par Cinci » sam. 18 sept. 2021, 3:28
Dans la série «Les évangiles disent-ils vrai ?»
Chapitre 13
«Les évangiles ont été écrit par des croyants. Rien ne prouve que le portrait qu'ils dressent de Jésus soit véridique.»
____
Les quatre livres les plus importants du Nouveau Testament, les quatre évangiles, sont des témoignages de foi, et non des compte-rendus journalistiques. Par ailleurs, ces textes sont un noeud, un carrefour de références à d'autres passages de la Bible : ce qu'on appelle de l'intertextualité. Mais est-il besoin d'être croyant, ou bien exégète chevronné, pour les lire, les apprécier, en être touché ? Dieu est le Dieu de tous. Un Dieu qui mettrait un préalable à sa compréhension deviendrait très vite l'idole d'une secte. Et puis il y a toujours un avant de la foi. Et avant la foi, il faut bien que je comprenne un peu ...
La foi n'est pas un acquiescement à des notions, à des idées, même très généreuses. Elle va au-delà d'une compréhension neutre ou je pourrais rester sur une position reculée. Elle consiste aussi en un engagement existentiel. Puis-je vraiment comprendre le Christ en profondeur sans vivre avec lui, c'est à dire sans m'investir personnellement dans une relation qui m'engage, qui me coûte, qui affecte mon existence ? Peu probable. Il n'en allait pas autement pour les écrivains de l'Antiquité, surtout lorsqu'ils avaient affaire à un personnage religieux. A leur époque aussi, surtout, il était impossible de dresser un portrait approfondi de Jésus sans entretenir des liens très étroits avec lui. Ce que l'on appelle l'objectivité existait rarement à l'époque. Existe-t-elle même aujourd'hui ?
Le «vrai Jésus» n'est-il alors accessible qu'à la foi ? Les textes des évangiles semblent corroborer cette thèse. Comment ? On sait que les Écritures sont normatives pour la foi, pour la christologie comme pour la Trinité. Mais elles le sont aussi pour le portrait du disciple appelé à comprendre. Que nous disent-elles à ce sujet ? Le disciple du Christ reste-t-il un simple élève de son maître qui ne le côtoie que durant les séances d'enseignement ? Pas du tout. «... et il en institua douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher» (Mc 3,14) Traduisons : on ne peut comprendre le mystère du Christ sans cotôyer, de près ou de loin, sa personne, sans devenir son compagnon comme l'écrit l'Évangile, sans cultiver son amitié. Amitié : terme très fort, quand on y pense, mais que lui-même emploie dans l'évangile de Jean (Jn 15,15) :
Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître; je vous appelle amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître.
Une amitié réelle,et non pas métaphorique. Car c'est à cette condition qu'on saisira son «amour qui dépasse toute connaissance» (Éph 3.9), son «insondable richesse» (Éph 3.8)
L'événement décisif de la Résurrection
La véracité des évangiles peut d'autant moins être mise en doute qu'ils ne taisent pas l'incompréhension des disciples à propos de Jésus, alors même qu'ils croient en lui. Comment expliquer ce paradoxe ? Comment rendre compte que les Douze soient à la fois dans la vérité en suivant Jésus durant ses pérégrinations terrestres et simultanément dans l'erreur, dans leur croyance qu'il va instituer un royaume terrestre ? Quelque chose devait bien transparaître de la filiation divine du Christ pour eux durant sa vie terrestre, sans qu'ils sachent expliciter consciemment ce mystère à eux-mêmes, faire entrer cette intuition dans leurs catégories religieuses. Les évangiles dressent le portrait de quelqu'un qui enseigne «avec autorité» (Mc 1,22) - quelqu'un qui donne l'impression d'être de plain-pied avec le dessein de Dieu sur l'humanité. C'est unique dans l'histoire, surtout avec un tel degré de précision. Il ne pouvait s'agir avec Jésus que d'une personne qui entretenait avec Dieu un lien d'intimité beaucoup plus fort que ceux qui unissaient le Très-Haut à ses prophètes de jadis.
