par Cinci » sam. 17 déc. 2016, 16:13
Ramsay Cook écrivait :
- "... vers la fin des années 1880, de nombreux Canadiens anglophones affirmaient ouvertement que le Canada était un pays anglais et protestant et se faisaient l'écho de la déclaration de Lord Durham que le pays ne pouvait survivre avec deux cultures distinctes. La plupart se rendaient compte qu'Il n'était pas possible d'assimiler les Québécois, mais ils s'opposaient de toutes leurs forces à l'expansion de la culture française au-delà du Québec. Les revendications de la minorité canadienne-française visant à faire reconnaître ses droits et respecter sa culture en dehors du Québec, ne provoquaient que mépris de la part des extrémistes canadiens-anglais.
Comme le déclarait en 1886 l'Orange Sentinel, porte-parole de l'ordre des Orangistes, anti-catholique, et d'autres Canadiens anglais de même opinion :"Doit-on dire que les droits et les libertés du peuple anglais, de cette colonie anglaise, sont à la merci d'une race étrangère? Le jour est proche où l'appel aux armes sera entendu de toutes les régions du Canada. Alors, indubitablement, nos soldats, se souvenant des leçons du passé, sauront achever la tâche qu'ils ont commencé dans le Nord-Ouest." La question fondamentale, selon Dalton McCarthy, conservateur éminent, était de décider si le pays serait anglais ou français. Le libéral John Charlton faisait remarquer que la déclaration la plu applaudie fut "celle que je fis en affirmant que l'établissement d'une nation française sur le continent nord-américain était un rêve irréalisable, car la question avait été tranchée sur les plaines d'Abraham". L'Orange Sentinel, McCarthy et Charlton exprimaient certes des opinions extrêmes mais qui parvenaient souvent à étouffer celles des modérés [...]
Le conflit racial et religieux s'aggrava en 1888 quand Honoré Mercier fit adopter la loi sur la restitution des biens des jésuites.
En 1773, la société de Jésus avait été abolie par le pape, et ses propriétés canadiennes étaient revenues à la Couronne. Quand les jésuites furent autorisés à revenir au Canada en 1842, ils réclamèrent naturellement soit la restitution de leurs biens, soit des compensations.
En Ontario, cependant, elle [la loi que Mercier fit adopter par l'Assemblée du Québec] déchaîna les protestations, bien qu'elle n'affectât en rien les habitants de cette province.
- "Si l'élément protestant et anglais du Québec ne veut pas faire son salut, ce sera à nous de le faire, dans notre propre intérêt. Il est évident que l'abandon du Québec aux ultramontains et aux jésuites sonnera le glas de la nation canadienne."
A la chambre des communes [Parlement fédéral], les députés protestants et anti-français demandèrent l'annulation de la loi. John A. Macdonald refusa carrément et réprimanda ses partisans.
[...]
N'ayant pas réussi à faire désavouer la loi sur les biens des jésuites*, McCarthy annonça son intention de faire croisade pour l'abolition des droits linguistiques du français et celle des écoles catholiques hors Québec.
- "Le moment est venu, déclara-t-il aux orangistes de Stayner (Ontario), où le vote du peuple tranchera cette grave question, et si cela ne porte pas remède au cours de la présente génération, les baïonnettes le feront au cours de la suivante."
A l'automne 1889, il fit campagne jusqu'au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest où la majorité anglophone l'écouta très volontier et fini par se rallier à son point de vue.
En 1890, la province du Manitoba abolit le français en tant que langue officielle et supprima les écoles catholiques pourtant garanties par l'Acte du Manitoba de 1870, en leur retirant toute subvention.
[...]
En 1892, les tribunaux avaient décidé que le Manitoba n'outrepassait pas ses droits constitutionnels en abolissant les écoles catholiques séparées. L'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique prévoyait que si une province s'en prenait aux droits scolaires qu'une minorité possédait au moment de l'union de 1867, cette dernière pouvait faire appel au gouvernement fédéral pour remédier à la situation. Quand il fut décidé que la loi voté par le Manitoba était conforme à la Constitution canadienne, la minorité, forte de l'appui total de l'Église catholique et de la population du Québec, demanda donc au gouvernement fédéral d'intervenir. En janvier 1895, la Commission judiciaire du Conseil privé à Londres déclara que le gouvernement fédéral avait en effet le droit d'agir.
