Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

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Fée Violine
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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Fée Violine » sam. 25 avr. 2020, 14:11

:clap:
Bravo Riou, c'est bien ça.
En fait,"Le spleen de Paris", ou "Petits poèmes en prose", s'il a paru en 1869, a été écrit avant puisque Baudelaire est mort en 1867.

Ce poème, dont notre texte est le début, est intitulé "Le gâteau".
Juste après, le narrateur sort son casse-croûte. Un enfant déguenillé et affamé regarde avec envie son pain, qu'il appelle du gâteau. Le narrateur lui en donne un morceau. Aussitôt apparaît un deuxième enfant pauvre et affamé, les deux enfants se battent férocement. Les illusions du narrateur sur la bonté humaine n'auront pas duré longtemps.

J'ai du mal à comprendre ce que l'idée de modernité vient faire ici ? Sans doute la modernité idéologique, qui va de pair avec l'idée de progrès ? Ce genre de point de vue semble plutôt irréaliste et daté, non ?

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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Riou » sam. 25 avr. 2020, 14:44

D'accord. Je viens de lire le poème en entier. Je ne connaissais pas cette pièce. La suite en effet me confirme cette impression bizarre, ironique de la fin de votre extrait. La corruption des choses atteint même les enfants, et le mieux qu'on puisse faire est d'en extraire des "fleurs du mal", sans rêver à un paradis historique qui viendrait par le progrès et la bonté de l'homme.
C'est en ce sens que Baudelaire a pu être classé parmi les "anti-moderne" : il ne croit pas tellement dans un progrès de l'humanité qui découlerait de la bonté humaine en marche (d'où sa critique permanente des journaux qui se font les fers de lance de ce progrès, comme Le Siècle à l'époque, qui est sans doute le journal visé dans votre extrait, c'est récurrent chez Baudelaire). Il est perplexe devant ces grandes villes nouvelles, ce qui ne l'empêche pas d'aimer l'humanité et de la mettre en poésie malgré tout. Mais cette catégorie d'anti-moderne et peut-être discutable. Je vous conseille le texte "Le monde va finir" dans Fusées, qui donne un aperçu de sa vision un peu désillusionnée de l'avenir.

Je propose donc un texte (là le genre littéraire sera clair dès le début!):

Les pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.


Personne pure, ombre divine,
Qu’ils sont doux, tes pas retenus !
Dieux !… tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus !

Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l’apaiser,
A l’habitant de mes pensées
La nourriture d’un baiser,
Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d’être et de n’être pas,
Car j’ai vécu de vous attendre,
Et mon coeur n’était que vos pas.

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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par prodigal » sam. 25 avr. 2020, 15:00

Ah, là, je ne peux pas jouer, je connais!
J'ai même un souvenir personnel assez précis : c'est en faisant un commentaire composé de ce poème, dont je tairai le nom de l'auteur, que j'ai eu une bonne note au lycée pour la première fois depuis des lustres, et cela m'a donné une grande confiance en moi dont j'ai eu bien besoin par la suite.
Donc, motus et bouche cousue! :mal:
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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Fée Violine » sam. 25 avr. 2020, 21:31

Je connais aussi.
Eh bien, qui va-t-il rester pour jouer ?

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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Riou » sam. 25 avr. 2020, 22:59

Puisque pas grand monde joue, je vais en mettre un autre.
Il s'agissait donc d'un très beau poème de Paul Valéry, Les pas, dont vous êtes de parfaits connaisseurs!

Voici le nouveau texte :

"Être fidèle à la vertu, martyre sublime ! Bah ! tout le monde croit à la vertu ; mais qui est vertueux ? Les peuples ont la liberté pour idole ; mais où est sur la terre un peuple libre ? Ma jeunesse est encore bleue comme un ciel sans nuages : vouloir être grand ou riche, n’est-ce pas se résoudre à mentir, plier, ramper, se redresser, flatter, dissimuler ? n’est-ce pas consentir à se faire le valet de ceux qui ont menti, plié, rampé ? Avant d’être leur complice, il faut les servir. Eh bien ! non. Je veux travailler noblement, saintement ; je veux travailler jour et nuit, ne devoir ma fortune qu’à mon labeur. Ce sera la plus lente des fortunes, mais chaque jour ma tête reposera sur mon oreiller sans une pensée mauvaise. Qu’y a-t-il de plus beau que de contempler sa vie et de la trouver pure comme un lis ? Moi et la vie, nous sommes comme un jeune homme et sa fiancée. Vautrin m’a fait voir ce qui arrive après dix ans de mariage. Diable ! ma tête se perd. Je ne veux penser à rien, le cœur est un bon guide".

