par Cinci » mar. 13 avr. 2021, 14:46
Bonjour,
En 2016, dans des discussions touchant l'interprétation du dernier livre de la Bible, j' évoquais l'ouvrage d'un auteur, un professeur catholique italien, Eugénio Corsini. Je disais que son ouvrage était de loin le meilleur livre sur l'Apocalypse qu'il m'aura jamais été donné de lire. Et j'en ai consulté plusieurs. Je n'ai pas changé d'avis sur l'ouvrage non, croyez-moi.
Mais, aujourd'hui, je serai tombé, par hasard, sur un article assez développé d'un abbé italien et qui avait déjà fait l'effort de résumer, synthétiser ou expliquer pour nous. ce même ouvrage de Corsini méconnu. Il fait part également de ce qu'il pense du livre. Son article est bien fait.
Ça va comme suit :
«Eugenio Corsini est né en 1924. Après avoir étudié la littérature chrétienne avec Mgr Pellegrino et s’être diplômé, il poursuit ses études à Paris (Sorbonne, Ecole pratique des Hautes Etudes) et à Rome (Institut Biblique). Je l’ai eu un an (1976-77) comme professeur de littérature chrétienne antique à l’Université de Turin; il y a terminé sa carrière sur la chaire de littérature grecque. Que le lecteur ne s’y trompe pas: le fait d’avoir suivi ses cours, qui portaient justement à l’époque sur l’Apocalypse, ne m’a pas influencé au point de me pousser à suivre dès lors son exégèse. Le jeune étudiant de 17 ans que j’étais à l’époque n’y comprit goutte, tout simplement: il lui manquait la maturité, et aussi la prédisposition: car le Professeur Corsini n’était et n’est toujours pas un catholique “traditionnel” (contrairement à Mgr Spadafora) mais un “progressiste” comme son “maître” Pellegrino.
Lorsqu’en 1980 le fruit de ses études fut publié sous le titre Apocalisse prima e dopo (éd. SEI, I.Torino) avec une préface d’un autre “progressiste”, Mgr Rossano, j’achetai le livre, geste qui n’eut pas de suite car le livre resta sur une étagère de ma bibliothèque (ce livre a été traduit en français par les Editions du Seuil, Paris, en 1984, sous le titre
L’Apocalypse maintenant, avec préface du non moins progressiste Xavier Léon Dufour).
Ces années-là je fréquentais le séminaire d’Ecône et le professeur d’Ecriture Sainte disait souvent “ne pas avoir la clef de l’Apocalypse”... Les séminaristes plaisantaient volontiers sur le refrain du bon Père, mais au fond il n’y avait pas lieu de le lui reprocher, puisque même le grand exégète que fut l’abbé Giuseppe Ricciotti confessait ouvertement son ignorance sur ce thème, lorsqu’il écrivait:
“on peut interpréter certains passages de ce livre mystérieux avec une précision et une certitude approximative; mais l’ensemble, et spécialement les références chronologiques, demeurent aussi obscures aujourd’hui que pour les Pères et les écrivains chrétiens anciens, qui en ont donné des interprétations différentes” in La Sacra Bibbia annotée de G. Ricciotti, Salani,
1940, p. 1761, éd. de 1976).
L’idée que je me faisais de l’Apocalypse était donc celle de la grande majorité des lecteurs: un écrit mystérieux et obscur sur l’Antéchrist et la fin du monde, dont ne me paraissaient clairs (parce qu’utilisés de façon adaptée par la Liturgie!), que quelques tableaux tout à fait isolés de l’ensemble du texte inspiré. Et ce, jusqu’au jour où je repris en main le livre de Corsini. A mesure que j’avançais dans la lecture, ma méfiance allait se dissipant tandis que, contemporainement, les verset du dernier livre de la Sainte Écriture se faisaient clairs et lumineux.
Finie la lecture, je me trouvai tout content: c’était la première fois de ma vie que je lisais un commentaire donnant de l’Apocalypse une
vision non seulement pleinement orthodoxe, mais aussi cohérente, homogène, unitaire, claire dans toutes ses parties strictement liées
entre elles par un unique critère interprétatif, une vision à la fois moderne et conforme, comme je l’ai dit, à la règle la plus exigeante
de la foi...
