Désolé pour le caractère laborieux de ma réponse, je ne savais pas comment organiser les choses sinon en vous citant quasiment phrase par phrase pour identifier précisément ce avec quoi je suis d'accord et les formulations qui me posent problème.
I)
Didyme a écrit : ↑jeu. 26 mars 2020, 15:35
Dieu est cause première de tout, et de ce fait il est présent au plus intime de ses créatures. Pas seulement à certains niveaux ou en surface mais au plus intime. Il est même plus haut que le plus haut de moi et plus intime que le plus intime.
Absolument.
Comment alors, étant au plus intime, Dieu ne saurait-il d'avance comment chacune va évoluer ?
Il ne le sait pas "d'avance". Ça n'a pas de sens puisque Dieu est hors du temps. Vous continuez à utiliser un vocabulaire temporel qui ne peut pas s'appliquer à Dieu, pour qui il n'y a pas d'avant et d'après.
Nos choix libres découleraient-ils d'ailleurs que de nous-mêmes ?
Non, là-dessus vous avez raison. Mais il ne s'ensuit pas de là que Dieu les connaît "d'avance". Il les connaît de toute éternité dans l'actualité de leur surgissement parce que, comme vous dites, c'est lui qui les fait surgir.
Peut-être du péché ... mais alors le péché est ici logiquement quelque chose qui n'est pas la personne. Il se manifeste par la personne, par le moyen de sa volonté libre. Manifestation d'une faiblesse, d'un manque, d'une souffrance, d'un état d'inachevé, en cheminement vers une perfection ultime encore à atteindre, comme dit dans la suite de l'extrait du catéchisme. Et c'est logique car le créé ne peut être parfait à son début, par lui-même, tant qu'il n'est pas uni à l'incréé qui lui fait don de sa perfection.
Tout à fait d'accord avec ça (même si tout manque ou imperfection n'est pas péché).
Ensuite, il est dit qu'en Dieu nous avons la vie mais aussi le mouvement et l'être.
Si donc, notre mouvement est en Dieu, comment pourrions-nous avoir des choix, des actions qui soient d'ailleurs (hasard, indépendant, etc.) qu'en Dieu ? On me parle ici de liberté mais existe-t-il alors une liberté qui soit extérieure, indépendante de celui qui est toute liberté, en qui nous sommes pleinement libre ? Puisque notre mouvement est en Dieu, c'est bien que celui-ci n'est vraiment libre qu'en Dieu. Il paraît donc très étrange pour moi de parler d'une liberté qui nous ferait agir indépendamment, extérieurement à ce que nous sommes à l'origine comme si la liberté s'exprimait en-dehors de Dieu, notre liberté, notre origine.
D'accord avec ça aussi.
Il me paraît d'autant plus étrange de parler d'une liberté telle que Dieu ne saurait, par respect pour cette liberté, quelles choix notre volonté libre va produire alors que notre mouvement est en Dieu, notre liberté est en Dieu ?!
Je crois que c'est une fausse question. Se demander si Dieu connaît ce que notre volonté "va" produire n'a pas de sens, puisque Dieu connaît cette volonté de toute éternité, et non comme s'il y avait pour lui un futur et un passé.
Ou alors, ce mouvement sort de Dieu et c'est là qu'on entre dans le domaine du péché. Mais si c'est du péché alors ce n'est pas de la liberté.
D'accord avec ça.
En y réfléchissant, oui peut-être bien qu'il y a une forme d'action libre qui est la sortie d'un déterminisme de base et dont Dieu a dû prendre connaissance. Et en même temps, une telle affirmation ne se heurte-t-elle pas à l'omniscience divine, si Dieu doit prendre connaissance ?
Vous raisonnez encore d'une façon temporelle comme si Dieu devait sortir d'un état d'ignorance pour "prendre connaissance" de ce qui se passe. Dieu connaît nos actes libres en ce qu'ils prennent sa source en lui de toute éternité.
Cela renvoie aussi l'idée que Dieu ne connaît pas totalement sa créature.
Non. Où voyez-vous cela ?
Et si cette action libre nous écarte de Dieu, de notre chemin alors c'est du péché. Mais si c'est du péché ce n'est pas de la liberté. Ce n'est pas non plus de la création, de la détermination mais plutôt de la destruction, de la perdition.
Tout à fait.
Je tends souvent à penser que même nos chutes sont prévues par Dieu car nous connaissant, il sait également où sont nos limites, quelles sont nos faiblesses et quelle va être notre réaction, notre évolution.
Elles ne sont pas "prévues" par lui, il les voit.
Dieu porte la créature à son terme. Je tends à penser que si Dieu est "aux commandes", qu'il est à l'origine de la création et qu'il la porte à son terme, étant pleinement souverain, alors il me semble logique d'imaginer ici que sa prescience découle d'une certaine façon de son omniscience mais aussi d'ailleurs de son omnipotence. Dieu est l'alpha et l'oméga, il n'est pas que l'alpha. Or, il me semble souvent qu'au nom d'une représentation de la liberté on tend à oublier qu'il est aussi l'oméga, on tend à placer l'oméga hors de Dieu pour une partie de la création.
C'est juste. La distinction de ces trois facultés (prescience, omniscience, omnipotence) est de toute façon abstraite. Ce sont simplement des points de vue que nous prenons sur l'unique opération divine.
Omnipotence = il produit la totalité de la création.
Omniscience = il connaît la totalité de la création du fait qu'il la produise.
Prescience = il connaît la totalité de la création du fait qu'il est transcendant à cette création.
