XXe siècle [...] une récente enquête statistique, menée parmi mes étudiants européens a récemment montré que 25% d'entre eux donnent des signes plus ou moins prononcés de vide existentiel. Parmi mes étudiants américains, la proportion n'était pas de 25% mais de 60%.

Le vide existentiel se manifeste principalement par l'ennui. Maintenant nous pouvons comprendre Schopenhauer quand il dit que l'espèce humaine est apparemment condamnée à osciller éternellement entre les deux extrêmes de la détresse et de l'ennui. En réalité, l'ennui, bien plus que la détresse, est aujourd'hui la cause, et certainement le principal facteur de troubles psychiatriques. Et ces problèmes augmentent dans des proportions considérables, notamment à cause de l'automatisation qui laisser probablement de plus en plus de temps libre au producteur moyen.

Le vide existentiel apparaît sous des masques divers. Quelquefois, la frustration de la volonté de sens est indirectement compensée par une volonté de pouvoir, la volonté d'amasser de l'argent étant sa forme la plus primaire. Dans d'autres cas, c'est la volonté de plaisir qui vient prendre la place de la volonté de sens, C'est aussi la raison pour laquelle la frustration existentielle cherche aussi une compensation dans la dépense sexuelle. Dans de tels cas, on observe que la sexualité constitue un facteur de compensation endémique au vide existentiel.




La frustration existentielle

Le terme existentiel peut être employé de trois manières pour désigner :

1, L'existence elle-même, c'est à dire la manière d'être qui est propre à l'être humain.
2. Le sens de l'existence
3. L'effort pour trouver un sens concret à l'existence personnelle

La frustration existentielle peut être à l'origine de certaines névroses. Pour qualifier ce type de névroses, la logothérapie a forgé le terme de névroses "noogènes" par opposition aux névroses psychogènes. Les névroses "noogènes" trouvent leur origine non pas dans la dimension psychologique mais dans la dimension "noologique" (du grec noos qui veut dire l'esprit) de l'existence humaine.



Les névroses noogènes

Les névroses noogènes ne résultent pas d'un conflit entre les mobiles conscients et les pulsions, elles sont davantage les conséquences de problèmes existentiels.

Je donnerai ici un seul exemple : un jour, un diplomate américain de haut rang vint me trouver à mon bureau à Vienne pour poursuivre une cure psychanalytique entreprise il y a cinq ans auparavant avec un analyste de New York. D'entrée de jeu, je lui demandai pourquoi il pensait avoir besoin d'une analyse, et pourquoi il avait donné priorité à l'analyse. Il m'apparut très vite que ce patient était insatisfait de sa carrière et qu'il lui était difficile d'être le représentant d'une politique étrangère qu'il désapprouvait. Son analyste, malgré tout, lui avait répété à souhait qu'il devait essayer de se réconcilier avec son père, parce que le gouvernement des États -Unis ainsi que ses supérieurs hiérarchiques n'étaient rien d'autre que des images du père et, qu'en conséquence, son insatisfaction professionnelle était due à la haine qu'il nourrissait inconsciemment contre son père.

Tout au long d'une analyse qui durait depuis cinq ans, le patient avait été enjoint d'accepter l'interprétation de son analyste jusqu'au moment où il lui était devenu incapable d'apercevoir la forêt de la réalité derrière l'arbre des symboles et des images. Après quelques entretiens, il fut clair que sa volonté de sens était frustrée parce qu'il avait cru être sa vocation, et il avait vraiment hâte de s'orienter vers un autre métier.

Tout conflit n'est pas nécessairement névrotique; une certaine quantité de conflit est normale et saine. De même, le fait de souffrir n'est pas toujours un phénomène pathologique; au lieu d'être un symptôme névrotique, la souffrance peut bien être le signe d'une recherche humaine, particulièrement si le fait de souffrir provient d'une frustration existentielle.

Je m'opposerai toujours au fait de penser que chercher un sens à son existence, ou de seulement en douter, soit dans tous les cas l'expression, ou le résultat d'une maladie quelconque. L'inquiétude d'un être humain, y compris son désespoir, relatif au manque d'intérêt de la vie est consécutive à une détresse existentielle mais en aucun cas à une maladie mentale. Il se peut bien que le fait d'interpréter la première dans les termes de la seconde pousse un médecin à enterrer le désespoir existentielle de son patient sous un tas de tranquilisants.

