Libre-arbitre, préscience de Dieu et prédestination

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Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par cmoi » mar. 20 avr. 2021, 11:49

Bonjour à vous, Perlum Pimpuim, bienvenue sur le forum et merci pour ce message fort prometteur.
Oui, cela m'intéresse. Mais c'est surtout votre avis à vous qui m'intéresse.
Je vous avoue que pour ma part, traiter un tel sujet me semble pouvoir être une indélicatesse envers Dieu, et je juge préférable de l'éviter.
Mais je reconnais que c'est aussi une façon de connaître Dieu, et à qu'à ce titre cela peut être justifié.
A condition que cela ne soit pas seulement pour montrer à quel point nous pouvons être "intelligent" et avoir "deviné" Dieu.
Bref, le passage est étroit, ne trouvez-vous pas ?

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Pèlerindu35 » lun. 15 mars 2021, 8:25

Le côté interrogation suivit d'objection me fait penser à Socrate

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Cinci » lun. 15 mars 2021, 1:47

:rire:

Ce sont des lectures pas très prenantes que j'apporte des fois avec moi lors de rendez-vous, de fois que je serais coincé sur le quai à devoir attendre le prochain passage du train.

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Pèlerindu35 » dim. 14 mars 2021, 18:52

Cinci a écrit :
jeu. 04 mars 2021, 5:21
Pèlerindu35 :
Auriez-vous d'autres de leurs ouvrages à me conseiller?
Boèce, La consolation de la philosophie En 2017, sur ce forum, lors d'un échange à propos du libre-arbitre, j'avais mentionné cet ouvrage une première fois.


Extrait :
Boèce,
La consolation de la philosophie, Paris, Les Belles Lettres, 2002, pp. 129-144

Si la prescience n'impose aucune nécessité aux événements futurs, quelle est la raison pour laquelle les choses qui dépendent de la volonté pourraient être contraintes?

Pour les besoins de l'argumentation, et afin que tu puisses voir les conséquences, supposons qu'il n'y ait pas de prescience. Est-ce que, dans ce cas, les choses qui dépendent du libre arbitre seraient contraintes à la nécessité? Non. Supposons maintenant qu'il existe une prescience, mais qu'elle n'impose aucune nécessité aux choses; il demeurera, à mon avis, le même libre arbitre, entier et absolu.

Mais la prescience, diras-tu, même si elle ne constitue pas pour les choses futures une nécessité de se produire, est cependant un signe qu'elles se produiront nécessairement. De cette manière, donc, même s'il n'y avait pas eu de prescience, il serait certain que la réalisation des choses futures est nécessaire; car le signe ne fait que montrer ce qui est, il ne produit pas ce qu'il signifie.

[Explication]

Il y a beaucoup de choses que nous voyons se faire sous nos yeux, par exemple les manoeuvres du conducteur de char qui guide son quadrige et le fait virer, et tout le reste. Y a-t-il une nécessité qui force tout cela à se faire ainsi? Non. La technique ne servirait à rien, si tout le mouvement était déjà fixé. Donc, ce qui se produit sans aucune nécessité est, avant de se produire, un futur sans nécessité. Et ainsi, il y a des événements futurs dont la réalisation échappe à toute nécessité. Car je pense que personne ne dira que ce qui se produit maintenant n'était pas à venir avant de se produire; donc, même connu d'avance, cela se produit donc librement. Car de même que la connaissance du présent n'impose aucune nécessité à ce qui arrive, de même, la prescience du futur n'en impose aucune à ce qui est à venir.

Cela paraît contradictoire, et tu pense que s'il y a prévoyance, il y a conséquemment nécessité, que s'il n'y avait pas de nécessité, il n'y a pas de prescience et que rien ne peut être saisi par la connaissance que ce qui est certain.