Dieu est l'alpha et l'oméga, Dieu est au plus intime de l'être, notre mouvement est en Dieu. Ce qui m'amène à penser que tout ce que nous faisons, choisissons, même nos chutes, nos écarts, sont en Dieu. Il me semble qu'il n'y a tentation que parce que Dieu la permet, qu'il n'y a chute que parce que Dieu la permet. S'il permet nos écarts, c'est bien qu'il sait qu'il va y avoir écart. Comment Dieu saurait-il précisément qu'il va y avoir chute (l'exemple de Pierre qui va le renier 3 fois) s'il était question d'une liberté telle qu'on pourrait très bien ne pas chuter ?
Ce "déterminisme" s'oppose-t-il à la liberté ? Non. Ce n'est pas parce que Dieu nous connaît mieux que nous et sait comment on va évoluer que ce n'est pas nous malgré tout qui allons nous mouvoir. Mais simplement, on a une origine et Dieu est cet alpha. Dieu est plus grand que nous. Toute notre personne est en Dieu. Ce n'est pas comme si on pouvait déborder Dieu, le dépasser par quelques côtés. Dieu ne serait plus le Tout, selon ce qu'il m'en semble.
La liberté n'est pas une seconde divinité à côté de Dieu, ou un attribut extérieur à Dieu dont il ferait usage. Il nous fait don de la liberté, c'est bien que la liberté est en lui.
"Reconnaître cette dépendance complète par rapport au Créateur est une source de sagesse et de liberté, de joie et de confiance"
Une dépendance complète, dit le catéchisme. Pas une dépendance partielle, une indépendance, une autonomie. Pas une liberté "affranchie" de notre origine.
Le reconnaître ce n'est pas penser esclavage à Dieu, absence de liberté mais c'est "source de sagesse et de liberté, de joie et de confiance" nous dit-on.
Source de liberté, peut-être parce qu'on se débarrasse de l'illusion d'être son propre Dieu et maître, sa propre origine. On se débarrasse de l'esclavage du "moi".
Source de confiance, c'est la foi au créateur.
L'alpha et l'oméga.
Sortie de l'alpha avec les propriétés du créé et dont la qualité de personne implique un cheminement pour une union libre à l'incréé, son oméga.
" Garde et gouverne" tout ce qu'il a créé, "disposant tout avec douceur". Il me semble demeurer peu de place pour une autonomie supposée par une liberté extérieure à Dieu.
Tout à fait d'accord avec ça.
II)
Pas forcément contenu dans le passé comme un programme mis en place et qui doit se dérouler selon un ordre pré-établi. Mais plutôt comme le fait que Dieu étant le Créateur de Tout ce qui existe et la cause première de tout, il sait comment celle-ci va évoluer dans le déploiement de sa liberté. Je ne pense pas qu'une créature puisse le surprendre tel que s'il ne la connaissait pas vraiment, intégralement, tel que si la créature était un mystère pour Dieu.
Encore une fois, vous vous créez de fausses difficultés. Dieu n'a pas besoin de savoir comment la créature "va évoluer" puisque cette évolution se dessine déjà achevée sous ses yeux. Il n'y a donc ni surprise, ni mystère.
Est-il correct de penser que la créature puisse être un mystère pour le Père, son créateur ? J'avoue que cela me pose difficulté.
À raison. Mais ce n'est pas ce que je sous-entendais.
Certes, création continue car se déroulant dans le temps, nouveauté car le présent est toujours nouveau et une chose ne peut être avant d'être faite, suivant le cours du temps. Mais d'une certaine façon, cette nouveauté se passe en Dieu. Toute la création est en Dieu. Notre origine, notre vie, notre mouvement, notre être, notre liberté-même sont en Dieu. Dieu englobe toute chose.
C'est vrai, mais attention tout de même à ne pas comprendre cela de façon panthéiste ou pananthéiste. Dieu est bien transcendant à sa création, l'idée que "toutes choses sont en lui" signe la dépendance ontologique non la confusion du Créateur et de la création. Voyez saint Thomas :
Dieu est en toutes choses, non comme une partie de leur essence ni comme un accident, mais comme l’agent qui est présent à ce en quoi il agit. Il est nécessaire, en effet, que tout agent soit conjoint à ce en quoi il agit immédiatement, et qu’il le touche par l’énergie qui émane de lui. Aussi dans la Physique d’Aristote est-il prouvé que le moteur et le mobile doivent être simultanément. Or, Dieu étant l’être par essence, il est nécessaire que l’être créé soit son effet propre, comme brûler est l’effet propre du feu. Et cet effet, Dieu le produit dans les choses non seulement quand les choses commencent d’être, mais aussi longtemps qu’elles sont maintenues dans l’être, comme la lumière est causée dans l’air par le soleil tant que l’air demeure lumineux. Aussi longtemps donc qu’une chose possède l’être, il est nécessaire que Dieu lui soit présent, et cela selon la manière dont elle possède l’être. Or, l’être est en chaque chose ce qu’il y a de plus intime et qui pénètre au plus profond, puisque à l’égard de tout ce qui est en elle il est actualisateur, nous l’avons montré. Aussi faut-il que Dieu soit en toutes choses, à leur intime.
Les créatures sont dites en Dieu à un double titre : tout d’abord comme contenues et conservées par la puissance divine, dans le sens où nous disons, de ce qui est en notre pouvoir, que cela est en nous. En ce sens-là, les choses sont dites en Dieu, même quant à l’être qu’elles ont en elles-mêmes. Et c’est ainsi qu’il faut comprendre les paroles de l’Apôtre quand il dit : “ En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être ” (Ac 17, 28). Car le fait pour nous de vivre, d’être et de nous mouvoir est causé par Dieu. Mais d’une autre façon les choses sont dites être en Dieu, comme le connu dans le connaissant. Et alors elles sont en Dieu par leurs raisons propres, qui ne sont pas autre chose en Dieu que l’essence divine. Et puisque l’essence divine est vie, mais non mouvement, on s’explique que selon cette manière de parler les choses ne soient pas mouvement en Dieu, mais vie.