[...]

La logothérapie considère que sa mission est d'aider le patient à trouver un sens à sa vie.

La logothérapie s'écarte de la psychanalyse dans la mesure où elle considère l'homme comme un être dont la préoccupation principale consiste à réaliser un sens, plutôt qu'à répondre simplement à ses pulsions et à satisfaire ses instincts, ou dans le fait de réconcilier simplement les exigences conflictuelles du ça, du moi et du surmoi, ou dans le simple fait de s'adapter à la société ainsi qu'à son environnement.

Il est certain que la quête de sens peut susciter une tension davantage qu'elle maintient un équilibre intérieur. Cependant, une telle tension constitue une condition indispensable à la santé mentale. Je serai tenté de dire qu'il n'y a rien au monde de plus efficace pour commander la survie, y compris dans les pires conditions, que de savoir que la vie à un sens. Il y a beaucoup de sagesse dans ces mots de Nietzsche :
Celui qui sait pourquoi il vit peut endurer n'importe quel comment.
Dans les camps de concentration nazis, on peut témoigner de ce que ceux qui savaient qu'une tâche les attendait au-dehors étaient les plus aptes à survivre. D'autres auteurs qui ont écrit sur les camps de concentration ont tiré la même conclusion, tout comme les psychiatres qui se sont penchés sur les camps de prisonniers japonais, nord-coréens et nord-vietnamiens. En ce qui me concerne, lorsque j'étais prisonnier dans le camp de concentration d'Auschwitz, l'un de mes manuscrits me fut confisqué. Il est très certain que le profond désir que j'avais de reconstituer mon manuscrit m'a beaucoup aidé à survivre aux rigueurs du camp où je me trouvais.

On peut aussi remarquer que la santé mentale repose sur un certain degré de tension, la tension entre ce que quelqu'un a déjà accompli et ce qui lui reste à accomplir, ou l'écart entre ce que quelqu'un est et ce qu'il voudrait devenir. Par conséquent, on ne devrait pas hésiter à mettre un homme au défi d'accomplir le potentiel de sens qu'il porte en lui. Ce n'est que de cette manière que sa volonté de sens sortira d'un état de latence. Je considère comme une dangereuse incompréhension du problème de l'hygiène mentale d'affirmer que ce dont l'être humain a besoin en premier lieu c'est d'un équilibre ou, selon le terme biologique, d'homéostasie, c'est à dire d'un état dépourvu de tension. Ce dont l'être humain a besoin n'est nullement d'un état dépourvu de tension, mais plutôt d'un effort et d'une lutte pour atteindre un but qui en vaut la peine, d'une tâche librement choisie.

Si des architectes veulent consolider une voûte décrépite, ils augmentent la charge qu'elle soutient, de manière à réunir plus fermement ses différentes parties. Donc, si les thérapeutes souhaitent fortifier l'état mental de leurs patients, ils ne doivent pas craindre de créer en eux une tension propice à la quête de sens existentiel de chacun d'entre eux.

De nombreux patients se plaignent d'un sentiment partagé de l'insignifiance foncière de leurs vies. Ils n'ont pas la moindre conscience de leur raison d'être. Ils sont hantés par l'expérience de leur vide intérieur, du vide qui se creuse à l'intérieur d'eux-mêmes.

pp. 54-58

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Re: Retrouver le sens de la vie

Message non lu par Cinci » jeu. 04 janv. 2018, 19:31

Sur le sens de la vie ...


... il est possible de donner un sens à sa vie en réalisant des valeurs d'expérience, en faisant l'expérience de la Beauté, de Dieu, de la Vérité, ou en faisant l'expérience d'un autre être humain, en tant qu'il est unique, en tant qu'il est véritablement un Tu, cela signifie l'aimer. Mais, même un être humain qui se trouve dans la plus grande situation de détresse, dans laquelle il n'est ni possible d'affirmer des valeurs de créativité, ni des valeurs d'expérience - même une personne qui se trouve dans une telle situation peut encore donner un sens à sa vie, par sa manière de faire face à la souffrance, à la détresse, par sa manière de prendre sur lui sa part de souffrance qui lui revient comme un fardeau qu'il faut porter; en cela, il a aussi une dernière occasion de réaliser des valeurs.