La cause de cette erreur est dans l'idée commune que toute notre connaissance des choses nous vient de leurs caractéristiques naturelles. Mais c'est tout le contraire : car ce qui règle toujours la connaissance que l'on a d'une chose, ce ne sont pas les caractéristiques de cette chose, mais bien plutôt la faculté cognitive.

et


La connaissance divine, éternelle, voit le passé et le futur sans porter atteinte au libre arbitre de l'homme

Puisque donc, comme on vient de le montrer, ce qui permet de saisir un objet de connaissance n'est pas sa propre nature, mais les capacités de celui qui le comprend, examinons maintenant, dans la mesure du possible, ce qu'est en soi la substance divine, pour pouvoir reconnaître en même temps quelle connaissance est la sienne.

Dieu est éternel ; c'est l'opinion commune de tous les êtres raisonnables. Voyons donc ce qu'est l'éternité; car c'est elle qui nous montre à la fois la nature et la connaissance de Dieu.

L'éternité est la vie sans fin possédée à la fois tout entière et de façon parfaite [...] C'est donc ce qui embrasse et possède d'un seul coup toute la plénitude d'une vie sans fin, sans absence de futur, sans écoulement du passé, que l'on tient avec raison pour éternel, et qui est nécessairement aussi bien maître de son propre présent et possesseur dans le présent du temps qui se déroule sans fin.

Donc, puisque tout jugement appréhende les choses qui sont ses objets selon sa propre nature, et puisque Dieu a une nature toujours éternelle et présente, sa connaissance aussi, surpassant tout mouvement de temps, est permanente dans l'unicité de son présent, et, embrassant tous les espaces infinis du futur et du passé, les considère dans son mode de connaissance simple comme s'ils étaient en train de se produire maintenant. C'est pourquoi, si tu veux considérer la prévoyance grâce à laquelle il connaît toutes choses, tu seras davantage dans le vrai en estimant que ce n'est pas une prescience, comme si elle s'appliquait au futur, mais la connaissance d'un instant présent qui ne passe jamais.

Pourquoi veux-tu donc que le regard divin rende nécessaires les choses sur lesquelles il brille, alors que le regard humain ne rend pas nécessaires celles sur lesquelles il se pose? Les événements présents que tu vois, est-ce que ton regard leur impose quelque nécessité? Pas du tout.

Pourtant, s'il existe un rapport que l'on puisse faire entre le présent humain et le présent divin, celui-ci voit toutes choses dans son éternité comme vous en voyez quelques unes dans votre présent temporel. C'est pourquoi cette prescience divine ne change pas les caractéristiques naturelles des choses, et voit comme présents dans son éternité les événements qui se produiront à un moment du temps.

Dieu ne mélange pas ses jugements, il distingue en un seul regard de son intelligence aussi bien les événements nécessaires que les non nécessaires, comme vous, lorsque vous voyez en même temps l'homme marcher sur la terre et le soleil se lever dans le ciel, bien que la vue des deux soit simultanée, vous les distinguez pourtant, et jugez que l'un est volontaire, tandis que l'autre est nécessaire. C'est ainsi que le regard divin voit clairement toutes choses : il ne bouleverse aucunement leurs caractéristiques, et elles sont présentes de son point de vue, mais à venir du point de vue temporel. Il ne s'agit donc pas d'une opinion, mais bien plutôt une connaissance fondée sur la vérité, lorsque Dieu connaît que quelque chose sera, sans ignorer que cela n'a pas de nécessité de se produire.

Si la Providence voit quelque chose comme présent, il est nécessaire que cette chose soit, bien qu'elle n'y soit contrainte par aucune nécessité naturelle. Cependant Dieu voit comme présents les événements futurs qui dépendent du libre arbitre : ces événements, donc, si on les rapporte à la vision divine, deviennent nécessaires par l'intermédiaire de la condition de la connaissance divine, mais considérés en soi, ils ne perdent pas l'absolue liberté de leur propre nature. C'est pourquoi il est hors de doute que se réaliseront tous les événements dont Dieu connaît par avance qu'ils se produiront, mais que parmi eux certains relèvent du libre arbitre; et ceux-ci, même s'ils viennent à être et à se produire, ne perdent pourtant pas leur nature propre par laquelle, avant de se produire, ils pouvaient aussi ne pas se réaliser.