Ça n’est pas sans préoccupation que j’ai été témoin, ces dernières années, de l’emploi impropre fait de l’Apocalypse jusque dans les
rangs des opposants à Vatican II. Comme en tout temps de crise (et Dieu sait si nous y sommes!) on a cherché à voir dans les événements contemporains la réalisation des antiques et obscures prophéties: nos propres adversaires devenant immanquablement la Bête ou la Prostituée de Babylone, nos propres “idoles” devenant par contre les “deux Témoins”, sans parler de l’attente du retour imminent d’Enoch et d’Elie en personne. On est pris d’une terrible angoisse à voir de bons catholiques identifier l’Eglise et la Prostituée comme l’a fait un jour Luther, ou bien tomber dans le millénarisme judaïque en invoquant - à tort - l’Apocalypse, ou encore emboîter le pas aux Joachimites en annonçant la fin d’une Eglise corrompue et la naissance d’une nouvelle réalité spirituelle... Après avoir profité toutes ces années du livre de
Corsini auquel je dois d’avoir évité de me fourvoyer dans beaucoup de bévues, il m’a semblé que je me devais à mon tour, en toute justice, de le faire connaître à “notre” public.
Mon intention est de présenter le plus fidèlement possible la thèse de l’auteur, tout en laissant à chacun (en attendant un éventuel
jugement de l’Eglise) la tâche de se faire une opinion personnelle après une éventuelle lecture de l'oeuvre recensée.
La méthode interprétative
Dans l’introduction (pp. 11-89; pp. 15-63 éd. fr.) Corsini expose sa théorie et les principes exégétiques qui l’ont guidé. Pour ce qui est
de la première, voici comment elle est résumée à la p. 18 (pp. 23-24 fr.): l’Apocalypse, comme l’indique son nom signifie “révélation”, “est bien la description d’une venue, de la venue de Jésus-Christ: mais il ne s’agit pas de celle qui viendra à la fin des temps, mais de celle qui s’est réalisée au cours de toute l’histoire, depuis la création du monde, et qui a eu son point culminant dans le grand ‘événement’ (gr. kairós) de la venue historique de Jésus-Christ, surtout dans sa mort et sa résurrection”.
Pour parvenir à cette conclusion, C. part du principe, qui devrait être évident, de l’unité de l’œuvre: nous ne devons pas nous permettre d’interpréter l’Ap. comme si chacune de ses parties, chacun de ses symboles étaient indépendants l’un de l’autre; l’Apocalypse est un tout articulé en quatre septénaires (7 lettres, 7 sceaux, 7 trompettes, 7 coupes). Quel est le lien entre ces quatre septénaires? C. suit donc en cela la méthode “récapitulative”, “l’unique, avec l’eschatologique, qui puisse être considérée comme traditionnelle.
L’Apocalypse n’expose pas des événements futurs se suivant chronologiquement, mais offre en divers tableaux, qui souvent reprennent et développent les précédents, une vision prophétique de la lutte perpétuelle entre le Christ et Satan, avec la victoire du Royaume de Dieu militant et triomphant” (Spadafora); victoire, préciserait C., déjà essentiellement remportée et réalisée avec la mort et la résurrection de l’“Agneau debout et comme égorgé” (= le Christ mort et ressuscité) qui domine toute l’Apocalypse.
Reste le problème des symboles utilisés par l'auteur inspiré (que C. identifie, conformément à la tradition, avec Jean, Apôtre et Évangéliste). L’Apocalypse s’explique avec l’Apocalypse, soutient C., en ce sens que souvent à un endroit du livre est expliqué un
symbole qui se retrouvera ensuite autre part: au lecteur de se rappeler l’explication déjà donnée et de l’appliquer sans hésiter dans les
passages les plus obscurs. Une autre “clef” de l’Ap. est constituée par l’Ancien Testament. Il n’existe probablement aucun écrit néotestamentaire aussi lié à l’Ancien Testament que l’Ap. (raison pour laquelle elle a été rejetée par les gnostiques: cf. pp. 54-55, pp. 40-41 éd. fr.), Jean considérant pourtant l’A.T. comme un “type”, une figure du Nouveau. C’est sur la base de ces deux critères que C. expliquera
les symboles employés par Jean, symboles qui devaient être bien connus de ses lecteurs.
Ainsi, les “êtres vivants” de Jean (Ap. 4) sont les Chérubins d’Ezéchiel (Ez. 1); le Dragon de l’Ap. 12 est le Serpent tentateur de la
Genèse; les chevaux aux couleurs variées renvoient à Zacharie (chap. 1 et 6); le Vieillard (Yahweh) renvoie à Daniel (chap. 7) et le livre mangé à Ezéchiel (ch. 3). La signification des symboles vétéro-testamentaires repris par Jean reste la même, sauf modifications insérées explicitement par Jean lui-même pour faire comprendre au lecteur le nouveau message apporté par le Nouveau Testament (cf. pp. 49-53; 36-39 fr.).
