par Cinci » mer. 04 déc. 2019, 15:54
Les stratèges du café du commerce, qui parlent en connaisseurs de la rigueur de l'hiver slave, se réfèrent souvent à la retraite de Russie, au cours de laquelle la presque totalité de la Grande Armée fut anéantie. Il semble que dans leur imagination les soldats gelaient sur place, tout comme ces Russes mythiques de la campagne de Finlande qui, en 1940, gelaient en marchant avant d'avoir reposé le pied.
Leur principale source d'information provient très probablement, bien qu'ils ne s'en doutent pas, d'une série de tableaux du peintre russe Vérestchaguine, intitulée "1812", et exécutée en 1893 dans un but avoué de propagande pacifiste. Or, l'hiver de 1812, en Russie, avait été exceptionnellement doux, tout au moins dans la partie du territoire ou l'armé française manoeuvrait.
La retraite de Moscou commença le 19 octobre et les premiers froids ne firent pas leur apparition avant le 27, le 8 novembre, le beau temps s'altéra et le froid devint plus vif la nuit, mais sans intensité. La température ne devait pas être trop au-dessous de zéro la plupart du temps car on se souvient que les dramatiques difficultés du passage de la Bérésina, le 26 novembre, provenaient du fait que la fleuve n'avait pas encore gelé ! Quand Napoléon eut quitté l'armée à Smogorni le 5 décembre, la température tomba aux environ de moins 6 degré, température sans aucun doute assez basse pour achever les milliers de malheureux blessés et de malades qui tombaient désemparés en chemin, mais certainement pas assez froide pour démoraliser une armée disciplinée et convenablement équipée.
Il semble que la principale cause de la perte de la Grande Armée ait été la maladie. Les troupes furent décimées par le typhus, la diphtérie et la dysentérie. La mobilité de toute l'armée avait été considérablement diminuée par la dysentérie des chevaux bien avant d'atteindre Moscou. La campagne avait commencé par le passage du Niémen, le 24 juin, pendant une longue période de chaleur. Des centaines de soldats moururent d'insolation et de maladie. L'armée, affaiblie dès le début de la campagne, s'achemina ainsi de désastre en désastre jusqu'à sa ruine. Mais on pourrait prétendre que la grande chaleur fut plus que le froid la cause de la perte de la Grande Armée. Le mythe de l'hiver russe était alors aussi vivace que de nos jours : il était entretenu par des contes fantastiques, beaucoup de ceux-ci datant des campagnes de Charles XII en Russie, un siècle plus tôt. Il y était question d'oiseaux que le froid pétrifiait en plein vol, de voix qui s'étranglaient dans la gorge qui se gelait, etc. Peut-être la seule crainte de l'hiver russe, inspirée par ces légendes, a-t-elle contribuée à créer cette panique qui, en détruisant la discipline, mua la retraite en déroute.
Les sentiments de l'empereur au moment du désastre, tels que se les imagine l'opinion générale, sont sans doute représentés par le célèbre tableau historique ou il est représenté sur un cheval blanc au milieu d'une plaine gelée, battue par les vents. Son état-major se presse frileusement derrière lui. Et l'on peut lire sur le visage défait du Corse aux cheveux plats le désespoir qui l'accable et la pitié qu'il éprouve pour ses hommes.
Cette attitude toutefois n'est pas conforme au témoignage du général de Caulaincourt qui accompagna Napoléon de Smogorni à Paris. L'empereur parut regarder la débâcle presque comme une agréable partie de campagne, s'inquiétant surtout, semble-t-il, de politique intérieur et s'amusant è la pensée que les paysans croisés en chemin seraient bien étonnés si seulement ils savaient qui il était.
Source : B. Evans, Histoire naturelle des sottises. Trois mille ans d'erreurs quotidiennes, p. 228.
Les stratèges du [i]café du commerce[/i], qui parlent en connaisseurs de la rigueur de l'hiver slave, se réfèrent souvent à la retraite de Russie, au cours de laquelle la presque totalité de la Grande Armée fut anéantie. Il semble que dans leur imagination les soldats gelaient sur place, tout comme ces Russes mythiques de la campagne de Finlande qui, en 1940, gelaient en marchant avant d'avoir reposé le pied.
Leur principale source d'information provient très probablement, bien qu'ils ne s'en doutent pas, d'une série de tableaux du peintre russe Vérestchaguine, intitulée "1812", et exécutée en 1893 dans un but avoué de propagande pacifiste. Or, l'hiver de 1812, en Russie, avait été exceptionnellement doux, tout au moins dans la partie du territoire ou l'armé française manoeuvrait.
La retraite de Moscou commença le 19 octobre et les premiers froids ne firent pas leur apparition avant le 27, le 8 novembre, le beau temps s'altéra et le froid devint plus vif la nuit, mais sans intensité. La température ne devait pas être trop au-dessous de zéro la plupart du temps car on se souvient que les dramatiques difficultés du passage de la Bérésina, le 26 novembre, provenaient du fait que la fleuve n'avait pas encore gelé ! Quand Napoléon eut quitté l'armée à Smogorni le 5 décembre, la température tomba aux environ de moins 6 degré, température sans aucun doute assez basse pour achever les milliers de malheureux blessés et de malades qui tombaient désemparés en chemin, mais certainement pas assez froide pour démoraliser une armée disciplinée et convenablement équipée.
Il semble que la principale cause de la perte de la Grande Armée ait été la maladie. Les troupes furent décimées par le typhus, la diphtérie et la dysentérie. La mobilité de toute l'armée avait été considérablement diminuée par la dysentérie des chevaux bien avant d'atteindre Moscou. La campagne avait commencé par le passage du Niémen, le 24 juin, pendant une longue période de chaleur. Des centaines de soldats moururent d'insolation et de maladie. L'armée, affaiblie dès le début de la campagne, s'achemina ainsi de désastre en désastre jusqu'à sa ruine. Mais on pourrait prétendre que la grande chaleur fut plus que le froid la cause de la perte de la Grande Armée. Le mythe de l'hiver russe était alors aussi vivace que de nos jours : il était entretenu par des contes fantastiques, beaucoup de ceux-ci datant des campagnes de Charles XII en Russie, un siècle plus tôt. Il y était question d'oiseaux que le froid pétrifiait en plein vol, de voix qui s'étranglaient dans la gorge qui se gelait, etc. Peut-être la seule crainte de l'hiver russe, inspirée par ces légendes, a-t-elle contribuée à créer cette panique qui, en détruisant la discipline, mua la retraite en déroute.
Les sentiments de l'empereur au moment du désastre, tels que se les imagine l'opinion générale, sont sans doute représentés par le célèbre tableau historique ou il est représenté sur un cheval blanc au milieu d'une plaine gelée, battue par les vents. Son état-major se presse frileusement derrière lui. Et l'on peut lire sur le visage défait du Corse aux cheveux plats le désespoir qui l'accable et la pitié qu'il éprouve pour ses hommes.
Cette attitude toutefois n'est pas conforme au témoignage du général de Caulaincourt qui accompagna Napoléon de Smogorni à Paris. L'empereur parut regarder la débâcle presque comme une agréable partie de campagne, s'inquiétant surtout, semble-t-il, de politique intérieur et s'amusant è la pensée que les paysans croisés en chemin seraient bien étonnés si seulement ils savaient [i]qui [/i]il était.
Source : B. Evans, [i]Histoire naturelle des sottises. Trois mille ans d'erreurs quotidiennes[/i], p. 228.