par Coco lapin » sam. 12 févr. 2022, 17:08
La récompense du bien et le châtiment du mal découlent du maintien de l'ordre moral de l'univers.
La miséricorde et la justice de Dieu sont dosées selon la divine Sagesse durant notre pèlerinage terrestre. Dieu, le Bien infini, hait le péché et veut le détruire en nous pour nous sauver. Mais il faut nous repentir de nos fautes et travailler à aimer Dieu et notre prochain pour que l'Agneau de Dieu puisse nous laver de nos péchés par son Précieux Sang, et l'Esprit-Saint nous sanctifier. Au Ciel, les âmes complètement purifiées bénéficient alors de la bonté infinie. Mais en Enfer, les âmes qui ne se sont pas repenties et dont l'impénitence demeure immuable à cause de leur entrée dans l'éternité ne peuvent plus qu'écoper de la justice infinie.
Si vous ne lisez pas les explications du Père Garrigou-Lagrange sur l'éternité des peines de l'enfer que vous a proposé Thurar plus haut dans ce fil, vous aurez du mal à avancer dans la compréhension de ce dogme.
Je vous copie les extraits qu'il faut lire impérativement :
Tout d'abord la justice de Dieu exige que les péchés qui n'ont pas été expiés en cette vie, soient punis dans l'autre. Comme Souverain juge des vivants et des morts, Dieu se doit en effet à lui-même de rendre à chacun selon ses oeuvres ; c'est affirmé souvent dans l'Écriture : ECCLÉS., XVI, 15 ; MATTH., XVI, 27 ; ROM., II, 6. De plus, comme Souverain Législateur, recteur et rémunérateur de la société humaine, Dieu doit ajouter à ses lois une sanction efficace.
Saint Thomas montre bien Ia, IIae, q. 87, a. 1, que celui qui s'insurge injustement contre un ordre justement établi doit être réprimé par le principe même de cet ordre, qui veille à son maintien. C'est l'extension à l'ordre moral et social de la loi naturelle de l'action et de la réaction, selon laquelle l'action nuisible appelle la répression qui répare le dommage causé. C'est ainsi que celui qui agit librement contre la voix de la conscience mérite le remords ou le reproche de celle-ci ; celui qui agit contre l'ordre social mérite une peine infligée par le magistrat gardien de l'ordre social ; celui qui agit contre la loi divine mérite une peine infligée par Dieu, soit en cette vie, soit en l'autre. Il y a là trois ordres manifestement subordonnés.
[...]
Les principales raisons de convenance de l'éternité des peines sont celles données par saint Thomas Ia, IIae, q. 87, a. 3 et 4, à savoir que le péché mortel sans repentance est un désordre irréparable, et de plus qu'il est une offense d'une gravité sans mesure.
Le péché, dit-il, mérite une peine parce qu'il renverse un ordre justement établi, et donc tant que ce désordre dure, le pécheur mérite de subir la peine due au péché. Or ce désordre est irréparable si le principe vital de l'ordre violé a été détruit, par exemple l'oeil ne peut être guéri, si le principe même de la vue a été détruit, et tout l'organisme lui-même est inguérissable lorsqu'il est touché à mort. Or le péché mortel détourne l'homme de Dieu fin dernière et lui fait perdre la grâce, principe ou germe de la vie éternelle. Il y a donc là un désordre irréparable, qui de sa nature dure toujours.
Sans doute, de fait, par une miséricorde spéciale, Dieu relève souvent le pécheur au cours de la vie terrestre, mais si celui-ci résiste au dernier moment et meurt dans l'impénitence finale, le péché mortel reste comme un désordre habituel qui dure sans fin ; il mérite donc une peine, qui, elle aussi, dure toujours.
Une deuxième raison de convenance de l'éternité des peines est fondée sur ceci que le péché mortel, comme offense à Dieu, a une gravité sans mesure, en tant qu'il dénie pratiquement à Dieu la dignité infinie de fin dernière ou de souverain bien, auquel le pécheur préfère un bien fini, en s'aimant soi-même plus que Dieu, bien que le Très-Haut soit infiniment meilleur que lui Cf. SAINT THOMAS, Ia, IIae, q. 87, a. 4 ; IIIa, q. 1, a. 2, ad 2. Suppl., q. 99, a. 1..
L'offense est en effet d'autant plus grave que la dignité de la personne offensée est plus élevée. Il est plus grave d'insulter un magistrat ou un évêque, que d'injurier le premier venu qui se rencontre dans la rue. Or la dignité du Souverain Bien est infinie ;
le péché mortel qui dénie pratiquement à Dieu cette dignité suprême, a donc, comme offense, une gravité sans limite, et pour le réparer il a fallu l'acte d'amour et les souffrances du Fils de Dieu fait homme, l'acte théandrique d'une personne divine incarnée. Mais si le bienfait immense de l'Incarnation rédemptrice est méconnu et méprisé, comme il arrive dans le péché mortel sans repentance, alors le pécheur, pour cette offense d'une gravité sans mesure, mérite une peine sans mesure elle aussi ; c'est la peine éternelle du dam, ou de la privation de Dieu, bien infini, peine qui est elle-même infinie quant à sa durée ( Elle ne peut l'être par son intensité, car la créature n'en est pas capable.). On a voulu définitivement se détourner de Dieu, on sera privé de lui éternellement.
Quant à l'amour désordonné du bien fini préféré à Dieu, il mérite la peine du sens, qui est finie en tant qu'elle est la privation d'un bien fini, mais selon la Révélation, elle durera elle aussi éternellement car le pécheur s'est fixé en ce misérable bien pour toujours et il reste captif de son péché, il juge toujours selon son malheureux penchant. Il est comme un homme qui a voulu se jeter dans un puits pour toujours, puisqu'il savait qu'il n'en pourrait remonter.