D’autre part, un même symbole de base (qui devra être interprété à la lumière de l’Ancien Testament) pourra exprimer des choses différentes selon l’autre symbole auquel il est joint, tout en conservant cependant son sens fondamental: ainsi, la “femme” du chap. XII
sera “prostituée” (autrement dit femme infidèle) au chap. XVIII ou “l’épouse, la femme de l’Agneau” (c’est-à-dire la femme fidèle)
au chap. XXI. Même chose pour le symbole du “livre” (la révélation), parfois scellé, parfois ouvert, et dans les mains d’un ange ou dans celles de l’Agneau. Quant aux anges, omniprésents dans l’Ap., parfois clairement, parfois symbolisés par les “étoiles” (cf. Ap. 1, 20), ils signifient, pour C., l’économie de l’Ancien Testament supplantée par celle du Nouveau.
Intuition fondamentale que cette dernière, d’ailleurs très claire dans les écrits de saint Paul: la loi ancienne, Dieu nous l’a donnée par l’intermédiaire des anges, la Nouvelle nous a été donnée directement par le Fils infiniment supérieur aux anges (pp. 69-71; 49-51 fr.)! Le même critère doit être adopté pour les symboles numéraux si importants dans l’Ap. (pp. 62-65; 46-47), et seuls les Témoins de Jéhovah vont jusqu’à les prendre dans leur sens littéral: ici aussi, la signification que nous révèle l’A.T. doit être conservée et scrupuleusement appliquée dans toutes les visions de l’Ap. [pour les curieux: 3 indique Dieu, 4 la terre, 6 l’homme, 7 la plénitude, 10, 20, etc., indiquent un chiffre indéfini, les numéros pairs indiquant généralement l’imperfection, les impairs la perfection...].
Pour certains l’interprétation de C. représentera une déception: je parle de ceux qui se sont efforcés de lire dans l’Ap. non pas la pensée de l’Apôtre que Jésus aimait et le message qu’il voulait transmettre aux premiers chrétiens, mais leurs propres préoccupations relatives à des temps et des époques postérieurs.
Grâce au commentaire de C. on découvre, au contraire, une remarquable harmonie entre l’Ap., les autres écrits de saint Jean, les lettres de saint Paul et les Evangiles synoptiques. Dans l’Ap. et le IVème Evangile, saint Jean dirait substantiellement la même chose, quoique dans des
“genres littéraires” différents: l’Ap. même est une manifestation claire de la divinité du Christ, du Logos, comme l’appelle le IVème Evangile. Même harmonie entre saint Paul et saint Jean, pour ce qui est de combattre l’angélologie gnosticisante des judaïsants (cf. les Epîtres aux Hébreux, aux Ephésiens, aux Colossiens). Et si l’on adopte l’exégèse de Spadafora à propos des deux Epîtres aux Thessaloniciens, la concordance est parfaite non seulement avec les dernières, mais aussi avec les premières Epîtres de saint Paul (celles aux Thessaloniciens, justement), où, pas plus que dans l’Ap., il n’y aurait trace de parousie eschatologique (c’est-à-dire d’un retour imminent du Christ avec la fin du monde). C., se basant sur les Epîtres aux Thessaloniciens, pense que saint Paul espéra effectivement, dans un premier temps, le
prochain retour du Christ. Spadafora, lui, interprète ces textes avec une clef complètement différente: la “venue” du Christ annoncée serait celle réalisée plus tard avec la destruction du Temple en l’an 70, qui blessa à mort le premier et perpétuel persécuteur du Christianisme, le Judaïsme.
Par contre, dans l’interprétation des Evangiles synoptiques en ce qui concerne le “discours eschatologique” de Jésus, il existe une concordance substantielle entre C. et Spadafora: ce n’est pas la fin du monde que Jésus annonce, mais la fin d’un monde: celui du Judaïsme,
du Temple, de Jérusalem, profanés par les excès qu’y commettront les zélotes durant le siège de Jérusalem (pour Spadafora) et, plus
encore, par la condamnation à mort de Jésus que prononceront les princes des prêtres dans le Temple même (pour C., pp. 71-72;
51-56 fr.). Il y aurait là aussi une concordance admirable entre Evangiles et Apocalypse.»
