Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

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Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Notionis » ven. 23 sept. 2011, 17:47

Il semble qu’on tienne pour vrais, sur ce forum, les miracles de Calanda (Espagne XVII° siècle, attribué à Nuestra Senora del Pilar à Saragosse) et de Peter van Rudder (Belgique 1908, attribué à Notre-Dame de Lourdes).
J’ai découvert leur « existence » à l’occasion des débats engagés ici, avec Xavier de Ligonnès. L’émotion liée à la seconde amputation de son père jouait un rôle clé dans les questions qui l’ont conduit sur ce forum.
Il y est revenu plusieurs fois. Certains participants ont alors cru bien faire en évoquant ces miracles qu’ils semblaient avoir découverts dans le livre de Vittorio Messori. Le miracle impossible. La vérité historique sur le miracle qui dépasse tous les miracles, paru en Italie en 1998 et publié en France chez Mame en 2000 (312 p.).
L’enjeu de l’échange d’alors peut se résumer ainsi.
D’un côté « « Une seule chose me ferait croire sans l'ombre d'un doute que les miracles (ou les interventions préternaturelles ou surnaturelles ) existent : qu'une personne amputée d'un membre voit celui-ci repousser ! or , à ma connaissance, il n'en existe pas. »
De l’autre « à Dieu, rien d’impossible ! ».

J’ai lu très attentivement le livre de Vittorio Messori, mais aussi tout ce que j’ai pu trouver sur le miracle de Calanda, et sur celui de Peter van Rudder (l’anecdote, dans ses détails, et le contexte).
Il me semble important de dire, sur ce forum, la conviction que j’en ai tirée : dans les deux cas, il faut conclure à une grossière fabrication.
Dans les deux cas, le dossier canonique est gravement incomplet.
Pour Calanda, l’amputation n’est pas prouvée, ce qui ouvre la voie à des explications très simples et très humaines pour ce qui s’est passé.
Pour Peter van Rudder, les déclarations des médecins sont gravement incomplètes ou contradictoires. Quoique que ce « miracle » se trouve dans la liste de ceux que, sur les sites officiels, on attribue à Notre-Dame de Lourdes, René Laurentin précise dans l’article qu’il consacre, le 15 avril 2001, dans Chrétiens Magazine, au livre de Messori que « la guérison soudaine de Peter van Rueder dont le tibia et le péroné disjoints se sont ressoudés n'a pas été retenue parmi les « miracles » de Lourdes. »

Quant au livre de Messori, tout paré que soit l’auteur du prestige d’avoir interviewé Jean-Paul II, son ouvrage est, intellectuellement, une honte.
L’éventuelle sincérité de Vittorio Messori est hors sujet. Nous avons à juger ici un document et, derrière lui, à porter une appréciation sur les faits allégués.
Rappelons que, suivant les tenants du miracle, un jeune Espagnol a soudainement retrouvé sa jambe qui avait été amputée et enterrée trois ans auparavant. Or Messori nous parle de tout, de façon relativement crédible, sauf de l’amputation elle-même sur laquelle on n’a rien. Toute l’histoire est bien établie, sauf l’essentiel. Impossible dès lors de crier au miracle, du moins aujourd’hui, d’autant que les détails historiques abondent qui permettent d’imaginer une explication autrement simple et complète, donc préférable : le mendiant Miguel Juan Pellicer Blasco, sérieusement blessé, a joué l’amputé tant que c’était utile, puis, pour s’en sortir, a crié au miracle.
Le processus psychologique est similaire dans l’affaire Peter van Rudder, même si le miracle allégué ne porte pas sur une amputation mais sur la réduction d’une double fracture.

Pourquoi est-il important de redresser les faits ?
Parce que le mensonge, les demi-vérités et l’erreur ne produisent jamais rien de bon.
Parce que, en l’espèce, on voit bien que l’attention portée à ces prétendus miracles, détournait de l’essentiel : la foi donnée ou pas.

La conclusion que je propose : rayez Calanda et Peter van Rudder de la série des « miracles » crédibles.

Pardonnez ce message un peu rapide pour un tel sujet.
Je reste à la disposition de ceux qui le souhaitent.

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Raistlin
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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Raistlin » ven. 23 sept. 2011, 17:57

Notionis a écrit :Pour Calanda, l’amputation n’est pas prouvée, ce qui ouvre la voie à des explications très simples et très humaines pour ce qui s’est passé.
Je ne suis pas certain qu'on ait lu le même livre. Lors de l'enquête, les chirugiens ont été appelés pour témoigner que c'était bien le même jeune homme qui avait été amputé. De même, il y a tous ceux qui l'ont vu mendier pendant plusieurs années (ainsi que ceux de son village qui le connaissaient depuis tout petit) qui ont témoigné qu'il avait bien été amputé. J'ai du mal à savoir ce qu'il vous faut...

Voulez-vous que je vous retrouve les pages où sont abordés ces faits ?

Notionis a écrit :Pour Peter van Rudder, les déclarations des médecins sont gravement incomplètes ou contradictoires.
Pourriez-vous être plus précis, comme par exemple relever ces contradictions dont vous parlez ?

Notionis a écrit : Quant au livre de Messori, tout paré que soit l’auteur du prestige d’avoir interviewé Jean-Paul II, son ouvrage est, intellectuellement, une honte.
En quoi est-il une honte ? Vous le décriez mais vous ne donnez aucun élément objectif.

Notionis a écrit :Or Messori nous parle de tout, de façon relativement crédible, sauf de l’amputation elle-même sur laquelle on n’a rien. Toute l’histoire est bien établie, sauf l’essentiel. Impossible dès lors de crier au miracle, du moins aujourd’hui, d’autant que les détails historiques abondent qui permettent d’imaginer une explication autrement simple et complète, donc préférable : le mendiant Miguel Juan Pellicer Blasco, sérieusement blessé, a joué l’amputé tant que c’était utile, puis, pour s’en sortir, a crié au miracle.
Explication ridicule puisque les chirurgiens ayant amputé le jeune homme ont témoigné qu’il s’agissait bien du même, ainsi que des dizaines d’autres personnes l’ayant fréquenté depuis son amputation. Crier à la supercherie est bien plus absurde.


Bref, je retiens de tout ça que vous hurlez à la supercherie mais sans jamais donner de faits concrets. Vous diabolisez Vittorio Messori mais sans preuve. Et vous avancez une explication rocambolesque : celle d’un jeune homme ayant joué les amputés pendant 2 ou 3 ans à la barbe de tous : des chirurgiens, de sa famille, de ses connaissances, etc.

Pire, vous oubliez un fait rapporté par l’Histoire : la jambe « miraculée » était plus courte de quelques centimètres que l’autres et elle l’a rejointe en taille au bout de quelques jours. Il y a une explication évidente : ayant été amputé vers ses 16 ans, le miraculé (âgé de 19 ans lors du miracle d’après mes souvenirs) n’avait pas fini sa croissance. En outre, vous oubliez également que la jambe « rattachée » avait conservé une cicatrice là où elle avait été amputée. Tout cela est dans le livre de Messori et je doute de plus en plus que vous l’ayez lu avec attention.
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Message non lu par Notionis » sam. 24 sept. 2011, 9:53

Bonjour Raistlin,

Si vous le souhaitez, je suis prêt à mener cette discussion avec autant de précision qu’il le faudra.
Je crois en effet que c’est utile. À mon avis, le livre de Messori est, au mieux, une naïveté. Je la crois dangereuse, c’est la raison pour laquelle je prends le temps d’en débattre.
Je l’ai sur ma table, annoté, donc pas de problème pour vous donner des références même si cela peut prendre du temps. Il va donc falloir fragmenter ce dialogue (longueur des messages, obligations concurrentes…).

Il est à la fois bien et un peu gênant que vous vous proposiez comme interlocuteur sur ce sujet : « bien » parce que vous êtes motivé, « un peu gênant » parce que vous vous êtes fait le promoteur de ce livre que je tiens pour mauvais.
Heureusement, vous avez mis en signature ceci de Michel Audiard : « La vérité n'est jamais amusante, sans cela, tout le monde la dirait. » Nous voici en situation de la garder à l’esprit ;-)

Situation délicate cependant. Je suis conscient que, vu par vous, je me suis contenté dans ce premier message de quelques affirmations à l’emporte-pièce. C’est vrai. Ma raison ? Il fallait bien que j’« annonce la couleur ». Question d’honnêteté et de clarté du débat.

N’allez donc pas trop vite en besogne. Il nous faut procéder avec soin et modération dans la façon dont nous nous traitons réciproquement.

Vous êtes conscient, je pense, que nous ne pouvons débattre tous les points à la fois. Il faut procéder par ordre mais lequel ? Le bon serait celui sur lequel nous nous mettrions d’accord.

J’hésite à cet instant entre deux démarches :
- déblayer le terrain (Peter van Rudder et la masse des considérations oiseuses ou des faux raisonnements qui occupent l’essentiel du livre de Messori, sans parler des cas, peu nombreux, où il donne des informations fausses, annexes mais significatives du caractère superficiel de sa réflexion ou de sa démarche « d’historien »)
- ou aller au cœur du débat :
a. Avons-nous la preuve que Miguel Juan Pellicer ait été amputé ?
b. S’il ne l’a pas été, comment s’est bâtie la croyance au miracle ?


Dans tous les cas, vaste tâche ! Veillons donc, vous, moi et les autres qui se joindront au débat, à garder la vision de l’ensemble.

Ceci dit, j’opte provisoirement pour une troisième voie : la vérité est une construction commune, je vais donc prendre vos remarques les unes après les autres. Le risque de cette démarche est que, faute de bien poser les préalables, la suite devienne désordonnée.
Allons-y tout de même…


« CONTRADICTIONS » DU DOSSIER PETER VAN RUDDER

Un point de cadrage tout d’abord. Êtes-vous d’accord sur le fait que son inscription dans la liste des miracles de Lourdes est problématique ? Cf. la citation que je faisais de René Laurentin, dont Messori se réclame pourtant.

[Pour faciliter la suite de l’échange, je propose de numéroter les thèses en débat…]

RUDDER 1. INSCRIPTION PROBLÉMATIQUE DANS LA LISTE DES MIRACLES DE LOURDES

Pièces du dossier…


DANS LA LISTE DES GUÉRISONS MIRACULEUSES DE LOURDES SUR LE SITE INTERNET DES SANCTUAIRES

http://fr.lourdes-france.org/approfondi ... -miracules

Pierre DE RUDDER de Jabbeke (Belgique). Fracture ouverte de la jambe gauche, avec pseudarthrose. 52 ans au 07-04-1875. Diocèse et date de reconnaissance : Bruges (Belgique) 25-07-1908.


DANS LA LISTE "LES GUÉRISONS DE LOURDES RECONNUES MIRACULEUSES PAR L'EGLISE"

Source : http://www.lourdes-france.org/upload/pdf/guerison.pdf (site Internet des sanctuaires de Lourdes)

Huitième de la liste..
Nom et domicile : M. de Rudder Pierre,
de Jabbeke (Belgique).
Nature de la maladie : Fracture ouverte de la jambe gauche, avec pseudarthrose.
Âge et date de la guérison : 52 ans au 07-04-1875.
Diocèse et date de la reconnaissance : Bruges (Belg.) 25-07-1908.

L'année 1908 se signale par la reconnaissance de 20 guérisons, dont un ulcère, un abcès et de nombreuses tuberculoses.


L'ABBÉ RENÉ LAURENTIN ÉCRIT QUE LA GUÉRISON DE PETER VAN RUDDER N'A PAS ÉTÉ RETENUE

"A Lourdes, la guérison soudaine de Peter van Rueder dont le tibia et le péroné disjoints se sont ressoudés n'a pas été retenue parmi les « miracles » de Lourdes."
René Laurentin. Messori relève le défi. Article paru dans Chrétiens Magazine, 15 avril 2001. http://www.et-et.it/libri/IM/IM_rec_04.html
[C'est un compte rendu du livre publié par "son ami Vittorio Messori" paru chez Mame.]


ENJEU DE RUDDER 1

Non pas le lieu (en Belgique plutôt qu’à Lourdes) du miracle mais le « confort » de l’Église sur la façon dont l’affaire a été traitée à l’époque.



RUDDER 2. LES DÉCLARATIONS DES MÉDECINS SONT GRAVEMENT INCOMPLÈTES OU CONTRADICTOIRES.


ERREUR SUR LA JAMBE ?

Docteurs Thérèse et Guy Vallot, Lourdes et l’illusion, Paris, 1957. Ce livre est tiré d’une thèse de médecine reçue en 1955. Elle y relève que la jambe fracturée en 1867, et dont la consolidation se fit mal, était celle de gauche alors que la jambe guérie dans le certificat de guérison était celle de droite.


INCOHÉRENCES DU DOSSIER

Voir la fiche Wikipedia sur « Pieter De Rudder » : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pieter_De_Rudder

Voir ci-dessous, mis en gras par moi, les éléments qui me semblent importants…

Le vicomte verse à De Rudder une pension que l'abbé Rommelaere, vicaire de Jabbeke, qualifie de « beau salaire »7. À la mort du vicomte, survenue le 26 juillet 1874 8, la pension est supprimée par son héritier 9. Le 7 avril 1875, huit mois et demi après la suppression de cette pension qui a duré sept ans, De Rudder va implorer Notre-Dame de Lourdes à Oostakker et, dans le sanctuaire même, se proclame guéri. Il exhibe une cicatrice qui, si l'on en croit un témoignage tardif (et, en intention, favorable à la thèse surnaturelle), a dès la guérison un aspect ancien10.

Les médecins traitants refusent de délivrer une attestation au clergé de la paroisse11, qui, en 1875, se contente, pour témoins oculaires, de deux voisins et amis12 de De Rudder, père et fils. Ces deux témoins signent une même attestation, rédigée par le vicaire de Jabbeke, selon laquelle ils ont vu, la veille du pèlerinage, les bouts d'os saillant dans la plaie. L'attestation mentionne, à la troisième personne, une habitante du village, non signataire, qui aurait vu la même chose l'avant-veille du pèlerinage13.

L'évêque de Bruges, Mgr Faict, demande par correspondance des renseignements au Dr Van Hoestenberghe, un médecin qui n'avait jamais été le médecin traitant, mais avait examiné la jambe par curiosité. Le Dr Van Hoestenberghe répond en avril et mai 1875. Ses deux lettres, égarées par l'évêché avant l'enquête canonique qui aboutira à la reconnaissance du miracle par Mgr Waffelaert en 1908, ne seront retrouvées qu'en 1956 14. Mgr Faict, quant à lui, ne procède pas à une enquête canonique15.

Le dernier survivant des médecins traitants dont on a retenu le nom, le Dr Verriest, meurt à Bruges le 3 août 1891. Environ un an plus tard, à l'occasion du pèlerinage annuel belge d'août 1892 à Lourdes 16, le Dr Van Hoestenberghe se manifeste publiquement pour la première fois17. Il écrit au Dr Boissarie, président du Bureau des Constatations médicales de Lourdes, deux lettres où il signale le cas De Rudder, disant avoir examiné à l'époque la jambe encore malade et ne pouvoir conclure qu'au miracle 18. Ces lettres provoquent une série d'enquêtes de la part de diverses autorités catholiques. Les témoins oculaires, qui, comme nous l'avons vu, semblent n'avoir été que deux en 1875, se multiplient au fil du temps19, de même que les examens que le Dr Van Hoestenberghe dit avoir faits de la jambe malade 20. En 1907, devant la commission épiscopale dont le rapport aboutira à la reconnaissance du miracle, il affirme avoir examiné la jambe malade dix ou douze fois, la dernière fois trois ou quatre mois avant le pèlerinage 21.

La question de la date du dernier examen est importante, car, de l'avis de plusieurs médecins catholiques, le seul motif de considérer la guérison de De Rudder comme miraculeuse est la preuve testimoniale de son instantanéité 22.