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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par prodigal » dim. 26 avr. 2020, 18:46

Un personnage comme Vautrin, une fois rencontré, ne s'oublie jamais plus! :diable:
A moins d'un coup de théâtre surprenant, je crois que j'ai trouvé, et j'ai aussi une idée de l'oeuvre, bien que Vautrin apparaisse, si je ne me trompe, dans trois (au moins) romans du même auteur. Il me semble que c'est la première d'entre ces trois qui a fourni cet extrait, celle où apparaît ce personnage.
Mais n'hésitez pas à nous en proposer un autre, si cela ne vous ennuie pas.
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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Riou » dim. 26 avr. 2020, 19:17

Bon... Je viens de me rendre compte de ma bêtise : j'ai effectivement laissé le nom propre "Vautrin", ce qui rend l'exercice beaucoup trop facile sans doute, surtout pour des lecteurs comme vous!
Il s'agit donc de Balzac, dans le Père Goriot (je crois en effet que c'est la première apparition de Vautrin). Vous avez donc bien trouvé l’œuvre prodigal!
C'est le moment où Rastignac, encore convaincu par les principes de son éducation morale provinciale empreinte de simplicité, refuse de céder aux sirènes de l'ambition parisienne, refus qui ne durera pas par la suite.

Je choisis donc un autre texte, comme demandé! J'espère que celui-ci présentera quelques difficultés... :

Il est mort, comme il le désirait, sur cette terre étrangère, il y repose couché, dans une ombre éternelle, et y laisse des regrets inconsolables. Car toujours, ô mon père ! mes yeux verseront des larmes sur toi, et rien ne pourra calmer ma douleur. Hélas ! tu n’aurais pas dû mourir sur une terre étrangère, où ta mort me laisse dans l’abandon.

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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par prodigal » lun. 27 avr. 2020, 16:52

Il flotte sur ce texte comme un parfum d'antiquité. Est-ce pour autant un texte antique? Ce n'est pas sûr. L'inspiration est-elle païenne ? Je le crois, il me semble probable que nous soyons dans la mythologie.
Giraudoux?
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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Riou » lun. 27 avr. 2020, 17:30

Vous avez bien senti le parfum d'antiquité, et c'est clairement dans cette direction qu'il faut creuser, mais il ne s'agit pas d'une reprise moderne d'un mythe antique (du type Cocteau, Giraudoux, et d'autres). Le texte parle du deuil et de la mort, et son univers spirituel est païen, comme vous l'avez bien vu.
Si je peux compléter votre recherche, je dirai ceci : l'importance de la terre, terre natale ou terre étrangère, est très importante dans ce contexte.

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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Fée Violine » mar. 28 avr. 2020, 0:19

Je penserais à Énée et son père Anchise, s'il n'y avait pas la mention "comme il le désirait". Anchise ne s'est pas exilé volontairement. Et d'ailleurs "ta mort me laisse dans l'abandon" suggère plutôt un enfant, ou une jeune fille.
Mais il y a certainement d'autres pères dans la littérature antique !

Voyons...
Oedipe et Antigone ? Sophocle ?

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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Riou » mar. 28 avr. 2020, 7:03

Bonne réponse Fée violine!
Ce passage est effectivement dans Œdipe à Colone de Sophocle, et il s'agit bien des paroles d'Antigone après la mort de son père. La terre étrangère est importante car c'est un beau texte sur l'hospitalité, où l'on voit Œdipe, chassé de sa terre natale Thèbes et traité comme un paria, tâcher de retrouver un lieu fixe vers Athènes. C'est une tragédie des étrangers, des errants sans patrie (apolis), et du passage de la frontière.

