Sur la non-violence et le patriotisme

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Cinci
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Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » ven. 30 août 2019, 15:46

Bonjour

Je suis tombé l'autre jour sur un des textes assez tardifs de Léon Tolstoï. Quelle année ? 1896. J'y ai trouvé des assertions assez radicales peut-être, un peu dérangeantes et tout à fait de notre époque en tout cas. Étonnant ! Je me suis surpris à y reconnaître "presque" la posture de l'Église catholique de l'an 2019.

J'ai souris intérieurement en voyant comment le vieux Tolstoï ne faisait aucune différence entre nationalisme et patriotisme et pour finalement congédier le tout. Remarquez que c'est pas ma position. Je n'adhère pas forcément à tout ce que disait Tolstoï. Mais je me suis souvenu de ces petites discussions où l'on me faisait valoir combien le patriotisme c'était vachement bien, pas du tout comme le nationalisme.

Par exemple, je lisais :


"... souvent, quand on demande aux enfants de choisir entre deux choses incompatibles, mais dont ils ont très envie, ils répondent : "les deux !" Qu'est-ce que tu veux ? Aller faire un tour en voiture ou jouer à la maison ? "Faire un tour en voiture et jouer à la maison". Les peuples chrétiens nous répondent exactement de la même façon à la question que leur pose la vie : que choisissent-ils des deux - la patriotisme ou la paix ? Ils répondent : "le patriotisme et la paix", alors qu'il est tout aussi impossible de combiner le patriotisme et la paix que de faire un tour en voiture et rester en même temps à la maison.

[...]

L'égoïsme des individus est effroyable, mais dans la vie privée, les égoïstes ne sont pas armés, ils ne considèrent pas comme une bonne chose ni de préparer ni d'utiliser une arme contre leurs adversaires; l'égoïsme des individus se trouve sous le contrôle aussi bien du pouvoir de l'État que de l'opinion publique.

Un individu, qui, une arme à la main, vole une vache ou un hectare de surface emblavée à son voisin, est aussitôt arrêté par les policiers et jeté en prison. En outre, cet homme sera condamné par une opinion publique, on le qualifiera de voleur et de pillard. Il en va différemment pour les États : tous sont armés, aucun pouvoir n'existe au-dessus d'eux, hormis des tentatives comiques d'attraper un oiseau en lui mettant du sel sur la queue. A l'image de ces tentatives d'instituer des congrès internationaux qui, de toute évidence, ne seront jamais acceptés par les États puissants (ils sont armés justement pour n'obéir à personne). Mais surtout, si l'opinion publique châtie toute violence venant d'une personne privée, elle célèbre les louanges de toute appropriation de ce qui n'appartient pas à sa patrie, dès l'instant qu'il s'agit d'accroître sa puissance, et l'élève au rang de la vertu du patriotisme.

Ouvrez un journal à n'importe quelle date et vous y verrez toujours, à tout instant, un point noir, la cause d'une guerre possible : tantôt ce sera la Corée, tantôt le Pamir, tantôt les terres africaines, tantôt l'Abyssinie, tantôt l'Arménie, tantôt la Turquie, tantôt le Venezuela, tantôt le Transvaal. Pas un instant le brigandage ne s'interrompt; tantôt ici, tantôt là, a lieu une petite guerre, comme une escarmouche en ligne, et une guerre véritable, importante, peut et doit éclater à tout instant.

Si un Américain désire la grandeur et la prospérité de l'Amérique, plutôt que celles de tous les autres peuples, et si un Anglais désire exactement la même chose, si un Russe, ou un Turc, un Hollandais, un Abyssinien, un Polonais, un Tchèque désire la même chose [...] comment une guerre ne pourrait-elle pas éclater ?

Aussi, afin d'éviter la guerre, il ne faut pas prononcer de sermons ni prier Dieu pour qu'Il y ait la paix, il ne faut pas entretenir les "English speaking nations" à entretenir des relations amicales pour qu'elles dominent les autres nations, il ne faut pas créer d'unions bipartites et tripartites, il ne faut pas marier les princes aux princesses d'autres nations, mais il faut éliminer ce qui engendre la guerre. Et ce qui l'engendre c'est le désir d'un bien exclusif pour sa nation, autrement dit le patriotisme."

- Aïe ! Lisant cela mais pour un peu l'on y retrouverait la prose du pape François. Le souverainisme mène à la guerre ... mais avec une petite réserve

"Dites aux hommes que la guerre est une mauvaise chose, et ils riront : "Qui ne le sait pas ?" Dites que le patriotisme est une mauvaise chose, et une majorité sera d'accord, avec une petite réserve toutefois - "Oui, le mauvais patriotisme est une mauvaise chose, mais il existe un autre patriotisme, celui que nous soutenons" - Mais en quoi consiste-t-il ? Personne ne sait l'expliquer.

