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par Cinci » dim. 21 avr. 2019, 15:55
La présence réelle
"La consécration, ça n'existe pas : il n'y a que la sanctification du pain et du vin. Le Christ est auprès du Père, ce n'est pas lui qui agit dans l'Eucharistie, mais l'Esprit. Voilà ce que j'entends depuis quelque temps. Avec quelle facilité on évacue le Mystère !"
De plus en plus de personnes me font part de leur inquiétude. Je la partage. Il est grand le mystère de la foi : nous le proclamons à chaque messe. Mais il est facile de le rapetisser ! Une longue lettre m'en donne des exemples. Dans une réunion, un prêtre soutenait ces thèses en riant, et tout le monde riait avec lui, comme si l'Église n'avait rien compris jusqu'ici. Un théologien intervenant dans une réunion diocésaine d'accompagnateurs de catéchumènes, évoquait les divers modes de présence du Christ : les deux premiers, l'assemblée et la Parole, furent bien exposés; chose curieuse, la présence eucharistique par les paroles de la consécration fut remplacée par l'action de l'Esprit Saint.
Avec un discernement théologique que je trouve bien supérieur à celui du théologien professionnel, cette personne fait un commentaire pénétrant, auquel je n'ai rien à rajouter : cette doctrine qui semble faire tache d'huile est évidemment très commode à une époque où beaucoup refusent que le Christ ait été prêtre. Cela supprime le sacerdoce. On n'a plus besoin qu'un ministre ordonné célèbre in persona Christi. La messe n'est plus qu'un rassemblement. Il n'est plus question de rendre présent pour nous le sacrifice de la Croix. Enfin en laissant le Christ au Ciel, en le remplaçant par le Christ eucharistique, c'est à dire le pain et le vin offerts et non pas consacrés, il n'y a plus qu'une présence spirituelle, comme dans l'assemblée et la Parole. Il n'y a plus le Mystère. C'est évidemment plus facile à expliquer aux catéchumènes !
Une position de repli classique, que j'ai trouvé sous la plume d'un religieux qui écrit dans plusieurs revues comme théologien, c'est de dire que de toute façon "Dieu est présent partout". Nous voilà bien avancés ! On se demande pourquoi le Fils de Dieu est venu sur terre, puis que Dieu y était déjà ! Il y a ici une confusion, qu'un séminariste de première année ne ferait pas, entre la présence de création, présence sans nom et sans visage, présence unilatérale (la théologie dit présence d'immensité) et la présence de relation : celle qui commence quand Dieu parle à Abraham et quand la foi ouvre le coeur de l'homme, En Jésus-Christ, cette présence divine devient présence de communion : Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui.
C'est vrai : cette présence du Christ nous est donnée de multiples manières. Pas seulement dans l'assemblée et la Parole ! Il y a longtemps que Paul VI l'a dit, de façon magistrale et condensée.
Le Christ est présent à son Église quand elle prie, quand elle sert les pauvres, quand elle croit, espère et aime, quand elle proclame l'Évangile, quand elle exerce son autorité pastorale, quand elle célèbre les sacrements. Pourtant, c'est d'une façon bien différente que le Christ est présent à l'Église dans l'Eucharistie. Ce sacrement renferme en effet le Christ lui-même ... Cette présence, on la nome "réelle", non à titre exclusif, comme si les autres présences n'étaient pas réelles, mais "par excellence", parce qu'elle est substantielle, et que par elle le Christ, Dieu et homme, se rend présent au monde entier.
Paul VI continue en signalant les mauvaises explications : réduire cette présence à une présence spirituelle ou à une présence symbolique. Puissent nos "intervenants" entendre le message ! Message qui est aussi celui du Concile Vatican II, pour qui l'Eucharistie est la présence maximale du Christ. (Sacrosanctum Concilium, numéro 7)
Le sacrement de l'Eucharistie est réalisé à partir d'une matière terrestre, du pain et du vin, fruits de la terre et du travail des hommes. Nous confions cela aux mains du Christ ressuscité et au souffle de l'Esprit. Cela nous est rendu comme une réalité céleste : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Or le corps ne peut se réduire à une chose. A plus forte raison le corps du Ressuscité. Qui dit corps dit présence, sinon on a affaire à un cadavre. L'Eucharistie me met en face de quelqu'un, qui est là.
Communier ne se réduit donc pas à manger quelque chose - quoique certaines attitudes dans certaines célébrations pourraient le laisser penser ... Communier pour vrai, c'est rencontrer quelqu'un. En-dehors de cela, je ne vois pas l'intérêt de se déranger. C'était d'ailleurs la réflexion du bénédictin de Cebrero, en Galicie, qui célébrait sa messe tout seul un jour de tempête, en 1300, et qui vit arriver un paysan : "Pourquoi prend-il toute cette peine, seulement pour voir un morceau de pain et un peu de vin ?" Et le Seigneur permit qu'apparaissent sang et chair dans le calice et la patène. Depuis, on garde les reliques du miracle.
Dans l'histoire de l'Église, à plusieurs reprises, des miracles eucharistiques de ce genre se sont produits. Dans son souci visible, et louable, d'insister sur la réalité de la présence eucharistique, le correspondant que je cite en tire argument. Mais l'argument porte à faux. Il s'agit précisément de miracles : des faits exceptionnels. Contrairement à ce qu'il pense, il y a un problème ! On se perd dans des considérations sans fin et surtout sans issue si on s'imagine qu'à chaque messe il y a dans le calice de l'hémoglobine et dans le pain eucharistique de la chair et des os. On ne corrige pas des représentations trop évanescentes de la foi eucharistique par une représentation trop matérielle. La foi de l'Église est simple, elle n'est pas simpliste.