Les réponses d'avril et mai 1875 du Dr Van Hoestenberghe à Mgr Faict, qui étaient perdues lors de l'enquête canonique, sont retrouvées en 1956 et publiées en 1957. Dans la seconde de ces réponses, le Dr Van Hoestenberghe (qui, comme nous l'avons vu, allait déclarer devant la commission de 1907-1908 qu'il avait examiné la jambe malade dix ou douze fois, la dernière fois trois ou quatre mois avant le pèlerinage) dit n'avoir vu la jambe qu'une fois, plus de trois ans avant le pèlerinage23.

Le chanoine De Meester, qui fut promoteur de la cause lors de l'enquête de 1907-1908, continue, malgré les lettres de 1875, à croire 24 que le Dr Van Hoestenberghe fit plusieurs examens de la jambe malade et que le dernier eut lieu environ quatre mois avant le pèlerinage de De Rudder. Il allègue en faveur de cette opinion des notes en ce sens que le Dr Van Hoestenberghe dit avoir prises peu après le pèlerinage. Il s'agit de notes dont le Dr Van Hoestenberghe parla pour la première fois en 1899, pour répondre à deux pères jésuites qui lui faisaient observer qu'il avait placé les soins du feu Dr Verriest en 1875, ce qui, comparé à d'autres sources, semble trop tardif25. Les notes triomphent de cette objection : « Verriest 75 26». Ces notes ont encore la particularité de contredire les lettres de 1875 à Mgr Faict non seulement sur le nombre et la date des examens que le Dr Van Hoestenberghe fit de la jambe malade, mais aussi sur la date de l'examen qu'il fit de la jambe après le pèlerinage : 9 avril 1875 d'après les notes, alors que, le 15 avril 1875, le Dr Van Hoestenberghe écrivait à Mgr Faict qu'il n'avait pas encore eu le temps d'examiner la jambe guérie 27. Ces notes, qui se trouvaient à une place exceptionnelle dans le cahier du Dr Van Hoestenberghe : la couverture intérieure, et non leur rang chronologique parmi les pages 28, ne sont plus connues que par une photo, car elles semblent avoir disparu à l'évêché, avec le reste du cahier 29.


Et parmi les notes, je relève celles-ci…

Voir par exemple Chanoine A. De Meester, De wonderbare genezing van Pieter De Rudder; het kanoniek onderzoek, Oostakker, 1957, p. 156-157. Les partisans du miracle expliquent ce refus par le « libéralisme », par l' «incroyance» des médecins traitants, mais ces mots semblent devoir être pris avec prudence. Ainsi, le Dr Van Hoestenberghe (A. De Meester, ouvr. cité, p. 51) qualifie d' «incroyant» le feu médecin traitant Affenaer, qu'un récit du R.P. Van Tricht (Collection de Précis historiques..., t. 25 - t. 5 de la 2e série -, p. 659) présente formellement comme croyant.

En 1898, le Dr Van Hoestenberghe expliqua son long silence par le désir de ne pas aller contre l'apparente froideur de Mgr Faict sur cette affaire. (Chanoine A. De Meester, De wonderbare genezing van Pieter De Rudder; het kanoniek onderzoek, Oostakker, 1957, p. 52.) Pourtant, à la différence du Dr Verriest, Mgr Faict vivait encore quand le Dr Van Hoestenberghe, en 1892, rompit le silence. (Mgr Faict mourut en 1894. Biographie nationale de Belgique, t. 30, supplément, t. 2, Bruxelles, 1958, col. 372.)



INTERPRÉTATION PROPOSÉE DE RUDDER 2

Le miracle a été déclaré par Pieter van Rudder lorsque, sa pension étant supprimée, il lui a fallu à nouveau travailler.
Le miracle était opportun pour valoriser le sanctuaire Notre-Dame de Lourdes, à Oostakker-lez-Gand, en Belgique, qui venait d’être créé. Dans l’esprit des personnes impliquées dans la validation du « miracle », la cause était bonne, les apparences étaient là, le mouvement de dévotion lancé, pas de contre-indication manifeste, de bons fruits… la fragmentation des responsabilités a fait le reste.


[Le chapitre suivant, dans l'ordre de vos interpellations, portera sur ce que je trouve intellectuellement "honteux" dans le livre et la démarche de Messori.]

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Aberrations de Messori. 1. Erreurs de fait

Message non lu par Notionis » sam. 24 sept. 2011, 13:13

« ABERRATIONS » DE MESSORI


Pardonnez ce titre résumé. Il s’agit de répondre à la question : en quoi le livre de Messori est-il intellectuellement une honte ?

Ça va être long, ce qui, pour la clarté de l’échange, m’impose un travail de regroupement.
J’ai commencé par le plus facile : sous le titre « erreurs », je n’avais dans mes notes sur les pages blanches du livre que deux références !

N.B. Je suis conscient de rester pour l’instant dans « les faubourgs » du débat mais, comme je le prends au sérieux et que je suis vos questions, il me faut avancer pas à pas.

MESSORI. ERREURS DE FAIT

Messori critique la façon dont Hume interprète le récit que le cardinal de Retz fait de sa visite à Saragosse et de l’évocation à cette occasion du « prétendu miracle ».
Page 211, il affirme que l’édition critique de 1837 des Mémoires s’est justement débarrassée de l’adjectif « prétendu ».
L’enjeu ? Retz, qui a rencontré le « miraculé », n’exprimerait pas de doute particulier sur une affaire à laquelle, par ailleurs, il ne s’est intéressé qu’en passant.


MESSORI 1. IL N’A PAS PRIS HUME AU SÉRIEUX

Or Messori, qui est capable d’écrire « John Hume, le célèbre philosophe écossais » (au lieu de David, ce que sait toute personne qui a la moindre culture philosophique),en focalisant sa critique sur un détail, ne rend pas justice à la pensée de Hume sur les miracles. Il n’a pas pris le temps de lire sérieusement l’ensemble du chapitre que Hume leur consacre dans son Enquête sur l’Entendement humain. X. Les miracles (An Enquiry Concerning Human Understanding. Philosophical Essays Concerning Human Understanding, London 1748).
Le principe de sa critique est de souligner que les miracles sont une des pierres de touche permettant de faire le partage entre catholiques et protestants. C’est vrai mais un peu court étant donné l’apport de Hume à la pensée. En l’occurrence, il y a dans son chapitre sur les miracles une analyse et un ensemble d’arguments qui valent toujours d’être pris en compte, même si cela peut, par la suite, conduire à des questions philosophiques plus délicates.
Source : http://philotra.pagesperso-orange.fr/enquet.htm) et, pour en débattre on peut utilement consulter les pages que Stanford consacre à Hume, d’une part : http://plato.stanford.edu/entries/hume/ et aux miracles d’autre part : http://plato.stanford.edu/entries/miracles/

L’idée centrale de Hume sur les miracles ? Croire un fait, c’est le tenir pour probable jusqu’à preuve du contraire. Les miracles sont, par définition, des faits improbables et peu fréquents. Comme on ne peut répéter l’expérience miraculeuse (lorsque c’est possible, le « miracle » entre dans le champ des connaissances utiles), il faut vérifier les témoignages. Et quand on se pose la question de croire ou pas à un fait improbable, autrement dit de fonder ses raisonnement ultérieurs sur l’hypothèse qu’il a eu lieu, il faut disposer de témoignages dont l’exactitude et l’authenticité est vérifiable à hauteur de l’improbabilité du fait allégué.

Mettons maintenant ces questions de côté qui, pourtant, sont essentielles au débat « scientifique » sur « les miracles », en gardant à l’esprit que, sur son versant spirituel, on s’intéresse essentiellement à sa valeur de « signe », et revenons à Messori…
Non seulement il n’a pas pris le temps de « lire » David ( !) Hume, mais il n’a pas pris le temps non plus de vérifier le texte des Mémoires du cardinal de Retz.


MESSORI 2. IL TRAVAILLE HÂTIVEMENT

Selon lui, l’édition critique de 1837, établie d’après le manuscrit original, rectifie le texte et supprime le fâcheux « prétendu ».
Vérification faite, l’édition de 1837 (et les suivantes) maintiennent l’adjectif « prétendu ».

Pourquoi ai-je découvert la négligence de Messori sur ce point ?
Je ne cherche pas à pinailler a priori mais Retz, en tant qu’écrivain, est à mes yeux un maître. J’aime le lire et le relire. Découvrant, en feuilletant Messori, que Retz avait parlé de Calanda, ce qui m’était resté inaperçu, j’ai voulu situer le passage cité dans son contexte, puis vérifier les éditions, etc.
Quant à l’édition de 1837, pour ceux qui veulent vérifier, ils la trouveront à la bibliothèque nationale, numérisée par Gallica. Il faut chercher « La nouvelle collection des Mémoires pour servir à l’histoire de France […] par MM. Michaud de l’Académie française et Poujoulat. Tome premier. Mémoires du Cardinal de Retz, publiés pour la première fois sur le manuscrit autographe, avec leur complément jusqu’en 1679 d’après les documents originaux, par MM. Champollion-Figeac et Aimé Champollion fils. À Paris […] 1837 », et lire aux pages 450 et 451

D’une certaine manière, l’erreur de Messori sur ce point est accessoire.
Le fond des choses est qu’il y a plusieurs manuscrits des Mémoires du cardinal de Retz, et que leurs textes divergent.
Le dernier universitaire à s’être penché sur la question, Marie-Thérèse Hipp qui, avec Michel Pernot, a réalisé l’édition de la Pléiade, a trouvé « la fête de ce miracle » et donne :
« Cette église [Nouestra Sennora del Pilar (sic)] est belle en elle-même, mais les ornements et les richesses en sont immenses, et le trésor magnifique. L'on m'y montra un homme qui servait à allumer les lampes, qui y sont en nombre prodigieux, et l'on me dit que l'on l'avoit vu sept ans, à la porte de cette église, avec une seule jambe. Je l'y vis avec deux. Le doyen, avec tous les chanoines, m'assurèrent que toute la ville l'avoit vu comme eux, et que, si je voulois attendre encore deux jours, je parlerais à plus de vingt mille hommes, même de dehors, qui l'avaient vu comme ceux de la ville. Il avait recouvert sa jambe, à ce qu'ils disaient, en se frottant de l'huile de ses lampes. L’on célèbre tous les ans la fête de ce miracle avec un concours incroyable, et il est vrai qu'encore à une journée de Saragosse, je trouvai les grands chemins couverts et remplis de gens de toute qualité qui y couraient. »
Bibliothèque de la Pléiade, p. 974, in Cardinal de Retz. Œuvres. Gallimard 1984, 1810 p.
Les auteurs de cette édition, dans la partie notes et variantes, ne commentent pas l’omission ou l’exclusion du fameux « prétendu ».

L’enjeu apparent nous importe, tous comptes faits, assez peu. Il s’agit de savoir si Retz, à l’approche de sa mort chrétienne, s’est senti ou non le droit de se prononcer sur la réalité du « miracle » de Calanda. Il semble qu’il se contente de rapporter ce que, sur les lieux, on lui en a dit, comme une anecdote piquante.
Pour nous qui nous posons la question des faits sous les récits, les croyances de Retz sur ce sujet importent peu.
En revanche, nous constatons à cette occasion que Messori a opéré ici en journaliste hâtif et n’a pas vérifié ses sources.

N.B. Il a également des lacunes dans la révision des épreuves. Page 69, il écrit que « Miguel Juan Pellicer fut baptisé le 25 mars 1627 […]. Sans doute était–il né le même jour. » et, page 70, que « l’enfant fut confirmé le 2 juin de l’année suivante, en 1618 ».
___
La prochaine livraison, autant que je l’imagine à l’instant, portera sur les faux raisonnements de Messori (10 références).

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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Raistlin » dim. 25 sept. 2011, 17:22

Bonjour Notionis,

Sur Peter Van Rudder, je ne me suis pas assez intéressé au dossier pour l'aborder, je laisse donc le soin à d'autres de vous répondre.

Pour le miracle de Calanda, vous attaquez Messori sur des détails, certes mais qui ne nuise pas aux faits historiques. Que le livre de Messori contienne des erreurs, c'est inévitable mais vous oubliez une chose : Messori ne fonde pas son argumentation uniquement le cardinal de Retz. Il y a aussi les archives espagnoles.

Bref, il me faut plus de temps pour vous répondre, j'ai besoin notamment de me replonger dans le livre. En tout cas, de mémoire, l'amputation ne faisait aucun doute en raison des témoignages des chirurgiens et des personnes ayant côtoyé le jeune homme. Que vous vous focalisiez sur quelques erreurs de Messori pour décrédibiliser tout le dossier, voilà qui est au moins aussi douteux que les "erreurs" de l'auteur. Mais nous y reviendrons, le temps que je reprenne les choses.

Cordialement,
« Dieu fournit le vent. A l'homme de hisser la voile. » (Saint Augustin)

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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Notionis » dim. 25 sept. 2011, 21:55

Bonsoir Raistlin,

Merci pour ces commentaires sur ce qui n’est encore, forcément, que des préliminaires.


CALANDA 1. PREMIÈRE LISTE DES ÉLÉMENTS DE DOUTE

Pour ne pas paraître différer indéfiniment le débat sur la question factuelle centrale concernant la possibilité qu’il y ait eu « miracle » à Calanda, je comprends que,
lisant la sentence de l’évêque, laquelle dit (p. 298) que Miguel Juan Pellicer « a eu, par suite d’un accident, la jambe droite coupée et amputée, laquelle jambe a été ensuite confiée à la terre du cimetière dudit Hôpital, comme le déclarent les témoins 1 [c’est « le chirurgien Juan de Estanga qui a pratiqué l’opération » cf. p. 145], 5 et 7 [sans doute « Juan Lorenzo Garcia, son élève qui, avec l’aide d’un collègue infirmier, a enterré le membre coupé dans le cimetière de l’hôpital » et « l’autre chirurgien de l’équipe médicale de Saragosse »], etc.
vous vous soyez dit que l’affaire était entendue.
Certes le fait allégué est extraordinaire mais, pour établir l’amputation, on dispose du témoignage de l’acteur décisif, le chirurgien, lequel est par définition compétent.

Je pense, moi, comme vous j’imagine, que tout tient sur le témoignage du chirurgien mais je le mets en doute. Pour quelles raisons ?

Je vais les lister (trop) rapidement parce que…
• Je manque de disponibilité demain et, peut-être, les jours suivants.
• Il serait bon pour la suite de l’échange que vous admettiez comme hypothèse que je dispose peut-être d’une argumentation sérieuse et complète. Je le prétends, et vous me dites que cela reste à démontrer. Nous sommes d’accord d’autant que vous admettrez, j’en suis sûr, que, pour réfuter un livre à grand enjeu, il faille un peu de temps et quelques précautions.

Donc pour ouvrir à l’idée que le « miracle » de Calanda, puisse relever d’une falsification, je pointe les éléments suivants, tels qu’ils me viennent immédiatement à l’esprit… les arguments viendront après.
• Un chirurgien coupe à longueur de journée et, de même, son assistant enterre ou fait enterrer les membres coupés et les cadavres. L’éventuelle amputation de Miguel Juan Pellicer, paysan illettré, sans relation à Saragosse et sans argent, était dans ce contexte « business as usual » pour un monsieur « Nobody ». Deux ans et quelques mois après l’amputation alléguée, que valent les souvenirs ?
• Messori ne nous donne pas le texte des témoignages (il ne nous en fait, p. 77, que des extraits « émouvants »), alors qu’il a lu les ouvrages de ses prédécesseurs et « déchiffré les minutes originales du procès » (p. 63). C’est pourtant ce qu’aurait fait tout historien sérieux.
• Étant donné le propos de l’auteur, et de ses prédécesseurs, ainsi que le fait que Messori a pris le soin de traduire in extenso un texte d’époque mais d’intérêt secondaire (p. 291) et la sentence de l’évêque qui, elle, effectivement, est très forte, on doit supposer jusqu’à information contraire que le texte des témoignages n’est pas probant.
• On ne dispose pas de registre d’hôpital et moins encore de registre d’opération.
• La description de la jambe de Pellicer comme « noire » (p. 77) n’est a priori pas compatible avec le diagnostic de gangrène, qui seul imposerait l’amputation.
• La cicatrice autour de la jambe restituée peut parfaitement correspondre à la cautérisation au fer des plaies causées par l’accident.
• Le supposé amputé ne vivait pas parmi les siens mais à Saragosse où il exerçait la profession de mendiant. Ce statut d’amputé doit être abandonné dans les deux semaines de son arrivée à Calanda alors que, par exception, il couche dans la chambre de ses parents.
• L’ensemble de son comportement, avant le miracle, au moment du miracle et après, jusqu’à la fin de sa vie, est plus compatible avec la thèse de la simulation qu’avec celle du miracle.
• Les pressions en faveur du miracle étaient considérables et c’est là, bien sûr, que la compréhension du contexte historique est essentielle.