On peut et l'on doit ajouter une autre raison de convenance du côté de Dieu. Nous disions plus haut, que Dieu, comme Souverain Législateur, recteur et juge des vivants et des morts, se doit à lui-même d'ajouter à ses lois une sanction efficace. En d'autres tenues, Dieu ne peut être impunément méprisé par les impies obstinés. Or, si les peines n'étaient pas éternelles, le pécheur obstiné pourrait persévérer dans la révolte, sans qu'aucune sanction ne vienne plus réprimer son orgueil. Sa rébellion aurait ainsi à sa manière le dernier mot. Ce serait le triomphe de l'iniquité. - Comme le dit le P. Monsabré (Conférences de Notre-Dame, année 1889, 98e conférence.) : « Transporter dans l'ordre moral la négation de l'éternité des peines, c'est obscurcir la notion du bien et du mal, qui ne devient claire pour nous que dans la lumière de ce dogme terrible ».
Enfin si la béatitude qui est la récompense des justes est éternelle, il convient que la peine due aux impies obstinés le soient aussi. Telle est la récompense pour le mérite, tel est le châtiment pour la faute. Comme la miséricorde éternelle se manifeste surtout d'un côté, la splendeur de la justice éternelle se manifeste de l'autre. C'est ce que dit saint Paul, ROM., IX, 22 : « Si Dieu voulant montrer sa colère (ou sa justice vengeresse) et faire connaître sa puissance, a supporté (ou permis) avec une grande patience des vases de colère, disposés à la perdition, et s'il a voulu faire connaître aussi les richesses de sa gloire à l'égard des vases de miséricorde, qu'il a d'avance préparés pour la gloire, (où est l'injustice) ? »
La justice comme la miséricorde étant l'une et l'autre infinies, demandent à être manifestées pendant une durée sans limites. Telles sont les principales raisons de convenance de ce dogme révélé.
[...]
On a souvent objecté que cette perpétuité des châtiments divins s'oppose à la perfection de la justice divine, parce que la peine doit être proportionnée à la faute; or la faute n'a souvent duré qu'un moment, comment mériterait-elle une peine éternelle ? De plus toutes ces peines pour les péchés les plus différents seraient égales, puisque toutes seraient éternelles. Enfin la douleur de la peine serait beaucoup plus grande que la joie trouvée dans le péché.
SAINT THOMAS répond, Suppl., q. 99, a. 1, ad 1 : La peine doit être proportionnée, non pas à la durée du péché actuel, mais à sa gravité. Ainsi selon la justice humaine l'assassinat, qui ne dure que quelques minutes, mérite la peine de mort ou l'incarcération perpétuelle. De même celui qui trahit en un moment son pays, mérite d'en être exclu pour toujours. Or, nous l'avons vu, le péché mortel, comme offense à Dieu, a une gravité sans mesure; de plus, lorsque le péché actuel a cessé, le péché habituel reste comme un désordre habituel irréparable, et qui mérite une peine sans fin ( Cf. SAINT THOMAS, Ia, IIae, q. 87, a. 3, 5, 6, réponses aux objections).
Il n'en reste pas moins une grande inégalité dans la rigueur des peines éternelles ; égales pour la durée, elles sont très inégales pour l'âpreté proportionnée à la gravité des fautes à expier.
Enfin si les peines de l'enfer causent plus de souffrance que le péché mortel n'a donné de joie, elles ne sont cependant pas plus douloureuses que le péché mortel n'a été grave comme offense à Dieu, puisque la gravité de cette offense est sans mesure. Le principe reste le même : la peine est proportionnée à la gravité de la faute, non au plaisir plus ou moins grand qu'on y a trouvé.
[...]
Les Origénistes ont soutenu que l'éternité des peines s'opposerait à l'infinie miséricorde, selon laquelle Dieu est toujours prêt à pardonner.
A cela SAINT THOMAS répond, Suppl. q. 99, a. 2, ad 1m : « Dieu en lui-même est d'une miséricorde sans bornes ; celle-ci pourtant est réglée par la sagesse, de là vient qu'elle ne s'étend plus à certains qui se sont rendus indignes de la miséricorde, c'est-à-dire aux démons et aux damnés obstinés dans leur malice. Cependant on peut dire que, même à leur égard, la miséricorde divine s'exerce encore, non pour mettre fin à leur peine, mais pour qu'ils soient punis moins qu'ils ne l'ont mérité, in quantum titra condignum puniuntur ». SAINT THOMAS parle de même Ia, q. 21, a. 4. Si la miséricorde ne s'unissait pas, même en enfer, à la justice, les réprouvés souffriraient plus encore. Comme il est dit dans le PSAUME XXIV, 10, « Toutes les voies de Dieu sont miséricorde et justice » ; quoique en certaines se manifeste surtout la miséricorde et en d'autres surtout la justice, elles procèdent toutes de la souveraine bonté, et la justice ne s'exerce qu'en second lieu quand la miséricorde divine a été méprisée ; cependant même alors elle intervient encore, non pas pour supprimer la peine, mais pour la rendre moins lourde et moins douloureuse.
L'objection à laquelle nous venons de répondre, suppose que le damné implore la miséricorde, demande pardon et ne peut l'obtenir. Or le damné ne demande pas pardon, il est obstiné dans son péché et juge toujours selon son penchant coupable ; si une route pouvait s'ouvrir à lui pour revenir vers Dieu, ce serait celle de l'humilité et de l'obéissance, et, par suite de son orgueil, il ne veut pas de cette route.