Dieu étant l'origine, le principe de toute chose, il contient tous les temps. Ce qui va se passer au cours du temps, de nouveau, ne sort pas de Dieu. Dieu ne prend pas connaissance, il sait tout simplement parce qu'il est Tout.
Comment quoique ce soit pourrait-il ne pas être contenu dans ce Tout ? Ça n'a pas de sens me semble-t-il.
Notre liberté finie est englobée dans la liberté infinie, notre volonté finie est englobée dans la volonté infinie de Dieu.
Là vos formules me semblent plus délicates, même si on peut encore les entendre en un sens exact. Voyez les passages de saint Thomas que j'ai cité.
Quoique l'on ait comme possibilité, comme liberté, comme créativité, nous n'en sommes pas moins des êtres finis et créés, avec une origine, une cause première qui nous précède. Nous dépendons de Dieu. Il n'existe pas de liberté qui nous rende indépendant de Dieu, sans quoi Dieu ne serait plus le Tout, notre Tout. Sans quoi Dieu ne serait plus incontournable, on pourrait vivre éternellement selon nos règles, nos désirs sans avoir à se soucier de Dieu ou d'un quelconque enfer. Mais même dire cela, ça n'a pas de sens car nous n'inventons rien qui soit véritablement à nous-mêmes, qui n'ait pas son principe premier en Dieu. Nous n'avons pas créé la joie, la paix, la liberté, etc. Nous n'en créons pas les fruits mais nous en produisons le fruit. Et ce qui se détourne de ces valeurs ne sont pas quelque chose de créé, de nouveau. Le péché n'est pas une création de quelque chose, c'est une destruction de ce qui est déjà. On ne se détermine pas en s'écartant de Dieu, on ne créé pas en péchant, en s'écartant de notre origine divine. Non, on se perd.
Et lorsque nous agissons selon l'esprit de Dieu, nous ne faisons qu'accomplir sa volonté.
On ne créé rien qui ne vienne de Dieu.
Absolument d'accord avec ça.
Si tel était le cas [si la création était fondamentalement imprévisible], Dieu ne pourrait "savoir" ce qu'il va advenir, il ne pourrait qu'envisager. Cela supposerait même que Dieu puisse se tromper dans ses prévisions, "liberté" de la créature oblige.
Non car pour lui cela est déjà advenu, ou plutôt cela advient de toute éternité. Dieu ne fait pas de prévisions, donc il ne peut pas se tromper.
De plus, Dieu ne pourrait être hors du temps mais il deviendrait prisonnier du temps, du déroulement nouveau du présent, qui ne peut être avant d'avoir été. Il ne pourrait savoir avec certitude ce qui ne s'est pas encore déroulé.
Le fait que Dieu soit hors du temps ne dépend pas du fait qu'il connaisse le futur. Cela n'aurait pas de sens, car il n'y a de futur que pour celui qui est dans le temps. Mais pour Dieu tout est donné de toute éternité.
La "liberté absolue et indépendante" de l'homme bloquerait alors sa prescience.
Je suis d'accord avec vous pour dire qu'une telle liberté est un mirage. Mais même si elle existait (hypothèse impossible), elle ne bloquerait pas sa prescience parce que la prescience tient à la transcendance de Dieu et n'est pas une prédiction qui se ferait au présent vers le futur.
Mais dès lors que Dieu sait d'avance ce qu'il va advenir c'est que les événements vont se dérouler selon un chemin.
Il ne le sait pas d'avance mais il le voit de toute éternité. Donc rien n'empêche que les événements soient imprévisibles, puisque la prescience de Dieu n'est pas une prévision.
Il me semble qu'on ne peut pas soutenir à la fois que l'homme est d'une liberté telle qu'elle s'affranchit de son origine, de Dieu et à côté que Dieu est doué de prescience.
Ce n'est pas ce que je soutiens, mais les deux idées sont logiquement compatibles.
Soit Dieu est doué de prescience et la liberté de l'homme est contenu en Dieu de telle sorte que Dieu sait d'avance comment cette liberté va se déployer, étant le créateur, son origine.
Non cela n'a pas de sens de dire qu'il le "sait d'avance" puisque les actes de l'homme sont connus de lui de toute éternité.
Soit l'homme est doté d'une liberté qui le rend même libre de Dieu et de son origine et Dieu devient alors "aveugle" sur le déploiement de cette liberté, et se retrouve amputé de sa prescience. Il devient même dépendant de l'homme sur ce point.
1) Dieu n'est pas "aveugle" sur le déploiement de cette liberté puisqu'il la voit se déployer de toute éternité.
2) En revanche, il y a bien une forme de dépendance (logique, et non chronologique) de la prescience aux décisions libres des créatures. Et là je suis d'accord avec vous : ce n'est pas acceptable, et c'est là le vrai argument contre la conception d'une liberté "absolue et indépendante" (que je ne soutiens pas).
Mais cette prescience de Dieu n'implique pas pour autant que "le devenir, la création continue de l'Univers, n'est que le déroulement d'une information qui était déjà contenue à l'origine, dans le Big Bang, comme concentré dans un point". La création n'est pas un "programme" divin, robotique, sans êtres dotés de volonté et dont chaque événement ne va être que l'exécution du programme originel où tout va être paramétré dès la base.
Heureux que nous soyons d'accord ! Sauf que réduire le déroulé des événements à un enchaînement nécessaire revient peu ou prou à une telle conception. La seule manière de ne pas assimiler l'histoire de la création à un programme informatique, c'est d'admettre qu'elle est imprévisible. Sans ça on ne rend pas justice à l'idée d'"êtres doués de volonté".