Je m’arrête là pour l’instant, espérant avoir ouvert l’esprit des gens qui s’intéressent au miracle de Calanda à l’idée que l’argumentation de Messori puisse comporter des failles importantes qui touchent au cœur même des faits allégués, et ceci alors que, pour autant qu’on sache, il fait la synthèse de tout ce qu’on peut dire en faveur du miracle.

Ayant, je crois, situé mes thèses (à vérifier bien entendu) au niveau de votre interrogation, Raistlin, et ne pouvant, faute de temps ce soir, aller plus loin, je vous livre ce que je préparais avant de lire votre message.
Mon but était, en prenant un peu de champ par rapport à votre première interpellation, de fournir quelques éléments de contexte que je crois nécessaires pour mener cette réflexion à son terme, sereinement et, pour reprendre le mot d’ordre du forum « dans l’intelligence de la foi ».


MESSORI 3. IL DÉFORME LE CONTEXTE HISTORIQUE

L’argumentation de Messori est, à mes yeux, profondément viciée sur deux plans essentiels.

Il donne de l’histoire espagnole une vision partisane gravement déséquilibrée et incompatible avec le message chrétien.

Ce déséquilibre est particulièrement manifeste dans les parties consacrées
1) à l’expulsion des Morisques et…
2) à la guerre d’Espagne.
N.B. Voir aussi ce qu’il écrit sur « la chasse aux sorcières » (p. 140). Rappelant (justement) l’importance qu’elle a prise dans les pays protestants, il présente bien légèrement le rôle de l’Église et de la tradition catholique en cette affaire. Institoris, le dominicain qui est le principal auteur du Malleus Maleficarum, était inquisiteur pontifical. Certes, on est au point culminant d’une logique folle et l’Église, à partir de là, fait marche arrière, mais on n’est pas arrivé là par accident : la « chasse aux sorcières » est une conséquence, parmi d’autres, de l’idée que l’Église s’est longtemps faite de son rôle dans l’avènement du « royaume de Dieu ». Il y a 50 ans à peine, Vatican II trouvait encore à faire des pas décisifs sur ce point.

Lisant son livre, j’ai estimé avoir des connaissances suffisantes sur la guerre d’Espagne pour ne pas m’obliger à les repréciser. Cette partie de l’histoire est assez proche de nous, en France particulièrement, pour que la plupart des lecteurs du forum en aient quelque idée.

En revanche, puisque je connaissais mal ce qui avait trait à l’expulsion des Morisques (ban de 1609), je me suis renseigné. C’est, avec l’expulsion maintenant bien connue des Juifs d’Espagne (1492), l’un des épisodes les plus noirs de l’histoire de la Chrétienté...
1) pour ce qui fut fait à l’époque et…
2) pour ce qui fut ainsi fondé : le premier état raciste européen. On sait qu’il y en a eu d’autres et qu’ils se multiplient.

Pour ceux que ces aspects de notre histoire intéressent (comment, Chrétiens d’aujourd’hui, ne pas nous sentir co-responsables, et ne pas nous préoccuper de ce que notre culture véhicule, au plus intime, de profondément meurtrier ?), je recommande le bel article Rodrigo de Zayas dans Le Monde diplomatique de mars 1997: « L’expulsion des morisques d’Espagne » http://www.monde-diplomatique.fr/1997/03/DE_ZAYAS/8003
Par ailleurs, constatant que le texte de l’arrêté d’expulsion des Maures d’Espagne n’était pas disponible sur le Net, j’ai été le chercher et l’ai mis en ligne sur mon blog : « Texte du ban d'expulsion des Maures d'Espagne (22/09/1609) http://www.notionis.com/blog/?p=2795

Il n’est pas nécessaire, je pense, de souligner que ce qui allait de soi, en Espagne, au moment et dans l’espace du « miracle de Calanda », est totalement incompatible avec la vision que nous avons aujourd’hui du message chrétien. Puis-je suggérer à ceux qui relégueraient ce genre d’histoires dans les oubliettes du passé que les raisonnements menés à cette époque sont toujours actifs dans la communauté chrétienne ?
Ceux que cela intéresse peuvent, pour s’en faire une idée, parcourir la lecture que je fais de la façon dont les catholiques, aujourd’hui, pensent la situation des Chrétiens d’Orient. Voir : L'avenir des Chrétiens d'Orient http://www.notionis.com/blog/?p=2814
La façon dont Messori évoque la guerre d'Espagne montre que sa pensée manque de garde-fous.

Mais la cohérence chrétienne n’est pas le seul enjeu de tels examens historiques.
Le « miracle de Calanda » est au cœur de cet échange, soit deux questions à la fois :
- que s’est-il passé à Calanda ?
- qu’est-ce qu’un miracle ?


Dans la liste ci-dessus des « éléments de doute », j’ai effleuré la première question.
Mais, si on admet qu’il puisse y avoir eu erreur, voire supercherie (la thèse à laquelle je me suis rendu), hypothèses qu’il faut bien examiner si l’on imagine qu’il puisse y avoir eu miracle, on doit comprendre le contexte.
Sur ce point, ce que Messori écrit (pp. 70-71 par ex.) peut ouvrir l’appétit mais reste gravement insuffisant et se montre surtout gravement déséquilibré par un élan apologétique qui fait fi des précautions nécessaires.
Il n’évoque l’épisode que pour planter le décor dans lequel évolue le paysan blessé puis, nous dit-il, amputé et miraculé.
Par la suite, (notamment pp. 149-157) et toujours dans le seul but de nous inciter à croire qu’il y a eu miracle, il nous évoque la concurrence entre la cathédrale, siège de l’évêché (La Seo), et Notre-Dame du Pilar. Le procès aurait été exemplaire puisque le miracle débattu est attribué à Notre-Dame du Pilar dont le chapitre n’est pas représenté au tribunal ecclésiastique.

Sans doute… à ceci près que l’argument se retourne.

Le Pilar est une pieuse légende comme il y en a tant, dont la nécessité, malgré les apparences, est toute politique. Ce « Pilar » est historiquement le « pilier » de la Reconquista et donc de l’identité espagnole.

Rappelons les données.
La Vierge, encore vivante en l’an 40, apparaît sur le site de l’ancienne Caesar-augusta, la future Saragosse, à un saint Jacques en mal de conversions. Elle laisse sur place, pour preuve de son passage, le pilier de jaspe qu’elle a transporté pour l’occasion.
De tels déménagements ne sauraient surprendre les Chrétiens lorsqu’ils sont en bute aux Sarrazins. Notre-Dame de Lorette en témoigne. Quand au XIII° siècle, les Musulmans menacent la maison de la Vierge à Nazareth, des anges transportent miraculeusement la Sainte Maison en Croatie, puis, en 1294, dans la Marche d’Ancône. Le pèlerinage a du succès. Il tombe à partir de 1507 sous le contrôle direct du Pape. Notre-Dame de Lorette suscite une telle dévotion que René Descartes, le rationaliste « cartésien » que l’on sait, y fait un pèlerinage en 1623 pour remercier le Seigneur des trois songes qu’il a eu dans son poêle, en 1619, d’où résulte, notamment, le « Cogito ».

D’où cette première proposition : bien comprendre le contexte historique de Calanda (ce que Messori ne fait pas, ou ne veut pas faire, du moins dans cet écrit) permet de mieux percevoir avec quelle force il poussait à « l’invention » du miracle.
N.B. J’écris ici « invention » dans les deux sens de « découverte » ou « révélation » et de « fabrication » ab nihilo.

Deuxième proposition : la dévotion de Descartes à la Sainte Maison vaut-elle témoignage sur la réalité de sa double translation miraculeuse ? Non, elle montre seulement que les « songes » de Descartes ont fait signe pour lui et qu’il y a répondu « avec grâce ».
De même, dans l’autre sens, la relative indifférence du cardinal de Retz à l’égard du miraculé de Noestra Senora del Pilar, ne saurait rien nous dire sur ce qui s’est passé ou pas à Calanda.

Et, là, nous touchons à l’autre erreur majeure de Messori, la plus grave à mes yeux.


MESSORI 4. LE RAPPORT QU’IL PROPOSE AU DIVIN TEND VERS L’IDOLÂTRIE

La dévotion ne se déploie pas dans l’espace des faits mais dans celui des signes et de la relation. Elle répond amoureusement à ce qui a été vécu comme un appel et une grâce qui, donnés et reçus librement, invitent à répondre de même.
Parce que les liaisons qui se font dans cet espace ne sont pas d’ordre causal (elles sont interactives), et qu’elles s’inscrivent dans des perceptions…
parce que, pour faire signe, il faut qu’il y ait rupture dans le bruit des choses, un de ces temps d’arrêt qui permettent de distinguer des mots dans la chaîne des sons…
parce qu’il faut s’autoriser une forme de stupeur pour percevoir l’irruption dans sa vie de l’initiative d’un autre…
de tels moments sont vécus comme « miraculeux » et, certes, on n’en finira pas ensuite de les considérer et de s’en inspirer.
Tous les amants le savent.

Mais de là à les penser comme des « faits », il y a un pas qu’on ne saurait franchir sans « preuves », sauf à tomber dans l’idolâtrie, c'est-à-dire à réduire le signe (et permettez-moi ici d’écrire « le Verbe » !) à la chose sur laquelle, par accident, on l’a perçu.

Cordialement et à bientôt,

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Raistlin
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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Raistlin » lun. 26 sept. 2011, 11:02

Bonjour Notionis,

Je peux enfin vous répondre sur le livre de Vittorio Messori. Sachez d’abord que je vous remercie pour m’avoir donné l’occasion de replonger dans ce livre. Je sais que vous ne partagez pas mon avis mais je le trouve excellent.

Je n’ai pas terminé ma relecture mais je peux déjà vous répondre sur quelques points.

Notionis a écrit :Messori critique la façon dont Hume interprète le récit que le cardinal de Retz fait de sa visite à Saragosse et de l’évocation à cette occasion du « prétendu miracle ».
Page 211, il affirme que l’édition critique de 1837 des Mémoires s’est justement débarrassée de l’adjectif « prétendu ».
L’enjeu ? Retz, qui a rencontré le « miraculé », n’exprimerait pas de doute particulier sur une affaire à laquelle, par ailleurs, il ne s’est intéressé qu’en passant.
Certes, Messori semble dire que le « prétendu » est un ajout. Mais si vous l’aviez bien lu, vous auriez vu qu’il se fiche comme d’une guigne de présenter le cardinal de Retz comme un témoin fiable. Bien plus, il doute du sérieux de son investigation et du fait qu’il ait rencontré Miguel Juan Pellicer. (p. 209-210)

Notionis a écrit :Or Messori, qui est capable d’écrire « John Hume, le célèbre philosophe écossais » (au lieu de David, ce que sait toute personne qui a la moindre culture philosophique)
Vous auriez du aller plus loin dans votre lecture : aux pages 239 et 240, Messori parle bien de « David » HUME. Il s’agissait donc d’une coquille à la page 211 et il n’y a pas de quoi décrédibiliser Messori pour autant. Et puis, franchement, pour l’importance que ça a dans le livre…

Notionis a écrit :Selon lui, l’édition critique de 1837, établie d’après le manuscrit original, rectifie le texte et supprime le fâcheux « prétendu ».
Vérification faite, l’édition de 1837 (et les suivantes) maintiennent l’adjectif « prétendu ».
Messori dit exactement que « jusqu’en 1837, date à laquelle fut publiée la première édition critique des Mémoires, il y avait parmi les multiples altérations du texte un ajout manifestement tendancieux. » Et plus loin : « Cette retouche est encore présente dans certaines éditions (…). »

Vous êtes-vous renseigné pour voir s’il n’y avait pas des éditions qui, à partir de 1837, ont corrigé ce « prétendu » ?

Notionis a écrit :Je ne cherche pas à pinailler a priori mais Retz, en tant qu’écrivain, est à mes yeux un maître.
En tant qu’écrivain, c’était peut-être un maître, mais que valait-il en tant qu’historien ?

Quoiqu’il en soit, je retiens 3 choses concernant le cardinal de Retz :
- Messori ne le tient pas pour un historien très fiable et ne fait certainement pas de ses Mémoires un argument en faveur de l’authenticité du miracle.
- Les Mémoires du cardinal, de toute façon (et même en maintenant le fameux « prétendu ») ne tranchent ni en faveur de l’authenticité miracle ni en sa défaveur
- Beaucoup plus important : ce n’est pas une pièce importante du dossier. Pour tout vous dire, je ne me souvenais même plus de ces pages de Messori car en vérité, on s’en fiche. L’exposé historique de Messori repose sur des faits et des documents d’une tout autre fiabilité.

Notionis a écrit :D’une certaine manière, l’erreur de Messori sur ce point est accessoire.
Je ne vous le fais pas dire. Le problème, c’est que pour le moment, toute votre réfutation du miracle de Calanda repose justement sur de l’accessoire. On a la désagréable impression que vous vous efforcez de détruire la crédibilité de Messori à défaut de pouvoir attaquer les pièces du dossier.

Notionis a écrit :En revanche, nous constatons à cette occasion que Messori a opéré ici en journaliste hâtif et n’a pas vérifié ses sources.
Hé non car le cardinal de Retz n’est pas une source justement. Il le cite à la fin de son livre sans même prendre au sérieux son témoignage – même expurgé du « prétendu » – et de Retz n’est en aucun cas une pièce maîtresse dans la démonstration de l’authenticité du miracle, seul sujet intéressant. On pardonnera donc à Messori ses éventuels raccourcis au sujet du cardinal de Retz (si tant est que ce soit effectivement le cas) au vu de son insignifiance dans le dossier.

Au demeurant, je vous trouve un peu injuste de dire que Messori ne vérifie pas ses sources : il a quand même fait le voyage en Espagne pour aller consulter les archives et les documents historiques sur le sujet.

Notionis a écrit :N.B. Il a également des lacunes dans la révision des épreuves. Page 69, il écrit que « Miguel Juan Pellicer fut baptisé le 25 mars 1627 […]. Sans doute était–il né le même jour. » et, page 70, que « l’enfant fut confirmé le 2 juin de l’année suivante, en 1618 ».
Effectivement, c’est encore une coquille. Mais est-ce là tout votre argumentation ? Souligner les coquilles insignifiantes pour mieux diaboliser l’auteur ? Ce n’est pas très honnête, navré d’avoir à vous le dire. C’est même assez ridicule.