Mais, insiste l'incrédule, selon sa sagesse, Dieu ne peut vouloir la peine pour elle-même, car elle est un mal, il ne peut se délecter en elle ; il ne peut la vouloir que pour corriger le coupable, et donc la peine infligée par Dieu ne peut être perpétuelle, elle doit avoir un terme : la correction même des damnés. Enfin, ce qui n'est pas fondé sur la nature des choses mais est accidentel, comme une peine, ne saurait être éternel.
Le Docteur angélique a examiné aussi cette objection, Suppl. q. 99, a. 1, ad 3m et ad 4m. « Les peines, dit-il, qui sont infligées par la société, à ceux qui n'en sont pas exclus pour toujours, sont médicinales ou ordonnées à la correction des coupables. Mais la peine de mort ou l'incarcération perpétuelle ne sont pas ordonnées à la correction de celui qui est ainsi puni ; elles sont pourtant médicinales pour d'autres que la crainte de ces châtiments détourne du crime, et elles donnent la paix aux gens de bien. De même la damnation éternelle des impies est utile à la correction de ceux qui sont dans l'Église ». En ce sens on a dit que l'enfer a sauvé bien des âmes, c'est-à-dire que la crainte de l'enfer a été le commencement de la sagesse ( Cf. SAINT THOMAS IIae, IIae, q I9; a. 7 : « Timor servilis est sicut principium extra disponens ad sapientiam, in quantum aliquis timore poenae discedit a peccato... Timor autem filialis est initium sapientiae, sicut primus sapientiae effectus ». - Cf. Ia, IIae, q. 87, a. 3, ad 2m.) .
On insiste en disant : ce qui n'est pas fondé sur la nature des choses, mais est accidentel, comme une peine, qui contrarie la nature, ne peut être éternel. - Le saint Docteur répond Suppl. ; ibid., ad 5m « quoique la peine soit accidentelle par rapport à la nature de l'âme, cependant elle correspond de soi à l'âme souillée par le péché mortel sans repentance, et parce que ce péché dure toujours, comme désordre habituel, la peine qui lui est due, elle aussi, dure toujours ».
De plus, comme le dit encore SAINT THOMAS, Suppl., ibid. ad 4m., les peines éternelles sont utiles pour manifester les droits imprescriptibles de Dieu à être aimé par dessus tout, pour faire connaître la splendeur de l'infinie justice. Dieu qui est bon et miséricordieux ne se complaît pas dans les souffrances des damnés, mais dans son infinie Bonté qui mérite d'être préférée à tout bien créé, et les élus contemplent le rayonnement de la justice suprême, en remerciant Dieu de les avoir sauvés. C'est ce que dit SAINT PAUL dans le texte déjà cité, ROM. IX, 22... « Si Dieu voulant montrer sa colère (sa justice vengeresse) et faire connaître sa puissance, a supporté (ou permis) avec une grande patience des vases de colère, disposés à la perdition, et s'il a voulu faire connaître aussi les richesses de sa gloire à l'égard des vases de miséricorde, qu'il a d'avance préparés pour la gloire (où est l'injustice) ? » Cf. SAINT THOMAS Ia, q. 23, a. 5, ad. 3.
Dieu aime par-dessus tout son infinie bonté, or celle-ci, en tant qu'elle est essentiellement communicative, est le principe de la miséricorde, et en tant qu'elle a un droit imprescriptible à être aimée par dessus tout, elle est le principe de la justice.
[...]
Le père Lacordaire dit à ce sujet : ( Conférences de Notre-Daine, 72° conf. fin.) « Si ce n'était que la justice qui eût creusé l'abîme, il y aurait un remède, mais c'est l'amour aussi, c'est le premier amour qui l'a fait : voilà ce qui ôte toute espérance. Quand on est condamné par la justice, on peut recourir à l'amour ; mais quand on est condamné par l'amour, à qui recourra-t-on ? Tel est le sort des damnés. L'amour qui a donné son sang pour eux, cet amour là même, c'est celui qui les maudit. Eh quoi ! Un Dieu sera venu ici-bas pour vous, il aura pris votre nature, parlé votre langue..., guéri vos blessures, ressuscité vos morts,... il sera mort enfin pour vous sur une croix ! Et, après cela, vous pensez qu'il vous sera permis de blasphémer et de rire, et d'aller sans crainte aux noces de toutes vos voluptés ! Oh ! non, détrompez-vous, l'amour n'est pas un jeu ; on n'est pas impunément aimé par un Dieu, on n'est pas impunément aimé jusqu'au gibet. Ce n'est pas la justice qui est sans miséricorde, c'est l'amour. L'amour, nous l'avons trop éprouvé, c'est la vie ou la mort, et s'il s'agit de l'amour d'un Dieu, c'est l'éternelle vie ou l'éternelle mort ».
[...]
Bien plus l'âme du pécheur obstiné est encore inclinée par sa nature même à aimer plus que soi Dieu auteur de sa vie naturelle, comme dans notre organisme la main aime le corps plus qu'elle-même et s'expose naturellement pour le préserver ( Cf. SAINT THOMAS, Ia, q. 6o, a. 5, ad 5m. - IIa, IIae, q. 26, a. 3.). Cette inclination naturelle, venant de Dieu, auteur de la nature, est droite ; elle est sans doute atténuée par le péché, mais elle subsiste dans le damné comme la nature de l'âme, comme l'amour de la vie. Le Père Monsabré, dans la conférence que nous venons de citer, dit : « le damné aime Dieu, parce qu'il en a faim, il l'aime pour se satisfaire ».