Si le bon patriotisme consiste à n'être pas conquérant, comme beaucoup l'affirment, on sait aussi que tout patriotisme, même s'Il n'est pas conquérant, cherche nécessairement à perpétuer des acquis, car les hommes veulent défendre ce qui a été précédemment conquis. Il n'existe pas de pays, en effet, qui ne soit fondé sur une conquête, et défendre ce qui a été conquis est impossible en employant d'autres moyens que la violence et le meurtre. Et quand bien même le patriotisme ne serait pas défensif, il est un patriotisme réparateur, celui des nations soumises et opprimées : les Arméniens, les Polonais, les Tchèques, les Irlandais, etc. Et ce patriotisme est sans doute le pire qui soit, car il est le plus enragé et celui qui exige le plus de violence. "

- On pourrait recevoir Tolstoï ici en réfléchissant au cas israélien tiens. Le patriotisme réparateur ... Il est intéressant de songer à quel point nos dirigeants soutiennent tous ce patriotisme. Mais que dit le père Tolstoï ? D'avance, Il le condamne !

"Le patriotisme ne saurait être bon. Pour quelle raison l'égoïsme serait-il condamnable alors que l'on devrait pouvoir affirmer qu'il est une bonne chose puisqu'il est un sentiment naturel et inné chez l'homme ? Tandis que le patriotisme est un sentiment artificiel qui est inoculé artificiellement à l'homme.

On dira : le patriotisme a relié les hommes en États et il soutient l'unité des États. Mais enfin, les hommes étant déjà unis en États, la question est réglée. A quoi bon, de nos jours, encourager une fidélité exclusive des hommes à leur État si elle engendre des malheurs épouvantables pour tous les États et toutes les nations ?

Or, s'Il n'y avait qu'un seul et unique patriotisme, celui des Anglais par exemple, on pourrait le considérer comme unificateur et bienfaisant; mais, de nos jours, il existe des patriotismes - américain, anglais, allemand, français, russe -, tous opposés les uns aux autres.

[...]

J'ai eu plusieurs fois l'occasion d'écrire sur le patriotisme, sur son incompatibilité radicale avec l'enseignement non seulement du Christ, dans son sens idéal, mais avec les exigences les plus élémentaires de la morale d'une société chrétienne, et chaque fois on a répondu à mes arguments soit par le silence, soit en m'indiquant de façon hautaine que les idées que je formule sont des expressions utopiques du mysticisme, de l'anarchisme et du cosmopolitisme."

- Incompatibilité radicale avec l'enseignement du Christ et les exigences les plus élémentaires de la morale chrétienne, dit Tolstoï.
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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Suliko » ven. 30 août 2019, 21:03

Oui, Tolstoï a adopté nombre d'idées assez radicales (pacifisme, végétarisme, rejet du mariage, etc...). Mais il faut savoir qu'il a été excommunié par l'Eglise orthodoxe russe. Il rejetait en effet l'Eglise, ses sacrements, sa liturgie, ses dogmes, etc... de manière claire et se moquait de sa femme qui continua toute sa vie à être pratiquante.
C'est pourquoi elle seule, prédestinée avant les générations et annoncée par les prophètes, la Mère du Créateur de tout l'univers, non seulement n'a participé en rien à la tache originelle, mais elle est toujours demeurée pure comme le ciel et toute belle. (extrait du règlement pour le monastère de Biélokrinitsa (1841)

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » sam. 31 août 2019, 11:45

En effet, Tolstoî fut excommunié par l'Église de chez lui. Pour sa femme, je n'étais pas au courant.



Il écrivait encore :

"A la question d'un roitelet qui voulait savoir dans quelle mesure et comment il devait augmenter les effectifs de son armée afin de vaincre un petit peuple du sud qu'il n'avait pas encore soumis, Confucius répondit : Élimine toute ton armée, et emploie ce que tu dépenses maintenant pour ton armée à instruire ton peuple et à améliorer l'agriculture, et ce petit peuple du sud chassera son roi et se soumettra sans guerre à ton pouvoir."

Tel est l'enseignement de Confucius dont on nous conseille d'avoir peur. Quant à nous, après avoir oublié la doctrine du Christ, l'ayant renié, nous voulons soumettre les peuples par la force, et cela nous prépare tout simplement des ennemis nouveaux et plus puissants que nos voisins.

L'un de mes amis après avoir vu le tableau de Guillaume II, a dit : Ce tableau est beau. Toutefois, il ne signifie pas du tout ce qui y est inscrit. Il signifie que l'archange saint Michel indique à tous les gouvernements d'Europe représentés comme des brigands bardés d'armes, ce qui va les perdre et les détruire, à savoir la douceur du Bouddha et la justesse de Confucius. Il aurait pu ajouter : Et l'humilité. de Lao-Tseu. En effet, grâce à notre hypocrisie, nous avons à ce point oublié le Christ, nous avons tellement extirpé de notre vie tout ce qui est chrétien, que l'enseignement du Bouddha et celui de Confucius se tiennent incomparablement plus haut que ce patriotisme bestial qui sert à guider nos peuples prétendument chrétiens. "

Moscou, le 5 janvier 1896



Il y a un homme qui aura lu les écrits de Tolstoï et qui, après s'être considéré lui-même comme l'un de ses disciples, se sera finalement résolu de prendre la plume pour lui écrire, bien que beaucoup plus tard, Quand ? en 1909. Et qui au juste ? Gandhi.




De Gandhi à Léon Tolstoï ...

