Bonjour à tous,
je viens de lire l'intégralité de ce fil qui en regroupe plusieurs, et le lien vers le blog de Serge BS :
- mon opinion rejoint celle de plusieurs intervenants (Heraclius, Prodigal et beaucoup d'autres) : il n'y a rien de saint dans l'inquisition, c'est un épisode malheureux de l'histoire, même si c'est une histoire passée depuis longtemps.
- mais il y a aussi des intervenants qui ne sont pas de cet avis : certains minimisent les faits, en affirmant que le tribunal d'inquisition, et/ou la croisade anti-hérétiques des albigeois : soit ont fait très peu de morts, soit n'était pas de la responsabilité de l'Eglise.
Donc : un amateur comme moi, qui cherche des précisions sur cette période, et surtout des précisions sur l'opinion de l'Eglise d'aujourd'hui sur cette période, est déconcerté : il y a débat contradictoire sur les faits, les chiffres, la politique de l'Eglise, des autres intervenants, etc.
Donc j'ai cherché, et trouvé, un ouvrage très sérieux sur la période. Il a été écrit par deux bénédictins, Dom Vaissette et Dom Devic, publié entre 1730 et 1745 : Histoire générale du Languedoc. Heureusement republié au XIXè avec des chapitres :
Voilà le lien avec le T5 (croisade contre les Albigeois) :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2 ... f333.image
Les deux auteurs ont fait un travail énorme de collection, recension et traduction des archives diverses. L'ouvrage présente en annexe les principaux textes retrouvés et utilisés.
De plus, ces auteurs, religieux du début 18è, ont un esprit critique et une finesse d'analyse qu'on aimerait retrouver chez nos contemporains.
Comme c'est quand même très long, je vous fais un petit résumé de la période que j'ai bien lue : croisade des albigeois, assortie de comparaison avec ce que j'ai lu par ailleurs (sites internet ou livre "Raymond le Cathare" de D. Baudis).
- Dom Vaissette et Devic, ne connaissant pas les mots "muti-culturalisme", "multi-linguisme", ou "choc de culture" font quand même une analyse très fine du début du problème cathare : l'arrivée de prédicateurs du "nord", la plupart cisterciens, confrontés à des gens en sandale et bure, qui refusent la viande, sont très respectés par les seigneurs occitans de l'époque (eux plutôt bons vivants) et ne parlent pas le latin.
- Les auteurs insistent sur les bons résultats obtenu par Dominique (futur saint) et ses collègues : peuchère! Les gens les comprennent eux : ils viennent du nord de l'Espagne et parlent sans doute l'occitan de l'époque. Beaucoup d'hérétiques reviennent à un catholicisme orthodoxe.
- C'est pas dit, mais ont peu supposé : les papes, Alexandre III,....papes et anti papes ... puis Innocent III reçoivent des informations peut être contradictoires : les cisterciens très fâchés qu'on ne les comprenne pas et qu'on les traite avec la même considération que celle montrée aux hérétiques ; Dominique parlant des conversions qu'il obtient.
- Ces prêches et discussions (les hérétiques se prétendent, peut être très sincèrement, catholiques) durent pendant toute la seconde moitié du 10è siècle.
- Durcissement à la fin : en 1198, 1200 et 1201 : bûchers dans le Nivernais et en Champagne (Vaudois plutôt que Cathares ?), envoi par Innocent III de légats avec des pouvoirs plus étendus (chargés d'enquêter = inquisitio sur l'hérésie, pouvoir d’excommunier, lettre du pape sommant les autorités religieuses et civiles d'aider les légats).
- entre 1203 et 1207, les légats (Pierre et Arnaud, cisterciens, et Raoul) se brouillent avec beaucoup des évêques du Languedoc : contre l'évêque de Narbonne, 1205 : destitution de l'évêque de Toulouse, 1206 "démission" de l'évêque de Viviers. Les motifs allégués sont le manque de zèle dans la chasse aux hérétiques (?) Le résultat c'est qu'on remplace des évêques et des religieux du lieu, dévoués aux seigneurs du lieu, par d'autres, souvent proches des cisterciens.
- 1207 : excommunication de Raymond VI de Toulouse par Pierre de Castelnau, légat cistercien.
Pour préciser : Raymond de Toulouse, duc de Narbonne, comte de Toulouse, de Bézier, marquis de Provence, etc, neveu puis cousin du roi de France, beau-frère du roi d'Angleterre puis du roi d'Aragon, en parenté avec l'empereur (celui qui aime les anti-papes). Qu'est-ce qu'on lui reproche ?
=> explicitement, on l'accuse de ne pas chasser les hérétiques et de conserver les juifs dans certains emplois.
=> il y a autre chose : le pape et Raymond sont en concurrence pour la possession du comté de Melgueil (archevêché de Maguelone, territoire et ville de Melgueil (actuel Mauggio, près de Montpelleir) , avec son atelier de frappe du denier melgorien.