Et d'autre part il a horreur de Dieu, juste juge qui le réprouve ; il a pour lui une aversion qui vient de son péché mortel sans repentance, dont il reste captif ; il continue de juger selon son penchant définitivement déréglé ; non seulement il a perdu la charité, mais il a la haine de Dieu ; il est déchiré par une contradiction intérieure : porté encore vers Dieu comme vers la source de sa vie naturelle, il déteste Dieu, juste juge, et exprime sa rage par le blasphème. L'Évangile dit à plusieurs reprises : « C'est là qu'il y a des pleurs et des grincements de dents » ( MATTH., VIII, 12, XIII, 42, 50, XXII, 13 ; LUC, XIII, 18. ).
Les damnés, qui connaissent par une continuelle expérience les effets de la justice divine, ont la haine de Dieu. Sainte Thérèse définit le démon : « Celui qui n'aime pas ». On peut en dire autant de ceux des Pharisiens obstinés en qui s'est réalisée la parole de jésus : « Vous mourrez dans votre péché ». JOAN., VIII, 21. Cette haine de Dieu manifeste la dépravation totale de la volonté ( Cf. Dict. Théol. cath. art. Enfer, col. 106.). Les damnés sont continuellement en acte de péché, bien que ces actes ne soient plus déméritoires, car le terme du mérite et du démérite est arrivé.
[...]
La conscience du damné lui rappelle ses fautes nombreuses, leur gravité et l'impénitence finale qui a tout comblée ( Cf. SAINT THOMAS explique ainsi le ver rongeur dont parle l'Écriture (MARC, IX, 43 : vernis eorum non moritur) et la Tradition. Cf. C. Gentes, IV, c. 89, de Verit., q. r6, a. 3 : « synderesis non extinguitur » - impossibile est in universali judicium synderesis extingui : in particulari vero operabili extinguitur quandocumque peccatur in eligendo ». ). Elle lui redit les paroles du Seigneur : « J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'ai eu, soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ». Elle lui rappelle son ingratitude après tous les bienfaits de Dieu. D'où le remords qui ne cesse pas.
Mais le damné est incapable de changer son remords en repentir, et ses tortures en expiation. Comme l'explique saint Thomas ( Suppl., q. 98, a. 2.), il regrette son péché, non pas comme faute, mais seulement comme cause de ses souffrances ; il reste captif de son péché et juge toujours pratiquement selon son penchant à jamais déréglé.
Le damné est donc incapable de contrition, même d'attrition, car celle-ci suppose l'espérance et s'engage sur la voie de l'obéissance et de l'humilité. Le sang du Christ ne descend plus sur le damné pour faire de son coeur un « coeur contrit et humilié ». Comme le dit la liturgie de l'Office des morts « in inferno nulla est redemptio ». Il y a donc une distance sans mesure entre le remords, qui fut et qui reste dans l'âme de Judas, et le repentir. Le remords torture, le repentir délivre et chante déjà la gloire de Dieu. « Le pécheur obstiné, dit le Père Lacordaire ( Conférences de Notre-Dame, 72° conf.), ne se tourne pas vers Dieu pour l'implorer, parce que la grâce lui est refusée ; et la grâce lui est refusée, parce qu'elle serait déjà le pardon, ce pardon qu'il a dédaigné, et dont il ne veut même pas dans l'abîme où il est tombé... Il rejette contre Dieu tout ce qu'il voit, tout ce qu'il sait, tout ce qu'il sent. Il faudrait donc que Dieu vint à lui malgré lui et que cette âme passât sans repentir de la haine et du blasphème à l'étroit embrasement de l'amour divin. Et cela serait le droit !... Les cieux s'ouvriraient pour Néron comme pour saint Louis, avec cette différence que Néron y entrerait plus tardivement, afin qu'on lui laissât le temps de couronner l'impénitence de sa vie, par l'impénitence de son expiation ».
[...]
Mais il faut noter aussi qu'il est très probable, comme le pensent bien des théologiens que Dieu ne laisse pas mourir en état de péché les hommes qui n'auraient fait dans le cours de leur vie qu'un seul péché mortel, surtout s'il s'agit d'un péché de faiblesse, et qu'il ne permet l'impénitence finale que pour les pécheurs invétérés, « car, comme le dit saint Pierre (II Epist., III, 9), il use de patience envers nous, ne voulant pas qu'aucun périsse, mais que tous viennent à la pénitence » ; aussi donne-t-il à tous des secours qui les inclinent à se convertir et l'enfer n'est que la punition de l'opiniâtreté du mauvais vouloir de celui qui s'obstine ( Cf. P. LACORDAIRE, Conférences de Notre-Dame, 72e Conf., et Dict. de.théol. cath., art. Enfer, col. 116.).
Je finis avec une citation de Saint François de Sales :
« Si le Seigneur précipitait sur-le-champ en enfer toute âme gravement coupable, sans doute il perdrait toujours le pécheur ; mais jamais il n'exterminerait le péché. Au contraire, le péché s'éterniserait par son châtiment même. Mais, précisément parce que la haine divine s'attaque directement à la faute, et seulement indirectement, à cause de la faute, au pécheur ; Dieu use de tant d'industries, s'humilie avec tant d'avances amoureuses, afin de séparer le péché du pécheur, et d'anéantir celui-là en sauvant celui-ci, ne se décidant à perdre le coupable que lorsque l'obstination de sa libre volonté à retenir sa faute ne permettant plus à Dieu de tuer le péché dans le pécheur, le force à tuer le pécheur dans le péché. »
La récompense du bien et le châtiment du mal découlent du maintien de l'ordre moral de l'univers.