Non, ce que je dis c'est simplement que connaissant parfaitement et étant l'origine de toute chose, Dieu sait d'avance comment sa création va se déployer, selon ce qui est propre à chaque élément.
Si Dieu est a-temporel, cela n'a pas de sens de dire qu'il "sait d'avance".
Didyme a écrit : ↑jeu. 26 mars 2020, 15:37
Ne dit-on pas que nous sommes "les instruments" de Dieu lorsque nous accomplissons de telles choses [la création artistique], lorsque nous accomplissons sa volonté ?...
Absolument ! Mais Dieu crée librement à travers eux et non selon un plan défini "d'avance" (ce qui n'a pas de sens).
Je ne voulais pas dire que les artistes sont indépendants de Dieu dans leur création, mais que la création artistique permet de concevoir ce qu'est la création divine, dans son caractère d'imprévisible nouveauté.
Je pense que ce qui a une origine et qui est dans le temps ne peut pas s'affranchit de la logique de succession des événements, d'une certaine forme de causalité.
Probablement. Mais rien ne dit que cette logique soit nécessaire, que cette causalité doive se comprendre sur le modèle mécanique où il n'y a rien de plus dans l'effet que dans la cause.
Ce serait comme si à chaque instant on était une personne nouvelle, que le passé n'avait pas de valeur, qu'on n'avait pas de lien avec ce qui est antérieur. Ce serait comme disloquer le temps.
Pourquoi cela ? On peut très bien concevoir que le présent soit cohérent avec le passé sans pour autant y être déjà prédéterminé. Être une personne nouvelle ne signifie pas être
n'importe qui sans lien avec ce qui a précédé. Ma vie personnelle dessine une trame, une composition, un récit. Mon présent est comme la conséquence de mon passé, si on donne à ce terme de "conséquence" un sens différent de celui qu'il a dans le modèle mécaniste de la causalité. La difficulté pour l'intelligence est de comprendre que mon présent est toujours lié, conditionné même par mon passé, mais que ce conditionnement ne prend pas la forme d'une prédétermination de mon présent par mon passé. Il y a un conditionnement qui n'est pas le conditionnement mécaniste ; une limitation qui n'est pas une pré-définition. Mon présent
exprime mon passé : il ne surgit pas
ex nihilo, affranchi de toutes limites, mais est le prolongement d'une histoire qui lui préexiste.
Pour autant, il n'en est pas déductible par calcul, comme lorsque la science calcule, depuis un instant T, la disposition des éléments mobiles d'un système à l'instant T+1. Un tel calcul n'aurait pas de sens lorsqu'il s'agit de la variation qualitative, car ma croissance morale ne consiste pas en un gain, une perte ou une reconfiguration d'éléments. Le présent imprègne la totalité de mon passé d'une nouvelle nuance et, par là, s'organise par rapport à lui. Un peu à la manière d'un peintre qui mélange plusieurs couleurs dans son bol : chaque fois qu'il ajoute une pointe de bleu ou de vert, le changement affecte le mélange tout entier, et la couleur finalement obtenue est composée de toutes les couleurs entrepénétrées. De même mon présent contient toujours mon passé, en ce qu'il l'exprime et en conserve ainsi la trace, sans que pour autant on puisse dire que mon passé contenait déjà mon présent, qu'il y était déjà prédéterminé.
Et comment être responsable si on est "détaché" de son passé ? Comment tenir une cohérence à notre histoire, une valeur à celle-ci si on en sectionne toute continuité ? Mais c'est bien l'enchaînement des événements, la suite ou plutôt le lien logique entre chaque instant de notre vie qui en donne un sens. Refuser cette succession, ce déterminisme consistant simplement à une suite sensée, c'est comme refuser que ce que je vais faire comme choix après dépend de moi maintenant qui dépendait de moi avant.
Je n'en vois pas de sens.
Moi non plus, cher Didyme. Mais la cohérence et la continuité n'impliquent pas une prédétermination ou une prévisibilité.
Alors peut-être que c'est en portant notre regard vers l'avenir que l'on refuse cet enchaînement logique d'événements. Mais si on porte le regard vers le passé, force est de constater que notre histoire a suivi un cours, que les choses ne se sont pas faites sans raison. Et heureusement car c'est ce qui leur donne un sens.
Oui. Autrement dit, on juge
a posteriori une fois que les choses se sont déjà déroulées, et que l'on peut estimer la cohérence du passé et du présent. Et on se trompe alors (à mon avis) en projetant une prédétermination du présent dans le passé. Précisément parce que l'on confond ces deux choses, la continuité/cohérence et la prédétermination.
Didyme a écrit : ↑jeu. 26 mars 2020, 15:37
Fernand Poisson a écrit :
- l'omniscience, c'est le fait pour Dieu de connaître son oeuvre en vertu du fait qu'il en est l'auteur (mais par une connaissance actuelle de l'opération créatrice elle-même et non pas à la faveur d'une contemplation d'un "fondement de toutes choses").
Cela semblerait être une omniscience privée de prescience.
Non (si je comprends bien votre difficulté) puisque Dieu produit toutes choses, actuellement, de toute éternité : étant hors du temps.
Pour une introduction au concept d'atemporalité, qui est d'après moi la clé de la résolution de tous ces problèmes, je vous recommande cette vidéo de Paul Clavier :
youtube.com/watch?v=Trn-EMCclrY
Désolé pour le caractère laborieux de ma réponse, je ne savais pas comment organiser les choses sinon en vous citant quasiment phrase par phrase pour identifier précisément ce avec quoi je suis d'accord et les formulations qui me posent problème.
[b]I)[/b]
[quote=Didyme post_id=418197 time=1585229728 user_id=2616]
Dieu est cause première de tout, et de ce fait il est présent au plus intime de ses créatures. Pas seulement à certains niveaux ou en surface mais au plus intime. Il est même plus haut que le plus haut de moi et plus intime que le plus intime.[/quote]
Absolument.
