par menochios » ven. 30 avr. 2021, 18:12
Merci pour cette réflexion.
Tout d'abord, en cette année dédiée à St Joseph, protecteur et constructeur, je voudrais rappeler l'existence de l'abeille charpentière. Qui est une abeille solitaire. Car c'est là le plus intrigant dans toute réflexion sur la ruche, l'abeille n'est pas par nature une créature sociale. Il y a eu un moment dans son évolution de millions d'années, où certaines espèces ont trouvé désirable de se réunir en essaims, de gaver certaines d'hormones et d'en priver toutes les autres, enfin de devenir non des abeilles solitaires mais des êtres sociaux.
Fascinant, comment ne pas nouer des parallèles avec les propres choix de notre espèce, qui , quelque part au moment de la révolution néolithique, se réunissent dans les villes, mangent du blé, et voient leur espérance de vie ... diminuer, leur santé se dégrader. Quant à leur capacité à mener une vie conforme à leur volonté n'en parlons pas.
Il y a quelque chose de fascinant à considérer cette même évolution chez l'insecte. Celà nous dépouille de nos affects et de nos raisonnements construits. Car de quoi bénéficie l'insecte social dont ne dispose pas la charpentière ?
De la chaleur du nombre. D'une sécurité accrue en cas de grave menace, puisque d'autres dards viendront à son secours. De mille yeux au lieu de deux pour repérer les sources de nourriture. De l'illusion de sécurité de ses parois de papier. De ne plus avoir le soin des enfants, puisqu'ils sont confiés à des ouvrières spécialisées.
Voilà ce qui est le salaire de la perte de la liberté.
Fascinant. Car si on regarde froidement notre propre organisation sociale, n'y trouve t'on pas la même chose ?
Dans le cas des insectes, c'est un sujet que l'on peut aborder comme dépouillé de tout affect. Sentent elles ces créatures ? Qui irait se préoccuper de leurs sentiments ? Nous pouvons endosser envers elle la pensée froide et dénuée d'affects qui est celle de tous les officiants de l'ingénierie sociale. C'est peut être le moment de se rappeler que Napoléon outre la main dans son veston, avait également choisi comme symbole, hidden in plain sight, l'abeille.
Pourquoi donc ce regroupement en ruches ? La réponse darwinnienne classique est que celà donne à leurs gênes la meilleure chance de se répandre. Mais quels gênes ? Nous sommes donc dans du darwinisme social, qui se dépouille de toute volonté. A la limite de la notion de memes. On pourrait presque voir les ruches comme les entités qui se propagent et se perpétuent, et les abeilles comme un organe de cette transmission. C'est une vision qui fait disparaitre la volonté des abeilles.
C'est une des branches possibles des théories transhumanistes : l'évolution data-centrique. C'est à dire la disparition du sujet conscient. Remplacé par un sujet n'existant plus que par sa capacité à communiquer sur les réseaux sociaux. Ou plutôt, à réagir à des stimulus transmis par ces mêmes réseaux. C'est l'option 'Robot de chair', et elle n'est pas si éloignée que celà. Quand nous nous contentons de nous inscrire dans un mouvement d'indignation ou de soutien suite à la consultation d'un fil twitter, et que nous produisons un peu de contenu autour des informations reçues par ce fil, nous avons déjà un pas dans ce fonctionnement dystopique. Et celà peut aller assez loin. L'expérience Pokemon Go a bien montré que des comportements humains complexes pouvaient être induits par de tels stimuli. Les chiens que Pavlov nourrissaient par sifflement à la gamelle ne pouvaient pas se douter que certains de leurs ancêtres seraient entraînés à aller se nourrir sous des chars, mine au dos. Et on peut bien se moquer de ces fourmis parasitées par la douve du mouton qui vont attendre en haut d'un brin d'herbe quand, après avoir téléchargé un nouveau module sur ce qui aparait de plus en plus comme une excroissance de notre cerveau, nous nous retrouvons à attendre sous la pluie qu'apparaisse quelque créature fantasmatique qui n'esxiste que dans notre cerveau, et qui n'aura aucune influence sur notre vie réelle.