La miséricorde et la justice de Dieu sont dosées selon la divine Sagesse durant notre pèlerinage terrestre. Dieu, le Bien infini, hait le péché et veut le détruire en nous pour nous sauver. Mais il faut nous repentir de nos fautes et travailler à aimer Dieu et notre prochain pour que l'Agneau de Dieu puisse nous laver de nos péchés par son Précieux Sang, et l'Esprit-Saint nous sanctifier. Au Ciel, les âmes complètement purifiées bénéficient alors de la bonté infinie. Mais en Enfer, les âmes qui ne se sont pas repenties et dont l'impénitence demeure immuable à cause de leur entrée dans l'éternité ne peuvent plus qu'écoper de la justice infinie.
Si vous ne lisez pas les explications du Père Garrigou-Lagrange sur l'éternité des peines de l'enfer que vous a proposé Thurar plus haut dans ce fil, vous aurez du mal à avancer dans la compréhension de ce dogme.
Je vous copie les extraits qu'il faut lire impérativement :
[quote][b]Tout d'abord la justice de Dieu exige que les péchés qui n'ont pas été expiés en cette vie, soient punis dans l'autre. Comme Souverain juge des vivants et des morts, Dieu se doit en effet à lui-même de rendre à chacun selon ses oeuvres ; c'est affirmé souvent dans l'Écriture[/b] : ECCLÉS., XVI, 15 ; MATTH., XVI, 27 ; ROM., II, 6. [b]De plus, comme Souverain Législateur, recteur et rémunérateur de la société humaine, Dieu doit ajouter à ses lois une sanction efficace.[/b]
Saint Thomas montre bien Ia, IIae, q. 87, a. 1, que [b]celui qui s'insurge injustement contre un ordre justement établi doit être réprimé par le principe même de cet ordre, qui veille à son maintien. C'est l'extension à l'ordre moral et social de la loi naturelle de l'action et de la réaction, selon laquelle l'action nuisible appelle la répression qui répare le dommage causé.[/b] C'est ainsi que celui qui agit librement contre la voix de la conscience mérite le remords ou le reproche de celle-ci ; celui qui agit contre l'ordre social mérite une peine infligée par le magistrat gardien de l'ordre social ; celui qui agit contre la loi divine mérite une peine infligée par Dieu, soit en cette vie, soit en l'autre. Il y a là trois ordres manifestement subordonnés.
[...]
[b]Les principales raisons de convenance de l'éternité des peines sont celles données par saint Thomas Ia, IIae, q. 87, a. 3 et 4, à savoir que le péché mortel sans repentance est un désordre irréparable, et de plus qu'il est une offense d'une gravité sans mesure.[/b]
Le péché, dit-il, mérite une peine parce qu'il renverse un ordre justement établi, et donc tant que ce désordre dure, le pécheur mérite de subir la peine due au péché. Or ce désordre est irréparable si le principe vital de l'ordre violé a été détruit, par exemple l'oeil ne peut être guéri, si le principe même de la vue a été détruit, et tout l'organisme lui-même est inguérissable lorsqu'il est touché à mort. Or le péché mortel détourne l'homme de Dieu fin dernière et lui fait perdre la grâce, principe ou germe de la vie éternelle. Il y a donc là un désordre irréparable, qui de sa nature dure toujours.
[b]Sans doute, de fait, par une miséricorde spéciale, Dieu relève souvent le pécheur au cours de la vie terrestre, mais si celui-ci résiste au dernier moment et meurt dans l'impénitence finale, le péché mortel reste comme un désordre habituel qui dure sans fin ; il mérite donc une peine, qui, elle aussi, dure toujours.
Une deuxième raison de convenance de l'éternité des peines est fondée sur ceci que le péché mortel, comme offense à Dieu, a une gravité sans mesure, en tant qu'il dénie pratiquement à Dieu la dignité infinie de fin dernière ou de souverain bien, auquel le pécheur préfère un bien fini, en s'aimant soi-même plus que Dieu, bien que le Très-Haut soit infiniment meilleur que lui[/b] Cf. SAINT THOMAS, Ia, IIae, q. 87, a. 4 ; IIIa, q. 1, a. 2, ad 2. Suppl., q. 99, a. 1..
L'offense est en effet d'autant plus grave que la dignité de la personne offensée est plus élevée. Il est plus grave d'insulter un magistrat ou un évêque, que d'injurier le premier venu qui se rencontre dans la rue. Or la dignité du Souverain Bien est infinie ;
[b]le péché mortel qui dénie pratiquement à Dieu cette dignité suprême, a donc, comme offense, une gravité sans limite, et pour le réparer il a fallu l'acte d'amour et les souffrances du Fils de Dieu fait homme, l'acte théandrique d'une personne divine incarnée.[/b] Mais si le bienfait immense de l'Incarnation rédemptrice est méconnu et méprisé, comme il arrive dans le péché mortel sans repentance, alors le pécheur, pour cette offense d'une gravité sans mesure, mérite une peine sans mesure elle aussi ; c'est la peine éternelle du dam, ou de la privation de Dieu, bien infini, peine qui est elle-même infinie quant à sa durée ( Elle ne peut l'être par son intensité, car la créature n'en est pas capable.). On a voulu définitivement se détourner de Dieu, on sera privé de lui éternellement.
[b]Quant à l'amour désordonné du bien fini préféré à Dieu, il mérite la peine du sens, qui est finie en tant qu'elle est la privation d'un bien fini, mais selon la Révélation, elle durera elle aussi éternellement car le pécheur s'est fixé en ce misérable bien pour toujours et il reste captif de son péché, il juge toujours selon son malheureux penchant.[/b] Il est comme un homme qui a voulu se jeter dans un puits pour toujours, puisqu'il savait qu'il n'en pourrait remonter.