[quote]Comment alors, étant au plus intime, Dieu ne saurait-il d'avance comment chacune va évoluer ?
[/quote]
Il ne le sait pas "d'avance". Ça n'a pas de sens puisque Dieu est hors du temps. Vous continuez à utiliser un vocabulaire temporel qui ne peut pas s'appliquer à Dieu, pour qui il n'y a pas d'avant et d'après.
[quote]Nos choix libres découleraient-ils d'ailleurs que de nous-mêmes ?[/quote]
Non, là-dessus vous avez raison. Mais il ne s'ensuit pas de là que Dieu les connaît "d'avance". Il les connaît de toute éternité dans l'actualité de leur surgissement parce que, comme vous dites, c'est lui qui les fait surgir.
[quote]Peut-être du péché ... mais alors le péché est ici logiquement quelque chose qui n'est pas la personne. Il se manifeste par la personne, par le moyen de sa volonté libre. Manifestation d'une faiblesse, d'un manque, d'une souffrance, d'un état d'inachevé, en cheminement vers une perfection ultime encore à atteindre, comme dit dans la suite de l'extrait du catéchisme. Et c'est logique car le créé ne peut être parfait à son début, par lui-même, tant qu'il n'est pas uni à l'incréé qui lui fait don de sa perfection.[/quote]
Tout à fait d'accord avec ça (même si tout manque ou imperfection n'est pas péché).
[quote]Ensuite, il est dit qu'en Dieu nous avons la vie mais aussi le mouvement et l'être.
Si donc, notre mouvement est en Dieu, comment pourrions-nous avoir des choix, des actions qui soient d'ailleurs (hasard, indépendant, etc.) qu'en Dieu ? On me parle ici de liberté mais existe-t-il alors une liberté qui soit extérieure, indépendante de celui qui est toute liberté, en qui nous sommes pleinement libre ? Puisque notre mouvement est en Dieu, c'est bien que celui-ci n'est vraiment libre qu'en Dieu. Il paraît donc très étrange pour moi de parler d'une liberté qui nous ferait agir indépendamment, extérieurement à ce que nous sommes à l'origine comme si la liberté s'exprimait en-dehors de Dieu, notre liberté, notre origine.[/quote]
D'accord avec ça aussi.
[quote]Il me paraît d'autant plus étrange de parler d'une liberté telle que Dieu ne saurait, par respect pour cette liberté, quelles choix notre volonté libre va produire alors que notre mouvement est en Dieu, notre liberté est en Dieu ?![/quote]
Je crois que c'est une fausse question. Se demander si Dieu connaît ce que notre volonté "va" produire n'a pas de sens, puisque Dieu connaît cette volonté de toute éternité, et non comme s'il y avait pour lui un futur et un passé.
[quote]Ou alors, ce mouvement sort de Dieu et c'est là qu'on entre dans le domaine du péché. Mais si c'est du péché alors ce n'est pas de la liberté.[/quote]
D'accord avec ça.
[quote]En y réfléchissant, oui peut-être bien qu'il y a une forme d'action libre qui est la sortie d'un déterminisme de base et dont Dieu a dû prendre connaissance. Et en même temps, une telle affirmation ne se heurte-t-elle pas à l'omniscience divine, si Dieu doit prendre connaissance ?[/quote]
Vous raisonnez encore d'une façon temporelle comme si Dieu devait sortir d'un état d'ignorance pour "prendre connaissance" de ce qui se passe. Dieu connaît nos actes libres en ce qu'ils prennent sa source en lui de toute éternité.
[quote]Cela renvoie aussi l'idée que Dieu ne connaît pas totalement sa créature.[/quote]
Non. Où voyez-vous cela ?
[quote]Et si cette action libre nous écarte de Dieu, de notre chemin alors c'est du péché. Mais si c'est du péché ce n'est pas de la liberté. Ce n'est pas non plus de la création, de la détermination mais plutôt de la destruction, de la perdition.[/quote]
Tout à fait.
[quote]Je tends souvent à penser que même nos chutes sont prévues par Dieu car nous connaissant, il sait également où sont nos limites, quelles sont nos faiblesses et quelle va être notre réaction, notre évolution.[/quote]
Elles ne sont pas "prévues" par lui, il les voit.
[quote]Dieu porte la créature à son terme. Je tends à penser que si Dieu est "aux commandes", qu'il est à l'origine de la création et qu'il la porte à son terme, étant pleinement souverain, alors il me semble logique d'imaginer ici que sa prescience découle d'une certaine façon de son omniscience mais aussi d'ailleurs de son omnipotence. Dieu est l'alpha et l'oméga, il n'est pas que l'alpha. Or, il me semble souvent qu'au nom d'une représentation de la liberté on tend à oublier qu'il est aussi l'oméga, on tend à placer l'oméga hors de Dieu pour une partie de la création.[/quote]
C'est juste. La distinction de ces trois facultés (prescience, omniscience, omnipotence) est de toute façon abstraite. Ce sont simplement des points de vue que nous prenons sur l'unique opération divine.
Omnipotence = il produit la totalité de la création.
Omniscience = il connaît la totalité de la création du fait qu'il la produise.
Prescience = il connaît la totalité de la création du fait qu'il est transcendant à cette création.
[quote]Dieu est l'alpha et l'oméga, Dieu est au plus intime de l'être, notre mouvement est en Dieu. Ce qui m'amène à penser que tout ce que nous faisons, choisissons, même nos chutes, nos écarts, sont en Dieu. Il me semble qu'il n'y a tentation que parce que Dieu la permet, qu'il n'y a chute que parce que Dieu la permet. S'il permet nos écarts, c'est bien qu'il sait qu'il va y avoir écart. Comment Dieu saurait-il précisément qu'il va y avoir chute (l'exemple de Pierre qui va le renier 3 fois) s'il était question d'une liberté telle qu'on pourrait très bien ne pas chuter ?