Enfin, en février 1896, le gouvernement fédéral décida de faire voter une loi "remédiatrice" pour obliger le Manitoba à rétablir les écoles catholiques séparées. Mais le mandat de cinq ans du Parlement venant à expiration au printemps, l'opposition vit là l'occasion idéale de faire de l'obstruction.
Pendant des semaines, la discussion du projet de loi se poursuivit [...] et les libéraux et conservateurs qui s'opposaient à la mesure remédiatrice examinèrent en détail chacune des 120 clauses. Les députés dormaient dans les salles du comité, à leur bureau et dans les couloirs, pendant que jour et nuit, les débats continuaient. Les obstructionnistes les plus bruyants se divertissaient eux-mêmes en attendant d'avoir la parole [...] Nicolas Flood Davin, poète excentrique de Régina égaya les députés en exécutant une danse pied-noir qu'il termina en sautant sur une longue table du fumoir et en s'y trémoussant au milieu, renversant bouteilles, gobelets et assiettes, à chaque pas.
Après un bon mois de discussion, le gouvernement retira le projet de loi.
Source : Ramsay Cook, Canada : a Modern Study, 1981, p.134 (Une étude moderne, traduction de Claude Romney)
En somme, les pionniers français du Manitoba (les Québécois d'origine, les Métis; les catholiques) avaient le droit pour eux, des garanties constitutionnelles enchâssées dans des actes du Parlement, des juges anglais à Londres pouvaient trancher en leur faveur, mais ils furent spoliés de leurs droits quand même. Parce que le gouvernement fédéral à Ottawa n'avait tout simplement pas la volonté de s'élever contre la majorité de l'opinion publique au Canada anglais.
- * Mason Wade (p.464) : "... devant la déclaration de C.C. Colby, le plus vieux député anglais du Québec, qu'il n'y eut jamais une minorité, dans aucun pays, traitée avec plus de générosité que la minorité protestante de la Province de Québec" [...] l'assaut orangiste de McCarthy échoua."
McCarthy n'a pas été capable de faire rappeler la loi dédommageant les jésuites au Québec. Mais la croisade anti-catholique fut un succès dans le reste du pays.
Ramsay Cook écrivait :
[list]"... vers la fin des années 1880, de nombreux Canadiens anglophones affirmaient ouvertement que le Canada était un pays anglais et protestant et se faisaient l'écho de la déclaration de Lord Durham que le pays ne pouvait survivre avec deux cultures distinctes. La plupart se rendaient compte qu'Il n'était pas possible d'assimiler les Québécois, mais ils s'opposaient de toutes leurs forces à l'expansion de la culture française au-delà du Québec. Les revendications de la minorité canadienne-française visant à faire reconnaître ses droits et respecter sa culture en dehors du Québec, ne provoquaient que mépris de la part des extrémistes canadiens-anglais.
Comme le déclarait en 1886 l'[i]Orange Sentinel[/i], porte-parole de l'ordre des Orangistes, anti-catholique, et d'autres Canadiens anglais de même opinion :"Doit-on dire que les droits et les libertés du peuple anglais, de cette colonie anglaise, sont à la merci d'une race étrangère? Le jour est proche où l'appel aux armes sera entendu de toutes les régions du Canada. Alors, indubitablement, nos soldats, se souvenant des leçons du passé, sauront achever la tâche qu'ils ont commencé dans le Nord-Ouest." La question fondamentale, selon Dalton McCarthy, conservateur éminent, était de décider si le pays serait anglais ou français. Le libéral John Charlton faisait remarquer que la déclaration la plu applaudie fut "celle que je fis en affirmant que l'établissement d'une nation française sur le continent nord-américain était un rêve irréalisable, car la question avait été tranchée sur les plaines d'Abraham". L'Orange Sentinel, McCarthy et Charlton exprimaient certes des opinions extrêmes mais qui parvenaient souvent à étouffer celles des modérés [...]
Le conflit racial et religieux s'aggrava en 1888 quand Honoré Mercier fit adopter la loi sur la restitution des biens des jésuites.
En 1773, la société de Jésus avait été abolie par le pape, et ses propriétés canadiennes étaient revenues à la Couronne. Quand les jésuites furent autorisés à revenir au Canada en 1842, ils réclamèrent naturellement soit la restitution de leurs biens, soit des compensations.