Pour ne s'en tenir qu'à l'enseignement de Jésus, l'Église «interprétante» aurait-elle recyclé ses paroles ? Peu probable. car ce qui fonde sa foi, ce n'est pas une idée, mais un événement : la résurrection de Jésus. La foi n'est pas seulement adhésion à un message révélateur de choses cachées depuis le début du monde et de l'art de vivre en vérité qui en découle, mais confession d'un événement qui change le cours du temps. De ce point de vue, la foi n'est pas une gnose, sa vérité n'est pas de l'ordre d'un savoir tranquille, mais bien d'un accueil coûteux.
L'Église a interprété la vie terrestre de Jésus à la lumière de sa Résurrection. Celle-ci a été pour elle la manifestation de ce qu'il est depuis toujours : le Fils du Père. Les récits évangéliques ont été écrits en fonction de cette donnée fondamentale. L'Église va écrire sur le faire et les dires de Jésus en ordonnant ces derniers sur son être filial divin. Si bien que l'annonce de Jésus-Christ Fils de Dieu (Mc 1,1) sera la bonne compréhension des prédications faites par le rabbi galiléen.
Ce qui ne veut pas dire qu'il faille rejeter en doute l'historicité de événements de sa vie. Au contraire : comme nous le disions plus haut, la foi chrétienne n'est pas une gnose, un catalogue de connaissance, un savoir ésotérique, mais l'accueil d'un événement, à savoir l'Incarnation et la Pâque du Fils de Dieu.
Jésus n'a pas joué au surhomme
Mais pourquoi le Christ a-t-il été si discret sur son identité et n'a-t-il pas prêché comme l'Église ?
C'est que l'Incarnation est la venue du Verbe dans la condition humaine marquée par la finitude et le temps historique avec ses conditionnements de toutes sortes. Ce n'est pas du semblant. Or, l'affirmation tout de go par Jésus de sa filiation divine n'aurait pu être correctement comprise d'emblée par l'époque et la culture du peuple de Jésus (Jésus a toutefois confessé sa divinité à plusieurs reprises durant son ministère public, de façon directe ou indirecte). L'Incarnation n'est pas le parachutage d'un aérolithe. De plus Jésus n'a rien écrit. Et pour cause ! Il lui était impossible de laisser un parchemin la donnée la plus fondamentale de la foi chrétienne : sa mort et sa résurrection ! On l'imagine mal en effet dicter sa propre crucifixion et sa sortie du tombeau en direct à des scribes !
Les disciples n'ont accédé à la vérité du Christ que par les effets de la Résurrection. L'événement de la levée de Jésus d'entre les morts va faire refluer leur compréhension de son mystère vers sa vie terrestre, qu'ils vont relire en fonction de son intronisation à la droite de Dieu. Et ils vont remonter encore plus loin, jusqu'à l'éternité divine.
Car ce Verbe divin est le sujet des actes posés par Jésus-Christ, il EST Jésus-Christ (Jésus est une seule personne en deux natures distinctes, et cette personne est divine : le Verbe de Dieu).
Les disciples déduisent donc la préexistence divine du Christ de son exaltation à la droite de Dieu, d'avant en arrière. Mais cette déduction théologique n'enlève rien à la véracité de leur témoignage, à l'historicité des faits, à leur exactitude, ni a fortiori à la vérité ontologique de la personne qu'elle concerne, c'est à dire la divinité de Jésus. Ce n'est pas la déduction de l'Église qui a fait l'identité de Jésus avec le Verbe, mais l'inverse. Le fait de la Résurrection a décidé de tout. C'est à elle que nous devons le portrait de Jésus dressé par les évangiles, et non à la seule subjectivité de leurs auteurs.
J.-M. Castaing
Dans la série «Les évangiles disent-ils vrai ?»
