Lejardin a écrit : ↑ven. 07 oct. 2022, 23:26
C'est l'éternel problème du dieu posé comme mystère.
D'un côté on donne l'univers comme conçu pour répondre aux desseins d'une entité .
Mais on ne peut pas comprendre vu qu'il s'agit de quelque chose d'infiniment plus grand que nous.
C'est une forme d'argument irréfutable .
L'univers fait sens, car il doit faire sens et si on ne voit pas le sens c'est que l'on ne comprend pas les intentions de celui qu'il l'a donné.
On ne peut absolument rien sortir de ce raisonnement.
En soi ce n'est pas forcément dépourvu d'intérêt vu qu'il existe clairement des choses qui nous dépassent dans cet univers.
Bonjour,
La question est posée à partir de la raison, et c'est bien légitime. La raison doit aller au bout de ses réflexions possibles, et en cela, elle est parfaitement et absolument libre. Une foi qui briderait
a priori la raison en empêchant celle-ci de poser toutes les questions fondamentales qu'elle se pose
de fait ne serait pas une foi, mais une persuasion malhonnête de soi-même, tétanisée par des questions essentielles et préférant ne pas se les poser.
Or, il s'avère que parmi les questions fondamentales que la raison doit se poser, que ce soit pour un athée, un agnostique ou un croyant, c'est le problème de ses propres limites. "Que puis-je connaître", demandait Kant, faisant de cette question la première des questions philosophiques. Et il s'avère que ce problème semble rendre manifeste une limite interne aux capacités de connaître (l'enseignement de la
Critique de la raison pure est, en ce sens, toujours décisif dans son principe).
Ainsi, ces limites une fois reconnues, le problème se pose pour la raison de savoir s'il peut exister un donné extrinsèque à la raison qui, sans pour autant la contredire dans ses développements, la dépasserait pourtant de telle sorte qu'une connaissance soit possible qui puise sa source en dehors des facultés naturelles de l'esprit humain. C'est tout le problème de ce donné qu'est la Révélation, comme cela vous a été indiqué plus haut.
Pour poursuivre avec le langage de Kant, la source de cette connaissance ne serait pas rationnelle, mais surnaturelle (la grâce qui donne la foi) et historique à la fois (le donné biblique et textuel dont, de fait, nous disposons, abstraction faite des interprétations qu'on en donne).
Vous faites la question et la réponse en même temps : invoquer l'énigme ou le "mystère" pour accuser la religion d'irrationalité ou de facilité est problématique au regard de la raison elle-même et de la connaissance de ses propres limites. Ce n'est pas rationnel de tout vouloir comprendre par la raison.
Lejardin a écrit : ↑ven. 07 oct. 2022, 23:26
Bien au contraire, je pense, toute forme de création volontaire laisse des traces d'intention.
Si l'univers a un sens, cela doit se voir , je pense que si Dieu existe c'est aussi par sa création qu'il faut le caractériser.
Toute une tradition vous répondrait, en accord avec notre expérience charnelle et vivante du monde : la beauté de la nature, et aussi le caractère sublime d'un univers immense, qui suscite en nous un mélange d'effroi et d'admiration.
L'expérience esthétique d'une nature qui semble être, parfois, comme une œuvre d'art, ne peut pas ne pas faire songer à une intention. Cela ne signifie pas que cette intention existe objectivement, sans doute, mais cela signifie que l'expérience esthétique du monde suscite, dans la sensibilité humaine, cette émotion d'être, peut-être, le destinataire de quelque chose. Il s'agit de la "preuve" physico-théologique", qui va de l'expérience de la beauté à l'interrogation sur la présence originelle d'un Bien Absolu à l'origine de cette beauté que nous recevons.
Même Kant, qui refusait de voir là une preuve de l'existence de Dieu, avouait ne pas être insensible à cette dimension esthétique.
Vous semblez comprendre l'univers comme un ensemble de forces aveugles, absurdes et plus ou moins chaotiques. La ronde des astres, pourtant, manifeste un chaos surmonté dans une forme d'équilibre précaire mais très harmonieux.