Ce "déterminisme" s'oppose-t-il à la liberté ? Non. Ce n'est pas parce que Dieu nous connaît mieux que nous et sait comment on va évoluer que ce n'est pas nous malgré tout qui allons nous mouvoir. Mais simplement, on a une origine et Dieu est cet alpha. Dieu est plus grand que nous. Toute notre personne est en Dieu. Ce n'est pas comme si on pouvait déborder Dieu, le dépasser par quelques côtés. Dieu ne serait plus le Tout, selon ce qu'il m'en semble.
La liberté n'est pas une seconde divinité à côté de Dieu, ou un attribut extérieur à Dieu dont il ferait usage. Il nous fait don de la liberté, c'est bien que la liberté est en lui.
"Reconnaître cette dépendance complète par rapport au Créateur est une source de sagesse et de liberté, de joie et de confiance"
Une dépendance complète, dit le catéchisme. Pas une dépendance partielle, une indépendance, une autonomie. Pas une liberté "affranchie" de notre origine.
Le reconnaître ce n'est pas penser esclavage à Dieu, absence de liberté mais c'est "source de sagesse et de liberté, de joie et de confiance" nous dit-on.
Source de liberté, peut-être parce qu'on se débarrasse de l'illusion d'être son propre Dieu et maître, sa propre origine. On se débarrasse de l'esclavage du "moi".
Source de confiance, c'est la foi au créateur.
L'alpha et l'oméga.
Sortie de l'alpha avec les propriétés du créé et dont la qualité de personne implique un cheminement pour une union libre à l'incréé, son oméga.
" Garde et gouverne" tout ce qu'il a créé, "disposant tout avec douceur". Il me semble demeurer peu de place pour une autonomie supposée par une liberté extérieure à Dieu.
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Tout à fait d'accord avec ça.
[b]II)[/b]
[quote]Pas forcément contenu dans le passé comme un programme mis en place et qui doit se dérouler selon un ordre pré-établi. Mais plutôt comme le fait que Dieu étant le Créateur de Tout ce qui existe et la cause première de tout, il sait comment celle-ci va évoluer dans le déploiement de sa liberté. Je ne pense pas qu'une créature puisse le surprendre tel que s'il ne la connaissait pas vraiment, intégralement, tel que si la créature était un mystère pour Dieu.[/quote]
Encore une fois, vous vous créez de fausses difficultés. Dieu n'a pas besoin de savoir comment la créature "va évoluer" puisque cette évolution se dessine déjà achevée sous ses yeux. Il n'y a donc ni surprise, ni mystère.
[quote]Est-il correct de penser que la créature puisse être un mystère pour le Père, son créateur ? J'avoue que cela me pose difficulté.[/quote]
À raison. Mais ce n'est pas ce que je sous-entendais.
[quote]Certes, création continue car se déroulant dans le temps, nouveauté car le présent est toujours nouveau et une chose ne peut être avant d'être faite, suivant le cours du temps. Mais d'une certaine façon, cette nouveauté se passe en Dieu. Toute la création est en Dieu. Notre origine, notre vie, notre mouvement, notre être, notre liberté-même sont en Dieu. Dieu englobe toute chose.[/quote]
C'est vrai, mais attention tout de même à ne pas comprendre cela de façon panthéiste ou pananthéiste. Dieu est bien transcendant à sa création, l'idée que "toutes choses sont en lui" signe la dépendance ontologique non la confusion du Créateur et de la création. Voyez saint Thomas :
[b][i]Dieu est en toutes choses, non comme une partie de leur essence ni comme un accident, mais comme l’agent qui est présent à ce en quoi il agit. Il est nécessaire, en effet, que tout agent soit conjoint à ce en quoi il agit immédiatement, et qu’il le touche par l’énergie qui émane de lui. Aussi dans la Physique d’Aristote est-il prouvé que le moteur et le mobile doivent être simultanément. Or, Dieu étant l’être par essence, il est nécessaire que l’être créé soit son effet propre, comme brûler est l’effet propre du feu. Et cet effet, Dieu le produit dans les choses non seulement quand les choses commencent d’être, mais aussi longtemps qu’elles sont maintenues dans l’être, comme la lumière est causée dans l’air par le soleil tant que l’air demeure lumineux. Aussi longtemps donc qu’une chose possède l’être, il est nécessaire que Dieu lui soit présent, et cela selon la manière dont elle possède l’être. Or, l’être est en chaque chose ce qu’il y a de plus intime et qui pénètre au plus profond, puisque à l’égard de tout ce qui est en elle il est actualisateur, nous l’avons montré. Aussi faut-il que Dieu soit en toutes choses, à leur intime.[/b]
[b]Les créatures sont dites en Dieu[/b] à un double titre : [b]tout d’abord comme contenues et conservées par la puissance divine, dans le sens où nous disons, de ce qui est en notre pouvoir, que cela est en nous. En ce sens-là, les choses sont dites en Dieu, même quant à l’être qu’elles ont en elles-mêmes. Et c’est ainsi qu’il faut comprendre les paroles de l’Apôtre quand il dit : “ En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être ” (Ac 17, 28). Car le fait pour nous de vivre, d’être et de nous mouvoir est causé par Dieu.[/b] Mais d’une autre façon les choses sont dites être en Dieu, comme le connu dans le connaissant. Et alors elles sont en Dieu par leurs raisons propres, qui ne sont pas autre chose en Dieu que l’essence divine. Et puisque l’essence divine est vie, mais non mouvement, on s’explique que selon cette manière de parler les choses ne soient pas mouvement en Dieu, mais vie.