Notionis a écrit :Je pense, moi, comme vous j’imagine, que tout tient sur le témoignage du chirurgien mais je le mets en doute.
Non, je ne suis pas de votre avis, mais alors pas du tout. Pourquoi ? Tout simplement parce que pendant près de 3 ans, ce sont des dizaines (voire des centaines) de personnes qui ont vu le jeune homme, qui ont touché sa jambe amputée, et notamment certaines la veille même du miracle. Ce sont des notables de Calanda – notaire, maire, juge – qui ont témoigné qu’ils connaissaient ce jeune homme et qu’ils ont vu de façon certaine que sa jambe était amputée et qu’ensuite il l’avait à nouveau. Ce sont des voisins, des proches et même un soldat qui était de passage qui ont été témoins que la nuit du miracle, le jeune homme avait une jambe en moins, et puis ensuite ses deux jambes. Ce sont des notaires royaux qui ont fait des procès-verbaux quelques jours à peine après les faits. C’est le justicia (homme qui cumule les fonctions de juge de paix et de responsable de l’ordre public) qui atteste le jour même que c’est le même jeune homme, qu’il connaissait de façon certaine avec une jambe en moins, qui marche à présent sur ses deux jambes. Ce rapport sera envoyé aux autorités royales, jusqu’à Madrid (p.128 et suivantes).

Bref, dire que tout tient sur le témoignage du médecin est complètement absurde. Si c’était là le cœur de votre argumentation alors je vous le dit d’emblée : elle est irrecevable. Car quand bien même le témoignage des médecins (car il y eut plusieurs médecins ayant participé à l’amputation du jeune Pellicer qui ont témoigné) pourraient être mis en doute, il reste les nombreux autres témoignages. Et pas besoin d’être médecin pour constater qu’un membre a été amputé et que, ensuite, il est de nouveau là.

Notionis a écrit :Un chirurgien coupe à longueur de journée et, de même, son assistant enterre ou fait enterrer les membres coupés et les cadavres. L’éventuelle amputation de Miguel Juan Pellicer, paysan illettré, sans relation à Saragosse et sans argent, était dans ce contexte « business as usual » pour un monsieur « Nobody ». Deux ans et quelques mois après l’amputation alléguée, que valent les souvenirs ?
Vous auriez du lire le livre de Messori avec plus d’attention. Vous auriez alors appris que pendant les 2 ans et demi où Miguel Juan Pellicer mendie à Saragosse, le médecin Juan de Estanga suivit la cicatrisation régulièrement, allant jusqu’à lui reprocher de oindre son moignon d’huile sacrée (p. 81).

Quant à votre supposition selon laquelle les amputations étaient monnaie courante, il faudrait que vous la prouviez. Car vous formulez la double hypothèse que les médecins ayant opéré Miguel Juan Pellicer faisaient cela à tour de bras, et qu’ils n’en ont gardé aucun souvenir, mais sans donner le moindre début de preuve.

Notionis a écrit :Messori ne nous donne pas le texte des témoignages (il ne nous en fait, p. 77, que des extraits « émouvants »), alors qu’il a lu les ouvrages de ses prédécesseurs et « déchiffré les minutes originales du procès » (p. 63). C’est pourtant ce qu’aurait fait tout historien sérieux.
En même temps, c’est un livre de vulgarisation. Le rapport du procès suffit amplement.

Notionis a écrit :Étant donné le propos de l’auteur, et de ses prédécesseurs, ainsi que le fait que Messori a pris le soin de traduire in extenso un texte d’époque mais d’intérêt secondaire (p. 291) et la sentence de l’évêque qui, elle, effectivement, est très forte, on doit supposer jusqu’à information contraire que le texte des témoignages n’est pas probant.
Je vois mal ce qui force à conclure ce genre de choses mais passons. Vous interprétez des « vides » de la façon qui vous convient et dans le sens qui vous convient. Forcément, avec ce genre de méthode, vous arriverez à prouver ce que vous voulez prouver. Pourquoi ne pas laisser un vide pour ce qu’il est : un vide et rien d’autre ?

Notionis a écrit :On ne dispose pas de registre d’hôpital et moins encore de registre d’opération.
Non, c’est juste que Messori ne les mentionne pas (il mentionne celui de l’Hospital Real à Castillon mais pas celui de l’hôpital de Saragosse). Est-ce une preuve de quoique ce soit ? Bien sûr que non puisque nous disposons des témoignages des médecins (et pas que des leurs). Donc, au pire, il s’agit d’une lacune, mais qui ne nuit nullement aux faits. Pour ma part, je pense que Messori n’a pas cité les archives de l’hôpital où fut amputé Miguel Juan Pellicer pour deux raisons :
- Les archives ont peut-être disparu.
- Nul besoin de les citer puisqu’il y a les témoignages des médecins au procès qui, eux, ont du probablement consulter leurs archives avant de témoigner, au cas où leur mémoire leur aurait fait défaut.

Oui, je fais des hypothèses, mais aucunement plus fortes que les vôtres.

Notionis a écrit :La description de la jambe de Pellicer comme « noire » (p. 77) n’est a priori pas compatible avec le diagnostic de gangrène, qui seul imposerait l’amputation.
Allons bon, nous voilà à faire de la médecine. Le rapport mentionne que la jambe était phlegmoneuse (inflammation purulente d'un tissu organique) et gangrenée au point de paraître « negra ». De fait, certains types de gangrène – qui signifie putréfaction des tissus – se caractérisent par un assombrissement des tissus.

Notionis a écrit :La cicatrice autour de la jambe restituée peut parfaitement correspondre à la cautérisation au fer des plaies causées par l’accident.
Certes mais vous oubliez un détail important et tellement étrange qu’il est bien peu probable qu’il fut inventé : le fait que les témoins ont noté que la jambe « miraculée » était plus courte et moins développée que l’autre. Et qu’elle est revenue au niveau de l’autre jambe en quelques mois. Or ce n’est pas surprenant si l’on se souvient que Miguel Juan Pellicer fut opéré à 16-17 ans, donc en pleine croissance, et qu’il avait 19-20 ans lors du miracle. C’est donc bien sa jambe, encore à l’état (taille et croissance) d’avant son amputation, qui lui fut rendue.

Bien entendu, rien ne s’oppose que ce détail fut inventé. Mais franchement, avouez que si c’est le cas, les faussaires ont pensé à des détails surprenants.

Notionis a écrit :Le supposé amputé ne vivait pas parmi les siens mais à Saragosse où il exerçait la profession de mendiant. Ce statut d’amputé doit être abandonné dans les deux semaines de son arrivée à Calanda alors que, par exception, il couche dans la chambre de ses parents.
De quoi parlez-vous ? Miguel Juan Pellicer a continué de mendier à Calanda (p. 85).

Notionis a écrit :L’ensemble de son comportement, avant le miracle, au moment du miracle et après, jusqu’à la fin de sa vie, est plus compatible avec la thèse de la simulation qu’avec celle du miracle.
Ce qui s’appelle de la spéculation, et non de l’Histoire.

Notionis a écrit :Les pressions en faveur du miracle étaient considérables et c’est là, bien sûr, que la compréhension du contexte historique est essentielle.
En êtes-vous si sûr ? Au contraire, Messori souligne le fait que l’Inquisition espagnole était très méfiante vis-à-vis du surnaturel et que l’ambiance n’était pas du tout à un foisonnement de miracles mais plutôt à une grande méfiance envers les phénomènes surnaturels. Bref, sur quoi vous basez-vous pour dire qu’il y avait une frénésie de miracles à cette époque ?

Notionis a écrit :Il donne de l’histoire espagnole une vision partisane gravement déséquilibrée et incompatible avec le message chrétien.

Ce déséquilibre est particulièrement manifeste dans les parties consacrées
1) à l’expulsion des Morisques et…
2) à la guerre d’Espagne.
Quel rapport avec le sujet ?

Notionis, j’ai vraiment la désagréable impression que vous cherchez à diaboliser Messori. Franchement, c’est assez énervant. Contestez les faits si vous voulez mais arrêtez de faire un procès à l’auteur sur des détails qui ne concernent pas le sujet.

Et le foisonnement de détails que vous ajoutez ensuite est inutile. On a l’impression que vous cherchez à noyer le poisson. Donc je vous en prie, restons en aux faits concernant le miracle de Calanda et seulement cela.

Notionis a écrit : MESSORI 4. LE RAPPORT QU’IL PROPOSE AU DIVIN TEND VERS L’IDOLÂTRIE
Encore une fois, quel rapport avec le sujet ? Que Messori soit un idolâtre (accusation un peu facile et limite diffamatoire), en quoi cela nuit-il à ses compétences d’historien et de journaliste ? En quoi cela jette-t-il le doute sur l’authenticité des éléments historiques entourant le miracle de Calanda ? Je vous en prie, expliquez-moi !

Bref, Notionis, je suis un peu déçu, je ne vous le cache pas. Car le titre que vous utilisez pour ce fil est sans appel : le miracle de Calanda est un faux miracle. Je m’attendais à une démonstration magistrale de la fausseté des pièces historiques du dossier. Or je ne retire de votre argumentation contre l’authenticité du miracle que des procès d’intention, des cris d’orfraie pour quelques coquilles, des indignations pour des légèretés supposées de l’auteur qui n’ont strictement rien à voir avec le sujet, des suspicions exagérées autour de points d’ombre, des accusations d’idolâtrie ou de malhonnêteté intellectuelle, etc. Et bien entendu, des hypothèses, rien que des hypothèses. Et les faits dans tout ça ? Rien, ou si peu.

Car, et c’est cela l’important, que faites-vous des faits ? Des dizaines de témoins appelés au procès ? De l’Inquisition espagnole qui s’en est mêlée ? Du Roi d’Espagne qui a invité le jeune miraculé à la cour et qui a baisé sa jambe (croyez-vous qu’il l’aurait fait sur une simple rumeur) ?

Vous voulez réfuter l’authenticité du miracle de Calanda ? Donnez-nous la preuve que les sources historiques ne sont pas fiables. Car des documents historiques, il y en a, dont des originaux ! Commencez donc par là et, par pitié, cessez de vouloir diaboliser Messori.

Sachez aussi que j’ai commandé le livre d’André Deroo L'Homme à la jambe coupée ou le Plus étonnant miracle de Notre-Dame del Pilar dont Messori semble s’inspirer en partie dans son livre. Histoire de voir si d’autres sources sont citées et d’éclairer les quelques zones d’ombre (si tant est qu’elles puissent être qualifiées de la sorte) laissées par Messori.

Cordialement,
« Dieu fournit le vent. A l'homme de hisser la voile. » (Saint Augustin)

Notionis
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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Notionis » mer. 28 sept. 2011, 12:11

Bonjour Raistlin,

Vous me demandez de « donner la preuve » que, pour déclarer qu’il y a eu miracle à Calanda, « les sources historiques ne sont pas fiables ».
J’aurais préféré une démarche plus progressive : il ne peut y avoir compréhension sans contexte commun, ni construction d’une vérité commune sans explicitation des principes sur lesquels on s’accorde.
Je vous rappelle à cette occasion que, dans mon message précédent, j’ai prétendu non pas « prouver » mais seulement « ouvrir à l’idée que le « miracle » de Calanda, puisse relever d’une falsification. »

Mais soit… « prouvons ».
Prouvons quoi ?
Que la falsification est hautement probable, compatible avec tous les faits attestés ou probables. Il est donc raisonnable de classer « le miracle de Calanda » au rang des pieuses légendes qui décorent l’imaginaire chrétien.
De ce fait, Le miracle impensable de Vittorio Messori n’aurait jamais dû être retenu par une maison comme Mame (groupe Fleurus Editions), qui prétend éditer « des livres de référence pour présenter, célébrer et transmettre la foi catholique en famille et en Église ».
Il ne saurait non plus être présenté, sur un forum catholique, comme source d’espérance à des gens confrontés au douloureux problème de l’amputation
.

[Je ne maîtrise pas les fonctions d’édition de ce forum. Je traiterai donc comme « citations » les extraits résumés ou citations que je fais de la thèse du miracle, telle que Messori l’expose, et donnerai la thèse alternative en commentaire, c'est-à-dire dans le corps du message.
Le résumé fourni à la fin de cette longue analyse peut aider à saisir l’ensemble de la thèse.]

1. Dans l’Espagne du XVIIème siècle, fin juillet 1637 (p. 74), la jambe de Miguel Juan Pellicer, 20 ans (né en 1617), un paysan de Calanda qui travaille comme ouvrier agricole à Castellon, passe sous une charrette.
Le lundi 3 août, il entre à l’hôpital de Valence où il reste cinq jours, au cours desquels lui sont appliqués « divers remèdes qui sont restés dans effet » ainsi qu’en témoigne le registre (p. 75).
Début octobre 1637, il arrive à Saragosse et se déplace, aidé de béquilles, en s’appuyant « sur une sorte de jambe de bois attachée à son genou replié avec des lanières » (p. 76).
Miguel Juan Pellicer arrive à Saragosse plus de deux mois après son accident. Celui-ci n’a donc pas provoqué de gangrène gazeuse. Il serait mort sinon.
Les remèdes appliqués à Valence sont restés sans effet. Quel est le critère d’efficacité ? Paysan du XVIIIème siècle, ouvrier agricole, qui se déplace ordinairement à pied sur de longues distances, Miguel Juan Pellicer n’est certainement pas un douillet. À ses yeux, la guérison se voit donc à ceci qu’il marche assez bien pour reprendre son travail… ou pas. La réponse est : non, la plaie est trop douloureuse.
Peut-être appareillé à Valence, il prend donc l’habitude de marcher « sur une sorte de jambe de bois attachée à son genou replié avec des lanières ». Dès lors, sa jambe commence à s’atrophier, des cals se forment au genou qui se mêlent à la cicatrice ou à la plaie, etc.

2. À Saragosse, il va au sanctuaire du Pilar puis à l’hôpital de Gracia. Après observation, l’amputation est décidée au cours d’une consultation menée par Juan de Estanga, chirurgien chef de service et titulaire de la chaire à l’Université, et Diego Millaruelo et Miguel Beltran, maîtres chirurgiens (p. 77).
Une décision d’amputation prise lors d’une consultation présidée par le chef du service de chirurgie ? Quoi de plus normal ? Et si, par hasard, il n’en avait pas été ainsi, l’aveu n’en serait-il pas gênant ?
Tout ici repose sur le témoignage de Miguel Juan Pellicer et sur celui des chirurgiens. Disent-ils ici plus que : « S’il y a eu amputation, c’est forcément, comme le veut la procédure, à la suite d’un examen que nous avons menés, etc. » ? Nous y reviendrons.
Quant à cette visite préalable à la Vierge du Pilier, dont nous sommes informés par le seul témoignage de Miguel Juan Pellicer, non seulement elle est opportune dans le cadre du procès canonique mais, dans une Espagne qui, après l’expulsion des Juifs (1492) et des Morisques (1610), est obsédée par « la pureté de sang », elle est un viatique pour tous ceux qu’une autorité pourrait suspecter de ne pas être d’authentiques chrétiens.

3. L’amputation est faite mi-octobre 1637 par Estanga et Millaruel, témoins au procès, qui coupent la jambe droite quatre doigts au-dessous du genou et cautérisent (p. 78).
S’il y a eu amputation, il faut qu’elle ait été faite à cette hauteur puisque c’est là que se trouve la « cicatrice ».
Pourquoi ces deux médecins ? Parce qu’ils opèrent ensemble. Si Miguel Juan Pellicer a été amputé à l’hôpital royal de Saragosse et à cette période, c’est « forcément » par eux. Pour des raisons factuelles, peut-être, mais tout autant, plus peut-être, pour des raisons de principe : ce qui se fait dans le Service du professeur Estanga est réputé fait par lui.
N’oublions pas que nous sommes dans une discipline corporatiste et un milieu très hiérarchisé, qu’Estanga se trouve au sommet tandis que Miguel Juan Pellicer est au fond, ce fond où les êtres sont a priori indistincts, surtout quand on sait d’avance, comme c’est le cas dans un hôpital, qu’ils ne sont là que de passage.