Il faut garder à l'esprit que notre perception de la vie des abeilles est tributaire de notre propre perception de la vie sociale. Si on appelle 'reine' la grosse pondeuse gorgée d'hormones, c'est que les premières études entomologiques s'étaient faites dans une époque formée par la monarchie. Tant et si bien qu'une partie des débats de l'époque portaient sur la manière subtile et inobservée dont la reine commandait à ses ouvrières. Il a fallu longtemps avant de s'apercevoir qu'en fait, elle ne commandait rien du tout.
En fait, et pour en revenir à l'abeille charpentière, le paradoxe est que pour apprécier pleinement la protection de la ruche, il faut être une abeille charpentière. C'est à dire une abeille libre, ayant appris à vire sans la ruche et capable de s'en passer. Quand on a grandi sans l'eau courante, une douche chaude est une bénédiction. Mais ce n'est pas une condition de survie. Pour nous qui sommes des abeilles de l'intérieur de la ruche, notre formation devrait plutôt nous pousser à apprendre la liberté.
Je pense là au voyage à Las Vegas des amish, au Grand Tour de la noblesse anglaise, au Tour de France des compagnons. Toutes formes de déplacement qui permettent de sortir d'une société trop bien organisée. Voir le monde nu. Apprendre à le rebâtir. Car les conditions de la liberté sont d'abord des capacités d'action matérielle.
C'est pour moi, le principal pilier de ma foi catholique. Dieu s'incarne en l'homme. Et l'homme a besoin de l'Eglise pour s'élever. Mais cette Eglise, où est elle ? Symbolisme encore, de la ruche, comme Cité de Dieu.
Pour conclure sur cette notion de buffet, et le ramener à la ruche. Pour moi, ce serait un repas péniblement gagné dans la jungle du monde. Chassé comme on peut, cuit comme on peut. Et qui trouverait enfin place dans un prodigieux festin nourrissant l'humanité entière. L'abeille se décarcasse au péril de sa vie pour un peu de pollen âcre, et elle reçoit du miel, qui n'est jamais que son propre pollen transcendé.
"Alors, le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux."
Merci pour cette réflexion.
Tout d'abord, en cette année dédiée à St Joseph, protecteur et constructeur, je voudrais rappeler l'existence de l'abeille charpentière. Qui est une abeille solitaire. Car c'est là le plus intrigant dans toute réflexion sur la ruche, l'abeille n'est pas par nature une créature sociale. Il y a eu un moment dans son évolution de millions d'années, où certaines espèces ont trouvé désirable de se réunir en essaims, de gaver certaines d'hormones et d'en priver toutes les autres, enfin de devenir non des abeilles solitaires mais des êtres sociaux.
Fascinant, comment ne pas nouer des parallèles avec les propres choix de notre espèce, qui , quelque part au moment de la révolution néolithique, se réunissent dans les villes, mangent du blé, et voient leur espérance de vie ... diminuer, leur santé se dégrader. Quant à leur capacité à mener une vie conforme à leur volonté n'en parlons pas.
Il y a quelque chose de fascinant à considérer cette même évolution chez l'insecte. Celà nous dépouille de nos affects et de nos raisonnements construits. Car de quoi bénéficie l'insecte social dont ne dispose pas la charpentière ?
De la chaleur du nombre. D'une sécurité accrue en cas de grave menace, puisque d'autres dards viendront à son secours. De mille yeux au lieu de deux pour repérer les sources de nourriture. De l'illusion de sécurité de ses parois de papier. De ne plus avoir le soin des enfants, puisqu'ils sont confiés à des ouvrières spécialisées.
Voilà ce qui est le salaire de la perte de la liberté.
Fascinant. Car si on regarde froidement notre propre organisation sociale, n'y trouve t'on pas la même chose ?
Dans le cas des insectes, c'est un sujet que l'on peut aborder comme dépouillé de tout affect. Sentent elles ces créatures ? Qui irait se préoccuper de leurs sentiments ? Nous pouvons endosser envers elle la pensée froide et dénuée d'affects qui est celle de tous les officiants de l'ingénierie sociale. C'est peut être le moment de se rappeler que Napoléon outre la main dans son veston, avait également choisi comme symbole, hidden in plain sight, l'abeille.