[/i]
[quote]Dieu étant l'origine, le principe de toute chose, il contient tous les temps. Ce qui va se passer au cours du temps, de nouveau, ne sort pas de Dieu. Dieu ne prend pas connaissance, il sait tout simplement parce qu'il est Tout.
Comment quoique ce soit pourrait-il ne pas être contenu dans ce Tout ? Ça n'a pas de sens me semble-t-il.
Notre liberté finie est englobée dans la liberté infinie, notre volonté finie est englobée dans la volonté infinie de Dieu.[/quote]
Là vos formules me semblent plus délicates, même si on peut encore les entendre en un sens exact. Voyez les passages de saint Thomas que j'ai cité.
[quote]Quoique l'on ait comme possibilité, comme liberté, comme créativité, nous n'en sommes pas moins des êtres finis et créés, avec une origine, une cause première qui nous précède. Nous dépendons de Dieu. Il n'existe pas de liberté qui nous rende indépendant de Dieu, sans quoi Dieu ne serait plus le Tout, notre Tout. Sans quoi Dieu ne serait plus incontournable, on pourrait vivre éternellement selon nos règles, nos désirs sans avoir à se soucier de Dieu ou d'un quelconque enfer. Mais même dire cela, ça n'a pas de sens car nous n'inventons rien qui soit véritablement à nous-mêmes, qui n'ait pas son principe premier en Dieu. Nous n'avons pas créé la joie, la paix, la liberté, etc. Nous n'en créons pas les fruits mais nous en produisons le fruit. Et ce qui se détourne de ces valeurs ne sont pas quelque chose de créé, de nouveau. Le péché n'est pas une création de quelque chose, c'est une destruction de ce qui est déjà. On ne se détermine pas en s'écartant de Dieu, on ne créé pas en péchant, en s'écartant de notre origine divine. Non, on se perd.
Et lorsque nous agissons selon l'esprit de Dieu, nous ne faisons qu'accomplir sa volonté.
On ne créé rien qui ne vienne de Dieu.[/quote]
Absolument d'accord avec ça.
[quote]Si tel était le cas [si la création était fondamentalement imprévisible], Dieu ne pourrait "savoir" ce qu'il va advenir, il ne pourrait qu'envisager. Cela supposerait même que Dieu puisse se tromper dans ses prévisions, "liberté" de la créature oblige.[/quote]
Non car pour lui cela est déjà advenu, ou plutôt cela advient de toute éternité. Dieu ne fait pas de prévisions, donc il ne peut pas se tromper.
[quote]De plus, Dieu ne pourrait être hors du temps mais il deviendrait prisonnier du temps, du déroulement nouveau du présent, qui ne peut être avant d'avoir été. Il ne pourrait savoir avec certitude ce qui ne s'est pas encore déroulé.[/quote]
Le fait que Dieu soit hors du temps ne dépend pas du fait qu'il connaisse le futur. Cela n'aurait pas de sens, car il n'y a de futur que pour celui qui est dans le temps. Mais pour Dieu tout est donné de toute éternité.
[quote]La "liberté absolue et indépendante" de l'homme bloquerait alors sa prescience.[/quote]
Je suis d'accord avec vous pour dire qu'une telle liberté est un mirage. Mais même si elle existait (hypothèse impossible), elle ne bloquerait pas sa prescience parce que la prescience tient à la transcendance de Dieu et n'est pas une prédiction qui se ferait au présent vers le futur.
[quote]Mais dès lors que Dieu sait d'avance ce qu'il va advenir c'est que les événements vont se dérouler selon un chemin.[/quote]
Il ne le sait pas d'avance mais il le voit de toute éternité. Donc rien n'empêche que les événements soient imprévisibles, puisque la prescience de Dieu n'est pas une prévision.
[quote]Il me semble qu'on ne peut pas soutenir à la fois que l'homme est d'une liberté telle qu'elle s'affranchit de son origine, de Dieu et à côté que Dieu est doué de prescience.[/quote]
Ce n'est pas ce que je soutiens, mais les deux idées sont logiquement compatibles.
[quote]Soit Dieu est doué de prescience et la liberté de l'homme est contenu en Dieu de telle sorte que Dieu sait d'avance comment cette liberté va se déployer, étant le créateur, son origine.[/quote]
Non cela n'a pas de sens de dire qu'il le "sait d'avance" puisque les actes de l'homme sont connus de lui de toute éternité.
[quote]Soit l'homme est doté d'une liberté qui le rend même libre de Dieu et de son origine et Dieu devient alors "aveugle" sur le déploiement de cette liberté, et se retrouve amputé de sa prescience. Il devient même dépendant de l'homme sur ce point.[/quote]
1) Dieu n'est pas "aveugle" sur le déploiement de cette liberté puisqu'il la voit se déployer de toute éternité.
2) En revanche, il y a bien une forme de dépendance (logique, et non chronologique) de la prescience aux décisions libres des créatures. Et là je suis d'accord avec vous : ce n'est pas acceptable, et c'est là le vrai argument contre la conception d'une liberté "absolue et indépendante" (que je ne soutiens pas).
[quote]Mais cette prescience de Dieu n'implique pas pour autant que "le devenir, la création continue de l'Univers, n'est que le déroulement d'une information qui était déjà contenue à l'origine, dans le Big Bang, comme concentré dans un point". La création n'est pas un "programme" divin, robotique, sans êtres dotés de volonté et dont chaque événement ne va être que l'exécution du programme originel où tout va être paramétré dès la base.[/quote]
Heureux que nous soyons d'accord ! Sauf que réduire le déroulé des événements à un enchaînement nécessaire revient peu ou prou à une telle conception. La seule manière de ne pas assimiler l'histoire de la création à un programme informatique, c'est d'admettre qu'elle est imprévisible. Sans ça on ne rend pas justice à l'idée d'"êtres doués de volonté".