(à suivre)
Bonjour,
En 2016, dans des discussions touchant l'interprétation du dernier livre de la Bible, j' évoquais l'ouvrage d'un auteur, un professeur catholique italien, Eugénio Corsini. Je disais que son ouvrage était de loin le meilleur livre sur l'Apocalypse qu'il m'aura jamais été donné de lire. Et j'en ai consulté plusieurs. Je n'ai pas changé d'avis sur l'ouvrage non, croyez-moi.
Mais, aujourd'hui, je serai tombé, par hasard, sur un article assez développé d'un abbé italien et qui avait déjà fait l'effort de résumer, synthétiser ou expliquer pour nous. ce même ouvrage de Corsini méconnu. Il fait part également de ce qu'il pense du livre. Son article est bien fait.
Ça va comme suit :
«Eugenio Corsini est né en 1924. Après avoir étudié la littérature chrétienne avec Mgr Pellegrino et s’être diplômé, il poursuit ses études à Paris (Sorbonne, Ecole pratique des Hautes Etudes) et à Rome (Institut Biblique). Je l’ai eu un an (1976-77) comme professeur de littérature chrétienne antique à l’Université de Turin; il y a terminé sa carrière sur la chaire de littérature grecque. Que le lecteur ne s’y trompe pas: le fait d’avoir suivi ses cours, qui portaient justement à l’époque sur l’Apocalypse, ne m’a pas influencé au point de me pousser à suivre dès lors son exégèse. Le jeune étudiant de 17 ans que j’étais à l’époque n’y comprit goutte, tout simplement: il lui manquait la maturité, et aussi la prédisposition: car le Professeur Corsini n’était et n’est toujours pas un catholique “traditionnel” (contrairement à Mgr Spadafora) mais un “progressiste” comme son “maître” Pellegrino.
Lorsqu’en 1980 le fruit de ses études fut publié sous le titre Apocalisse prima e dopo (éd. SEI, I.Torino) avec une préface d’un autre “progressiste”, Mgr Rossano, j’achetai le livre, geste qui n’eut pas de suite car le livre resta sur une étagère de ma bibliothèque (ce livre a été traduit en français par les Editions du Seuil, Paris, en 1984, sous le titre [i]L’Apocalypse maintenant[/i], avec préface du non moins progressiste Xavier Léon Dufour).
Ces années-là je fréquentais le séminaire d’Ecône et le professeur d’Ecriture Sainte disait souvent “ne pas avoir la clef de l’Apocalypse”... Les séminaristes plaisantaient volontiers sur le refrain du bon Père, mais au fond il n’y avait pas lieu de le lui reprocher, puisque même le grand exégète que fut l’abbé Giuseppe Ricciotti confessait ouvertement son ignorance sur ce thème, lorsqu’il écrivait:
[quote]“on peut interpréter certains passages de ce livre mystérieux avec une précision et une certitude approximative; mais l’ensemble, et spécialement les références chronologiques, demeurent aussi obscures aujourd’hui que pour les Pères et les écrivains chrétiens anciens, qui en ont donné des interprétations différentes” in La Sacra Bibbia annotée de G. Ricciotti, Salani,
1940, p. 1761, éd. de 1976).[/quote]
L’idée que je me faisais de l’Apocalypse était donc celle de la grande majorité des lecteurs: un écrit mystérieux et obscur sur l’Antéchrist et la fin du monde, dont ne me paraissaient clairs (parce qu’utilisés de façon adaptée par la Liturgie!), que quelques tableaux tout à fait isolés de l’ensemble du texte inspiré. Et ce, jusqu’au jour où je repris en main le livre de Corsini. A mesure que j’avançais dans la lecture, ma méfiance allait se dissipant tandis que, contemporainement, les verset du dernier livre de la Sainte Écriture se faisaient clairs et lumineux.
Finie la lecture, je me trouvai tout content: c’était la première fois de ma vie que je lisais un commentaire donnant de l’Apocalypse une
vision non seulement pleinement orthodoxe, mais aussi cohérente, homogène, unitaire, claire dans toutes ses parties strictement liées
entre elles par un unique critère interprétatif, une vision à la fois moderne et conforme, comme je l’ai dit, à la règle la plus exigeante
de la foi...
