Néanmoins, en attendant, voici un commentaire
court , plus axé sur l'eau vive !
Le texte de la rencontre de Jésus avec la samaritaine (Jn 4, 1-42)est si connu qu’il en est devenu ignoré. C’est là l’éternel paradoxe de la sur-connaissance vidant de son sens la réalité ou l’objet. Il est donc nécessaire de relire mot par mot, phrase par phrase, et de plus si possible en grec, ce passage de l’Évangile de Jean pour en saisir à nouveau le sens, pour lui redonner en esprit et en vérité la place fondamentale qu’il occupe dans le ministère et le mystère de Jésus. Ce texte, qui a une dimension pascale, est en lui-même une pastorale, une catéchèse, ouvrant aux sacrements, d’où son importance majeure aussi bien pour les catéchumènes que pour les chrétiens, nous qui devons bien comprendre la route qui nous conduit à Dieu, mais aussi le don de Dieu : la vie éternelle !
Ce texte n’est pas une parabole, Jésus nous ayant lui-même donné en [Mc 4, 10] la définition et la grille de lecture des paraboles. Ce texte n’est pas une parabole, mais une histoire vraie ! Il n’est pas non plus une paroumie, car il ne s’agit pas d’un discours mystérieux où chaque élément a un sens séparé tout en formant un tout ; il n’est donc pas à interpréter par exemple de la même manière que le texte sur le Bon Pasteur de [Jn 10, 1-5] ! Il est un témoignage, une histoire que nous offre Jésus-Christ, un épisode de sa vie témoignant de sa sollicitude envers ses
frères humains, une démonstration de la miséricorde du Père. Cependant, faisant appel aux symboles – l’eau, le puits -, à la métaphore, c’est-à-dire au transfert de sens, ce texte a un fort caractère allégorique puisque chaque verset, voire même chaque bribe de verset a sa signification propre, traduisant la lente marche de l’homme vers la découverte du mystère de Jésus et de la Foi intérieure. Par ce texte, Jésus veut nous faire entrer dans le mystère de Dieu, donc dans celui de l’homme, tant le destin de l’homme est lié au dessein de Dieu.
Ce texte, qui est à la fois histoire, message, appel à la Foi, appel à l’approfondissement de cette même Foi, et surtout Révélation, lien entre l’élan de Jésus et sa Pâque, doit nous porter, nous chrétiens, car c’est au monde qu’il s’adresse. Il est donc aussi appel à la méditation. Jésus, au travers de son humanité, s’adresse à chacun de nous, à chaque homme pour qu’il découvre Dieu, mais Il s’adresse aussi à chaque croyant pour qu’il se dépasse dans sa Foi, non pas de façade, mais réellement intérieure ! Car le message que nous délivre Jésus est simple : «
Je le suis » (Jn 4, 26) !
Et ce message atteint chacun d’entre nous en son cœur, car il est l’expression de la joie et de la certitude de la présence de Dieu parmi nous.
Après le texte de la samaritaine, Dieu n’est plus inaccessible ! Il n’est plus le Dieu lointain du Premier Testament ! Il n’est plus le Dieu impalpable des philosophes : Il est ! Il est vivant parmi nous et pour l’éternité, en confiance, en amour, en liberté et en miséricorde. Dieu s’est approché de nous ; Il nous tend la main… À nous de la saisir ! prenons sans hésiter
l’ascenseur qui nous élèvera
sans fatigue vers les régions infinies de l’amour, cette voie de miséricorde divine qui conduit au ciel et que nous offre sainte Thérèse de Lisieux (LTT, 2, 23 mai 1897,
À Mère Agnès de Jésus).
Ce texte est magnifique car il parle tant à la Foi intellectuelle qu’à la simple confiance du cœur, les fusionnant dans une même Foi, celle en Jésus-Christ, donc celle en Dieu ! ce texte parle à tous, à chacun selon ses moyens. Il est donc susceptible de proposer des niveaux de lecture différents, mais ce n’est pas là une source de faiblesse du Christianisme, mais bien plus une source de richesse car le message du Christ est ainsi universel, parlant pour et à tous les hommes et non plus pour et à une minorité – comme dans tant d’autres religions –. Tous les hommes peuvent comprendre le message divin, quel que soit leur niveau de culture ou d’éducation. Jésus nous ouvre – ouvre nos cœurs – avec ce texte à la perception, à la compréhension, à la perspective divine : « Entende, qui a des oreilles » (Mt 13, 43).
Jésus, par ce texte, par cette histoire vraie, nous fait comprendre qu’
Il est Le Verbe ! Il nous fait entr’apercevoir Sa Gloire ! Il est Dieu parmi nous !
Tout au long de ce récit, Jean nous fait comprendre qu’avec la venue du Messie, la face du monde est changée : toutes les questions ont trouvé leur réponse, les temps sont accomplis. L’heure vers laquelle tendait toute l’histoire humaine a sonné (M.-N. Thabut,
L’intelligence des Écritures, Éd. Soceval, Châteaufort, 1999, p. 166). À nous de le comprendre !