Westminster Palace Hotel
Londres
Le 1er octobre 1909

Monsieur,
Je prends la liberté d'attirer votre attention sur ce qui se passe dans le Transvaal depuis près de trois ans. Une population indo-britannique de près de 13 000 personnes vit dans cette colonie. Ces Indiens ont travaillé pendant de nombreuses années sous le coup de diverses incapacités juridiques. Les préjugés contre les hommes de couleur et, sur certains plans, contre les Asiatiques, sont très puissants dans cette colonie. Dans la mesure où ils concernent les Asiatiques, ils sont dus pour une large part à de la jalousie dans le domaine commercial. Le point culminant a été atteint il y a trois ans avec une loi que beaucoup , dont moi-même, estiment dégradante et conçue pour déshumaniser ceux à qui elle est destinée.

J'ai senti que de se soumettre à une loi de cette nature était incompatible avec l'esprit d'une religion véritable. Certains de mes amis et moi-même avons cru et continuons fermement de croire en la doctrine de la non-résistance au mal. J'ai eu le privilège d'étudier également vos écrits qui ont profondément marqués mon esprit. Les Indiens britanniques auxquels nous avons expliqué cette position, ont accepté le conseil selon lequel nous ne devions pas nous soumettre à cette loi, mais que nous allions devoir subir la prison ou toutes sortes d'autres peines que la loi est susceptible de nous infliger dès l'Instant où elle aura été enfreinte. En conséquence, près de la moitié de la population indienne, incapable de supporter la tension d'Une lutte où les souffrances des épreuves de l'emprisonnement, a quitté le Transvaal plutôt que de se soumettre à une loi qu'elle considère dégradante. Au sein de l'autre moitié, près de 2500 hommes, au nom de leur conscience, se sont laissés emprisonner, certains jusqu'à cinq fois. Les peines de prison ont varié de quatre jours à six mois, accompagnés dans la plupart des cas de travaux forcés. Beaucoup ont été ruinés.

A l'heure actuelle, plus de cent résistants passifs sont dans les geôles du Transvaal. Certains étaient des hommes très pauvres, gagnant leur vie au jour le jour. Par conséquent, leurs épouses et leurs enfants ont dû être soutenus grâces aux aides de la population récoltées pour une grande part auprès de résistants passifs.

Cependant, certains d'entre nous ont au moins saisi très clairement que la résistance passive doit et peut vaincre là où la force brute est vouée à l'échec. Nous nous apercevons également que si la lutte s'est poursuivie, c'est en grande partie à cause de notre faiblesse et, par conséquent, à cause de la conviction qui a germé au sein du gouvernement selon laquelle nous ne serions pas capables de continuer à endurer ces souffrances.

Un ami m'a mois entre les mains une copie de votre Lettre à un Hindou, au sujet des troubles actuels en Inde. Apparemment , elle exprime votre point de vue. Mon ami a l'intention d'en faire imprimer et distribuer 20 000 exemplaires, à ses frais, et de la faire également traduire. Nous n'avons ou toutefois, nous procurer la version originale, et nous ne nous estimons par en droit de la publier tant que nous ne sommes pas certains de l'exactitude de la copie et qu'il s'agit bien de votre lettre. Je prends la liberté de vous envoyer ci-joint une copie de la copie, et je serai flatté que vous ayez l'amabilité de me faire savoir s'Il s'agit de votre lettre, si la copie est exacte, et si vous approuvez sa publication telle que je vous l'ai exposée ci-dessus. Si vous souhaitez y ajouter quoi que ce soit, je vous en prie, faites-le.

Je prends également la liberté de vous faire une suggestion. Dans le paragraphe de conclusion, vous semblez vouloir dissuader les lecteurs de croire en la réincarnation. Je ne sais si vous avez spécialement étudié la question (s'Il n'est pas impertinent de ma part de mentionner cela). La réincarnation ou la transmigration des âmes est une croyance qui est chère à des millions d'hommes en Inde, en Chine aussi bien sûr. Pour beaucoup, on pourrait presque dire qu'Il s'agit d'une expérience, et non d'une question d'adhésion théorique. Elle explique de façon raisonnable les nombreux mystères de la vie. Pour certains des résistants passifs qui ont connu les geôles du Transvaal, elle a représenté une consolation. Mon but en écrivant ceci n'est pas de vous convaincre de la vérité de cette doctrine, mais de vous demandez si vous accepteriez de supprimer le mot "réincarnation" parmi les notions dont vous voulez dissuader vos lecteurs.

Dans la lettre en question, vous avez abondamment cité Krishna et donné les références de ces passages. Je vous serais reconnaissant de me donner le titre du livre d'où vous tirez ces citations.

Je crains de vous avoir lassé avec cette lettre. J'ai conscience que ceux qui vous respectent et s'efforcent de vous suivre n'ont pas le droit d'abuser de votre temps, et qu'il est plutôt de leur devoir de s'abstenir de vous importuner dans la mesure du possible. Cependant, moi qui suis pour vous un étranger absolu, j'ai pris la liberté de vous adresser ce message dans l'intérêt de la vérité, et afin de recevoir vos conseils à propos de problèmes dont la solution est l'oeuvre de votre vie.