Blaise Pascal abonde dans ce sens :
- [+] Texte masqué
-
« Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu’il
éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette éclatante lumière mise
comme une lampe éternelle pour éclairer l’univers, que la terre lui paraisse comme un
point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour
lui‑même n’est qu’une pointe très délicate à l’égard de celui que ces astres, qui roulent
dans le firmament, embrassent. Mais si notre vue s’arrête là que l’imagination passe outre,
elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible n’est
qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en approche, nous
avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n’enfantons
que des atomes au prix de la réalité des choses. C’est une sphère infinie dont le centre est
partout, la circonférence nulle part. Enfin c’est le plus grand caractère sensible de la
toute‑puissance de Dieu que notre imagination se perde dans cette pensée.
Que l’homme étant revenu à soi considère ce qu’il est au prix de ce qui est, qu’il se
regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature. Et que, de ce petit cachot où
il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes
et soi‑même, son juste prix.
Qu’est‑ce qu’un homme, dans l’infini ?
Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu’il recherche dans ce qu’il
connaît les choses les plus délicates, qu’un ciron lui offre dans la petitesse de son corps
des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines
dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans
ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que divisant encore ces dernières choses, il
épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit
maintenant celui de notre discours. Il pensera peut‑être que c’est là l’extrême petitesse de
la nature.
Je veux lui faire voir là‑dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement
l’univers visible, mais l’immensité qu’on peut concevoir de la nature dans l’enceinte de ce
raccourci d’atome ; qu’il y voie une infinité d’univers, dont chacun a son firmament, ses
planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible, dans cette terre des
animaux, et enfin des cirons dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné, et
trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu’il se perde dans
ces merveilles aussi étonnantes dans leur petitesse, que les autres par leur étendue, car
qui n’admirera que notre corps, qui tantôt n’était pas perceptible dans l’univers
imperceptible lui‑même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde ou plutôt
un tout à l’égard du néant où l’on ne peut arriver ?
Qui se considérera de la sorte s’effraiera de soi-même et, se considérant soutenu dans
la masse que la nature lui a donnée entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il
tremblera dans la vue de ses merveilles, et je crois que sa curiosité se changeant en
admiration il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec
présomption.
Car enfin qu’est‑ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout
à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout, infiniment éloigné de comprendre les
extrêmes. La fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement cachés dans un
secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré et l’infini où il est
englouti. »
Pascal, Pensées.
Lejardin a écrit : ↑ven. 07 oct. 2022, 23:26
Dieu n'a d'ailleurs pas vraiment plus d'empathie que ça pour l'humanité car s'intéressant initialement a quelques hommes puis un peuple ensuite aux restes de l'espèce de façon très tardive.
De quel Dieu parlez-vous? De l'image que vous vous en faites, ou d'un Etre Absolu qui transcende le réel et notre vie ordinaire?
Il arrive souvent que les hommes réfutent le fantôme de leur imagination et non le Dieu qui suscite la foi de millions d'êtres humains. Ceci est à la source de beaucoup de malentendus dans ce genre de discussions, le malentendu pouvant d'ailleurs venir de tous les "camps".
Ce qui me fascine, c'est que le croyant et l'athée ont un point en commun : ils pensent à Dieu, l'un pour le nier, l'autre pour l'affirmer, mais ils y pensent ensemble, en parlent et réfléchissent sur sa nature possible. C'est ainsi que Dieu, s'il existe, est plus vaste que ce que le discours humain peut en dire, réunissant pour cette raison des individus aux opinions contraires pour parler de la même chose.
J'ai tendance à penser que, pour commencer, Dieu est un espace de parole universel qui semble bien concerner et rassembler tout le monde autour d'une question commune : son existence et sa nature. Ce n'est déjà pas si mal, et ce n'est pas tellement contraire à la détermination de Dieu dans le Christianisme : Dieu est Verbe, Parole, Logos, etc.