[...]

C'est aussi de cette manière que ce qui est présent pour Dieu se produira sans aucun doute, mais que tel de ces événements dépend de la nécessité, tel autre du libre pouvoir de ses acteurs.

Mais, diras-tu, s'il est en mon pouvoir de changer d'intention, je viderai la providence de son objet, puisque je changerai peut-être ce dont elle a la connaissance préalable. Je répondrai que bien sûr tu peux modifier ton intention : mais puisque la vérité de la providence voit tout aussi bien comme présent que tu le peux et si tu vas le faire et quel changement tu vas faire, tu ne peux éviter la prescience divine, de sorte que tu ne saurais échapper au regard d'un oeil présent, même si, par libre volonté, tu changeais tes actions pour les rendre différentes.

Quoi donc? diras-tu, est-ce que sont mes dispositions qui vont changer la connaissance divine, et la verra-t-on alterner ses formes de connaissance selon que j'aurai tantôt telle volonté, tantôt telle autre? Pas du tout. En effet, la vision divine précède le futur et le ramène de force au présent de sa propre connaissance; elle ne fait pas alterner, comme tu le crois, ses formes de préconnaissance, mais, dans sa permanence, elle prévient et embrasse d'un seul coup tes changements. Cette manière de tout saisir et de tout voir comme présent, ce n'est pas de la réalisation du futur, mais de sa propre unicité que Dieu la tire.
Bonjour Cinci,

Merci pour l'information et l'extrait, j'ai de quoi occuper mes neurones à présent ! :D

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par gerardh » dim. 14 mars 2021, 14:37

__

Invité, vous écrivez :
Je soulignais que les rédacteurs bibliques conçoivent la relation entre Dieu et les hommes sous la forme d'une alliance. Toute alliance, par essence, comporte des obligations, des rétributions et des sanctions.
Pas forcément. L’évangile de la grâce n’est pas une alliance. Par ailleurs il peut y avoir des alliances unilatérales, comme celle de Dieu et d’Abraham.

Nous savons que dans la chrétienté, même protestante, notamment calviniste, il y a eu des outrances doctrinales qu’il convient de rejeter.

Sur l’élection, thème qui est aussi traité en Romains 9 :6-33, d’une manière qui pourrait troubler même un croyant. Il faut alors considérer que Dieu, qui a été juste en jugeant les égyptiens, a été aussi juste en jugeant son peuple qui se comportait de la même façon : ainsi, la souveraineté de Dieu se manifeste à la fois en miséricorde et en jugement.

Aussi, sur ces deux questions fondamentales, les uns penchent sur le libre arbitre, les autres sur la prédestination. Mais je pense que les deux sont totalement compatibles entre elles, de par la logique de Dieu qui est plus forte que celles des hommes. Les hommes sont en effet à la fois prédestinés et pré-connus, et à la fois en responsabilité d’avoir la foi. Exprimé un peu autrement, personne n’est jamais prédestiné à la perdition, à savoir qu’en Romains 9 :22-23, alors qu’il est question de « vases de colère tout préparés pour la destruction, il n’est pas dit « préparés d’avance pour la destruction », tandis » que « les vases de miséricorde, ont été préparés d’avance pour la gloire ».

Ces notions sont difficiles à comprendre par les hommes, mais il existe une anecdote fictive qui pourrait illustrer ces concepts : c’est l’histoire d’une personne qui se trouve devant un portail au fronton duquel il y a l’inscription « crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé ». Alors il peut ne pas entrer ; mais s’il entre et franchit le portail, il trouvera sur la face opposée du portail : « élu en Lui avant la fondation du monde ». Donc la conscience de l’élection n’est accessible que lorsqu’on est croyant.