Avec mes respects, je demeure votre obéissant serviteur.

M. Gandhi

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 5:36

Tolstoï répondit.

Iasnaïa Poliana, le 7 octobre 1909

Je viens de recevoir votre lettre au plus haut point intéressante et qui m'a procuré une grande joie. Que Dieu aide nos chers frères et nos collègues du Transvaal. La même lutte du mou contre le dur, de l'humilité et de l'amour contre l'orgueil et la violence se manifeste d'année en année de plus en plus chez nous aussi, notamment dans le conflit extrêment brutal entre la loi religieuse et la loi laïque - dans le refus du service militaire. Ces refus deviennent de plus en plus fréquents.

C'est moi qui ai écrit la Lettre à un Hindou. La traduction est très bonne. Le titre du livre sur Krishna vous sera envoyé de Moscou.

Je souhaiterais ne pas supprimer le mot "réincarnation", car pour moi la croyance en la réincarnation ne sera jamais aussi solide que celle en l'Immortalité de l'âme, ainsi qu'en la justice et en l'amour de Dieu. Cela étant, faites comme vous voulez, Je ne peux que me réjouir de la traduction de ma lettre en langue indienne et de sa diffusion.

Je pense qu'en matière de religion, l'idée de compétition, autrement dit de stimulation financière est incongrue. Si je peux être de quelque utilité pour votre publication, j'en serai ravi. Je vous salut fraternellement et me réjouis d'être en relation avec vous.

L. Tolstoï

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 5:40

De Gandhi à Tolstoï

Le 11 octobre 1909

Cher Monsieur,
Je vous prie d'accepter mes remerciements pour votre lettre recommandée concernant la Lettre à un Hindou et les sujets que j'ai abordés dans la lettre que je vous ai envoyée. [...]

Je désire vous envoyer ci-joint un exemplaire d'un livre écrit par un ami, un Anglais qui est actuellement en Afrique du Sud : il concerne ma vie, dans la mesure où il concerne la lutte dans laquelle je suis si impliqué et à laquelle ma vie est dédiée. Comme je suis très désireux de susciter votre intérêt actif et votre sympathie, j'ai pensé que vous ne considéreriez pas cet envoi comme déplacé.

Je pense que ce combat des Indiens au Transvaal est le plus grand des temps modernes dans la mesure où il est devenu un idéal tant par rapport au but qu'il s'est fixé que par rapport aux méthodes adoptées pour atteindre ce but. Je ne suis au courant d'aucune autre lutte où ceux qui y participent ne sont pas supposés obtenir en fin de compte quelque avantage personnel que ce soit, et dans laquelle 50% des personnes concernées ont, au nom d'un principe, subi de grandes souffrances et des poursuites judiciaires. Il ne m'a pas été possible de faire connaître ce combat autant que je l'aurais souhaité.

Vous exercez de nos jours sans doute l'influence la plus grande sur un très vaste public. Si vous êtes d'accord quant aux faits exposés dans le livre de M. Doke, et si vous considérez que les conclusions auxquelles j'ai abouti sont justifiées par les faits, puis-je vous demander d'user de votre influence de toutes les façons que vous estimeriez convenir afin de populariser ce mouvement ? S'Il se solde par un succès, ce ne sera pas seulement le triomphe de la religion de l'amour et de la vérité sur l'irreligion, la haine et le mensonge, mais il est hautement probable qu'il servira d'exemple pour des millions d'hommes en Inde et pour d'autres peuples opprimés ailleurs dans le monde, et il sera certainement un moyen efficace pour briser le parti de la violence, au moins en Inde. [...]

Cette semaine je retourne avec mes collègues en Afrique du Sud, où je risque la prison. Je puis ajouter que mon fils m'a rejoint avec joie dans cette lutte, et il effectue maintenant une peine de six mois de prison avec travaux forcés. C'est la quatrième peine de prison à laquelle il a été condamné au cours de cette lutte.

Si vous avez l'amabilité de bien vouloir répondre à cette lettre, puis-je vous demander de m'adresser votre réponse à Johannesburg SA Box 6522. En espérant que ma lettre vous trouvera en bonne santé, je demeure votre obéissant serviteur.

M. K. Gandhi

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 5:51

L'échange épistolaire se poursuit plus tard ...



Iasnaïa Poliana, le 8 mai 1910

Cher ami,
Je viens de recevoir votre lettre et votre livre Indian Home Rule. J'ai lu votre livre avec le plus grand intérêt, car je pense que la question que vous y traitiez - la résistance passive - est une question de la plus haute importance, non seulement pour l'Inde, mais pour l'humanité tout entière. Je n'ai pu retrouver vos lettres précédentes, mais j'ai trouvé votre biographie qu'a écrite J. Doke : elle m'a beaucoup intéressé et m'a donné la possibilité de mieux vous connaître, et de vous comprendre.

Je ne suis pas actuellement en très bonne santé et c'est pourquoi je m'abstiens de vous écrire tout ce que j'aurais souhaité vous dire à propos de votre livre et de tout votre travail que j'apprécie hautement, mais je le ferai dès que je me sentirai mieux.

Votre ami et votre frère.