[quote][b]Chapitre 13[/b]
«[i]Les évangiles ont été écrit par des croyants. Rien ne prouve que le portrait qu'ils dressent de Jésus soit véridique[/i].»
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Les quatre livres les plus importants du Nouveau Testament, les quatre évangiles, sont des témoignages de foi, et non des compte-rendus journalistiques. Par ailleurs, ces textes sont un noeud, un carrefour de références à d'autres passages de la Bible : ce qu'on appelle de l'intertextualité. Mais est-il besoin d'être croyant, ou bien exégète chevronné, pour les lire, les apprécier, en être touché ? Dieu est le Dieu de tous. Un Dieu qui mettrait un préalable à sa compréhension deviendrait très vite l'idole d'une secte. Et puis il y a toujours un avant de la foi. Et avant la foi, il faut bien que je comprenne un peu ...
La foi n'est pas un acquiescement à des notions, à des idées, même très généreuses. Elle va au-delà d'une compréhension neutre ou je pourrais rester sur une position reculée. Elle consiste aussi en un engagement existentiel. Puis-je vraiment comprendre le Christ en profondeur sans vivre avec lui, c'est à dire sans m'investir personnellement dans une relation qui m'engage, qui me coûte, qui affecte mon existence ? Peu probable. Il n'en allait pas autement pour les écrivains de l'Antiquité, surtout lorsqu'ils avaient affaire à un personnage religieux. A leur époque aussi, surtout, il était impossible de dresser un portrait approfondi de Jésus sans entretenir des liens très étroits avec lui. Ce que l'on appelle l'objectivité existait rarement à l'époque. Existe-t-elle même aujourd'hui ?
Le «vrai Jésus» n'est-il alors accessible qu'à la foi ? Les textes des évangiles semblent corroborer cette thèse. Comment ? On sait que les Écritures sont normatives pour la foi, pour la christologie comme pour la Trinité. Mais elles le sont aussi pour le portrait du disciple appelé à comprendre. Que nous disent-elles à ce sujet ? Le disciple du Christ reste-t-il un simple élève de son maître qui ne le côtoie que durant les séances d'enseignement ? Pas du tout. «... et il en institua douze pour [i]être ses compagnons[/i] et pour les envoyer prêcher» ([b]Mc 3,14[/b]) Traduisons : on ne peut comprendre le mystère du Christ sans cotôyer, de près ou de loin, sa personne, sans [i]devenir son compagnon[/i] comme l'écrit l'Évangile, sans cultiver son amitié. Amitié : terme très fort, quand on y pense, mais que lui-même emploie dans l'évangile de Jean ([b]Jn 15,15[/b]) :
Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître; je vous appelle amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître.
Une amitié réelle,et non pas métaphorique. Car c'est à cette condition qu'on saisira son «amour qui dépasse toute connaissance» ([b]Éph 3.9[/b]), son «insondable richesse» ([b]Éph 3.[/b]8)
[b]L'événement décisif de la Résurrection[/b]
La véracité des évangiles peut d'autant moins être mise en doute qu'ils ne taisent pas l'incompréhension des disciples à propos de Jésus, alors même qu'ils croient en lui. Comment expliquer ce paradoxe ? Comment rendre compte que les Douze soient à la fois dans la vérité en suivant Jésus durant ses pérégrinations terrestres et simultanément dans l'erreur, dans leur croyance qu'il va instituer un royaume terrestre ? Quelque chose devait bien transparaître de la filiation divine du Christ pour eux durant sa vie terrestre, sans qu'ils sachent expliciter consciemment ce mystère à eux-mêmes, faire entrer cette intuition dans leurs catégories religieuses. Les évangiles dressent le portrait de quelqu'un qui enseigne «avec autorité» ([b]Mc 1,22[/b]) - quelqu'un qui donne l'impression d'être de plain-pied avec le dessein de Dieu sur l'humanité. C'est unique dans l'histoire, surtout avec un tel degré de précision. Il ne pouvait s'agir avec Jésus que d'une personne qui entretenait avec Dieu un lien d'intimité beaucoup plus fort que ceux qui unissaient le Très-Haut à ses prophètes de jadis.