__

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Le juge terrible » jeu. 04 mars 2021, 6:22

Je vais dans un premier temps donner mon avis à partir d'"une feuille blanche", sans avoir encore lu ce fil de discussion. Je lirais ensuite et répondrai en fonction des réponses. Pour moi, prédestination et libre arbitre sont en fait compatible. Tout homme est réellement libre de ses choix, et le fait qu'il soit damné ou sauvé n'est pas déterminé à sa naissance. Tout au long de sa vie, il aura ce choix devant lui. Par contre, Dieu est omniscient, et est au-dessus du temporel, connait donc tout de chacun de nos vies passé, présent et futur. C'est en ça que nous sommes tous prédestiné. Mais pour Dieu, et uniquement pour Lui.

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Cinci » jeu. 04 mars 2021, 5:21

Pèlerindu35 :
Auriez-vous d'autres de leurs ouvrages à me conseiller?
Boèce, La consolation de la philosophie En 2017, sur ce forum, lors d'un échange à propos du libre-arbitre, j'avais mentionné cet ouvrage une première fois.


Extrait :
Boèce,
La consolation de la philosophie, Paris, Les Belles Lettres, 2002, pp. 129-144

Si la prescience n'impose aucune nécessité aux événements futurs, quelle est la raison pour laquelle les choses qui dépendent de la volonté pourraient être contraintes?

Pour les besoins de l'argumentation, et afin que tu puisses voir les conséquences, supposons qu'il n'y ait pas de prescience. Est-ce que, dans ce cas, les choses qui dépendent du libre arbitre seraient contraintes à la nécessité? Non. Supposons maintenant qu'il existe une prescience, mais qu'elle n'impose aucune nécessité aux choses; il demeurera, à mon avis, le même libre arbitre, entier et absolu.

Mais la prescience, diras-tu, même si elle ne constitue pas pour les choses futures une nécessité de se produire, est cependant un signe qu'elles se produiront nécessairement. De cette manière, donc, même s'il n'y avait pas eu de prescience, il serait certain que la réalisation des choses futures est nécessaire; car le signe ne fait que montrer ce qui est, il ne produit pas ce qu'il signifie.

[Explication]

Il y a beaucoup de choses que nous voyons se faire sous nos yeux, par exemple les manoeuvres du conducteur de char qui guide son quadrige et le fait virer, et tout le reste. Y a-t-il une nécessité qui force tout cela à se faire ainsi? Non. La technique ne servirait à rien, si tout le mouvement était déjà fixé. Donc, ce qui se produit sans aucune nécessité est, avant de se produire, un futur sans nécessité. Et ainsi, il y a des événements futurs dont la réalisation échappe à toute nécessité. Car je pense que personne ne dira que ce qui se produit maintenant n'était pas à venir avant de se produire; donc, même connu d'avance, cela se produit donc librement. Car de même que la connaissance du présent n'impose aucune nécessité à ce qui arrive, de même, la prescience du futur n'en impose aucune à ce qui est à venir.

Cela paraît contradictoire, et tu pense que s'il y a prévoyance, il y a conséquemment nécessité, que s'il n'y avait pas de nécessité, il n'y a pas de prescience et que rien ne peut être saisi par la connaissance que ce qui est certain.

La cause de cette erreur est dans l'idée commune que toute notre connaissance des choses nous vient de leurs caractéristiques naturelles. Mais c'est tout le contraire : car ce qui règle toujours la connaissance que l'on a d'une chose, ce ne sont pas les caractéristiques de cette chose, mais bien plutôt la faculté cognitive.

et


La connaissance divine, éternelle, voit le passé et le futur sans porter atteinte au libre arbitre de l'homme

Puisque donc, comme on vient de le montrer, ce qui permet de saisir un objet de connaissance n'est pas sa propre nature, mais les capacités de celui qui le comprend, examinons maintenant, dans la mesure du possible, ce qu'est en soi la substance divine, pour pouvoir reconnaître en même temps quelle connaissance est la sienne.