On peut et l'on doit ajouter une autre raison de convenance du côté de Dieu. Nous disions plus haut, que Dieu, comme Souverain Législateur, recteur et juge des vivants et des morts, se doit à lui-même d'ajouter à ses lois une sanction efficace. En d'autres tenues, [b]Dieu ne peut être impunément méprisé par les impies obstinés. Or, si les peines n'étaient pas éternelles, le pécheur obstiné pourrait persévérer dans la révolte, sans qu'aucune sanction ne vienne plus réprimer son orgueil. Sa rébellion aurait ainsi à sa manière le dernier mot. Ce serait le triomphe de l'iniquité.[/b] - Comme le dit le P. Monsabré (Conférences de Notre-Dame, année 1889, 98e conférence.) : « Transporter dans l'ordre moral la négation de l'éternité des peines, c'est obscurcir la notion du bien et du mal, qui ne devient claire pour nous que dans la lumière de ce dogme terrible ».
Enfin si la béatitude qui est la récompense des justes est éternelle, il convient que la peine due aux impies obstinés le soient aussi. Telle est la récompense pour le mérite, tel est le châtiment pour la faute. Comme la miséricorde éternelle se manifeste surtout d'un côté, la splendeur de la justice éternelle se manifeste de l'autre. C'est ce que dit saint Paul, ROM., IX, 22 : « Si Dieu voulant montrer sa colère (ou sa justice vengeresse) et faire connaître sa puissance, a supporté (ou permis) avec une grande patience des vases de colère, disposés à la perdition, et s'il a voulu faire connaître aussi les richesses de sa gloire à l'égard des vases de miséricorde, qu'il a d'avance préparés pour la gloire, (où est l'injustice) ? »
[b]La justice comme la miséricorde étant l'une et l'autre infinies, demandent à être manifestées pendant une durée sans limites. Telles sont les principales raisons de convenance de ce dogme révélé.[/b]
[...]
On a souvent objecté que cette perpétuité des châtiments divins s'oppose à la perfection de la justice divine, parce que la peine doit être proportionnée à la faute; or la faute n'a souvent duré qu'un moment, comment mériterait-elle une peine éternelle ? De plus toutes ces peines pour les péchés les plus différents seraient égales, puisque toutes seraient éternelles. Enfin la douleur de la peine serait beaucoup plus grande que la joie trouvée dans le péché.
SAINT THOMAS répond, Suppl., q. 99, a. 1, ad 1 : La peine doit être proportionnée, non pas à la durée du péché actuel, mais à sa gravité. Ainsi selon la justice humaine l'assassinat, qui ne dure que quelques minutes, mérite la peine de mort ou l'incarcération perpétuelle. De même celui qui trahit en un moment son pays, mérite d'en être exclu pour toujours. Or, nous l'avons vu, le péché mortel, comme offense à Dieu, a une gravité sans mesure; de plus, lorsque le péché actuel a cessé, le péché habituel reste comme un désordre habituel irréparable, et qui mérite une peine sans fin ( Cf. SAINT THOMAS, Ia, IIae, q. 87, a. 3, 5, 6, réponses aux objections).
Il n'en reste pas moins une grande inégalité dans la rigueur des peines éternelles ; égales pour la durée, elles sont très inégales pour l'âpreté proportionnée à la gravité des fautes à expier.
[b]Enfin si les peines de l'enfer causent plus de souffrance que le péché mortel n'a donné de joie, elles ne sont cependant pas plus douloureuses que le péché mortel n'a été grave comme offense à Dieu, puisque la gravité de cette offense est sans mesure. Le principe reste le même : la peine est proportionnée à la gravité de la faute, non au plaisir plus ou moins grand qu'on y a trouvé. [/b]
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Les Origénistes ont soutenu que l'éternité des peines s'opposerait à l'infinie miséricorde, selon laquelle Dieu est toujours prêt à pardonner.
A cela SAINT THOMAS répond, Suppl. q. 99, a. 2, ad 1m : « [b]Dieu en lui-même est d'une miséricorde sans bornes ; celle-ci pourtant est réglée par la sagesse, de là vient qu'elle ne s'étend plus à certains qui se sont rendus indignes de la miséricorde, c'est-à-dire aux démons et aux damnés obstinés dans leur malice.[/b] Cependant on peut dire que, même à leur égard, la miséricorde divine s'exerce encore, non pour mettre fin à leur peine, mais pour qu'ils soient punis moins qu'ils ne l'ont mérité, in quantum titra condignum puniuntur ». SAINT THOMAS parle de même Ia, q. 21, a. 4. Si la miséricorde ne s'unissait pas, même en enfer, à la justice, les réprouvés souffriraient plus encore. Comme il est dit dans le PSAUME XXIV, 10,[b] « Toutes les voies de Dieu sont miséricorde et justice » ; quoique en certaines se manifeste surtout la miséricorde et en d'autres surtout la justice, elles procèdent toutes de la souveraine bonté, et la justice ne s'exerce qu'en second lieu quand la miséricorde divine a été méprisée[/b] ; cependant même alors elle intervient encore, non pas pour supprimer la peine, mais pour la rendre moins lourde et moins douloureuse.
[b]L'objection à laquelle nous venons de répondre, suppose que le damné implore la miséricorde, demande pardon et ne peut l'obtenir. Or le damné ne demande pas pardon, il est obstiné dans son péché et juge toujours selon son penchant coupable ; si une route pouvait s'ouvrir à lui pour revenir vers Dieu, ce serait celle de l'humilité et de l'obéissance, et, par suite de son orgueil, il ne veut pas de cette route.[/b]
Mais, insiste l'incrédule, selon sa sagesse, Dieu ne peut vouloir la peine pour elle-même, car elle est un mal, il ne peut se délecter en elle ; il ne peut la vouloir que pour corriger le coupable, et donc la peine infligée par Dieu ne peut être perpétuelle, elle doit avoir un terme : la correction même des damnés. Enfin, ce qui n'est pas fondé sur la nature des choses mais est accidentel, comme une peine, ne saurait être éternel.