Pourquoi donc ce regroupement en ruches ? La réponse darwinnienne classique est que celà donne à leurs gênes la meilleure chance de se répandre. Mais quels gênes ? Nous sommes donc dans du darwinisme social, qui se dépouille de toute volonté. A la limite de la notion de memes. On pourrait presque voir les ruches comme les entités qui se propagent et se perpétuent, et les abeilles comme un organe de cette transmission. C'est une vision qui fait disparaitre la volonté des abeilles.
C'est une des branches possibles des théories transhumanistes : l'évolution data-centrique. C'est à dire la disparition du sujet conscient. Remplacé par un sujet n'existant plus que par sa capacité à communiquer sur les réseaux sociaux. Ou plutôt, à réagir à des stimulus transmis par ces mêmes réseaux. C'est l'option 'Robot de chair', et elle n'est pas si éloignée que celà. Quand nous nous contentons de nous inscrire dans un mouvement d'indignation ou de soutien suite à la consultation d'un fil twitter, et que nous produisons un peu de contenu autour des informations reçues par ce fil, nous avons déjà un pas dans ce fonctionnement dystopique. Et celà peut aller assez loin. L'expérience Pokemon Go a bien montré que des comportements humains complexes pouvaient être induits par de tels stimuli. Les chiens que Pavlov nourrissaient par sifflement à la gamelle ne pouvaient pas se douter que certains de leurs ancêtres seraient entraînés à aller se nourrir sous des chars, mine au dos. Et on peut bien se moquer de ces fourmis parasitées par la douve du mouton qui vont attendre en haut d'un brin d'herbe quand, après avoir téléchargé un nouveau module sur ce qui aparait de plus en plus comme une excroissance de notre cerveau, nous nous retrouvons à attendre sous la pluie qu'apparaisse quelque créature fantasmatique qui n'esxiste que dans notre cerveau, et qui n'aura aucune influence sur notre vie réelle.
Il faut garder à l'esprit que notre perception de la vie des abeilles est tributaire de notre propre perception de la vie sociale. Si on appelle 'reine' la grosse pondeuse gorgée d'hormones, c'est que les premières études entomologiques s'étaient faites dans une époque formée par la monarchie. Tant et si bien qu'une partie des débats de l'époque portaient sur la manière subtile et inobservée dont la reine commandait à ses ouvrières. Il a fallu longtemps avant de s'apercevoir qu'en fait, elle ne commandait rien du tout.
En fait, et pour en revenir à l'abeille charpentière, le paradoxe est que pour apprécier pleinement la protection de la ruche, il faut être une abeille charpentière. C'est à dire une abeille libre, ayant appris à vire sans la ruche et capable de s'en passer. Quand on a grandi sans l'eau courante, une douche chaude est une bénédiction. Mais ce n'est pas une condition de survie. Pour nous qui sommes des abeilles de l'intérieur de la ruche, notre formation devrait plutôt nous pousser à apprendre la liberté.
Je pense là au voyage à Las Vegas des amish, au Grand Tour de la noblesse anglaise, au Tour de France des compagnons. Toutes formes de déplacement qui permettent de sortir d'une société trop bien organisée. Voir le monde nu. Apprendre à le rebâtir. Car les conditions de la liberté sont d'abord des capacités d'action matérielle.
C'est pour moi, le principal pilier de ma foi catholique. Dieu s'incarne en l'homme. Et l'homme a besoin de l'Eglise pour s'élever. Mais cette Eglise, où est elle ? Symbolisme encore, de la ruche, comme Cité de Dieu.
Pour conclure sur cette notion de buffet, et le ramener à la ruche. Pour moi, ce serait un repas péniblement gagné dans la jungle du monde. Chassé comme on peut, cuit comme on peut. Et qui trouverait enfin place dans un prodigieux festin nourrissant l'humanité entière. L'abeille se décarcasse au péril de sa vie pour un peu de pollen âcre, et elle reçoit du miel, qui n'est jamais que son propre pollen transcendé.
"Alors, le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux."