Kerygme a écrit : ↑dim. 02 août 2020, 9:40
Cette dame nous expliquait la réaction qu'elle avait eu lorsqu'une personne aurait dit : "ce n'est que du matériel" concernant l'incendie de l'orgue de Nantes, je vais essayer d'être fidèle à ses propos :
"
Cet orgue, pour moi, c'est comme une personne, il suffit de voir la bénédiction d'un orgue par l'évêque. Celui-ci se place au centre de l'Église et commence un dialogue avec l'orgue qui lui répond, et cela dure quelque minutes. Alors quand on me dit que pour la destruction de l'orgue de Nantes ce n'est que matériel cela me met en colère. Un orgue a été construit dans le but de jouer la gloire de Dieu, c'est bien plus que du matériel."
J'ai trouvé que son discours sonnait très juste et a débuté en moi une réflexion sur le détachement au matériel, qui n'était pas une mauvaise chose, mais qu'il ne fallait pas trop se détacher pour ne pas perdre de vue la fonction de certains. Son propos m'a permis de voir qu'il n'y avait pas que la perte historique à prendre en considération.
Voilà, pas de réponse nécessaire, je tenais juste à partager cela.
Bonjour,
En effet, et je pense que le terme de "matériel" est impropre. Des choses suscitent dans l'âme humaine une profondeur de souvenirs, de vie personnelle, d'habitation d'un lieu, de telle sorte qu'un homme y retrouve quelque chose de son être, de son passé, de ses sensations, de ses sentiments, de ce qu'il aime et de ce qu'il veut. Quand une maison d'enfance brûle, ce n'est pas simplement du matériel qui brûle, mais une partie de soi, des efforts de ses parents, des objets à forte teneur affective, des habitudes de vie, des joies et des peines vécues, une chaleur humaine irrémédiablement perdue que ce lieu ressuscitait aisément dans la mémoire. De là l'émotion des gens qui retournent sur un lieu qui a marqué leur vie. Les choses "matérielles" suscitent pour les consciences humaines tout un monde immatériel de souvenirs et d'attachements singuliers qui font partie intégrante de la personne. C'est un "chez soi". Il y a une différence entre la matière et l'inscription d'une chair humaine dans le monde. Les positions qui rejettent tout ce qui est matériel occultent complètement cette différence.
La madeleine de Proust n'est pas simplement du matériel, car c'est "
l'édifice immense du souvenir" qui surgit de cette gourmandise trempée dans la tasse de thé. Proust nous apprendra néanmoins que le souvenir n'est pas dans les choses "matérielles" en elles-mêmes, mais dans l'âme humaine qui se remémore à l'occasion de sensations concrètes, faisant ainsi renaître tout un monde de ses ruines. Puisse les nantais retrouver ce lieu perdu dans ces réminiscences proprement humaines. Car au fond cette histoire rend manifeste que "
la figure de ce monde passe", que les choses, ici bas, sont soumises à la génération et à la corruption, et qu'il n'y a pas d'autre issue que la ruine. Mais elle montre aussi que la mémoire ne meurt pas, et qu'aucun être humain ne peut brûler une âme humaine et le monde qu'elle porte en elle. La séparation charnelle est douloureuse (surtout pour une œuvre unique qui n'est pas interchangeable comme un objet industriel fabriqué en série), mais elle se surmonte par l'esprit.
Au fond, la position matérialiste consisterait dans les deux excès suivants : 1) cet orgue n'est rien d'autre que de la matière et il n'y a aucune raison de s'y attacher outre mesure, ou 2) cet orgue est tout, à tel point que sans lui tout est perdu. La position spiritualiste surplombe ces deux alternatives, en sachant reconnaître la perte et ce qui demeure.