Le Docteur angélique a examiné aussi cette objection, Suppl. q. 99, a. 1, ad 3m et ad 4m. « Les peines, dit-il, qui sont infligées par la société, à ceux qui n'en sont pas exclus pour toujours, sont médicinales ou ordonnées à la correction des coupables. Mais la peine de mort ou l'incarcération perpétuelle ne sont pas ordonnées à la correction de celui qui est ainsi puni ; elles sont pourtant médicinales pour d'autres que la crainte de ces châtiments détourne du crime, et elles donnent la paix aux gens de bien. [b]De même la damnation éternelle des impies est utile à la correction de ceux qui sont dans l'Église ». En ce sens on a dit que l'enfer a sauvé bien des âmes, c'est-à-dire que la crainte de l'enfer a été le commencement de la sagesse[/b] ( Cf. SAINT THOMAS IIae, IIae, q I9; a. 7 : « Timor servilis est sicut principium extra disponens ad sapientiam, in quantum aliquis timore poenae discedit a peccato... Timor autem filialis est initium sapientiae, sicut primus sapientiae effectus ». - Cf. Ia, IIae, q. 87, a. 3, ad 2m.) .
On insiste en disant : ce qui n'est pas fondé sur la nature des choses, mais est accidentel, comme une peine, qui contrarie la nature, ne peut être éternel. - Le saint Docteur répond Suppl. ; ibid., ad 5m [b]« quoique la peine soit accidentelle par rapport à la nature de l'âme, cependant elle correspond de soi à l'âme souillée par le péché mortel sans repentance, et parce que ce péché dure toujours, comme désordre habituel, la peine qui lui est due, elle aussi, dure toujours »[/b].
De plus, comme le dit encore SAINT THOMAS, Suppl., ibid. ad 4m., [b]les peines éternelles sont utiles pour manifester les droits imprescriptibles de Dieu à être aimé par dessus tout, pour faire connaître la splendeur de l'infinie justice. Dieu qui est bon et miséricordieux ne se complaît pas dans les souffrances des damnés, mais dans son infinie Bonté qui mérite d'être préférée à tout bien créé, et les élus contemplent le rayonnement de la justice suprême, en remerciant Dieu de les avoir sauvés.[/b] C'est ce que dit SAINT PAUL dans le texte déjà cité, ROM. IX, 22... « Si Dieu voulant montrer sa colère (sa justice vengeresse) et faire connaître sa puissance, a supporté (ou permis) avec une grande patience des vases de colère, disposés à la perdition, et s'il a voulu faire connaître aussi les richesses de sa gloire à l'égard des vases de miséricorde, qu'il a d'avance préparés pour la gloire (où est l'injustice) ? » Cf. SAINT THOMAS Ia, q. 23, a. 5, ad. 3.
[b]Dieu aime par-dessus tout son infinie bonté, or celle-ci, en tant qu'elle est essentiellement communicative, est le principe de la miséricorde, et en tant qu'elle a un droit imprescriptible à être aimée par dessus tout, elle est le principe de la justice.[/b]
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Le père Lacordaire dit à ce sujet : ( Conférences de Notre-Daine, 72° conf. fin.) [b]« Si ce n'était que la justice qui eût creusé l'abîme, il y aurait un remède, mais c'est l'amour aussi, c'est le premier amour qui l'a fait : voilà ce qui ôte toute espérance. Quand on est condamné par la justice, on peut recourir à l'amour ; mais quand on est condamné par l'amour, à qui recourra-t-on ? Tel est le sort des damnés. L'amour qui a donné son sang pour eux, cet amour là même, c'est celui qui les maudit. Eh quoi ! Un Dieu sera venu ici-bas pour vous, il aura pris votre nature, parlé votre langue..., guéri vos blessures, ressuscité vos morts,... il sera mort enfin pour vous sur une croix ! Et, après cela, vous pensez qu'il vous sera permis de blasphémer et de rire, et d'aller sans crainte aux noces de toutes vos voluptés ! Oh ! non, détrompez-vous, l'amour n'est pas un jeu ; on n'est pas impunément aimé par un Dieu, on n'est pas impunément aimé jusqu'au gibet. Ce n'est pas la justice qui est sans miséricorde, c'est l'amour. L'amour, nous l'avons trop éprouvé, c'est la vie ou la mort, et s'il s'agit de l'amour d'un Dieu, c'est l'éternelle vie ou l'éternelle mort ».[/b]
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Bien plus l'âme du pécheur obstiné est encore inclinée par sa nature même à aimer plus que soi Dieu auteur de sa vie naturelle, comme dans notre organisme la main aime le corps plus qu'elle-même et s'expose naturellement pour le préserver ( Cf. SAINT THOMAS, Ia, q. 6o, a. 5, ad 5m. - IIa, IIae, q. 26, a. 3.). Cette inclination naturelle, venant de Dieu, auteur de la nature, est droite ; elle est sans doute atténuée par le péché, mais elle subsiste dans le damné comme la nature de l'âme, comme l'amour de la vie. Le Père Monsabré, dans la conférence que nous venons de citer, dit : [b]« le damné aime Dieu, parce qu'il en a faim, il l'aime pour se satisfaire »[/b].