L. Tolstoï

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 6:05

Gandhi répond alors à Tolstoï


Johannesburg, le 15 août 1910

Cher Monsieur,
Je vous suis très reconnaissant de votre lettre encourageante du 8 mai, j'accorde une grande importance à votre approbation en général de mon livre Indian Home Rule. Et si vous avez le temps j'attendrai votre critique circonstanciée de ce travail, que vous avez été si bon de me promettre dans votre lettre.

M. Kallenbach vous a écrit à propos de la Tostoy Farm. M. Kallenbach est un ami de longue date. Je peux affirmer qu'il a connu la plupart des expériences que vous avez décrites de façon si vivante dans votre oeuvre intitulée Confession. Aucun autre écrit ne l'a aussi profondément touché que le vôtre. Afin de donner une impulsion pour accomplir des efforts supplémentaires de façon à être à la hauteur des idéaux que vous présentez au monde, il a pris la liberté, après m'avoir consulté, d'appeler sa ferme de votre nom.

Le numéro du Indian Opinion ci-joint vous donnera toutes les informations concernant son action généreuse au profit des résistants passifs en mettant sa ferme à leur disposition. Je ne vous aurais pas accablé avec ces détails, si je ne savais de l'intérêt personnel que vous manifestez pour la lutte de la résistance passive dans le Transvaal.

Je suis votre fidèle serviteur.

M. K. Gandhi

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 12:19

De Léon Tolstoï à M. K. Gandhi


Le 7 septembre 1910, Kotchety

J'ai reçu votre revue Indian Opinion et j'ai été ravi d'apprendre tout ce que l'on y écrit à propos des non violents. Et j'ai eu envie de vous exprimez les pensées que cette lecture a suscitées en moi.

Plus longuement je vis, et en particulier maintenant, alors que je sens vivement la proximité de la mort, j'ai envie de dire aux autres ce que je ressens si vivement et ce qui d'après moi, a une importance immense, plus précisément à propos de ce que l'on appelle la non-résistance, mais ce qui en réalité, n'est rien d'autre que la doctrine de l'amour, non dénaturée par des interprétations erronée. Le fait que l'amour, autrement dit cette aspiration des âmes humaines à l'unité, et l'action qui en découle, soit la loi supérieure et unique de la vie humaine, chaque individu le sent et le sait au fond de son âme (comme nous le voyons plus clairement encore chez les enfants); il le sait tant qu'il n'est pas embrouillé par les doctrines erronées du monde.

Cette loi a été proclamée par tous, aussi bien les sages indiens que chinois et juifs, grecs et romains de ce monde. Je pense que c'est le Christ qui l'a exprimée le plus clairement et a même dit nettement qu'à elle seule elle est toute la loi et les prophètes. Mais ayant de surcroît prévu la dénaturation à laquelle cette loi allait être et pouvait être soumise, il a nettement indiqué le danger de sa dénaturation qui est propre aux hommes vivant au nom d'intérêts profanes, et plus particulièrement le danger qui consiste à s'autoriser de défendre ces intérêts au moyen de la force, par conséquent, comme il l'a dit, à rendre coup pour coup, à reprendre par la force des objets que l'on s'est attribués, etc, etc. Il sait, comme ne peut pas ne pas le savoir tout individu sensé, que l'usage de la violence est incompatible avec l'amour, en tant que loi fondamentale de la vie, et que, dès l'instant que l'on admet la violence, dans quelque circonstance que ce soit, on admet l'Insuffisance de la loi de l'amour et que, de ce fait, c'est cette loi elle-même qui est niée.

Toute la civilisation chrétienne, si brillante en apparence, s'est développée sur ce malentendu et cette contradiction, évidents et étranges, parfois conscients, la plupart du temps inconscients.

En réalité, dès qu'a été admis la résistance au mal parallèlement à l'amour, celui-ci n'a plus existé et n'a pu exister en tant que loi de la vie; il n'a plus existé d'autre loi de la vie que celle de la violence, autrement dit de la loi du plus fort. C'est ainsi que l'humanité chrétienne a vécu durant dix-neuf siècles. Il est vrai qu'à toutes les époques, les hommes ne se sont guidés que par la violence pour organiser leur vie. La différence entre la vie des peuples chrétiens et celle de tous les autres réside seulement dans le fait que dans le monde chrétien la loi de l'amour a été exprimée de façon plus claire et déterminée qu'elle ne l'a été dans aucune autre doctrine religieuse, et que les hommes du monde chrétien ont solennellement adopté cette loi tout en s'autorisant la violence; ils ont construit leur vie sur la violence.

(à suivre)
Dernière modification par Cinci le mar. 17 sept. 2019, 19:39, modifié 1 fois.

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 12:22

(suite)

C'est pourquoi toute la vie des peuples chrétiens est une contradiction totale entre ce qu'ils professent et ce sur quoi ils construisent leur vie : une contradiction entre l'amour admis comme étant la loi de la vie, et la violence admise même comme une nécessité sous ses différents aspects, comme le pouvoir des gouvernants, les tribunaux et les armées, admis et exaltés. Cette contradiction n'a cessé de se développer en même temps que l'évolution des hommes du monde chrétien, et elle a atteint ces derniers temps un degré ultime.