[quote]Non, ce que je dis c'est simplement que connaissant parfaitement et étant l'origine de toute chose, Dieu sait d'avance comment sa création va se déployer, selon ce qui est propre à chaque élément.[/quote]
Si Dieu est a-temporel, cela n'a pas de sens de dire qu'il "sait d'avance".
[quote=Didyme post_id=418198 time=1585229840 user_id=2616]
Ne dit-on pas que nous sommes "les instruments" de Dieu lorsque nous accomplissons de telles choses [la création artistique], lorsque nous accomplissons sa volonté ?...
[/quote]
Absolument ! Mais Dieu crée librement à travers eux et non selon un plan défini "d'avance" (ce qui n'a pas de sens).
Je ne voulais pas dire que les artistes sont indépendants de Dieu dans leur création, mais que la création artistique permet de concevoir ce qu'est la création divine, dans son caractère d'imprévisible nouveauté.
[quote]Je pense que ce qui a une origine et qui est dans le temps ne peut pas s'affranchit de la logique de succession des événements, d'une certaine forme de causalité.[/quote]
Probablement. Mais rien ne dit que cette logique soit nécessaire, que cette causalité doive se comprendre sur le modèle mécanique où il n'y a rien de plus dans l'effet que dans la cause.
[quote]Ce serait comme si à chaque instant on était une personne nouvelle, que le passé n'avait pas de valeur, qu'on n'avait pas de lien avec ce qui est antérieur. Ce serait comme disloquer le temps.[/quote]
Pourquoi cela ? On peut très bien concevoir que le présent soit cohérent avec le passé sans pour autant y être déjà prédéterminé. Être une personne nouvelle ne signifie pas être [i]n'importe qui[/i] sans lien avec ce qui a précédé. Ma vie personnelle dessine une trame, une composition, un récit. Mon présent est comme la conséquence de mon passé, si on donne à ce terme de "conséquence" un sens différent de celui qu'il a dans le modèle mécaniste de la causalité. La difficulté pour l'intelligence est de comprendre que mon présent est toujours lié, conditionné même par mon passé, mais que ce conditionnement ne prend pas la forme d'une prédétermination de mon présent par mon passé. Il y a un conditionnement qui n'est pas le conditionnement mécaniste ; une limitation qui n'est pas une pré-définition. Mon présent [i]exprime[/i] mon passé : il ne surgit pas [i]ex nihilo[/i], affranchi de toutes limites, mais est le prolongement d'une histoire qui lui préexiste.
Pour autant, il n'en est pas déductible par calcul, comme lorsque la science calcule, depuis un instant T, la disposition des éléments mobiles d'un système à l'instant T+1. Un tel calcul n'aurait pas de sens lorsqu'il s'agit de la variation qualitative, car ma croissance morale ne consiste pas en un gain, une perte ou une reconfiguration d'éléments. Le présent imprègne la totalité de mon passé d'une nouvelle nuance et, par là, s'organise par rapport à lui. Un peu à la manière d'un peintre qui mélange plusieurs couleurs dans son bol : chaque fois qu'il ajoute une pointe de bleu ou de vert, le changement affecte le mélange tout entier, et la couleur finalement obtenue est composée de toutes les couleurs entrepénétrées. De même mon présent contient toujours mon passé, en ce qu'il l'exprime et en conserve ainsi la trace, sans que pour autant on puisse dire que mon passé contenait déjà mon présent, qu'il y était déjà prédéterminé.
[quote]Et comment être responsable si on est "détaché" de son passé ? Comment tenir une cohérence à notre histoire, une valeur à celle-ci si on en sectionne toute continuité ? Mais c'est bien l'enchaînement des événements, la suite ou plutôt le lien logique entre chaque instant de notre vie qui en donne un sens. Refuser cette succession, ce déterminisme consistant simplement à une suite sensée, c'est comme refuser que ce que je vais faire comme choix après dépend de moi maintenant qui dépendait de moi avant.
Je n'en vois pas de sens.[/quote]
Moi non plus, cher Didyme. Mais la cohérence et la continuité n'impliquent pas une prédétermination ou une prévisibilité.
[quote]Alors peut-être que c'est en portant notre regard vers l'avenir que l'on refuse cet enchaînement logique d'événements. Mais si on porte le regard vers le passé, force est de constater que notre histoire a suivi un cours, que les choses ne se sont pas faites sans raison. Et heureusement car c'est ce qui leur donne un sens.[/quote]
Oui. Autrement dit, on juge [i]a posteriori[/i] une fois que les choses se sont déjà déroulées, et que l'on peut estimer la cohérence du passé et du présent. Et on se trompe alors (à mon avis) en projetant une prédétermination du présent dans le passé. Précisément parce que l'on confond ces deux choses, la continuité/cohérence et la prédétermination.
[quote=Didyme post_id=418198 time=1585229840 user_id=2616]
[quote]Fernand Poisson a écrit :
- l'omniscience, c'est le fait pour Dieu de connaître son oeuvre en vertu du fait qu'il en est l'auteur (mais par une connaissance actuelle de l'opération créatrice elle-même et non pas à la faveur d'une contemplation d'un "fondement de toutes choses").[/quote]
Cela semblerait être une omniscience privée de prescience.[/quote]
Non (si je comprends bien votre difficulté) puisque Dieu produit toutes choses, actuellement, de toute éternité : étant hors du temps.
Pour une introduction au concept d'atemporalité, qui est d'après moi la clé de la résolution de tous ces problèmes, je vous recommande cette vidéo de Paul Clavier : [url]youtube.com/watch?v=Trn-EMCclrY[/url]