Dieu est éternel ; c'est l'opinion commune de tous les êtres raisonnables. Voyons donc ce qu'est l'éternité; car c'est elle qui nous montre à la fois la nature et la connaissance de Dieu.

L'éternité est la vie sans fin possédée à la fois tout entière et de façon parfaite [...] C'est donc ce qui embrasse et possède d'un seul coup toute la plénitude d'une vie sans fin, sans absence de futur, sans écoulement du passé, que l'on tient avec raison pour éternel, et qui est nécessairement aussi bien maître de son propre présent et possesseur dans le présent du temps qui se déroule sans fin.

Donc, puisque tout jugement appréhende les choses qui sont ses objets selon sa propre nature, et puisque Dieu a une nature toujours éternelle et présente, sa connaissance aussi, surpassant tout mouvement de temps, est permanente dans l'unicité de son présent, et, embrassant tous les espaces infinis du futur et du passé, les considère dans son mode de connaissance simple comme s'ils étaient en train de se produire maintenant. C'est pourquoi, si tu veux considérer la prévoyance grâce à laquelle il connaît toutes choses, tu seras davantage dans le vrai en estimant que ce n'est pas une prescience, comme si elle s'appliquait au futur, mais la connaissance d'un instant présent qui ne passe jamais.

Pourquoi veux-tu donc que le regard divin rende nécessaires les choses sur lesquelles il brille, alors que le regard humain ne rend pas nécessaires celles sur lesquelles il se pose? Les événements présents que tu vois, est-ce que ton regard leur impose quelque nécessité? Pas du tout.

Pourtant, s'il existe un rapport que l'on puisse faire entre le présent humain et le présent divin, celui-ci voit toutes choses dans son éternité comme vous en voyez quelques unes dans votre présent temporel. C'est pourquoi cette prescience divine ne change pas les caractéristiques naturelles des choses, et voit comme présents dans son éternité les événements qui se produiront à un moment du temps.

Dieu ne mélange pas ses jugements, il distingue en un seul regard de son intelligence aussi bien les événements nécessaires que les non nécessaires, comme vous, lorsque vous voyez en même temps l'homme marcher sur la terre et le soleil se lever dans le ciel, bien que la vue des deux soit simultanée, vous les distinguez pourtant, et jugez que l'un est volontaire, tandis que l'autre est nécessaire. C'est ainsi que le regard divin voit clairement toutes choses : il ne bouleverse aucunement leurs caractéristiques, et elles sont présentes de son point de vue, mais à venir du point de vue temporel. Il ne s'agit donc pas d'une opinion, mais bien plutôt une connaissance fondée sur la vérité, lorsque Dieu connaît que quelque chose sera, sans ignorer que cela n'a pas de nécessité de se produire.

Si la Providence voit quelque chose comme présent, il est nécessaire que cette chose soit, bien qu'elle n'y soit contrainte par aucune nécessité naturelle. Cependant Dieu voit comme présents les événements futurs qui dépendent du libre arbitre : ces événements, donc, si on les rapporte à la vision divine, deviennent nécessaires par l'intermédiaire de la condition de la connaissance divine, mais considérés en soi, ils ne perdent pas l'absolue liberté de leur propre nature. C'est pourquoi il est hors de doute que se réaliseront tous les événements dont Dieu connaît par avance qu'ils se produiront, mais que parmi eux certains relèvent du libre arbitre; et ceux-ci, même s'ils viennent à être et à se produire, ne perdent pourtant pas leur nature propre par laquelle, avant de se produire, ils pouvaient aussi ne pas se réaliser.

[...]

C'est aussi de cette manière que ce qui est présent pour Dieu se produira sans aucun doute, mais que tel de ces événements dépend de la nécessité, tel autre du libre pouvoir de ses acteurs.