Aujourd'hui, la question se pose à l'évidence en ces termes : de deux choses l'une - soit si nous reconnaissons que nous n'admettons aucune doctrine religieuse et morale, et que nous nous guidons pour organiser notre vie sur le seul pouvoir de celui qui est le plus fort, soit que toutes nos institutions judiciaires et policières, et surtout l'armée, constituées grâce à la violence et à la collecte de nos impôts, doivent être abolies.

Ce printemps, à un examen de catéchisme dans l'une des institutions pour jeunes filles de Moscou, le maître de religion, puis l'évêque présent, interrogèrent les jeunes filles sur les commandements et en particulier le sixième. Après une réponse correcte à ce sujet, l'évêque avait coutume de poser une autre question : "Le meurtre est-il toujours, dans quelque circonstance que ce soit, interdit par la loi de Dieu ?" Et les malheureuses jeunes filles, corrompues par leurs maîtres, devaient répondre et répondaient : "Pas toujours, le meurtre est permis à la guerre et pour châtier les criminels."

Toutefois, quand on posa cette question de savoir si le meurtre est toujours un péché à l'une de ces malheureuses jeunes filles après qu'elle eut donné sa réponse (ceci n'est pas une invention, mais un fait que m'a raconté un témoin), elle affirma résolument, émue et rougissante, qu'il l'était toujours, et à tous les sophismes habituels de l'évêque elle répliqua avec une ferme conviction que le meurtre est toujours interdit, qu'il est interdit aussi bien dans l'Ancien Testament que par le Christ, et non seulement le meurtre, mais tout mal commis contre son frère. Et ce fut l'évêque qui, malgré la majesté et son art de l'éloquence, se tut, et la jeune fille en sorti victorieuse.

Oui, nous pouvons discuter dans nos journaux des succès de l'aviation, des relations diplomatiques complexes, des clubs de toutes sortes, des découvertes, des unions de toute nature, des prétendus oeuvres d'art, et taire ce qu'a dit cette jeune fille; mais il ne faut pas le taire, car cela, n'importe quel homme du monde chrétien le sent plus ou moins confusément, mais il le sent. Le socialisme, le communisme, l'anarchisme, l'armée du salut, la criminalité qui augmente, le chômage de la population, le luxe insensé des riches qui s'accroît et la misère des pauvres, le nombre des suicides qui se multiplient de façon épouvantable, voilà des signes de cette contradiction intérieure qui doit être résolue, mais ne peut l'être. Et - cela va de soi - résolue dans le sens d'une reconnaissance de cette loi de l'amour et d'une négation de toute violence.

C'est pourquoi votre action au Transvaal, telle qu'elle nous apparaît à l'autre bout du monde, est l'une des causes les plus centrales, les plus importantes parmi toutes celles qui sont aujourd'hui défendues dans le monde et à la participation de laquelle prendront immanquablement part non seulement les peuples du monde chrétien, mais ceux de n'importe quelle partie du monde.

Quelque dérisoire que soit également le nombre de gens qui vous suivent et sont des non-résistants, comme chez nous en Russie le nombre des objecteurs de conscience, les uns comme les autres peuvent dire hardiment que Dieu est avec eux. Et Dieu est plus puissant que les hommes.

Admettre le christianisme, même sous cette forme dénaturée dans laquelle il est professé chez les peuples chrétiens, et admettre en même temps la nécessité des armées et des armements destinés à tuer à une échelle gigantesque lors des guerres, voilà une contradiction qui est si évidente et flagrante que tôt ou tard, de façon inéluctable, probablement très bientôt, elle apparaîtra au grand jour, et il faudra soit cesser de professer la religion chrétienne, nécessaire pour soutenir le pouvoir, soit cesser de soutenir l'armée et toute la violence qu'elle entretient, et qui n'est pas moins nécessaire au pouvoir.

Tous les gouvernements ont conscience de cette contradiction, aussi bien votre gouvernement britannique que le nôtre en Russie, et, du fait d'un sentiment naturel d'autoconservation, cette conscience est persécutée par ces gouvernements avec plus d'énergie, comme nous le voyons en Russie également et à travers les articles de votre revue, que tout autre action antigouvernementale. Les gouvernements savent où se situe le plus grand danger qui les guette et ils ne préservent avec vigilance dans cette question plus seulement leurs propres intérêts , mais la question d'être ou de ne pas être.

Avec mon plus grand respect.

Léon Tolstoï
Dernière modification par Cinci le mar. 17 sept. 2019, 19:48, modifié 1 fois.

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 13:55

Je trouve (avec le recul) les propos de Léon Tolstoï drôlement stimulants et propres aussi à remettre en question une partie de ce que je peux moi-même penser et dire au gré de pages de discussions.

Je trouve que cet échange épistolaire entre lui et Gandhi au début du XXe siècle nous donne quand même tout un éclairage sur le comportement de nos gouvernements, mais ne serait-ce qu'à songer aux dépenses militaires qui seraient celles du seul gouvernement américain.