En Ontario, cependant, elle [la loi que Mercier fit adopter par l'Assemblée du Québec] déchaîna les protestations, bien qu'elle n'affectât en rien les habitants de cette province.
[list] "Si l'élément protestant et anglais du Québec ne veut pas faire son salut, ce sera à nous de le faire, dans notre propre intérêt. Il est évident que l'abandon du Québec aux ultramontains et aux jésuites sonnera le glas de la nation canadienne."
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A la chambre des communes [Parlement fédéral], les députés protestants et anti-français demandèrent l'annulation de la loi. John A. Macdonald refusa carrément et réprimanda ses partisans.
[...]
N'ayant pas réussi à faire désavouer la loi sur les biens des jésuites*, McCarthy annonça son intention de faire croisade pour l'abolition des droits linguistiques du français et celle des écoles catholiques hors Québec.
[list] "Le moment est venu, déclara-t-il aux orangistes de Stayner (Ontario), où le vote du peuple tranchera cette grave question, et si cela ne porte pas remède au cours de la présente génération, les baïonnettes le feront au cours de la suivante."
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A l'automne 1889, il fit campagne jusqu'au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest où la majorité anglophone l'écouta très volontier et fini par se rallier à son point de vue.
En 1890, la province du Manitoba abolit le français en tant que langue officielle et supprima les écoles catholiques pourtant garanties par l'Acte du Manitoba de 1870, en leur retirant toute subvention.
[...]
En 1892, les tribunaux avaient décidé que le Manitoba n'outrepassait pas ses droits constitutionnels en abolissant les écoles catholiques séparées. L'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique prévoyait que si une province s'en prenait aux droits scolaires qu'une minorité possédait au moment de l'union de 1867, cette dernière pouvait faire appel au gouvernement fédéral pour remédier à la situation. Quand il fut décidé que la loi voté par le Manitoba était conforme à la Constitution canadienne, la minorité, forte de l'appui total de l'Église catholique et de la population du Québec, demanda donc au gouvernement fédéral d'intervenir. En janvier 1895, la Commission judiciaire du Conseil privé à Londres déclara que le gouvernement fédéral avait en effet le droit d'agir.
Enfin, en février 1896, le gouvernement fédéral décida de faire voter une loi "remédiatrice" pour obliger le Manitoba à rétablir les écoles catholiques séparées. Mais le mandat de cinq ans du Parlement venant à expiration au printemps, l'opposition vit là l'occasion idéale de faire de l'obstruction.
Pendant des semaines, la discussion du projet de loi se poursuivit [...] et les libéraux et conservateurs qui s'opposaient à la mesure remédiatrice examinèrent en détail chacune des 120 clauses. Les députés dormaient dans les salles du comité, à leur bureau et dans les couloirs, pendant que jour et nuit, les débats continuaient. Les obstructionnistes les plus bruyants se divertissaient eux-mêmes en attendant d'avoir la parole [...] Nicolas Flood Davin, poète excentrique de Régina égaya les députés en exécutant une danse pied-noir qu'il termina en sautant sur une longue table du fumoir et en s'y trémoussant au milieu, renversant bouteilles, gobelets et assiettes, à chaque pas.
Après un bon mois de discussion, le gouvernement retira le projet de loi.
Source : [b]Ramsay Cook[/b], [i]Canada : a Modern Study[/i], 1981, p.134 (Une étude moderne, traduction de Claude Romney) [/list]
En somme, les pionniers français du Manitoba (les Québécois d'origine, les Métis; les catholiques) avaient le droit pour eux, des garanties constitutionnelles enchâssées dans des actes du Parlement, des juges anglais à Londres pouvaient trancher en leur faveur, mais ils furent spoliés de leurs droits quand même. Parce que le gouvernement fédéral à Ottawa n'avait tout simplement pas la volonté de s'élever contre la majorité de l'opinion publique au Canada anglais.
[list]* [b]Mason Wade[/b] (p.464) : "... devant la déclaration de C.C. Colby, le plus vieux député anglais du Québec, [b]qu'il n'y eut jamais une minorité, dans aucun pays, traitée avec plus de générosité que la minorité protestante de la Province de Québec[/b]" [...] l'assaut orangiste de McCarthy échoua."
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McCarthy n'a pas été capable de faire rappeler la loi dédommageant les jésuites au Québec. Mais la croisade anti-catholique fut un succès dans le reste du pays.