Or de tels êtres sont nombreux et, de même, les amputations…
Miguel Juan Pellicer séjourne à l’hôpital de la capitale d’un royaume en guerre, avec mouvements de troupes, des populations déplacées, des troubles civils, une insalubrité massive et tout cela dans un contexte de crise économique. Les patients ne manquent donc pas, les paysans mutilés et les mendiants non plus, contrairement aux moyens pour s’occuper d’eux.
Oui, à cet époque, on coupe « à tour de bras » et l’on cautérise, gestes brutaux comme la saignée, l’arrachage de dents et la trépanation, mais toujours plus efficaces que les onguents. Pour sauver des vies, on leur fait donc confiance. L’histoire de la médecine et les gravures de Callot en témoignent.
L’amputation alléguée est donc un geste banal sur un patient banal, très en dessous de la classe à laquelle appartiennent les chirurgiens.
Or ils donnent leur témoignage au début du procès canonique ouvert le 5 juin 1640 (p. 137), plus de deux ans et demi après la date supposée de l’amputation, après un mois de matraquage populaire et institutionnel, et conscients de ce que le prestige de l’événement apporte à eux-mêmes, à l’hôpital qu’ils ont en charge, à la Ville, à l’Église et au Roi.

Dans ces conditions, aucun jury moderne ne retiendrait leur témoignage : il est directement contraire à ce qu’on peut observer au procès (Pellicer a deux jambes) et les chirurgiens ne semblent appuyer leur « souvenir » sur aucun écrit. Sinon, ce serait signalé par Messori qui nous dit avoir « déchiffré » les minutes du procès, et lu ses prédécesseurs, dont « L'homme à la jambe coupée » de l’abbé André Deroo.
N.B. Le fait que les archives de l’hôpital de Saragosse aient probablement disparu lors de sa destruction en 1808 par les troupes françaises est regrettable mais pas décisif. L’essentiel est qu’elles n’aient pas été citées lors du procès canonique.

4. La jambe coupée est recueillie, déposée dans la chapelle avec les corps des patients décédés, puis enterrée par l’assistant chirurgien, Juan Lorenzo Garcia (p. 78).
Là encore, c’est la procédure normale et rien n’indique que le geste soit rare.
Juan Lorenzo Garcia fait partie de l’équipe chirurgicale. Les raisonnements tenus pour les chirurgiens valent pour lui. On ne lui connaît aucune raison d’avoir particulièrement mémorisé l’amputation alléguée au point d’être capable, à plus de deux ans de distance, d’identifier un opéré particulier.

5. Le chapelain, Don Pascual del Cacho, se rend « au chevet du patient pour le consoler et l’encourager en invoquant des exemples adaptés à son cas » (p. 78).
Un tel dialogue a une dimension personnelle. Il pourrait donc avoir laissé des souvenirs et serait alors un argument fort en faveur de l’amputation… si Messori ne nous signalait (p. 146) que le chapelain de l’hôpital, et un infirmier, croient, sans en être certains, que Miguel Juan Pellicer est bien l’amputé dont ils se sont occupés.
Cette mention ne suggère-t-elle pas qu’ils ne peuvent être sûrs de ce qu’ils avancent mais que le contexte leur suggère de se rendre au consensus général ? Le texte du témoignage de Don Pascual suggère qu’il répond, comme les chirurgiens, en décrivant ce qu’il est censé faire en pareille situation.

6. Miguel Juan Pellicer quitte l’hôpital au printemps 1638 appareillé d’une jambe de bois et d’une béquille (p. 79).
Il a donc passé l’hiver « au chaud », logé et nourri par l’hôpital, ce qui est extrêmement avantageux pour quelqu’un qui ne peut plus travailler.
Pourquoi part-il ? Parce qu’il est guéri ? Mais il éprouve toujours des douleurs. Il faut donc en conclure qu’on le met dehors parce qu’on l’a assez vu et qu’il faut faire place à d’autres.
Notre homme aura donc passé quelques six mois à l’hôpital de Gracia de Saragosse. Arrivé avec jambe de bois et béquille, il en est reparti de même. Des amputations ont eu lieu pendant son séjour. Il sait comment cela fonctionne, c’est un familier des lieux, on est habitué à sa présence, il dit maintenant qu’il a été amputé et se comporte comme tel.
Après tout, comme tant d’autres, sa vocation est de mendier. Qui pourrait en prendre ombrage ?

7. Il devient mendiant au sanctuaire du Pilar (p. 80).
Une place de mendiant attitré ne se gagne pas en un jour. Il y faut des contacts, de l’assiduité, un comportement irréprochable, en même temps qu’une aptitude à se défendre contre la concurrence. Miguel Juan Pellicer a eu six mois pour apprendre le métier auprès de ses confrères et il a fait le nécessaire auprès du sacristain ou du chapitre. Sa dévotion émeut. D’ailleurs, si jeune et déjà mutilé…

8. Selon toute probabilité, il porte au Pilar, comme plus tard au procès canonique, le pantalon traditionnel des paysans aragonais, lequel ne descend qu’au-dessous du genou (p. 146).
Le parcours probable vers la simulation se serait fait ainsi…
- Pellicer se blesse.
- Pour se déplacer, il adopte jambe de bois - sur laquelle il appuie son genou - et béquille.
- Le pilon tient par des attelles, qu’il faut fixer à la jambe dont la partie inférieure s’atrophie. Il découvre vite qu’il est inconfortable et encombrant de la laisser ballotter.
- Autant replier le tibia. Le plus simple est de l’introduire pliée dans la demi-jambe du pantalon traditionnel. Cela suffit à fixer le bas de la jambe tout en laissant le genou à découvert, que l’on appuie sur le pilon.
- Mais il y a la plaie qui suppure, les croûtes et les cals causés par l’appui sur le pilon. Tout cela est assez rebutant pour que les spectateurs charitables, voire amicaux, n’aient pas envie d’aller plus loin dans l’examen.
- D’ailleurs, les plis de chair sont fréquents dans les amputations. Comment distinguer les bizarreries d’un moignon mal taillé du repli d’un tibia atrophié dont le repli coupe la circulation ?
- Pendant les deux mois et demi qui séparent l’accident de l’entrée à l’hôpital de Saragosse, nous n’avons donc aucune raison de suspecter la bonne foi de Miguel Juan Pellicer. Il est d’abord un paysan blessé, tout prêt à profiter de sa venue à Saragosse pour faire ses dévotions à Notre-Dame du Pilier qui est si réputée.
- N’est-ce pas grâce à elle que les Morisques (300.000 à 500.000 personnes) ont pu être chassés en 1610 ? Leurs terres ont été libérées, la main d’œuvre manque. Les parents de Miguel s’en souviennent et l’oncle Jaime Blasco plus encore (p. 74) qui a pu, de ce fait, lui donner du travail.
- Mais entre temps, Miguel a fait des rencontres, et il en fera d’autres à Saragosse où les mendiants, bien sûr, sont plus nombreux qu’en rase campagne.
- Arrivé à l’hôpital, croyons qu’il a été examiné. Faut-il amputer ou, seulement, nettoyer plus profond, cautériser cette plaie sale mais déjà ancienne ?
- À cette endroit de notre reconstitution se fait le partage avec les tenants du miracle. À leurs yeux, on a amputé. Pourquoi ? Gangrène ? Si longtemps après l’accident et sans événement particulier qu’on nous signale pour l’expliquer ? L’allure de la plaie ? Si longtemps après l’opération supposée, les chirurgiens sont capables de la décrire ? Et si cette description résultait d’un compromis implicite entre les symptômes requis pour que les chirurgiens décident d’amputer : « très phlegmoneuse et gangrenée », et le témoignage de Pellicer : « noire », qui n’y conduit pas forcément et oriente plutôt vers une gangrène sèche induisant le nettoyage et la cautérisation de la partie nécrosée (p. 77) ?
- Cette seconde hypothèse est plus probable, tenu compte de ce qui précède (le diagnostic de gangrène gazeuse est peu plausible) et de ce qui suit (Pellicer a fini sa vie sur ses deux jambes, celles qu’il avait à sa naissance).
- Mais le séjour à l’hôpital est long. Il permet de considérer d’autres hypothèses que le retour au travail des champs. Miguel Juan Pellicer devrait normalement s’en sentir incapable. Quand il sort de l’hôpital, en mars 1638, cela fait neuf mois qu’il ne se sert plus de sa jambe. Elle est donc atrophiée. En outre, il y a la douleur causée par l’usage du pilon et, peut-être, de la plaie. Pas question de rentrer à pied à Calanda, d’autant que la position de mendiant à Notre-Dame du Pilier est confortable, du moins par comparaison avec la vie d’ouvrier agricole sans travail, loin de son réseau et dont tout employeur potentiel voit au premier coup d’œil qu’il n’est pas, ou plus, un costaud.
- Aucun doute enfin, tant qu’à mendier, le rôle de pieux amputé est le plus rentable qui soit. Une telle stratégie est monnaie courante chez les pauvres des pays sous-développés. Leur situation est peu différente de celle des mendiants aragonais au XVIIème siècle.

9. La cicatrisation est imparfaite et il oint sa plaie avec l’huile des lampes (p. 82).
L’huile, certainement, calme les douleurs liées à l’usage du pilon. Elle est gratuite et son usage perçu comme un geste de piété, ce qui conforte le personnage.
Quant aux reproches du médecin sur cette pratique, ils sont possibles et plausibles, puisqu’on en parle lors du procès, à l’occasion d’une rencontre au pied de la Vierge du Pilier, ou à l’hôpital, Cela ne suffit pas à établir que le chirurgien chef de service suivait régulièrement Miguel Juan Pellicer pour voir comment se faisait la cicatrisation de l’amputation avec, à l’occasion, un examen attentif. On croit volontiers en revanche que le professeur Juan de Estanga l’enseignait comme bonne pratique et qu’il tenait, devant une si noble assemblée et pour une si sainte cause, à présenter le plus favorablement possible son Service et sa propre action.
Soyons réalistes. La pratique hospitalière, même aujourd’hui dans les pays développés, reste trop souvent proche de l’art vétérinaire, ce qui laisse place à des mésaventures qui seraient drôles si elles n’étaient tragiques. D’autre part, le fonctionnement des collectivités est tel qu’une erreur d’identification, pourvu qu’elle ait été commise au début, peut être indéfiniment reconduite. Et si tout cela est possible dans notre siècle, malgré son culte de l’écrit et du chiffre, que dire des chances que le grand hôpital de Saragosse offrait à de pauvres « incrustes » ?

10. Dans la première semaine de mars 1640, il quitte Saragosse pour rentrer chez lui (p. 83).
Miguel Juan Pellicer a donc été mendiant à Saragosse pendant deux ans. Pourquoi part-il ? Sans doute est-il désormais trop connu, si bien qu’on ne lui donne pas autant qu’avant. Il est possible aussi que le Chapitre impose une forme de rotation des mendiants : chacun sa chance.
Toujours est-il que ce retour chez ses parents ne se fait pas de gaieté de cœur : mendiant en ville, passe encore, mais dans sa campagne, là où l’on est connu, c’est à la fois honteux et peu rémunérateur.
Miguel perçoit-il également le risque accru d’être découvert ? Possible mais c’est un homme qui vit au jour le jour et d’expédient. De toute façon, il faut partir. Ce ne peut être à l’armée, ni dans une ferme, c’est donc vers les siens.

11. Il arrive à Calanda entre le 4 et le 11 mars (p. 85).
À partir du moment où il vit parmi les siens, Miguel Juan Pellicer ne garde son statut d’amputé que deux semaines ou trois. Jusque-là, il vivait et, surtout, couchait seul. Il peut encore le faire, dans sa chambre, jusqu’au 29 mars mais, cette nuit-là, elle est réquisitionnée par un soldat de passage et, littéralement, « sa couverture » saute : imprudemment déplié, le deuxième pied dépasse.

12. À la fin du mois de mars 1640 éclate « la longue et sanglante insurrection de la Catalogne, à laquelle vint s’ajouter la révolte du Portugal » (p. 236), bientôt suivies du soulèvement du royaume de Naples, alors que l’Espagne est entrée dans la phase finale et désastreuse de la guerre de Trente Ans terminée par les traités de Westphalie qui lui font perdre les Flandres.
La peste s’y ajoute, en Aragon tout particulièrement (p. 236).
Ce contexte de grands troubles explique à quel point la possibilité d’un miracle qu’on puisse attribuer à Notre-Dame du Pilier était opportune, religieusement et politiquement.
Nul n’est allé chercher un ex-mendiant pour le convaincre de simuler, loin de Saragosse, un miracle.
La découverte que Miguel Juan Pellicer avait deux pieds au lieu d’un est strictement accidentelle.
Mais la réponse qu’on a donnée, collectivement, à cette situation incongrue, s’est imposée parce qu’elle s’offrait au point de rencontre des attentes d’une société en crise.

13. Une fois chez ses parents, en se déplaçant avec l’aide d’un âne, il mendie dans les environs et travaille à transporter des charges (pp. 86 & 90).
Ça ne dure pas longtemps. Le changement de régime est complet et Miguel, quand il est en tournée, ne peut sans doute s’isoler comme il le faisait en ville. Or sa jambe lui fait mal s’il ne la déplie périodiquement, au moins pour que la circulation revienne un peu. Le 29 mars en tout cas, la douleur est excessive. Le récit « canonique » l’attribue aux efforts de la journée. C’est possible, mais cette autre raison, inavouable, pourrait avoir joué aussi.

14. Le 29 mars 1640, il se plaint de douleurs et donne à toucher la blessure cicatrisée. Elle est couverte d’une épaisse croûte (p. 92).
Une telle croûte suffit à convaincre de l’amputation des gens qui, rappelons-le, n’ont aucune raison d’en douter. L’affaire s’est jouée mi-octobre 1637, loin des proches et cela fait deux ans et demi que le jeune Miguel, très pieux, sympathique, et peu loquace (p. 217) est considéré comme un unijambiste.

15. Ce soir-là, par exception, il doit coucher dans la chambre de ses parents et laisse dans la cuisine sa jambe de bois et les attaches qui la fixent (p. 93).
Imprudence manifeste et, peut-être, aussi… acte manqué. Voyons cela…
Le pauvre garçon, que sa blessure et sa misère ont enfermé dans la simulation, se sait désormais dans une impasse. La présence des soldats le fait peut-être rêver aussi à ce que serait sa vie s’il faisait usage de ses deux jambes. Un uniforme, nourri et logé par l’habitant, voir du pays, n’est-ce pas séduisant ?
Vaines rêveries, bien sûr, mais sa jambe, ce soir-là, lui est plus pénible qu’à l’ordinaire, il a sans doute bu à table puisqu’on a pris le temps de parler avec le soldat, si bien que, dans son sommeil, oubliant qu’il est dans la chambre de ses parents, il néglige toute précaution. Cela fait tant de bien de pouvoir s’étendre correctement !

16. Il est endormi quand sa mère entre dans la chambre. Elle sent une odeur suave inhabituelle (p. 93) et lui découvre, dépassant de la couverture, croisés, deux pieds au lieu d’un (p. 94).
Le parfum vient de l’huile du sanctuaire, probablement volée. Il s’en enduisait précédemment en cachette, dans sa chambre, pour masser la jambe enfin redéployée.
Quant aux deux pieds, hé oui, ils ont toujours été là mais l’un est atrophié, il part de travers. Bref, les deux pieds sont croisés.

17. Son mari la rejoint, on crie au miracle, un garçon de ferme accourt mais, malgré ces bruits, on a bien du mal à réveiller le dormeur (p. 95).
Il est réveillé bien avant d’ouvrir les yeux mais que feriez-vous dans sa situation ? Son mensonge est découvert. Il a même la dimension d’un sacrilège. Miguel Juan Pellicer n’accepte donc d’ouvrir les yeux que lorsqu’il ne peut plus faire autrement.

18. Comme on lui fait remarquer qu’il a deux pieds et tibias au lieu d’un, il demande à son père « de lui donner la main et de lui pardonner les offenses qu’il a pu lui faire » (p. 96)
Messori voit dans sa contrition un effet de la grâce. Mais pourquoi donc ? En quoi le fait d’être miraculé offense-t-il son père ?
N’est-il pas plus logique de voir dans ce repentir le comportement normal du menteur découvert ?