Ça n’est pas sans préoccupation que j’ai été témoin, ces dernières années, de l’emploi impropre fait de l’Apocalypse jusque dans les
rangs des opposants à Vatican II. Comme en tout temps de crise (et Dieu sait si nous y sommes!) on a cherché à voir dans les événements contemporains la réalisation des antiques et obscures prophéties: nos propres adversaires devenant immanquablement la Bête ou la Prostituée de Babylone, nos propres “idoles” devenant par contre les “deux Témoins”, sans parler de l’attente du retour imminent d’Enoch et d’Elie en personne. On est pris d’une terrible angoisse à voir de bons catholiques identifier l’Eglise et la Prostituée comme l’a fait un jour Luther, ou bien tomber dans le millénarisme judaïque en invoquant - à tort - l’Apocalypse, ou encore emboîter le pas aux Joachimites en annonçant la fin d’une Eglise corrompue et la naissance d’une nouvelle réalité spirituelle... Après avoir profité toutes ces années du livre de
Corsini auquel je dois d’avoir évité de me fourvoyer dans beaucoup de bévues, il m’a semblé que je me devais à mon tour, en toute justice, de le faire connaître à “notre” public.
Mon intention est de présenter le plus fidèlement possible la thèse de l’auteur, tout en laissant à chacun (en attendant un éventuel
jugement de l’Eglise) la tâche de se faire une opinion personnelle après une éventuelle lecture de l'oeuvre recensée.
[b]La méthode interprétative
[/b]
Dans l’introduction (pp. 11-89; pp. 15-63 éd. fr.) Corsini expose sa théorie et les principes exégétiques qui l’ont guidé. Pour ce qui est
de la première, voici comment elle est résumée à la p. 18 (pp. 23-24 fr.): l’Apocalypse, comme l’indique son nom signifie “révélation”, “est bien la description d’une venue, de la venue de Jésus-Christ: mais il ne s’agit pas de celle qui viendra à la fin des temps, mais de celle qui s’est réalisée au cours de toute l’histoire, depuis la création du monde, et qui a eu son point culminant dans le grand ‘événement’ (gr. kairós) de la venue historique de Jésus-Christ, surtout dans sa mort et sa résurrection”.
Pour parvenir à cette conclusion, C. part du principe, qui devrait être évident, de l’unité de l’œuvre: nous ne devons pas nous permettre d’interpréter l’Ap. comme si chacune de ses parties, chacun de ses symboles étaient indépendants l’un de l’autre; l’Apocalypse est un tout articulé en quatre septénaires (7 lettres, 7 sceaux, 7 trompettes, 7 coupes). Quel est le lien entre ces quatre septénaires? C. suit donc en cela la méthode “récapitulative”, “l’unique, avec l’eschatologique, qui puisse être considérée comme traditionnelle.
L’Apocalypse n’expose pas des événements futurs se suivant chronologiquement, mais offre en divers tableaux, qui souvent reprennent et développent les précédents, une vision prophétique de la lutte perpétuelle entre le Christ et Satan, avec la victoire du Royaume de Dieu militant et triomphant” (Spadafora); victoire, préciserait C., déjà essentiellement remportée et réalisée avec la mort et la résurrection de l’“Agneau debout et comme égorgé” (= le Christ mort et ressuscité) qui domine toute l’Apocalypse.
Reste le problème des symboles utilisés par l'auteur inspiré (que C. identifie, conformément à la tradition, avec Jean, Apôtre et Évangéliste). L’Apocalypse s’explique avec l’Apocalypse, soutient C., en ce sens que souvent à un endroit du livre est expliqué un
symbole qui se retrouvera ensuite autre part: au lecteur de se rappeler l’explication déjà donnée et de l’appliquer sans hésiter dans les
passages les plus obscurs. Une autre “clef” de l’Ap. est constituée par l’Ancien Testament. Il n’existe probablement aucun écrit néotestamentaire aussi lié à l’Ancien Testament que l’Ap. (raison pour laquelle elle a été rejetée par les gnostiques: cf. pp. 54-55, pp. 40-41 éd. fr.), Jean considérant pourtant l’A.T. comme un “type”, une figure du Nouveau. C’est sur la base de ces deux critères que C. expliquera
les symboles employés par Jean, symboles qui devaient être bien connus de ses lecteurs.
Ainsi, les “êtres vivants” de Jean (Ap. 4) sont les Chérubins d’Ezéchiel (Ez. 1); le Dragon de l’Ap. 12 est le Serpent tentateur de la
Genèse; les chevaux aux couleurs variées renvoient à Zacharie (chap. 1 et 6); le Vieillard (Yahweh) renvoie à Daniel (chap. 7) et le livre mangé à Ezéchiel (ch. 3). La signification des symboles vétéro-testamentaires repris par Jean reste la même, sauf modifications insérées explicitement par Jean lui-même pour faire comprendre au lecteur le nouveau message apporté par le Nouveau Testament (cf. pp. 49-53; 36-39 fr.).