A mon opinion : le denier melgorien, les revenus liés à la frappe (5%) et la puissance liée à la création monétaire sont le vrai sujet de cette guerre.
Sur ce site on voit la carte de la zone d'utilisation de cette monnaie :
http://www.sacra-moneta.com/Numismatiqu ... gueil.html
d'Avignon à Perpignan et de Cahors à Agde: c'est le coeur de la zone d'influence du comte de Toulouse.
=> pour les auteurs bénédictins, bien qu'ils soient très retenus, Pierre de Castelnau a mauvais caractère : "irrité, il se laissa emporté par un zèle sans borne".
=> D'autre part, les demandes des légats et du Pape à Raymond comte de Toulouse, font toujours référence aux péages : Raymond n'exempte pas les religieux, c'est une demande pour sa levée d'excommunication. C'est le siècle de l'expansion commerciale cistercienne, grâce entre autre aux exemption de péage qu'ils obtiennent un peu partout. Sauf dans le comté de Toulouse : ce qui peut créer de l'irritation.
=> pour D.Baudis, Raymond est très tolérant et veut construire un état muti culturel, trop en avance sur son époque. Il se soumet aux demandes des légats et participe à la croisade pour sauver son peuple : hypothèse qui semble anachronique.
- Ce qui est sûr c'est que les contemporains l'ont mal pris. Les rois et l'empereur ont trouvé cela menaçant ; les vassaux de Raymond ont trouvé le procédé odieux : et l'un d'eux a assassiné Pierre de Castelnau. Ce qui fut funeste, car les légats ont accusé Raymond VI de ce crime, et s'en sont servis pour abusé de ce prince et déclenché la croisade.
Pause : à mon opinion :
De ces faits, détaillés par les bénédictins, recoupés par les recherches de D.Baudis (à moins qu'il ait juste recopié le livre des bénédictins ? Non !) on peut déjà infirmer certaines idées très répétées sur les sites de nos jours :
- il faut se replacer dans le contexte historique : oui, 100%, et il ne faut pas minimiser sa complexité.
- l'Eglise, avec les croisades anti-hérétiques, a voulu protéger la société de l'époque : non, d'abord c'est une vision d'aujourd'hui ; ensuite à l'époque, il n'y avait pas une mais des sociétés ; enfin, à cette époque, Les autorités de l'Eglise avait aussi une vision temporelle de leur pouvoir, pas uniquement spirituelle.
- L'Eglise était le ciment de ces sociétés, grâce aux monastères et aux ordres caritatifs : oui et non. L'Eglise était partie prenante de la société, avec des institutions intégrées aux administrations judiciaires, fiscales et économiques. Les dominicains et les franciscains ont été créés après la croisade anti cathares (juste après).
- l'état français a été le bénéficiaire au final de cette croisade : donc c'est lui qui en a été l'instigateur. Non : le roi Philippe Auguste n'a pas participé à la croisade de 1209 ; son fils Louis VIII voulait participer plus tard apparemment pour des raisons religieuses et son père l'a empêché ; il y a des lettres du pape à Ph Auguste et des réponses mitigées de ce dernier : il demande comment le pape va l'aider à financer les croisades ...
- les hérétiques faisaient des trucs horribles : pas les cathares ! c'est même difficile de déterminer s'ils sont vraiment manichéistes. Mais ils refusent de mentir et de prêter serment, de manger de la viande et de tuer des animaux, et (horreur !) ils éduquent les femmes et déclarent qu'elles peuvent célébrer le culte !
* les événements : le récit des deux bénédictins et celui de D.Baudis coïncident : c'est la guerre, c'est horrible : sac de Béziers, siège de Carcassonne, ascension de Simon de Monfort, guérilla l'hiver, renfort du nord l'été : des horreurs sont commises des deux côtés, avec un plus côté croisés : les deux parties pendent les gens de guerre , les croisés brûlent les civils hérétiques.
* les chiffres : les deux bénédictins sont exhaustifs : ils donnent tous les chiffres connus de toutes les sources qu'ils ont trouvées : on ne peut pas dire qu'il n'y a pas de chiffres. De plus ces chiffres semblent cohérents avec la tailles des places fortes.
* la société de ce temps : les auteurs décrivent bien le côté judiciaire : droit civil, conciles, archives notariales. Par contre ils ne donnent pas grand chose sur l'état économique. Ils donnent des détails sur les mentalités : par exemple :
"...interrogé par l'évêque de Toulouse (Foulques) qui lui demande pourquoi, étant catholique, il ne chasse pas les hérétiques, un chevalier (Pons Aymar de Rodele) répond "nous avons été élevé ensemble, nous avons des parens parmi eux, et nous ne cherchons qu'à vivre en paix et tranquillement".
Bref, une vision catholique vraiment intéressante de cette période !