Suroît a écrit :Il me semble que Jésus, à travers cette parabole et les propos attribués à Abraham, dit qu'on annonce pas l'évangile en agitant les horreurs de l'enfer, et que de toute façon ça n'amène nulle part. Peut-être que mon entourage, très majoritairement indifférent à la religion chrétienne, me fait sentir la réalité de cela. Parlez de l'enfer à des athées, agnostiques ou des gens sans opinions sur le christianisme, et dites leur que l'évangile annonce des châtiments éternels pour les damnés, que ceux-ci vont se faire rôtir comme des viandes, qu'il y a les "bons" et les "méchants", et qu'il faut se convertir pour échapper aux supplices atroces du mauvais riche et faire partie des "gentils", et vous verrez un peu la réaction... Je ne crois pas que cela donnera une foi bien enracinée si ça venait à "fonctionner" (expression horrible en la matière...). Les religions apocalyptiques fonctionnent comme cela, en annonçant la destruction imminente de tout ce qui est, la mort éternelle pour ceux qui ne se plient pas à leur doctrine, toutes les images d'horreurs qui vont avec, et qu'il faut se convertir et venir chez eux, etc. Il me semble que cela donne plus des adeptes envahis par la peur de Dieu plutôt que par l'amour de Dieu, même si on ne peut pas tout généraliser. C'est peut-être "efficace" sur des esprits impressionnables, mais est-ce que c'est très sain?
Figurez-vous que c'est ainsi que je me suis davantage penché sur ma foi dans ma jeunesse, par la peur. Mais cette peur a fonctionné parce que j'avais une base chrétienne, juste je ne l'avais pas plus exploré que ça.
Donc quelque part, la peur fonctionne mais à un certain niveau.
Car d'une part, je doute qu'elle fonctionne sur une personne qui n'a pas de base chrétienne.
D'autre part, ce qui me motivait alors c'était mon cas personnel, MON salut ou plus précisément éviter l'enfer. C'était davantage une crainte de l'enfer qu'un amour de Dieu. J'en étais même, dans mon mal-être et mon sentiment d'infériorité de l'époque, à en faire comme un motif d'orgueil. Je me disais en voyant les autres à qui tout semblé réussir "oui mais moi je suis sauvé", presqu'à vouloir que le salut soit ma chose et qu'eux ne l'aient pas pour que j'ai quelque chose de plus qu'eux, réparant ainsi une sorte de blessure narcissique.
Bon, ça n'a été ainsi que dans les tous premiers temps.
Le truc c'est que si la conversion par la peur a le mérite d'être efficace à la base, elle devient vite malsaine selon moi si après avoir mûri sa foi, on en reste à cette approche. Je me dis que moi j'ai pu à un certain moment ouvrir les yeux sur l'impasse de la chose, sur l'aliénation "Dieu est amour
mais " et rebâtir ma foi sur cette seule conviction qui m'avait pris au plus profond de moi "Dieu est amour", point.
Ce qui a aussi et surtout changé beaucoup de choses c'est qu'à un moment j'ai vu l'autre. Et à ce moment là, on comprend qu'il y a une solidarité humaine. Et lorsqu'on pense que Jésus s'est fait solidaire de l'homme, de chaque homme en devenant un homme, comment désespérer ?
Le Christ nous appelle à la solidarité, à aimer notre prochain comme nous-même, comment cela peut-il aboutir à accepter la damnation d'une majorité de l'humanité, et même d'une seule personne ? Il ne peut pas à la fois nous demander d'aimer l'autre et de croire en la damnation de l'autre ?! Si tu aimes l'autre tu ne peux pas le voir comme foncièrement mauvais, inconvertissable, ça n'a simplement pas de sens. Si tu aimes l'autre tu crois au meilleur de lui, tu vois Dieu en lui.
Si on en doutes, que l'on est tenté de penser que l'autre en face de soi est mauvais, alors que l'on considère que cette personne existe et que si elle existe c'est que Dieu l'aime et l'aime toujours, et lui donne l'être. Or, si Dieu l'aime c'est qu'elle est aimable et qu'elle n'est pas que mal, tout péché, irrécupérable.
Mais j'aurais bien pu rester dans cette foi de la peur, en n'osant pas me poser de questions comme tant de personnes ont voulues me l'imposer.
Mais ce serait une foi désincarnée et intéressée me concernant.
D'ailleurs, ce qui m'ennuie quand on voudrait tant me faire revenir à une foi de la crainte c'est que c'est comme si on me demandait de revenir en arrière et de me soucier de MON salut, de ma petite personne alors que je pense que la dynamique de la foi tend à l'opposé.
Il me semble que la logique de la foi chrétienne tend vers l'espérance d'un salut universel et non pas personnel.
La foi catholique ne pousse-t-elle pas à toujours espérer plus ?
Je préfère préciser ici que je ne parle que de mon expérience personnelle et qui n'a valeur que d'expérience personnelle, je ne dis pas que tous ceux qui veulent maintenir la peur de l'enfer vivent les choses ainsi.
Suroît a écrit : Et puis force est de constater que sur la très grande majorité des gens, ça ne permet pas de planter les graines de la Parole et de les faire croître, puisqu'ils fuient ces religions et ne désirent pas les écouter. Et ils ont de très bonnes raisons de ne pas écouter ce genre de prédication, à mon avis! De plus, ça simplifie à l'extrême des choses pourtant bien plus profondes que ces solutions entre "gentils" et "pas gentils", voyez-vous?
À vrai dire, je suis assez choqué par ce regard en surface chez beaucoup du "gentil" et "pas gentil". Il y a comme une négation de toute la dimension psychologique de l'individu, de son vécu, sa construction, etc.
Je me demande où est cette dimension dans le discours de beaucoup. Surtout que ça, c'est un point qui a changé par rapport aux siècles d'antan, c'est qu'il y a eu de grandes avancées dans la connaissance psychologique qui fait qu'on ne peut plus voir les choses d'une façon aussi basique.
Qu'on rejette un Freud, un Lacan est une chose mais on ne peut tout de même pas nier en bloc la psychologie.
On voit souvent que les grands criminels sont des personnes qui ont subies de graves traumatismes dans l'enfance. Dans un autre cadre, ces personnes n'auraient-elles pas pu devenir des personnes louables ?
J'avoue que ça me choque toujours quand on réduit les gens à des "gentils" et des "méchants"?!
Certains ici qui nous condamnent auraient-ils été ces si fidèles catholiques si leur vécu, leur enfance avait différente ? Je pense à cette remarque de Sœur Emmanuelle dans "Confession d'une religieuse" alors qu'elle est avec les chiffonniers du Caire où certains commettent des actes graves, qui se dit que si elle avait vécu ce qu'ils ont vécu certainement serait-elle devenu comme eux.
Je pense également à cette belle chanson de Goldman "Né en 17".