La grande tradition théologique de l'Église précise que le changement eucharistique est une transsubstantiation. Le Concile de Trente affirme que ce mot est très adéquat. Encore faut-il comprendre substance au sens philosophique, et non au sens physico-chimique. La substance est ce qui répond à la question : qu'est-ce qu'il y a dessous (sub-stans) Pour le dictionnaire Larousse, est substantiel ce qui est nourrissant ou essentiel. L'Eucharistie est bien l'un et l'autre ! Il ne s'agit donc pas d'une transformation : la forme et les apparences (ce que les théologiens appellent les espèces) ne sont pas modifiées. Sinon l'Eucharisite ne serait plus un aliment assimilable. En résumé, parler de transsubstantiation, c'est affirmer que la chose est modifiée dans son être et non dans son paraître.
Réellement présent
Cela dit, il faut garder une juste vision des choses. Les agressions contre l'Eucharistie, ou simplement le mépris du sacrement, ou même notre propre indifférence, trop fréquente, à son égard, tout cela blesse le Christ, c'est sûr, et c'est grave. Mais ces atteintes qui touchent physiquement ou directement le signe sacramentel n'atteignent pas son corps glorieux. C'est l'occasion de rappeler quelques vérités de base.
1. Le corps actuel du Christ est son corps de Gloire, et non un objet de ce monde qu'on pourrait par exemple photographier.
2. Cette présence réelle mais invisible du Ressuscité nous est communiquée de façon visible dans l'Eucharistie.
3. Cette présence eucharistique est sacramentelle, c'est à dire qu'elle nous est donnée par la médiation du pain et du vin consacrés.
Autrement dit le Pain de Vie et la Coupe du salut sont ce point de l'espace et ce moment du temps où Jésus le Christ donne rendez-vous à son Église. C'est la réalisation suprême (en ce monde) de sa promesse : Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. Il continue de nous donner sa Vie, c'est à dire le précieux Sang. Il ne cesse de venir à notre rencontre, de nous appeler à lui. Il s'offre à notre regard, à notre amour, à notre offrande en retour. Voici mon corps. Le corps, en effet, n'est pas d'abord, pas seulement une réalité biologique, un composé physico-chimique. Dans notre expérience humaine, le corps est avant tout la médiation de la présence, il est ce par quoi la personne peut dire : Je suis là. Mon corps m'inscrit dans l'espace, dans l'histoire, dans la société. C'est bien ce que fait l'Eucharistie : par elle et en elle, le Seigneur insaisissable s'expose à la rencontre avec nous. C'est ce que chantaient les vieux cantiques : Le Ciel a visité la terre. Pas seulement une visite : Celui qui mange ma chair demeure en moi et moi en lui. L'éternité habite la temporalité, l'Invisible le visible.
C'est pourquoi cette présence est objective et permanente. Elle ne s'efface pas lorsque je ferme la porte du tabernacle ou lorsqu'il n'y a plus personne dans l'église.
J'aime ce que Vladimir Ghika disait à l'ouverture du Congrès eucharistique de Sydney, en 1928 :
Ce ne sont ni des notions abstraites, si exactes qu,elles soient, ni des effusions sentimentales, ni des considérations pieuses, que nous venons vous apporter ... Ce que nous voulons évoquer ici, c'est la vie même, la Vie éternelle, ce pain de vie qui a été reçu dans vos entrailles et dans les miennes, après avoir été porté dans celles de l'Immaculée : c'est cette aube de vie qui se lève en rayonnant sur le monde, dans l'ostensoir, au-dessus de nos têtes inclinées. Il n'y a rien de plus vrai, de plus présent, de plus intime, de plus éternel.
[...]
Il faut résister fermement à toute comparaison avec l'anthropophagie, que cela vienne d'adversaires qui tournent en dérision notre foi ou que cela vienne de prédicateurs mal inspirés. Les cannibales mangent des cadavres, alors que nous mangeons un Vivant, le Ressuscité. Le cannibalisme (qui n'a pas disparut de la planète) a toujours un arrière-plan de magie et de pouvoir : il s'agit de voler la force vitale de l'ennemi ou du rival. Au contraire, la communion est une libre offrande d'un côté, un accueil humble et émerveillé de l'autre.
De façon plus générale, on peut noter que toute manducation, même la plus banalement alimentaire, est une destruction. Dans le cas de l'Eucharistie, c'est différent. L'assimilation du signe sacramentel (le pain) n'est pas l'effacement de la réalité sacramentelle (le Corps) mais plutôt sa glorification. Ce n'est pas par hasard que l,enseignement eucharistique du quatrième évangile est rattaché à la multiplication des pains. On est dans un monde nouveau, divin et spirituel, où le partage ne se fait pas par séparation et division, mais par communion et amplification. Il avait bien raison, l'enfant qui disait : "Quand je communie, c'est Jésus qui me mange !" Encore faut-il comprendre, ici encore, que notre consommation en Jésus-Christ n'a pas pour résultat notre diminution et notre disparition, mais notre croissance et notre personnalisation. Comme le Buisson ardent tellement incompréhensible aux yeux de Moïse, l'Eucharistie est un feu qui embrase sans consumer.