[b]Et d'autre part il a horreur de Dieu, juste juge qui le réprouve ; il a pour lui une aversion qui vient de son péché mortel sans repentance, dont il reste captif ; il continue de juger selon son penchant définitivement déréglé ; non seulement il a perdu la charité, mais il a la haine de Dieu ; il est déchiré par une contradiction intérieure : porté encore vers Dieu comme vers la source de sa vie naturelle, il déteste Dieu, juste juge, et exprime sa rage par le blasphème.[/b] L'Évangile dit à plusieurs reprises : « C'est là qu'il y a des pleurs et des grincements de dents » ( MATTH., VIII, 12, XIII, 42, 50, XXII, 13 ; LUC, XIII, 18. ).
Les damnés, qui connaissent par une continuelle expérience les effets de la justice divine, ont la haine de Dieu. Sainte Thérèse définit le démon : « Celui qui n'aime pas ». On peut en dire autant de ceux des Pharisiens obstinés en qui s'est réalisée la parole de jésus : « Vous mourrez dans votre péché ». JOAN., VIII, 21. Cette haine de Dieu manifeste la dépravation totale de la volonté ( Cf. Dict. Théol. cath. art. Enfer, col. 106.). [b]Les damnés sont continuellement en acte de péché, bien que ces actes ne soient plus déméritoires, car le terme du mérite et du démérite est arrivé. [/b]
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La conscience du damné lui rappelle ses fautes nombreuses, leur gravité et l'impénitence finale qui a tout comblée ( Cf. SAINT THOMAS explique ainsi le ver rongeur dont parle l'Écriture (MARC, IX, 43 : vernis eorum non moritur) et la Tradition. Cf. C. Gentes, IV, c. 89, de Verit., q. r6, a. 3 : « synderesis non extinguitur » - impossibile est in universali judicium synderesis extingui : in particulari vero operabili extinguitur quandocumque peccatur in eligendo ». ). Elle lui redit les paroles du Seigneur : « J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'ai eu, soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ». Elle lui rappelle son ingratitude après tous les bienfaits de Dieu. D'où le remords qui ne cesse pas.
[b]Mais le damné est incapable de changer son remords en repentir, et ses tortures en expiation. Comme l'explique saint Thomas[/b] ( Suppl., q. 98, a. 2.), [b]il regrette son péché, non pas comme faute, mais seulement comme cause de ses souffrances ; il reste captif de son péché et juge toujours pratiquement selon son penchant à jamais déréglé. [/b]
[b]Le damné est donc incapable de contrition, même d'attrition, car celle-ci suppose l'espérance et s'engage sur la voie de l'obéissance et de l'humilité. Le sang du Christ ne descend plus sur le damné pour faire de son coeur un « coeur contrit et humilié ».[/b] Comme le dit la liturgie de l'Office des morts « in inferno nulla est redemptio ». Il y a donc une distance sans mesure entre le remords, qui fut et qui reste dans l'âme de Judas, et le repentir. Le remords torture, le repentir délivre et chante déjà la gloire de Dieu. [b]« Le pécheur obstiné, dit le Père Lacordaire[/b] ( Conférences de Notre-Dame, 72° conf.)[b], ne se tourne pas vers Dieu pour l'implorer, parce que la grâce lui est refusée ; et la grâce lui est refusée, parce qu'elle serait déjà le pardon, ce pardon qu'il a dédaigné, et dont il ne veut même pas dans l'abîme où il est tombé... Il rejette contre Dieu tout ce qu'il voit, tout ce qu'il sait, tout ce qu'il sent. Il faudrait donc que Dieu vint à lui malgré lui et que cette âme passât sans repentir de la haine et du blasphème à l'étroit embrasement de l'amour divin. Et cela serait le droit !... Les cieux s'ouvriraient pour Néron comme pour saint Louis, avec cette différence que Néron y entrerait plus tardivement, afin qu'on lui laissât le temps de couronner l'impénitence de sa vie, par l'impénitence de son expiation ». [/b]
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Mais il faut noter aussi qu'il est très probable, comme le pensent bien des théologiens que Dieu ne laisse pas mourir en état de péché les hommes qui n'auraient fait dans le cours de leur vie qu'un seul péché mortel, surtout s'il s'agit d'un péché de faiblesse, et qu'il ne permet l'impénitence finale que pour les pécheurs invétérés, « car, comme le dit saint Pierre (II Epist., III, 9), il use de patience envers nous, ne voulant pas qu'aucun périsse, mais que tous viennent à la pénitence » ; aussi donne-t-il à tous des secours qui les inclinent à se convertir et l'enfer n'est que la punition de l'opiniâtreté du mauvais vouloir de celui qui s'obstine ( Cf. P. LACORDAIRE, Conférences de Notre-Dame, 72e Conf., et Dict. de.théol. cath., art. Enfer, col. 116.).[/quote]
Je finis avec une citation de Saint François de Sales :
[quote]« Si le Seigneur précipitait sur-le-champ en enfer toute âme gravement coupable, sans doute il perdrait toujours le pécheur ; mais jamais il n'exterminerait le péché. Au contraire, le péché s'éterniserait par son châtiment même. Mais, précisément parce que la haine divine s'attaque directement à la faute, et seulement indirectement, à cause de la faute, au pécheur ; Dieu use de tant d'industries, s'humilie avec tant d'avances amoureuses, afin de séparer le péché du pécheur, et d'anéantir celui-là en sauvant celui-ci, ne se décidant à perdre le coupable que lorsque l'obstination de sa libre volonté à retenir sa faute ne permettant plus à Dieu de tuer le péché dans le pécheur, le force à tuer le pécheur dans le péché. »[/quote]