A vous Fée violine.

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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Fée Violine » mar. 28 avr. 2020, 20:10

-... Ce que je demande, c'est qu'on soit exact, qu'on ne se marie pas, et qu'on sache écrire lestement sous la dictée. Savez-vous écrire sous la dictée ?
- Oh ! Parfaitement, monsieur le marquis, répondis-je avec une forte envie de rire.
C'était si comique, en effet, cet acharnement du destin à me faire écrire sous la dictée toute ma vie !...
- Eh bien alors, mettez- vous là, reprit le marquis. Voici du papier et de l'encre. Nous allons travailler tout de suite. J'en suis au chapitre XXIV. Mes démêlés avec M. de Villèle. Écrivez...
Et le voilà qui se met à dicter d'une petite voix de cigale, en sautillant d'un bout de la pièce à l'autre.
C'est ainsi, mon [...], que je suis entré chez cet original, lequel est au fond un excellent homme. Jusqu'à présent, nous sommes très contents l'un de l'autre ; hier au soir, en apprenant ton arrivée, il a voulu me faire emporter pour toi cette bouteille de vin vieux.

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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par prodigal » mer. 29 avr. 2020, 9:59

Le ton, très alerte et agréable à lire, me fait penser irrésistiblement à Stendhal. Le Rouge et le Noir, pourquoi pas? Il me semble que M.de la Mole est marquis justement, cela correspond, et l'ouvrage qui va être dicté aussi, M.de Villèle étant un célèbre ministre ayant exercé durant la Restauration.
Ce qui me trouble, c'est l'identité du correspondant de notre héros, celui pour qui une bouteille va être ouverte. Je n'en ai aucun souvenir, et donc il est probable que je me fourvoie à nouveau. :)
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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Fée Violine » mer. 29 avr. 2020, 11:29

Oui, Prodigal, vous vous fourvoyez !
Le nom de Villèle indique bien que nous sommes au XIXe, mais quand ce livre a été publié, Stendhal était mort depuis longtemps.
D'ailleurs, j'imagine mal Julien Sorel ayant envie de rire. Son humeur habituelle oscille plutôt entre la timidité et l'arrogance, si je me souviens bien. Surtout, je ne l'imagine pas racontant sa vie, c'est un solitaire.

Nous sommes dans un dialogue. Celui qui parle ici n'est pas le héros de l'histoire. Le héros (et narrateur) est celui à qui il parle et pour qui il ouvre cette bouteille.

C'est un roman assez connu, d'un auteur très connu.

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Re: Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

Message non lu par Riou » mer. 29 avr. 2020, 12:06

Il s'agit donc d'un roman historique, qui mêle fiction narrative et réalité historique.
J'ai l'impression que cet extrait est une sorte de lettre, ou un petit billet écrite par le narrateur à une autre personnage principal du roman ("mon [...]" en est l'indice principal, et la mention de "ton arrivée" confirme cette idée). De plus, il semble y avoir une histoire de mariage au début du texte, avec une tonalité comique, une sorte de situation un peu absurde faisant songer au théâtre, les deux protagonistes ayant l'air complice, et il faut peut-être mettre cela en lien avec le fait (si mon hypothèse est bonne) que ce texte est une lettre du héros-narrateur à celle avec qui il serait question de mariage (mais ce mariage serait impossible puisque le marquis dit bien que l'important est de ne pas se marier). Mais peut-être que je m'égare.
Il semble clair également que cet extrait nous présente un livre dans le livre. Il semble que le marquis est dans un projet d'écriture, peut-être ses mémoires, puisqu'il en est au chapitre 24, et qu'il compte traiter de ses problèmes rencontrés avec ce monsieur de Villèle.
Ce serait donc un roman plutôt écrit vers la fin 19ème siècle, puisque Stendhal est mort depuis longtemps.
Tout ça ne me donne pas la réponse, mais on peut se demander si ce n'est pas un roman qui donne une large place au genre épistolaire, où cet extrait ne serait qu'une exception dans l'ensemble du texte?

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