19. On lui demande des explications. Il parle de Notre-Dame du Pilier (p. 96).
Nul, dans son entourage, ne suspecte sa bonne foi. On tient pour acquis la perte de sa jambe. L’accident de la charrette a, pour la famille, été un drame : elle perdait non seulement un fils, mais aussi un homme en état de travailler. L’idée de l’amputation avait donc un mérite : elle était à la hauteur du dommage économique et social.
Miguel n’a jamais été un tire-au-flanc. Pas de ça chez les Pellicer ! Mais, que voulez-vous, il a perdu la jambe. Douloureux, oui, mais digne !
Ah, nous avions tellement prié la Vierge pour qu’il guérisse mais, non, elle ne l’a pas voulu. Il faisait pourtant toutes ses prières comme il faut, etc.
Qui pourrait nous reprocher ou lui reprocher quoi que ce soit ?
Et voilà qu’il a deux pieds à nouveau ?
Miracle !

Le mot a sans doute été crié avant que le jeune homme ouvre les yeux.
Il n’a plus maintenant qu’à broder sur ce thème. C’est un rôle qu’il connaît : il a fait carrière là-dessus dans le Sanctuaire pendant deux ans.
D’ailleurs, dans son esprit, les choses se brouillent. En quelques instants, il est passé de la terreur à un très étrange et angoissant soulagement puisque, loin de lui en vouloir, on le fête.
Alors, oui, miracle ? Au moins l’ambiance y est !

20. Les gens accourent, il répète son histoire. Elle fait sensation à ce point que, quatre jours plus tard, le 2 avril 1640 (p. 291), elle est enregistrée par un notaire (p. 97).
Le document est savoureux mais il ne valide que les croyances de l’entourage. Il n’y a rien là dedans qui puisse « prouver » le miracle. En revanche, on y trouve le témoignage certain d’un enthousiasme local, d’un début de dévotion populaire politiquement opportune puisque les autorités, immédiatement, l’accompagnent positivement, autant qu’elles peuvent.
Quant à l’Église, l’obéissance est son principal critère de validation des cultes émergents. Elle n’a donc pas hésité à récupérer des lieux et des rites celtes, par exemple, et, encore aujourd’hui, elle ramène inlassablement dans le bercail des illuminés de tout poil, pourvu qu’ils se soumettent, et surtout leurs brebis (Kerizinen par exemple).
C’est ainsi que s’explique la réactions des prêtres locaux, à Calanda, en attendant que l’évêque se prononce.

21. Les marques sur la partie inférieure de la jambe réapparue portent des cicatrices faites dans son enfance. C’est donc la sienne et pas une autre, alors que celle-ci a été enterrée plus de deux ans avant (p. 99).
Ceux qui croient que cette jambe n’a jamais été coupée ne s’en étonneront guère.
Regardons en revanche la thèse inverse. Quel est l’état d’un membre, ou d’un cadavre, enterré depuis deux ans ? Est-il, autant qu’on sache, propre à une réutilisation par le corps ? A-t-il encore des veines propres à ce que le sang y circule ? Etc.
Observons également que la thèse du miracle oblige à admettre que le bout de jambe s’est transporté de façon invisible (96 km à vol d’oiseau) et qu’il a en quelque sorte fusionné, comme neuf, avec le reste du corps.
Ce serait effectivement, comme l’affirme un Franciscain du XVIII°, une preuve de « la résurrection des morts, de la vérité des miracles dans l’Église catholique et de la force de l’intercession de la Très Sainte Vierge » (p. 243).
Ce serait beau mais l’on nage, ici, loin de toute vraisemblance, dans un discours incompatible avec toute procédure de vérification, ce qui exclut que l’Église aujourd’hui le valide, d’autant qu’il est en outre incohérent. Ce dernier point, surtout, a gêné l’archevêque de Saragosse. En effet…

22. Les orteils restitués sont recourbés et contractés, d’une couleur violacée (p. 103).
Ils n’ont donc aucune des caractéristiques que la tradition attribue au corps ressuscité.
Ils ne ressemblent pas non plus à ceux d’un cadavre.
La réalité observée n’entre donc ni dans le cadre de la résurrection ni dans celui de la mort.
Tel est le problème pour les tenants du miracle. L’évêque surmontera cet obstacle au moyen de deux références évangéliques lui permettant de nuancer l’exigence d’instantanéité (p. 302).
Pour ceux de la simulation, en revanche, l’affaire est claire : un tibia et un pied, pliés, sanglés, cachés, écrasés pendant deux ans (de mars 1638 à mars 1640), voire deux ans et demi, sont nécessairement recourbés, contractés, violacés.

23. La jambe restituée est plus faible et semble plus courte mais, avec le temps, reprend une apparence normale (pp. 104-105).
Messori rêve ici, avec les chirurgiens (p. 104), sur l’idée que la jambe restituée rattrape la croissance qu’elle aurait eue si, au lieu d’avoir été coupée et enterrée, elle était resté sur le corps de Miguel Juan Pellicer.
Cette croissance est évaluée à trois pouces (6 cm +). Que les lecteurs de cette analyse qui, entre 20 ans et 22 ans, ont grandi de 6 cm. se signalent à l’auteur !
Au delà de Messori, interrogeons-nous tout de même sur le crédit qu’on peut donner au témoignage de médecins tels que ceux qui ont témoigné au procès. Ces gens-là font flèche de tout bois.
Dans notre optique pourtant, il n’y a rien de mystérieux ni de miraculeux dans le fait qu’une jambe longuement entravée, dont on se sert enfin et où le sang circule, retrouve progressivement muscle, volume et tonicité, sans parler du rééquilibrage de tout le corps, de la jambe d’appui, hier, hypertrophiée, de la bascule du bassin, etc.

24. En revanche, la cicatrice qui forme un cercle rouge autour de la jambe ne disparaît pas (p. 105).
Il y a là une chance pour l’heureux simulateur qu’est devenu le pauvre Miguel : le battage qui a été fait autour du miracle conduit tout chrétien participant de cette culture très particulière à voire sa cicatrice de cautérisation comme la marque de l’amputation et du rattachement miraculeux de la jambe gangrenée. Cf. 35 ci-après.

25. Le 25 avril, le miraculé se rend avec ses parents en pèlerinage à Saragosse. Ils font sensation (p. 134).
Le mouvement de foule est considérable et s’auto-confirme à proportion du nombre de personnes qui apprennent la nouvelle.

26. La municipalité demande l’ouverture du procès canonique (p. 135). Il débute le 5 juin 1640 (p. 137).
Belle opportunité pour Saragosse, en effet. Superbe occasion pour la Municipalité de plaire à l’Église et au Roi. Chance peut-être de donner un nouvel élan au pèlerinage à Notre-Dame du Pilier.

Les données 25 et 26 suggèrent que la pression en faveur du miracle était considérable…
Que ceux qui se demandent à quoi cela pouvait ressembler pensent aux foules qui, en 2005, lors des funérailles de Jean-Paul II, crièrent « Santo subito ». Benoît XVI y répondit un mois plus tard en autorisant la béatification de son prédécesseur. Cet exemple contemporain montre que, dans de telles situations, il n’y a plus, pour les autorités, qu’une question : « Avons-nous une raison majeure de ne pas répondre positivement ? ».

27. Le jeune homme, entre temps, se montre particulièrement pieux (p. 135).
Il doit être surtout très angoissé : convaincu de mensonge, on le jugerait sacrilège. Le scandale serait immense et, dans ces temps d’Inquisition, son sort cesserait d’être enviable. La prière fait partie de son personnage de miraculé mais il a, en outre, des raisons personnelles pour supplier le Ciel d’avoir pitié.

28. Vingt-quatre témoins sont convoqués, parmi lesquels le prestigieux Juan de Estanga (p. 145), le chirurgien chef de service de l’hôpital de Saragosse et titulaire de la chaire à l’Université de Saragosse (p. 77), deux maîtres chirurgiens , dont Diego Millaruello, qui dit avoir participé à l’amputation et les deux médecins qui, à Calanda, ont visité le miraculé (p. 145).
Seul les témoignages d’Estanga et Millaruello, qui disent avoir amputé, sont significatifs. Les autres n’ont rien à dire sur le fait décisif : la réalité ou pas de l’amputation de Miguel Juan Pellicer vers la mi-octobre 1637.
Quant aux deux chirurgiens, pourquoi déclarent-ils avoir amputé alors que, selon les informations dont nous disposons, ils n’en savent plus rien ?
Mettons-nous à leur place…
Un grand concours de foule se présente qui crie au miracle. Du côté de Calanda, tout le monde est convaincu. À Saragosse où ces gens circulent et sont pris en charge depuis un mois, la foule aussi s’enthousiasme, ainsi que le Chapitre du Pilier. La Municipalité est pour, et l’Évêque a vu dans l’ouverture immédiate d’un procès canonique (deux mois après le miracle) l’occasion de prendre une initiative unificatrice…
[La concurrence entre les deux sanctuaires est en effet une monstruosité qui met à mal l’autorité de l’archevêché. La valorisation de Notre-Dame du Pilier par l’évêque à l’occcasion du miracle va inciter le Chapitre autonomiste à rentrer dans le rang. Dès lors, on négocie et, 35 ans après, le 11 février 1676, le Pape énonce une bulle d’union, laquelle fusionne les deux chapitres, celui du Pilar et celui de la cathédrale siège de l’archevêché (p. 153)].

Encore faut-il, évidemment, que tout le monde témoigne dans le bon sens.
Depuis que la rumeur a circulé, on parle beaucoup de l’hôpital et de son Service de chirurgie. En bien puisque, parmi les pauvres qu’on y soigne gratuitement, il y a eu le miraculé. C’est l’occasion de faire passer quelques messages et de recueillir des fonds.
Alors, Monsieur le Professeur, Miguel Juan Pellicer a-t-il été amputé ?
- Il le dit, et tout le monde l’a vu en unijambiste. Il a maintenant deux jambes à peu près normales, et une grosse cicatrice. On crie au miracle, donc à l’amputation antérieure à l’hôpital royal de Gracia dont je suis le chirugien chef. D’ailleurs, je suis professeur à l’Université ! Qui serait plus digne que moi d’avoir amputé un futur miraculé ? Puisque c’était dans mon Service, ce devait être moi. D’ailleurs, je connais bien cette tête, je l’ai vu souvent. Oui, Monseigneur, je l’ai amputé et, je peux ajouter, modeste et solidaire, avec l’aide de mon collègue Millaruello ici présent, qui m’assiste dans toutes mes opérations. Etc.


29. S’y ajoutent les parents de l’intéressé et les voisins, les autorités locales, des ecclésiastiques et six témoins divers (p. 145).
Pour nous, modernes, ils sont totalement hors sujet, témoins seulement du consensus : c’est bien Miguel et, oui, c’est vrai, il a deux jambes, ça doit être un miracle, etc.

30. La sentence de l’archevêque montre que, au cours du procès, une fois reçu le témoignage des chirurgiens (p. 298), l’attention a d’abord porté sur le récit du miracle (pp. 298-299), sur l’identité du miraculé et de la jambe restituée (p. 299), puis sur les bonnes mœurs et la dévotion du jeune homme (p. 300). On a ensuite mis de côté le fait que « quelques-uns des faits rapportés ci-devant soient déduits de la seule déposition de Miguel » au motif que sa déposition n’entraînait pas de préjudice pour d’autres (p. 301).
Et l’on s’est alors concentré sur la question clé : le miracle a-t-il été accompli en un instant (ce qui est essentiel pour qu’on puisse y reconnaître une manifestation de la toute puissance divine) alors que l’usage de la jambe a été recouvré progressivement ? (pp. 302 à 306).
Là encore se marque la dimension éthique, canonique et spirituelle d’un examen qui, d’un point de vue contemporain, sous-évalue l’importance et la difficulté d’établir des faits, par ailleurs hautement improbables, avant de commencer à réfléchir dessus.
Quoique les procédures judiciaires de l’Église d’alors soient généralement en avance par rapport à celles de la justice d’État, on a beaucoup appris depuis sur les faiblesses du témoignage humain et la puissance des mouvements collectifs. Qui, parmi les lecteurs de cette analyse, croirait au miracle allégué sur la base des témoignages disponibles, s’ils portaient sur un événement contemporain ?

31. Le 27 avril 1641, après onze mois et quatorze sessions publiques (p. 157), l’archevêque proclame qu’à Miguel Juan Pellicer « a été rendue miraculeusement sa jambe droite, qui lui avait précédemment été amputée » (p. 158).
L’amputation est bien le fait décisif. L’évêque a jugé qu’il était établi. Les pièces qui nous sont parvenues sont insuffisantes.
Certes, l’analyse qui précède peut être dite « rationaliste » mais telle était bien la question posée, trop étroite sans doute pour un tel sujet mais, c’est vrai, inévitable.

Qu’en pense, non pas Messori, mais l’Église aujourd’hui ?

La réponse se trouve dans deux citations du même Messori. Il énonce la première pour l’oublier aussitôt :
« Le Dieu des chrétiens n’a que faire de demi-vérités ou d’astuces apologétiques » (p. 41).
Quant à la seconde, elle viendrait s’il osait répondre à la question qu’il pose en page 55 : « Comment se fait-il que pendant si longtemps, Calanda me soit resté inconnu ou n’ait été pour moi qu’un nom ? »
Parce qu’aucune autorité de poids dans l’Église ne prend au sérieux les faits allégués pour Calanda.
Ne nous y trompons pas : lorsque le Pape vient prier à Notre-Dame du Pilier (où à Notre-Dame de Lorette, voir message précédent), il ne certifie pas le travail d’angéliques déménageurs. Il joint seulement sa prière à un mouvement pieux, émouvant, qui touche beaucoup de monde et se montre, pour l’essentiel, fidèle à l’enseignement de l’Église.

« L’intelligence de la foi », pour reprendre le mot d’ordre du présent forum, consiste souvent à ne pas trier obstinément le bon grain de l’ivraie. On le fait avec gêne ici, contre un ouvrage de propagande mal fondé autant que mal inspiré, en espérant pourtant respecter la sincère émotion des croyants qui ont trouvé quelque inspiration au Pilier ou à Calanda comme tant de gens l’on fait en lisant La Légende dorée de Jacques de Voragine. L’intellligence de la foi n’implique pas, en revanche, qu’on se trompe, par ignorance, sur le contenu factuel de pieuses traditions. Et elle n’admet pas que, dans un esprit de fidélité mal placée, on promeuve et défende des erreurs manifestes.

32. Liesse dans la ville organisée par la municipalité (p. 158).
La pression populaire est considérable, en ces temps de crise, en faveur d’un événement qui crie que, malgré nos malheurs, Dieu est avec nous dans sa manifestation locale qui est Notre-Dame du Pilier.
Le miracle de Calanda est aussi absurde que les apparitions de saint Jacques le Matamore ou le transport du pilier de la Vierge en l’an 40 mais, justement, il s’inscrit dans la tradition vitale d’une nation espagnole en débat, et donc, de l’intérieur, la justifie même si, de notre point de vue, cette justification est circulaire.

33. Dès mai 1641, le chapitre du Pilar fait rédiger un opuscule sur le miracle (p. 168).
Il s’agit donc bien d’en faire la promotion, contrairement à ce que prétend Messori qui, pourtant, donne le renseignement.

34. Celui d’un médecin allemand accouru à la nouvelle des faits, dûment approuvé par l’Église et la monarchie, circule dans toute l’Europe (p. 169).
Comme tout en Espagne jusqu’à la chute de Franco, le politique et le religieux sont, au Pilar et à Calanda, intimement enlacés.

35. Un jésuite qui a donné l’un des imprimatur précise qu’il a vu dans la cicatrice sur la jambe « l’indice certain qu’elle avait bien été coupée » (p. 170).
Cette conviction ne peut plus être la nôtre. Elle indique cependant sur quelles bases jugeaient les bons esprits du temps.