Depuis 1979, savez-vous combien de fois la Chine a été en guerre avec qui que ce soit? Aucune. Et nous sommes restés en guerre » a-t-il dit. Carter a poursuivi: « Les États-Unis sont la nation la plus belliqueuse de l'histoire du monde en raison de sa volonté d'imposer les valeurs américaines à d'autres pays. La Chine investit ses ressources dans des projets tels que les chemins de fer à grande vitesse, au lieu des dépenses militaires. "Combien de kilomètres de chemin de fer à grande vitesse avons-nous dans ce pays?" »

« Aucun », a répondu la congrégation.

« Nous avons gaspillé, je pense, 30 000 milliards de dollars », a déclaré Carter, évoquant les dépenses militaires américaines. « La Chine n'a pas gaspillé un seul centime sur la guerre, et c'est pourquoi elle est en avance sur nous. Dans presque tous les domaines. Si nous prenions 30 000 milliards de dollars et que nous les investissions dans les infrastructures américaines, nous aurions des chemins de fer à grande vitesse. Nous aurions des ponts qui ne s'effondreraient pas. Nous aurions des routes bien entretenues. Notre système éducatif serait aussi bon que celui de la Corée du Sud ou de Hong Kong, par exemple. » Carter n’a malheureusement pas mentionné le financement d’un système public de soins de santé.

(propos de l'ancien président des États-Unis Jimmy Carter, le 5 avril 2019 )


http://lautjournal.info/20190826/jimmy- ... et-trudeau
Les États-Unis sont la nation la plus belliqueuse de l'histoire du monde en raison de sa volonté d'imposer les valeurs américaines à d'autres pays, dit Jimmy Carter. La loi du plus fort, la loi des caïds de Chicago, comme disait le gauchiste Noam Chomsky que j'aime bien. Contradiction flagrante d'avec la religion du Christ aurait dit Léon Tolstoï.

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » dim. 01 sept. 2019, 14:33

Il est "terrible" de voir la hauteur de vue d'hommes comme Gandhi au début du XXe siècle et le mode d'engagement auquel il voulait convier ses disciples en comparaison de ce que nous voyons de nos jours. Que ce soit le terrorisme islamique, le comportement des anti-fa, celui des pays de l'OTAN dans leur croisade contre la terreur, même celui des fans du "multi" qui tendent à devenir eux aussi de plus en plus violents, amateurs de censure, de légalisme oppressif et d'État policier en fin de compte.

Je me dis que Tolstoï et Gandhi étaient autrement plus révolutionnaires encore que bien du monde d'aujourd'hui.

Avant même la guerre de 1914, et avant 1917 et la révolution dite d'octobre en Russie, Tolstoï prévoyait le massacre dans une bonne mesure et délégitimait d'avance les uns et les autres, aussi bien les Poincarré, les Guillaume II ou généraux de la Grande guerre mais que les idéologues à la Lénine, Staline ou Trotski par la suite; tous des adeptes de l'idée de pouvoir instrumentaliser la violence d'une manière afin de pouvoir parvenir à leurs buts et au triomphe de la bonne cause.

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Fleur de Lys » lun. 16 sept. 2019, 22:28

Merci cher Cinci pour ce partage qui pousse à la réflexion.

L'égoïsme est cité comme un penchant naturel de l'Homme, mais le patriotisme ne le serait-il pas lui aussi? La fierté du clan, de la tribu, organisation qui me semble être on ne peut plus naturelle. La patrie n'en serait que l'exagération instrumentalisée par les Grands de ce monde.

Le christianisme nous pousse au contrôle de nos penchants naturels (égoïsme, gloutonerie, sexualité, etc.) car est-ce bien naturel de "tendre l'autre joue"?

En effet, cela fait froid dans le dos de lire ces mises en garde 4 ans avant la Grande Guerre, et 100 ans plus tard, quelles leçons en a t-on tirées?

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Solene111 » mar. 17 sept. 2019, 18:59

J'ai lu le premier message. Évidemment que Tolstoi a raison!!! Plutôt deux fois qu'une. Le véritable christianisme est non violent, certains se sont fait martyrisés. Et les béatitudes alors? Et "tendez l'autre joue"? Jesus a t il déjà été violent (je ne dis pas en colère, je dis violent)? Rendez à Cesar ce qui lui appartient. Le christianisme est fondamentalement non violent, Tolstoi, Gandhi ont raison. Il ne faut pas confondre "être belliqueux" et "être souverainiste". Être souverainiste c'est pouvoir prendre ses propres décisions, ce n'est pas du tout faire la guerre. On peut être souverain et pacifiste. L'opinion de Tolstoi n'a rien d'extrême, elle est sage.

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Cinci » mer. 18 sept. 2019, 2:56

Merci pour l'intérêt !


Solene111 :

Tolstoi, Gandhi ont raison. Il ne faut pas confondre "être belliqueux" et "être souverainiste". Être souverainiste c'est pouvoir prendre ses propres décisions, ce n'est pas du tout faire la guerre.
Moi, ce que je ne savais pas : c'est comment Tolstoï avait pu être le maître à penser de Gandhi. Je n'ai jamais vu ça nulle part jusqu'ici si je parle pour moi. Nulle part dans la presse, les livres, film ou autre. Je trouve le rapprochement intéressant. Bon à savoir.

On pourrait mettre en balance la dynamique spirituelle (et absolument admirable !) qui était celle de Gandhi (et donc père de l'Inde contemporaine, l'Inde désormais souveraine ...) versus la dynamique actuelle qui serait celle des dirigeants en place dans ce même pays, porteurs d'un dynamique plutôt "identitaire" et au sens de ce que n'aimait pas du tout Tolstoï apparemment ("nous contre eux"; les intérêts de l'hindouisme "contre" ... raidissement, rigidité, guerre ...")

Merci de définir le souverainisme comme vous le faite.

Rendez à Cesar ce qui lui appartient. Le christianisme est fondamentalement non violent, Tolstoi, Gandhi ont raison.
C'est là une question potentielle à multiple facettes. J'éprouverais moi-même quelques difficultés avec certains aspects du radicalisme à la Tolstoï. Mais c'est peut-être moi là-dessus qui pourrait avoir tort. Bon, à moins qu'ici aussi différents points de vue sur la question pourraient être légitimes dans un sens.

:?:

Un Maurice Bellet que je lisais il y a quelque temps dirait qu'il ne faudrait pas craindre de refuser d'endosser bien des choses du passé et ayant pu être fait au nom de la foi, Dieu, etc. Il faudrait reconnaître les abus, etc. Par exemple, il pensait aux croisades évidemment. Mais ... moi, pour l'instant ... Non, il y a rien à faire ... Je ne suis pas capable de voir en rétrospective (et de façon réductrice à mon sens) la démarche initiale qui fut celle des croisés de l'époque comme un truc malsain, ignoble, contraire à l'esprit du christianisme. Pour l'époque, j'y aurais vu bien davantage une façon de christianiser ou de vouloir canaliser (en mieux ! tentative de faire passer l'idéal chevaleresque) une certaine activité désordonnée et agitée de gens de pouvoir ou de guerre.

Le problème avec la condamnation a posteriori et unidimensionnelle mais c'est qu'elle fait l'impasse sur ce qu'était les buts louables recherchés par ses idéateurs, ainsi que sur le caractère admirable de dévouement et d'oblation auxquels le mouvement aura pu donner naissance.

On va nous vanter de nos jours l'action des casques bleu, la force que l'ONU mettrait sur pied pour aller refroidir les ambitions de quelque parti guerrier enthousiaste et bien massacreur. Mais les croisés sont l'idéal-type qui servent de modèle à nos beaux penseurs humanistes de l'ONU. Ainsi, l'idée d'une force militaire mise au service du Bien, pour protéger la veuve et l'orphelin, pour casser l'élan des djihadistes maniaques, des sectateurs du vieux de la montagne, des assassins sortis des contreforts du Liban.

Quand notre pape François le pacifiste aura entendu parler des militants djihadistes, fumeurs de haschisch, tortionnaires, coupeurs de membres, violeurs et esclavagistes (lors de l'affaire des Yézidis avec l'avance de l'armée de Daesch) c'est assez simple : il a craqué. Il ne savait plus trop que dire pour éviter de dire ce que le pape Urbain II aurait dit dans son temps, mais bien qu'adressant pourtant, lui aussi, de muettes prières, pour que quelqu'un se chargeasse bien du boulot ! allez mettre un terme au désordre. Et puis y allez militairement (si, si) bien que pas trop, juste suffisamment idéalement.

On peut dire que la paix c'est mieux, la non-violence c'est bien et l'Église elle-même ne peut pas se permettre de faire la promotion de la violence (entendre : l'application d'une force au profit de l'injustice, le désordre, le scandale, la démultiplication de souffrances inutiles, " lâchez la bonde à des passions bestiales", etc.) Mais il peut arriver que des croyants puissent être amenés épisodiquement à devoir poser quelque geste pouvant être compris comme une forme de violence, je pense. Et même si ce serait juste un militant pratiquant tantôt une action de sabotage dans une usine de production d'arme nucléaire. Même si c'était juste un militant s'introduisant par effraction sur un site gouvernemental pour peinturer un slogan hostile à une politique douteuse. C'est difficile d'imaginer une situation existentielle dépourvue totalement de la moindre "violence", de toute action pouvant être perçue comme un agissement belliqueux.

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Re: Sur la non-violence et le patriotisme

Message non lu par Solene111 » mer. 18 sept. 2019, 6:12

Cinci, évidemment que dans certains cas là violence est nécessaire, mais il est avant tout nécessaire de soigner. Vous ne soignez pas un fou en lui tapant sur la tête avec un bâton. Par contre s'il n'y a pas d'autre possibilité, il faut le maîtriser avec la force.

Mais concernant ces sujets, il faut faire de la généalogie. Le djihadisme, c'est l'Occident qui l'a crée. Par exemple quand les Américains sont partis en croisade, Bush a employé le terme, en Irak. Le djihadisme ne sort pas de nul part. Quand on est violent, quand on bombarde l'Afghanistan, l'Irak, la Lybie, il ne faut pas s'étonner de voir des réactions de violence (et des migrants).

Et donc ensuite il faut assumer ses responsabilités. Arrêtons de vouloir faire la loi chez les autres. Laissons les gérer leur pays.

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