D’autre part, un même symbole de base (qui devra être interprété à la lumière de l’Ancien Testament) pourra exprimer des choses différentes selon l’autre symbole auquel il est joint, tout en conservant cependant son sens fondamental: ainsi, la “femme” du chap. XII
sera “prostituée” (autrement dit femme infidèle) au chap. XVIII ou “l’épouse, la femme de l’Agneau” (c’est-à-dire la femme fidèle)
au chap. XXI. Même chose pour le symbole du “livre” (la révélation), parfois scellé, parfois ouvert, et dans les mains d’un ange ou dans celles de l’Agneau. Quant aux anges, omniprésents dans l’Ap., parfois clairement, parfois symbolisés par les “étoiles” (cf. Ap. 1, 20), ils signifient, pour C., l’économie de l’Ancien Testament supplantée par celle du Nouveau.
Intuition fondamentale que cette dernière, d’ailleurs très claire dans les écrits de saint Paul: la loi ancienne, Dieu nous l’a donnée par l’intermédiaire des anges, la Nouvelle nous a été donnée directement par le Fils infiniment supérieur aux anges (pp. 69-71; 49-51 fr.)! Le même critère doit être adopté pour les symboles numéraux si importants dans l’Ap. (pp. 62-65; 46-47), et seuls les Témoins de Jéhovah vont jusqu’à les prendre dans leur sens littéral: ici aussi, la signification que nous révèle l’A.T. doit être conservée et scrupuleusement appliquée dans toutes les visions de l’Ap. [pour les curieux: 3 indique Dieu, 4 la terre, 6 l’homme, 7 la plénitude, 10, 20, etc., indiquent un chiffre indéfini, les numéros pairs indiquant généralement l’imperfection, les impairs la perfection...].
Pour certains l’interprétation de C. représentera une déception: je parle de ceux qui se sont efforcés de lire dans l’Ap. non pas la pensée de l’Apôtre que Jésus aimait et le message qu’il voulait transmettre aux premiers chrétiens, mais leurs propres préoccupations relatives à des temps et des époques postérieurs.
Grâce au commentaire de C. on découvre, au contraire, une remarquable harmonie entre l’Ap., les autres écrits de saint Jean, les lettres de saint Paul et les Evangiles synoptiques. Dans l’Ap. et le IVème Evangile, saint Jean dirait substantiellement la même chose, quoique dans des
“genres littéraires” différents: l’Ap. même est une manifestation claire de la divinité du Christ, du Logos, comme l’appelle le IVème Evangile. Même harmonie entre saint Paul et saint Jean, pour ce qui est de combattre l’angélologie gnosticisante des judaïsants (cf. les Epîtres aux Hébreux, aux Ephésiens, aux Colossiens). Et si l’on adopte l’exégèse de Spadafora à propos des deux Epîtres aux Thessaloniciens, la concordance est parfaite non seulement avec les dernières, mais aussi avec les premières Epîtres de saint Paul (celles aux Thessaloniciens, justement), où, pas plus que dans l’Ap., il n’y aurait trace de parousie eschatologique (c’est-à-dire d’un retour imminent du Christ avec la fin du monde). C., se basant sur les Epîtres aux Thessaloniciens, pense que saint Paul espéra effectivement, dans un premier temps, le
prochain retour du Christ. Spadafora, lui, interprète ces textes avec une clef complètement différente: la “venue” du Christ annoncée serait celle réalisée plus tard avec la destruction du Temple en l’an 70, qui blessa à mort le premier et perpétuel persécuteur du Christianisme, le Judaïsme.
Par contre, dans l’interprétation des Evangiles synoptiques en ce qui concerne le “discours eschatologique” de Jésus, il existe une concordance substantielle entre C. et Spadafora: ce n’est pas la fin du monde que Jésus annonce, mais la fin d’un monde: celui du Judaïsme,
du Temple, de Jérusalem, profanés par les excès qu’y commettront les zélotes durant le siège de Jérusalem (pour Spadafora) et, plus
encore, par la condamnation à mort de Jésus que prononceront les princes des prêtres dans le Temple même (pour C., pp. 71-72;
51-56 fr.). Il y aurait là aussi une concordance admirable entre Evangiles et Apocalypse.»
(à suivre)