36. En octobre 1641, le miraculé est reçu par le roi Philippe IV qui baise sa cicatrice. Ce geste fait l’objet de nombreuses estampes, gravures et tableaux (p. 185).
Le roi « a la bonté » de croire ce qu’on lui rapporte. Son agenouillement est à l’évidence un geste politique. Il montre combien l’orchestration d’un telle histoire pouvait servir un ordre gravement menacé. Cet énoncé de la doxa espagnole du moment (quelque chose comme « Malgré nos malheurs, Dieu reste avec nous ») ne peut en rien valider le miracle à nos yeux.

37. Le motif de la jambe coupée se trouve partout, on le reproduit jusque sur les boutons de vêtements (pp. 173-174), on représente le miracle en peinture (p. 176), etc.
L’activité promotionnelle est donc intense et méthodique.

38. De 1642 à 1646, le trajet social de Miguel Juan Pellicer et des siens est marqué par le souvenir du miracle (p. 203). Certes, la charité et les bonnes mœurs de Miguel Juan Pellicer sont attestées lors du procès canonique (p. 300).
Quels que soient ses sentiments intimes, le mendiant à l’église a intérêt à se montrer pieux, et l’aspirant miraculé plus encore. Il n’y a rien de plus dans ces témoignages de moralité, tandis que…

39. Entre novembre 1646 et février 1647, les autorités de Majorque écrivent au chapitre du Pilier pour demander que Miguel soit placé sous tutelle et jettent en prison l’homme avec lequel il voyageait (p. 204).
Miguel Juan Pellicer n’était a priori pas plus honnête ou malhonnête que tout autre paysan de son temps. Un accident l’a fait plus miséreux et, dès lors, pour survivre, il a improvisé. Ses efforts pour repousser, fût-ce d’un instant, les problèmes qu’il ne pouvait résoudre, l’ont mis en contradiction grave avec son personnage et, sans doute, ses croyances. Ce fut son malheur, au delà de la pauvreté qui, manifestement, ne l’a pas quitté.

40. Le 12 septembre 1647, le curé de Velilla note sur le registre des défunts : « Aujourd’hui est mort Miguel Pellicer, qui se disait natif de Calanda et qu’on a transporté ici d’Alforque, plus mort que vif. La personne qui l’a amené a déclaré que le vicaire d’Alforque l’avait confessé. Néanmoins, je l’ai confessé de nouveau, et il a dit quelque chose. Je lui ai administré le sacrement de l’extrême onction, et il a été enterré dans le cimetière. » (p. 214).
Aux tenants du miracle, je demande ce qu’aurait écrit le curé si le Miguel Pellicer qui s’est confessé lui avait tenu des paroles confirmant la réalité du miracle.
Et si, au contraire, il avait confessé sa faute, le prêtre, tenu par le secret de la confession, n’aurait-il pas, comme il l’a fait, marqué le coup sans pourtant livrer aucun contenu ?

41. Mort à 30 ans, 5 mois et 17 jours, l’homme était « simple, sans malice aucune » (p. 216-17).
Manquant de mots, les enfants et les illettrés composent leurs réponses avec ceux de leur entourage. Miguel Juan Pellicer fit ainsi avec deux mots : amputation et miracle. Il n’a plus su ensuite que se laisser guider. Il fut ainsi, toute sa vie, l’homme qui confirmait les attentes d’autrui. D’où son succès et celui de son histoire tant qu’ils circulaient dans le groupe dont ils étaient l’écho, ainsi que leur oubli au delà.
Ainsi soit-il de Calanda, même si une telle histoire est relevée périodiquement par ceux qui croient la découvrir.

42. Le 10 octobre 1654, au Pilar, on présente au marquis de Saint-Florent (pseudonyme du cardinal de Retz) un homme qu’on lui dit être le miraculé (p. 206).
Une médaille commémorative du miracle est frappée en 1671 (source Internet).
En 1682, l’archevêque de Saragosse décide que l’on traite comme lieu sacré la chambre où a eu lieu le miracle (p. 173).
Un Franciscain, auteur d’une histoire du Pilar, publiée à Saragosse au XVIIIème, et intitulée « L’Espagne heureuse par la venue de la reine des Anges, Marie Très Sainte », écrit à propos du miracle de la jambe amputée, enterrée et retrouvée sur son propriétaire : « Par cet événement sont véritablement prouvées la résurrection des morts, la vérité des miracles dans l’Église catholique et la force de l’intercession de la Très Sainte Vierge » (p. 243).
Et, malgré tout cela, écrit Vittori Messori, « il n’existe aucune trace d’utilisation du Gran Milagro à des fins propagandistes » (p. 186) !



RÉSUMÉ

La thèse soutenue ci-dessus est la suivante…
a. Miguel Juan Pellicer a été blessé, cautérisé mais jamais amputé.
b. Mendiant, il a, plus de deux ans durant, simulé l’amputation en repliant tibia et pied dans la jambe de son pantalon traditionnel.
c. Celui-ci, s’arrêtant au dessous du genou, se prêtait à l’exhibition de la plaie et du pilon.
d. La manœuvre était facilitée par l’atrophie de la jambe blessée.
e. Le mendiant dépliait périodiquement sa jambe en cachette et calmait ses douleurs en la massant avec l’huile parfumée du sanctuaire.
f. Son pied « en trop » est découvert la première fois que, par exception, il couche dans la chambre de ses parents.
g. On crie au miracle avant qu’il se réveille. N’en croyant pas sa chance, il demande pardon, puis se rallie à la thèse salvatrice.
h. L’exaltation populaire qu’elle déclenche emporte rapidement l’adhésion de toutes les autorités. Dans cette Espagne en crise, le miracle allégué est immensément opportun pour les Édiles, l’Église et le Roi.
i. Le témoignage critique, sur la réalité ou non de l’amputation de Miguel Juan Pellicer, est celui des chirurgiens. Ils le donnent à deux ans et demi de distance, à propos d’un geste fréquent concernant un pauvre paysan comme il y en a tant, sans s’appuyer sur des traces écrites. On leur crie qu’il y a eu amputation, l’Église affirme que le miracle est possible, ils ont peut-être un vague souvenir de cet homme qui a séjourné six mois à l’hôpital et qui, deux ans durant, a fait l’unijambiste à Notre-Dame du Pilier. En partant de l’hypothèse de l’amputation, ils décrivent donc la procédure suivie, du moins telle qu’ils l’enseignent. La thèse de l’amputation est avantageuse pour eux, sa dénégation serait insoutenable, voire dangereuse et ils n’ont eux-mêmes aucune certitude négative. Il n’en faut pas plus pour expliquer ce qu’ils ont dit.
j. Quant à « la repousse » du membre restitué, elle ne peut s’expliquer par la croissance du jeune Pellicer depuis son accident, à l’âge de vingt ans. On la comprend, en revanche, très aisément par le retour à la normale d’un membre atrophié à la suite d’une blessure, puis inutilisé et plié pendant près de trois ans.

Si l’on admet ce qui précède, rien n’autorise un esprit contemporain à affirmer qu’il y a eu à Calanda résurrection d’une jambe morte avec translation et greffe angélique sur son propriétaire initial.

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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Raistlin » mer. 28 sept. 2011, 15:18

Bonjour Notionis,

J’avoue que je ne sais pas trop quoi dire après lecture de votre réponse. Je m’attendais à une critique en bonne et due forme des documents historiques à notre disposition et des témoignages. En fait, vous vous contentez de nous servir une interprétation toute personnelle des évènements au mépris des sources historiques. Pire, vous faites une relecture des faits, où vous passez carrément sous silence celles qui vous gênent (ainsi, vous vous focalisez sur le témoignage des chirurgiens - sans vous être assuré au passage qu'il pouvait être douteux comme vous le supposez - en ignorant volontairement qu'il y eut une foule d'autres témoins de l'amputation du miraculé... ce n'est pourtant pas faute de vous l'avoir dit). Forcément, avec ce genre de procédés qui n’ont rien d’historiques, on peut dire que Napoléon fut roi d’Angleterre.

En un mot, votre « réfutation » se limite à ceci : vous ébauchez une théorie artificielle qui vous permet de nier les faits. Ca porte un nom : l’histoire-fiction. Et d'ailleurs, votre dernière phrase le dit bien : Si l’on admet ce qui précède, rien n’autorise un esprit contemporain à affirmer qu’il y a eu à Calanda résurrection d’une jambe morte avec translation et greffe angélique sur son propriétaire initial. Et c'est bien le problème : votre argumentation ne repose pas sur la scientificité de votre démarche ni sur des preuves solides mais sur des hypothèses plus échevelées les unes que les autres qu'il faudrait admettre. Je vous en fais une autre pour vous montrer l'inanité scientifique d'une telle démarche : si l'on admet que les fossiles et autres éléments géologiques sont l'oeuvre du démon pour nous induire en erreur, rien n'autorise un esprit contemporain à affirmer que la Terre a 3,5 milliards d'années environ. Cherchez l'erreur. :/

Je comprends mieux en tout cas votre tentative initiale de décrédibilisation de Vittorio Messori. Ce n’est qu’ainsi que vous pouviez espérer rendre votre théorie plus crédible (théorie qui, au passage, ne repose que sur des spéculations et jamais sur des documents ou des faits historiques : vous prêtez aux protagonistes des psychologies, des intentions, etc. sans jamais prouver quoique ce soit).

Pour le lecteur soucieux de rigueur historique, je lui conseille la lecture du livre de Messori pour qu’il se fasse son opinion. Je publierai ultérieurement un résumé des faits et des documents historiques, pour que dans ce débat absurde, une place un peu plus importante soit faite à l’Histoire.

Cordialement,
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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Notionis » mer. 28 sept. 2011, 16:53

Bonsoir Raistlin,

Si c’est là votre réponse, pour moi, le débat est clos.
Que chacun, au vu des arguments échangés, se fasse son opinion.

Deux rectifications…
- Vous aviez raison dans un de vos messages précédents : Messori écrit « John Hume » une fois, puis « David Hume » deux fois. La première m’a choqué par son anormalité, je suis passé sur les secondes sans les remarquer puisqu’il n’y avait rien à signaler. Classons donc cela comme une distraction de la part de Messori… et de la mienne !
- Non, il n’y a pas foule d’autres témoins de la prétendue amputation (à part les deux chirurgiens et l’intéressé, que j’ai abondamment traités). Deux personnes seulement peuvent en donner l’illusion : l’assistant chirurgien, Juan Lorenzo Garcia, dont j’ai traité au point 4, et le chapelain, Don Pascual del Cacho, traité au point 5 de mon message précédent (12 h 11).

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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Raistlin » mer. 28 sept. 2011, 17:45

Notionis a écrit :Que chacun, au vu des arguments échangés, se fasse son opinion.
Ce qui sera difficile en l'état compte tenu du voile d'hypothèses, de faux-semblants et de suspicion que vous avez jeté. Je suis atterré par la relecture que vous faites évènements, les sentiments et intentions que vous prêtez aux personnes, le tout sans aucune preuve. Voilà pourquoi il sera nécessaire que quelqu'un rappelle les faits et seulement eux pour que chacun puisse se faire son opinion.

Notionis a écrit :Non, il n’y a pas foule d’autres témoins de la prétendue amputation (à part les deux chirurgiens et l’intéressé, que j’ai abondamment traités). Deux personnes seulement peuvent en donner l’illusion : l’assistant chirurgien, Juan Lorenzo Garcia, dont j’ai traité au point 4, et le chapelain, Don Pascual del Cacho, traité au point 5 de mon message précédent (12 h 11).
C'est là que vous commettez votre plus grossière erreur : vous oubliez qu'il ne faut pas nécessairement être chirurgien pour constater une amputation, tout comme je n’ai pas impérativement besoin d’être médecin légiste pour constater qu’un homme est décédé. Or justement, ce sont des dizaines de personnes qui ont côtoyé Miguel Juan Pellicer - dont certains ont même touché la cicatrice selon leurs témoignages - et qui peuvent affirmer qu'il lui manquait une jambe. Que répondez-vous à cela ? Que Miguel Juan Pellicer a berné son monde (famille comprise) pendant près de 3 ans (dont l'administration puisque Miguel Juan Pellicer s'est vu remettre une autorisation de mendier en raison de sa condition d'amputé), qu'aucun des témoins n'a émis le moindre doute à ce sujet (or si Miguel Juan Pellicer avait dissimulé sa jambe, il y aurait eu des doutes et des réserves, inévitablement) et donc que tout le monde n'y a vu que du feu. Sans compter qu'après son amputation, Miguel Juan Pellicer fut suivi pendant plusieurs mois par Juan de Estanga, le chirurgien qui l'avait opéré, pour s'assurer de la bonne cicatrisation du moignon. Là encore, le médecin - dont le témoignage vient corroborer celui de dizaines autres témoins affirmant que le jeune Pellicer avait bien perdu sa jambe - est soit un filou, soit un incompétent.

Mais le pire, c'est que vous prenez les tribunaux ecclésiastiques pour des incompétents, croyant qu'ils n'ont même pas songé à vérifier cette hypothèse et se sont contentés de vagues témoignages. Enfin, vous vous enfoncez davantage en vous prenant pour un médecin en élaborant une théorie sur le fait que garder sa jambe repliée pendant 3 ans (sic) puisse expliquer le problème de croissance.

Votre théorie ne repose que sur votre imagination. Vous n'apportez aucune preuve, pas même un début d'indice. Ce n’est pas de l’Histoire, c’est de la polémique (comme le prouvent vos attaques quasi diffamatoires contre Messori - je vous rappelle que vous l'avez qualifié d'idolâtre, rien que ça !). Vous méprisez les sources historiques pour tisser à la place une jolie histoire. Vous prenez les protagonistes de cette affaire pour des menteurs ou des imbéciles sans aucune raison.

Effectivement, le débat est clos mais parce qu’il n’y a jamais rien eu de rationnel à débattre. Vous êtes dans le combat idéologique, pas dans la recherche de la vérité historique. Et votre théorie séduira sans aucun doute ceux qui la préfèreront à la possibilité du miracle authentique, sans aller vérifier la solidité des sources. Notionis, votre démarche n’est pas scientifique, elle est du même ordre que la zététique : vous partez d’un présupposé idéologique et vous tordez les faits pour que ça colle.

Effectivement, que chacun se fasse son opinion en lisant le livre. Pour ma part, je publierai dès que possible un résumé objectif des pièces historiques du dossier que chacun pourra critiquer si elles s'y prêtent. Au moins on pourra avancer sur du concret et non plus sur des chimères.