C'est ainsi que la vie possède une signification jusqu'au dernier souffle. La possibilité de réalise des valeurs, par l'attitude que l'on décide d'adopter face à la souffrance, cette possibilité-là existe jusqu'au dernier moment. J'appelle ces valeurs, des valeurs d'attitude. Affronter la souffrance avec courage est le plus grand accomplissement qui ait été donné à l'être humain.

Il va sans dire que la réalisation des valeurs d'attitude, l'accomplissement d'un sens à travers l'épreuve de la souffrance, peut avoir lieu lorsque la souffrance est inévitable, et qu'il est impossible d'y échapper.



La névrose noogène

La névrose collective de notre temps se caractérise par quatre symptômes, que je vais m'employer à décrire brièvement. Tout d'abord, cette névrose se caractérise par une manière de vivre au jour le jour, sans projet. L'être humain contemporain est habitué à vivre d'un jour sur l'autre. Il a appris à le faire au cours de la dernière Guerre mondiale, et depuis, cette attitude ne s'est malheureusement pas modifiée. Alors que les gens vivaient ainsi parce qu'ils étaient dans l'attente de la fin de la guerre, et que le fait de faire des projets n'avait aucun sens, l'individu moyen d'aujourd'hui déclare :"Pourquoi est-ce que j'agirais, pourquoi ferais-je des projets ? Tôt ou tard, la bombe atomique nous tombera dessus et détruira tout." A partir de là il glisse dans cette attitude : "Après moi, la bombe atomique".

Le second symptôme de cette névrose, c'est l'attitude fataliste à l'égard de la vie. Elle est aussi née lors de la dernière Guerre mondiale. L'homme a été poussé, il s'est laissé conduire. Le fataliste considère qu'il est tout simplement impossible de faire le moindre projet. Il sent qu'il n'est lui-même que le produit ou le résultat de circonstances extérieures ou de conditions internes.

Le troisième symptôme est la pensée collective. L'individu voudrait disparaître dans la masse. Il est en réalité noyé dans la masse; il abdique en tant qu'être libre et responsable.

Le quatrième symptôme, c'est le fanatisme. Tandis que le collectiviste ignore sa propre personnalité, le fanatique ignore celle d'autrui, de celui qui pense différemment de lui. L'autre homme ne compte pas, seule sa propre opinion est valable. En réalité, ses opinions sont celles du groupe et non pas les siennes : il n'a pas d'opinions propres, "ses" opinions en réalité le possèdent. Tout comme un véritable conflit, un conflit de conscience, peut devenir pathogène en déclenchant une névrose noogène; en sorte qu'aussi longtemps qu'un petre humain est accessible au conflit de conscience, il sera immunisé contre le fanatisme et de manière générale contre la névrose noogène. Inversement, un être humain qui souffre d'une névrose collective sera en mesure de la surmonter, dans la mesure où il se montrera capable de (ré)écouter la voix de sa conscience et de souffrir pour elle : A ce moment, la névrose existentielle guérira la névrose collective.

Le fanatisme se cristallise sous forme de slogans, et produit une réaction en chaîne [...]

Finalement ces quatre symptômes peuvent être rapportés à la peur qui s'empare de l'esprit humain devant sa responsabilité et sa propension à vouloir échapper à sa liberté. Or la responsabilité et la liberté fondent l'identité spirituelle de l'homme. Mais l'homme contemporain est atteint de fatigue spirituelle, et cette fatigue est peut-être même l'essence du nihilisme dont on parle si souvent et que l'on définit si peu.

p. 227

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Re: Retrouver le sens de la vie

Message non lu par Cinci » ven. 05 janv. 2018, 2:08

Le nihilisme ...