Mais, diras-tu, s'il est en mon pouvoir de changer d'intention, je viderai la providence de son objet, puisque je changerai peut-être ce dont elle a la connaissance préalable. Je répondrai que bien sûr tu peux modifier ton intention : mais puisque la vérité de la providence voit tout aussi bien comme présent que tu le peux et si tu vas le faire et quel changement tu vas faire, tu ne peux éviter la prescience divine, de sorte que tu ne saurais échapper au regard d'un oeil présent, même si, par libre volonté, tu changeais tes actions pour les rendre différentes.

Quoi donc? diras-tu, est-ce que sont mes dispositions qui vont changer la connaissance divine, et la verra-t-on alterner ses formes de connaissance selon que j'aurai tantôt telle volonté, tantôt telle autre? Pas du tout. En effet, la vision divine précède le futur et le ramène de force au présent de sa propre connaissance; elle ne fait pas alterner, comme tu le crois, ses formes de préconnaissance, mais, dans sa permanence, elle prévient et embrasse d'un seul coup tes changements. Cette manière de tout saisir et de tout voir comme présent, ce n'est pas de la réalisation du futur, mais de sa propre unicité que Dieu la tire.

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Frédéric Maret » mer. 03 mars 2021, 20:56

prodigal a écrit :
mar. 02 mars 2021, 10:50
...je crois qu'il est important de comprendre que le libre arbitre n'est pas, contrairement à ce qui se dit parfois, la faculté de décider sans cause ni raison, sinon il n'existerait pas, mais qu'il est, comme le dit si bien Descartes, la "faculté d'affirmer ou de nier", de dire oui ou de dire non si vous préférez, ce qui suppose une réalité préalable à laquelle on dit oui ou non. C'est donc par le libre arbitre que l'homme consent, ou pas, à la grâce qu'il reçoit. Que cette grâce soit ou non irrésistible ne supprime pas ce libre arbitre, ainsi défini. :)
Merci pour votre réponse. La conception du libre arbitre que vous défendez est étonnamment proche de celle de nombreux calvinistes.

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Pèlerindu35 » mer. 03 mars 2021, 8:19

Bonjour à tous,

Merci pour ces conseils de lectures je vais les commander.
Je crois que j'ai entendu parler des Confessions, régulièrement je relis certains livres mais j'ai toujours envie d'en découvrir d'autres.

Bien fraternellement,
Pèlerin.

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par prodigal » mar. 02 mars 2021, 21:07

Pèlerindu35 a écrit :
mar. 02 mars 2021, 13:47
J'ai La Petite Somme Politique de St Thomas et les 3 tomes de La Cité de Dieu de St Augustin.

Auriez-vous d'autres de leurs ouvrages à me conseiller?
Pour saint Augustin, je ne prends pas de risques en vous conseillant les Confessions. Je pense qu'il faut lire aussi la Trinité, mais je ne l'ai pas lu moi-même! (ce n'est, je l'espère, que partie remise).
Pour saint Thomas d'Aquin, je vous conseille vivement la Somme contre les Gentils, disponible en poche, en quatre volumes tout de même. Bon courage! :)

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Suliko » mar. 02 mars 2021, 20:34

Je suis en effet un ardent pourfendeur du déterminisme calviniste, et du renouveau calviniste qui frappe de plein fouet les Églises évangéliques depuis une vingtaine d'années.
Avez-vous en tête un théologien tel que Douglas Wilson ?

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Pèlerindu35 » mar. 02 mars 2021, 13:47

J'ai La Petite Somme Politique de St Thomas et les 3 tomes de La Cité de Dieu de St Augustin.

Auriez-vous d'autres de leurs ouvrages à me conseiller?