Pour ne s'en tenir qu'à l'enseignement de Jésus, l'Église «interprétante» aurait-elle recyclé ses paroles ? Peu probable. car ce qui fonde sa foi, ce n'est pas une idée, mais un événement : la résurrection de Jésus. La foi n'est pas seulement adhésion à un message révélateur de choses cachées depuis le début du monde et de l'art de vivre en vérité qui en découle, mais confession d'un événement qui change le cours du temps. De ce point de vue, la foi n'est pas une gnose, sa vérité n'est pas de l'ordre d'un savoir tranquille, mais bien d'un accueil [i]coûteux[/i].
L'Église a interprété la vie terrestre de Jésus à la lumière de sa Résurrection. Celle-ci a été pour elle la manifestation de ce qu'il est depuis toujours : le Fils du Père. Les récits évangéliques ont été écrits en fonction de cette donnée fondamentale. L'Église va écrire sur le faire et les dires de Jésus en ordonnant ces derniers sur son être filial divin. Si bien que l'annonce de Jésus-Christ Fils de Dieu ([b]Mc 1,1[/b]) sera la bonne compréhension des prédications faites par le rabbi galiléen.
Ce qui ne veut pas dire qu'il faille rejeter en doute l'historicité de événements de sa vie. Au contraire : comme nous le disions plus haut, la foi chrétienne n'est pas une gnose, un catalogue de connaissance, un savoir ésotérique, mais l'accueil d'un événement, à savoir l'Incarnation et la Pâque du Fils de Dieu.
[b]Jésus n'a pas joué au surhomme[/b]
Mais pourquoi le Christ a-t-il été si discret sur son identité et n'a-t-il pas prêché comme l'Église ?
C'est que l'Incarnation est la venue du Verbe dans la condition humaine marquée par la finitude et le temps historique avec ses conditionnements de toutes sortes. Ce n'est pas du semblant. Or, l'affirmation tout de go par Jésus de sa filiation divine n'aurait pu être correctement comprise d'emblée par l'époque et la culture du peuple de Jésus (Jésus a toutefois confessé sa divinité à plusieurs reprises durant son ministère public, de façon directe ou indirecte). L'Incarnation n'est pas le parachutage d'un aérolithe. De plus Jésus n'a rien écrit. Et pour cause ! Il lui était impossible de laisser un parchemin la donnée la plus fondamentale de la foi chrétienne : sa mort et sa résurrection ! On l'imagine mal en effet dicter sa propre crucifixion et sa sortie du tombeau en direct à des scribes !
Les disciples n'ont accédé à la vérité du Christ que par les effets de la Résurrection. L'événement de la levée de Jésus d'entre les morts va faire refluer leur compréhension de son mystère vers sa vie terrestre, qu'ils vont relire en fonction de son intronisation à la droite de Dieu. Et ils vont remonter encore plus loin, jusqu'à l'éternité divine.
Car ce Verbe divin est le sujet des actes posés par Jésus-Christ, il EST Jésus-Christ (Jésus est une seule personne en deux natures distinctes, et cette personne est divine : le Verbe de Dieu).
Les disciples déduisent donc la préexistence divine du Christ de son exaltation à la droite de Dieu, d'avant en arrière. Mais cette déduction théologique n'enlève rien à la véracité de leur témoignage, à l'historicité des faits, à leur exactitude, ni a fortiori à la vérité ontologique de la personne qu'elle concerne, c'est à dire la divinité de Jésus. Ce n'est pas la déduction de l'Église qui a fait [u]l'identité de Jésus avec le Verbe[/u], mais l'inverse. Le fait de la Résurrection a décidé de tout. C'est à elle que nous devons le portrait de Jésus dressé par les évangiles, et non à la seule subjectivité de leurs auteurs.
[b]J.-M. Castaing[/b][/quote]