... le nihilisme n'est pas un philosophie qui prétend qu'il n'y a rien - nihil - et par conséquent qu'il n'y a pas d'être; le nihilisme est cette attitude à l'égard de la vie, qui consiste à affirmer que l'Être n'a pas de sens. Un nihiliste est quelqu'un qui considère que l'Être, et surtout que sa propre conscience sont dépourvus de signification. Mais, excepté cette forme académique et théorique du nihilisme, il y a aussi un nihilisme pratique, un nihilisme vécu : il y a des gens - et cela est plus que jamais manifeste aujourd'hui, et cela mériterait d'être discuté en lien avec les névroses collectives - il y a des gens, dis-je, qui considèrent que leur vie n'a aucun sens, qui ne voient aucune signification à leur existence et pensent qu'en conséquence, celle-ci est dénuée de valeur.

p. 237



Ce qui menace l'homme contemporain c'est le prétendu non-sens de sa vie, ou, comme on devrait l'appeler, le vide existentiel qui le mine de l'intérieur. Quand est-ce que ce vide se déclare, à quel moment ce vide souvent latent devient-il manifeste ? Dans une situation d'ennui.


Mais je perçois encore d'autres dangers qui émergeront de l'automation : un jour, la compréhension que l'être humain a de lui-même, pourra être perturbée et menacée. L'être humain commence à se tromper sur lui-même, par analogie avec les machines pensantes et calculantes. Souvenons-nous d'une chose : d'abord, il s'est compris lui-même comme une créature à l'image de Dieu, son créateur. Puis ce fut l'âge de la machine, et l'être humain commença de se voir comme créateur à l'Image de sa création, la machine - l'homme machine, comme La Mettrie l'a théorisé.


J'ai dit plus haut que la frustration existentielle - le fait pour l'être humain de ne pas savoir quelle est la signification de son existence, qui seule fait que sa vie lui paraît digne d'être vécue - peut engendrer des névroses.

p. 239

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Re: Retrouver le sens de la vie

Message non lu par Cinci » dim. 07 janv. 2018, 5:44

Le docteur Frankl situe sa méthode ...

Les lecteurs de mon autobiographie me sollicitent souvent pour que je donne une explication plus directe et plus complète de ma conception thérapeutique. Pour répondre à cette attente, j'ai donc fait suivre l'édition originale de mon livre Du camp de concentration à l'existentialisme d'un bref exposé sur la logothérapie. Le pari n'est pas facile à tenir. Présenter au lecteur en peu de pages un domaine qui occupe en allemand un vingtaine de volumes est presque une tâche insurmontable.

[...]

Quoi qu'il en soit, la logothérapie , en comparaison de la psychanalyse, est une méthode moins rétrospective et moins introspective. La logothérapie insiste surtout sur l'avenir, c'est à dire sur le sens que le patient est appelé à réaliser dans son avenir. En même temps, la logothérapie cherche à rompre les cercles vicieux et les mécanismes qui jouent un si grand rôle dans le développement des névroses. Ainsi, le recentrement sur soi - si typique de la névrose - y est pris de court, au lieu d'être continuellement fortifié et renforcé.

Selon la logothérapie, la constante recherche de sens au cours de la vie constitue la motivation fondamentale de l'être humain. C'est pour cette raison que je parle de la volonté de sens par contraste avec le principe de plaisir (ou, comme nous pourrions aussi le nommer, la volonté de plaisir) sur laquelle repose la psychanalyse de Freud, aussi bien par contraste avec la volonté de pouvoir sur laquelle repose la psychologie individuelle d'Alfred Adler (qui parle aussi de lutte pour la supériorité).

La recherche humaine du sens est la motivation fondamentale de la vie, et non pas une "rationalisation secondaire" des instincts qui gouvernent l'être humain. Ce sens est unique et spécifique dans la mesure où il doit être accompli par chacun; et seul celui qui trouve ce sens satisfera sa propre volonté de sens. Pour certains auteurs ces significations et ces valeurs ne sont que des "mécanismes de défense", des "formations réactionnelles" et des "sublimations". Mais en ce qui me concerne, je ne crois pas que ma vie soit tout entière investie par des "mécanismes de défense", et je ne serai certainement pas prêt à mourir au nom de mes "formations réactionnelles".

p. 53

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