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Pèlerindu35 » mar. 02 mars 2021, 13:28

La difficulté est donc de comprendre comment l'homme peut-il décider librement de son sort, si celui-ci est connu de Dieu de toute éternité.
Prodigal, vous posez les choses plus clairement que je peux le faire avec mes idées un peu embrouillées. Merci à vous

Merci à tous pour ces questions et ces réponses qui nourrissent également mes réflexions.

Re: Thomas d'Aquin et la prédestination

par Cinci » mar. 02 mars 2021, 13:18

Frédéric Maret :
Je suis en effet un ardent pourfendeur du déterminisme calviniste, et du renouveau calviniste qui frappe de plein fouet les Églises évangéliques depuis une vingtaine d'années. Je suis en train de réaliser une série de vidéos sur ce sujet, 'où ma question sur Thomas.
Vous avez bien raison de pourfendre ce déterminisme. Félicitation ! Quand vous mettrez cette série en ligne, si vous pouviez nous le faire savoir, ce serait chouette. Voyez ici une humble supplique ... svp ?

:)

Il y a quelques années, j'étais en contact avec un protestant évangélique de chez nous. Il en était venu progressivement à adopter ce credo calviniste de la double prédestination. - ici, c'est moi qui le dit. Parce que, lui-même, tout en acceptant l'intégralité du système de Calvin : il niait farouchement que chez Calvin l'on puisse trouver l'idée d'un Dieu prédestinant des hommes à la damnation. Ce n'était là que la diffamation de Rome, à l'entendre. C'est pourquoi je m'étais procuré le maître-ouvrage de Calvin, pour l'étudier un peu. Je voulais en avoir le coeur net.

Or, j'avais beau lire et re-lire, mettre de côté et reprendre plus tard : il ressortait clairement du texte de Calvin que les damnés l'étaient depuis toujours, que Dieu le savait depuis toujours et que c'est bien ce que Dieu voulait, soit que monsieur X soit damné. "Fermez le ban. Et vos gueules, les mouettes !" Dans Calvin, je trouvais bien sous mes yeux l'idée même d'un Dieu capable de tromper le damné en puissance, l'induire en erreur sciemment, lui refusant tout exprès certaines grâces. Visiblement, pour Calvin, l'idée-force est celle d'un Dieu tout-puissant qui fait ce qu'il veut, qui est libre, sans compte à rendre à personne, qui ne doit rien à personne, qui n'est pas obligé de sauver qui que ce soit. D'une massa damnata de centaines de millions d'individus, Dieu fait grâce à qui il veut, selon son bon vouloir impénétrable et inexplicable. Il préfère celui-ci, non pas les autres.

Horrible !

Mon chrétien évangélique niait pourtant que Calvin aurait pu vouloir dire quelque chose de semblable. A sa décharge, il me faudrait dire que l'ouvrage de Calvin est complexe, avec plusieurs chapitres assez long. Et qu'il peut arriver dans le cours de la démonstration que Calvin lui-même ait pu soulever des idées contradictoires. En pigeant certaines réflexions ici et là, il y aurait moyen de se convaincre que Calvin aurait possiblement voulu dire autre chose. Néanmoins ... il ressortait pour moi, de son propre ouvrage, que Calvin admettait cette sorte de déterminisme qu'aura bien condamné l'Église.

Ce qui est sûr, l'adhésion de cet "ami" au système de Calvin le remplissait d'aise à son propre dire. "Libéré !", disait-il. "Je n'ai plus à me casser la tête, à me faire du souci, etc." Traduction : il était sûr d'être un élu, lui. Sûr, sûr ... qu'il fasse n'importe quoi ou qu'il se produise n'importe quoi. En même temps, il n'aurait plus du tout à se faire de mouron pour les perdus, pour le devenir de l'Église ou des assemblées. Qu'untel aille se perdre ou bien que tout le pays aille aboutir en enfer. Ce n'était pas "son" problème. Il n'arrive que ce que Dieu aura bien voulu qu'il arrive.

C'est assez incroyable.

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