Cordialement,

P.S. : Votre « réfutation » du cas Peter Van Rudder est-elle de même nature ? Si oui, ça laisse songeur…
« Dieu fournit le vent. A l'homme de hisser la voile. » (Saint Augustin)

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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Notionis » jeu. 29 sept. 2011, 10:47

Des faits « nouveaux » sur Calanda

Bonjour Raistlin,

Une recherche complémentaire sur Calanda me fait découvrir les faits suivants, dont Vittorio Messori ne dit rien (voir pp. 211 et s.)...
  • - Une exhumation des restes de Miguel Juan Pellicer a eu lieu à Velilla de Ebro en 1950, sous l’autorité de l’archevêque de Saragosse.
    - Le squelette examiné est bien du XVII° siècle. Il a des marques sur la jambe à l’endroit supposé de l’accident, de l’amputation et de la restitution miraculeuse.
    - Ces marques confirment l’identité des restes (il s’agit bien de Miguel Juan Pellicer : dans la tombe indiquée, on trouve un squelette dont la jambe a été traumatisée comme on s’y attend).
    - La jambe accidentée est de 5,5 cm plus courte que l’autre.
    - À la suite de cet examen, loin de crier au miracle, on a scellé les restes et diffusé une consigne de silence.
Ces faits établissent que…
  • - Les marques relevées sur la jambe ne prouvent pas qu’il y ait eu amputation.
    - Miguel Juan Pellicer est, toute sa vie, resté boiteux (ce qui pourrait expliquer qu’en Espagne on parle traditionnellement – voir les inscriptions ici et là - du « boiteux » et pas du « miraculé » de Calanda). La jambe accidentée est plus courte et moins large que l’autre. La récupération à la suite du « miracle » ou du déploiement de la jambe a donc été partielle : les chairs ont retrouvé une couleur normale, mais il n’y a pas eu de croissance compensatrice, ni en quelques mois ni en quelques années.
    - L’observation faite au procès selon laquelle la jambe aurait récupéré les trois pouces qui lui manquait est donc fausse.
Source : http://www.aol2002.com/public/leearticu ... %20Calanda

Je propose d’en tirer les conclusions suivantes…
  • - L’Église d’aujourd’hui approuve ou accompagne les dévotions suscitées par la légende de Calanda. Elle ne croit qu’il y ait eu « miracle » (amputation et mort de la jambe, puis résurrection de celle-ci sur le corps de l’homme qui l’avait perdue).
    - Les lacunes de l’enquête de Vittorio Messori sont telles qu’elles invalident complètement son propos.
    - On ne peut plus aujourd’hui, de bonne foi, faire la promotion du « miracle » de Calanda (sans parler de celui de Pieter van Rudder !).
Cependant, je serai très heureux, si j’en ai l’occasion, de plonger un jour dans la foule des tambourinaires qui, chaque Vendredi Saint, à Calanda, marquent la rompida de la hora ! :)


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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Raistlin » jeu. 29 sept. 2011, 12:19

Notionis a écrit :
  • - Une exhumation des restes de Miguel Juan Pellicer a eu lieu à Velilla de Ebro en 1950, sous l’autorité de l’archevêque de Saragosse.
    - Le squelette examiné est bien du XVII° siècle. Il a des marques sur la jambe à l’endroit supposé de l’accident, de l’amputation et de la restitution miraculeuse.
    - Ces marques confirment l’identité des restes (il s’agit bien de Miguel Juan Pellicer : dans la tombe indiquée, on trouve un squelette dont la jambe a été traumatisée comme on s’y attend).
    - La jambe accidentée est de 5,5 cm plus courte que l’autre.
Voilà qui est intéressant. Pourriez-vous donner une source fiable ? C’est notamment la jambe plus courte qui m’étonne : 5,5 cm, c’est beaucoup. Comment comprendre qu’un tribunal ecclésiastique et les officiels de Roi se soient trompé de la sorte puisqu’ils ont bien vu la jambe ? Vous noterez que les 3 pouces dont vous parlez ensuite ne correspondent d’ailleurs pas à 5,5 cm…

Hé puis, je ne parle pas l’espagnol mais la phrase suivante (tirée de votre source) me semble dire autre chose que ce que vous avancez : La irregularidad existente en la tibia derecha y el hecho de ser 5.5mm. Cela semble indiquer 5,5 millimètres et non centimètres (vous vilipendiez Messori pour bien moins que ça). Or on peut tout à fait comprendre que de 3 pouces (7,6 cm environ) à 5,5 mm, les autorités aient jugé que la jambe droite avait retrouvé la taille de la jambe gauche.

Il serait donc opportun de justifier qu’il s’agit bien de la tombe de Miguel Juan Pellicer (si tant est qu’il y a bien eu exhumation du corps). En bref, que vaut ce site que vous citez ? Tout le monde sait qu’Internet est à prendre avec des pincettes, qu’on y trouve de tout.

Notionis a écrit :À la suite de cet examen, loin de crier au miracle, on a scellé les restes et diffusé une consigne de silence.
Allons bon, vous voilà parti dans des délires complotistes. Vous pourriez vérifier vos sources avant de conclure aussi péremptoirement ?

Notionis a écrit :Ces faits établissent que…
  • - Les marques relevées sur la jambe ne prouvent pas qu’il y ait eu amputation.
Forcément puisqu’il y la possibilité que la jambe fut « rattachée ». Comment donc voulez-vous qu’il y ait une trace d’amputation sur un membre qui n’est plus amputé ?

Notionis a écrit :Miguel Juan Pellicer est, toute sa vie, resté boiteux (ce qui pourrait expliquer qu’en Espagne on parle traditionnellement – voir les inscriptions ici et là - du « boiteux » et pas du « miraculé » de Calanda). La jambe accidentée est plus courte et moins large que l’autre.
S’il y avait effectivement une légère différence, à peine perceptible, entre la jambe gauche et la jambe droite, il n’est pas si surprenant que ça que Miguel Juan Pellicer ait continué à boiter après le miracle. En gros, je ne vois en quoi le fait qu’on ait parlé du « boiteux de Calanda » viendrait invalider quoique ce soit.

Notionis a écrit :- L’observation faite au procès selon laquelle la jambe aurait récupéré les trois pouces qui lui manquait est donc fausse.[/list]
Par pitié, un peu de rigueur. Avant de conclure comme vous le faites d’un ton péremptoire, donnez-nous une preuve fiable des éléments que vous avancez.

Notionis a écrit :Je propose d’en tirer les conclusions suivantes…
  • - L’Église d’aujourd’hui approuve ou accompagne les dévotions suscitées par la légende de Calanda. Elle ne croit qu’il y ait eu « miracle » (amputation et mort de la jambe, puis résurrection de celle-ci sur le corps de l’homme qui l’avait perdue).
    - Les lacunes de l’enquête de Vittorio Messori sont telles qu’elles invalident complètement son propos.
    - On ne peut plus aujourd’hui, de bonne foi, faire la promotion du « miracle » de Calanda (sans parler de celui de Pieter van Rudder !).
Vous concluez rapidement et sans preuve dument établie, comme d’habitude (et au passage, vous vous en prenez encore à Messori, décidément...)
« Dieu fournit le vent. A l'homme de hisser la voile. » (Saint Augustin)

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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Notionis » jeu. 29 sept. 2011, 14:59

Bonjour Raistlin,

Millimètres ou centimètres ?
Bravo !
Je n’ai pas un instant songé qu’il puisse s’agir de millimètres !
5,5 mm, un demi centimètre ? Voilà une notation marginale qui ne correspond certes pas au « trois pouces » notés précédemment.
Donc tout mon développement sur l’erreur d’observation faite au procès concernant la longueur comparée des deux jambes s’écroule.
À moins qu'Ángel Briongos Martínez, l’auteur de l’article ait, par distraction, écrit « mm » au lieu de « cm ».
Je viens de lui écrire pour vérifier. Si j’obtiens une réponse, je vous la donne.

Les sources historiques
L’archiviste bibliothécaire du chapitre métropolitain de Saragosse, Tomas Domingo Perez, interrogé par Messori (voir p. 62) a donné en 2006 une édition revue et augmentée de son livre de 1987. Elle comprend une analyse exhaustive des documents disponibles.
Tomas Domingo Perez. « El Milagro De Calanda Y Sus Fuentes Historicas » (Caja Inmaculada 2006, 575 p.).
La présentation que l’auteur en a fait indique un travail d’historien, sans argument fort en faveur de la thèse du miracle.
http://www.aragondigital.es/asp/noticia ... 1&secid=12

Que vaut le site cité ?
Interdisons-nous dans une discussion les arguments ad hominem. J’ai identifié qui est Ángel Briongos Martínez. En France, on l’appellerait un « zététicien »… Et alors ?
Je constate qu’il me cite avec force détails une exhumation, en citant les autorités religieuses et médicales concernées, et en me donnant des photos crédibles. Donc, jusqu’à preuve du contraire, je prends, comme j’ai d’abord pris ce qui était publié sur ce forum concernant ces miracles, comme j’ai pris ensuite pas à pas les informations et arguments de Messori, etc.
Les critères décisifs me semblent devoir être :
- Avons-nous, de façon fiable, des informations contraires ? Non.
- Le discours est-il cohérent ? Oui.
Donc, jusqu’à preuve du contraire (il n’y a pas eu d’exhumation, le cadavre n’était pas le bon, le compte rendu dit autre chose, etc.), ça me va.

Scellé les restes
Pourquoi imaginer le contraire ?

Consigne de silence
Elle est manifeste, non ? Et, sinon, il faut à nouveau taper sur Messori, encore plus fort que je ne le fais !
:)

Pas de trace d’amputation
J’admets votre raisonnement, je l'ai adopté moi-même a priori. C’est pourquoi j’écris que « Les marques relevées sur la jambe NE PROUVENT PAS qu’il y ait eu amputation », laquelle n’est par ailleurs établie par aucune « preuve » aujourd’hui recevable (compte tenu de ce qu’on sait sur les témoignages humains, etc.).

Vous concluez « sans preuve établie »
La charge de la preuve appartient à celui qui tient la thèse la plus « échevelée » (un de vos adjectifs), non ?

« Vous vous en prenez encore à Messori »
Je n’ai pas à juger l’homme mais le livre ? Oui, je le peux. Il est mal fait (un travail d’« historien », dont la documentation est gravement défaillante – voyez comme il traite l’affaire Pieter van Rudder - sans index ni bibliographie, sans parler des errances de l’argumentation ?) et c’est une mauvaise action de type « guérisseur » : il enfonce les désespérés dans l’impasse en leur donnant de faux espoirs.

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Raistlin
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Re: Calanda et Peter van Rudder : des faux miracles

Message non lu par Raistlin » jeu. 29 sept. 2011, 15:36

Notionis a écrit :Je viens de lui écrire pour vérifier. Si j’obtiens une réponse, je vous la donne.
En voilà une bonne idée.

Notionis a écrit :La présentation que l’auteur en a fait indique un travail d’historien, sans argument fort en faveur de la thèse du miracle.
http://www.aragondigital.es/asp/noticia ... 1&secid=12
Et y a-t-il des arguments forts en sens contraire ? Vous noterez que ce n’est pas le rôle de l’historien de trancher sur le fait qu’il y ait eu miracle ou pas. L’historien (comme le médecin dans le cas des miracles de Lourdes ou lors de procès de canonisation) doit se prononcer sur l’authenticité des éléments historiques, sur la fiabilité des témoignages. Et c’est tout.

Voilà pourquoi, lorsque vous écrivez une jolie histoire censée répondre aux angoisses des zététiciens face à la possibilité du miracle, je réponds que vous ne faites pas de l’Histoire.

D’ailleurs, au sujet de votre historien, l’article dit : Hay entre ellas, naturalmente, jerarquía en importancia, según la mayor o menor cercanía al acontecimiento y su naturaleza jurídica; pero todas contribuyen a atestiguar su innegable realidad histórica. Ce que Google traduit par (désolé, mais je ne parle pas espagnol) : Entre eux [les documents historiques], bien sûr, une hiérarchie dans l'importance, selon le degré de proximité avec l'événement et sa nature juridique, mais tous contribuent à témoigner de la réalité historique indéniable.

Et vous noterez que ses 30 ans de recherches, par ailleurs, ne semblent pas non plus le conduire à nier l’amputation comme vous le faites. Alors ?

Notionis a écrit : Que vaut le site cité ?
Interdisons-nous dans une discussion les arguments ad hominem. J’ai identifié qui est Ángel Briongos Martínez. En France, on l’appellerait un « zététicien »… Et alors ?
Et alors les zététiciens ne sont pas des scientifiques. Pourquoi ? Parce qu’ils raisonnent à partir d’un préjugé de base que RIEN ne justifie : celui que le miracle n’existe pas. C’est un postulat qui n’a rien à voir avec la science. C’est de l’idéologie. Idéologie irrationnelle qui plus est puisque la raison humaine peut démontrer l’existence de Dieu ainsi que Sa toute-puissance : nier a priori la possibilité du miracle revient donc, en quelque sorte, à nier la raison.

Mais bon, ce que je reproche surtout aux zététiciens, c’est de déguiser leur combat idéologique sous les aspects de l’investigation scientifique. Ca c’est inadmissible.

Notionis a écrit :Les critères décisifs me semblent devoir être :
- Avons-nous, de façon fiable, des informations contraires ? Non.
- Le discours est-il cohérent ? Oui.
Donc, jusqu’à preuve du contraire (il n’y a pas eu d’exhumation, le cadavre n’était pas le bon, le compte rendu dit autre chose, etc.), ça me va.
Comme c’est commode ! Je pourrais vous développer la même argumentation en faveur de l’authenticité du miracle :
- Avons-nous de façon fiable des informations contraires ? Non.
- Le discours est-il cohérent ? Oui.

Dont acte, suivez votre propre logique.

Notionis a écrit :Consigne de silence
Elle est manifeste, non ? Et, sinon, il faut à nouveau taper sur Messori, encore plus fort que je ne le fais !
Non. Car si cette « exhumation » n’en est pas une, rien de surprenant à ce que Messori ne l’ait pas mentionnée. Peut-être aussi tout simplement qu’il n’en avait pas connaissance. Au pire, c’est un oubli gênant, mais il n’y a aucune raison pour en conclure à une omerta délibérée comme vous le faites.

Notionis a écrit : Pas de trace d’amputation
J’admets votre raisonnement, je l'ai adopté moi-même a priori. C’est pourquoi j’écris que « Les marques relevées sur la jambe NE PROUVENT PAS qu’il y ait eu amputation », laquelle n’est par ailleurs établie par aucune « preuve » aujourd’hui recevable (compte tenu de ce qu’on sait sur les témoignages humains, etc.).
Des preuves ? Juste les témoignages absolument concordants des médecins, des personnes ayant côtoyé le jeune Pellicer pendant près de 3 ans, etc. Certes, on peut imaginer n’importe quelle théorie : une vaste mascarade, des imbéciles ne sachant pas faire la différence entre une jambe dissimulée et une jambe amputée, des extraterrestres venus fausser les documents, etc.

Quant aux témoignages humains, c’est là un argument ridicule. Toute notre vie est basée sur le témoignage humain. Le simple fait que vous acceptiez de prendre les médicaments que vous a prescrit le médecin repose sur son témoignage. Idem pour le fait que la Terre tourne autour du Soleil : ne l’ayant probablement pas vérifié par vous-même, vous l’admettez pourtant sans hésitation. Remarquez alors comment, en usant de votre logique, je pourrai inventer une histoire tout à fait « cohérente » pour conclure que le géocentrisme est vrai.

Bref, oui les témoignages humains sont parfois défaillants. C’est pourquoi c’est à l’historien d’établir ce qu’ils valent. Or ce travail, vous n’avez pas eu la décence de le faire. Vous avez immédiatement, et sans aucune preuve, suspecté des témoignages erronés. Pour quelle raison ? Votre préjugé de départ.

J’admets aisément qu’il y a des zones d’ombre à clarifier et qu’on ne peut trancher de façon absolument certaine en faveur du miracle sans plus d’investigation (même si j’estime que vu l’état du dossier, la thèse du miracle est bien plus crédible et probable que la vôtre). J’admets même sans peine qu’il pourrait s’agir d’un canular. Ce que je n’admets pas en revanche, c’est votre a priori de départ qui vous conduit à une relecture subjective des évènements et à l’invention de théories plus ou moins farfelues.

Notionis a écrit : Vous concluez « sans preuve établie »
La charge de la preuve appartient à celui qui tient la thèse la plus « échevelée » (un de vos adjectifs), non ?
Mais des éléments historiques en faveur du miracle, il y en a. Et de votre côté ? Des théories, rien d’autre. Je veux donc bien que la thèse du miracle soit plus difficile à admettre mais cela ne vous autorise pas à nier les pièces historiques comme vous le faites et à avancer des hypothèses non prouvées.

Notionis a écrit : « Vous vous en prenez encore à Messori »
Je n’ai pas à juger l’homme mais le livre ? Oui, je le peux.
Je vous rappelle que vous le traitiez d’idolâtre… :/

J’admets que Messori s’enflamme un peu. Notamment lorsqu’il invoque ce miracle comme le meilleur argument de l’apologétique. Il semble effectivement oublier que, quand bien même ce miracle serait authentique, Dieu laisse toujours assez d’ombre pour ceux qui ne veulent pas croire.
« Dieu fournit le vent. A l'homme de hisser la voile. » (Saint Augustin)

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