Jésus veut nous amener à une soif bien plus grande que celle de l’eau, à une lumière bien plus grande que celle de la vue, et Il veut nous en rassasier ! Jésus veut illuminer notre Foi et combler nos cœurs. Il nous invite à le suivre. Il veut tous nous sauver en nous intégrant dans l’amour et la miséricorde du Père. Laissons nous emporter par l’eau qu’Il offre à la samaritaine, par la vue qu’Il offre à Bartimée (Mc 10, 46-52), par la parole qu’Il nous offre ! Abandonnons-nous à Dieu et soyons donc toujours attentifs et ouverts en esprit et en vérité, en nos cœurs et en nos vies, au message de Jésus-Christ, Dieu le Fils, Vrai Dieu et Vrai Homme, Ressuscité et Sauveur. Vivons et méditons donc en Église le Kérygme… Mettons nous à la suite de Jésus ! Bondissons joyeux vers Sa Lumière et laissons nous submerger par Son Eau, près du Puits, vers la sixième heure ! Que notre Foi soit un irrésistible élan d’amour !
Rappelons au passage ce qu’est le Kérygme, le Khi/Rhô, car beaucoup l’ignorent… Toute la Foi du chrétien réside dans le Kérygme, dans l’annonce de la Bonne Nouvelle : Jésus-Christ, Dieu le Fils, Ressuscité et sauveur (cf. Lc 24, 34 ; 1Co 1, 21 ; 15, 3b-5 ; …). Tout le reste, Loi, rites, dogme, n’est que secondaire – du moins par rapport à lui – … Le Prêtre lui-même n’est plus comme il l’était au moment de l’Alliance avec le sacerdoce (Nb 25, 10-13 ; Ml 2, 4-5) un simple intermédiaire devant ramener le peuple dans l’Alliance puisque l’Alliance est aujourd’hui présente, unique et définitive ! Le Prêtre d’aujourd’hui est in persona Christi, le représentant du Christ, l’image de Son sacerdoce, agissant toujours en Son Nom, … ce qui explique la raison de son devoir de célibat car il s’est fondu dans le Christ, le seul vrai Prêtre, le seul vrai Pontife, le seul vrai intermédiaire entre Dieu et la création, le seul médiateur… Comprendre le Kérygme, accepter l’Amour de Dieu, donner son Amour à son prochain (cf. Mt 22, 34-40) : tout le message chrétien tient en ces quelques mots, accomplissant et non détruisant le message Biblique de [Lv 19, 18] et de [Dt 6, 5] (Mt 5, 17-18). Qui l’a compris est chrétien, tout le reste étant superflu ! C’est le
Jésus = Amour de Benoît XVI ; c’est le
Une fois pour toutes, on t’impose un précepte facile : Aime et fais ce que tu voudras de saint Augustin (
septième traité sur l’Épître de saint jean aux Parthes, 8) ! Le Kérygme, c’est
la prédication du Royaume de Dieu, c’est-à-dire un résumé de la prédication même de Jésus, mais amplifiée, revue, corrigée, réinterprétée à la lumière de l’événement fondamental de la mort et de la résurrection de Jésus de Nazareth, Messie et Fils de Dieu, cet événement étant la seule explication possible de tout l’enseignement de Jésus-Christ (DEB, p. 720).
Il ne faut pas lire l'épisode de la samaritaine en termes de relativisme, ou plutôt, s'il y a relativisme, c'est au sujet des croyances des juifs et des samaritains, pas de la Révélation du Christ, ou encore vis-à-vis d'une perception fermée de l'Église. Ce texte doit au contraire se lire comme un parcours de Foi, comme un cheminement de la Foi, une démarche de conversion qui est tout sauf relative ou relativiste, une Révélation en six étapes : 1. L'eau, source de la vie éternelle (vv. 7-15) ; 2. La vérité intérieure : je vois (vv. 16-19) ; 3. Le culte intérieur (vv. 20-23) ; 4. La Révélation (vv. 24-26) ; 5. La volonté du Père (vv. 34-38) ; 6. Nous savons, nous croyons (vv. 39-42)
Mes propres grilles de lecture sont les suivantes selon les choix de priorité :
-
Plan littéral : 1. Introduction (vv. 1-6) ; 2. Autour du puits (vv. 7-15) ; 3. A propos des maris et des faux dieux (vv. 16-19) ; 4. A propos du culte (vv. 20-26) ; 5. Les disciples (vv. 27-8) ; 6. Les samaritains (vv. 39-42) ;
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Les lieux : 1. De Judée vers la Galilée (vv. 1-3) ; 2. En Samarie (v. 4) ; 3. Près de Sychar (v. 5) ; 4. Au puits de Jacob (vv. 6-27) ; 5. De Sychar vers le puits (vv. 28-30) ; 6. Au puits de Jacob (vv. 31-40) ; 7. A Sychar (vv. 41-42) ;
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Les personnages : 1. Jésus (vv. 1-6) ; 2. Jésus et la samaritaine (vv. 7-26) ; 3. Jésus et ses disciples (v. 27) ; 4. La samaritaine et les gens de Sychar (vv. 28-30) ; 5. Jésus et ses disciples (vv. 31-38) ; 6. Les gens de Sychar (v. 39) ; 7. Tous (vv. 40-42) ;
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La progression dans la connaissance du Mystère du Christ : 1. Juif (v. 9) ; 2. Seigneur (v. 11) ; 3. Plus grand que Jacob (v. 12) ; 4. Prophète (v. 19) ; 5. Messie et Christ (vv. 25-26) ; 6. Sauveur du Monde (v. 42) ;
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Le cheminement de la Foi : 1. Rappel sur l’œuvre de Jean et le Baptême (vv. 1-2) ; 2. L’eau, source de la vie éternelle (vv. 7-15) ; 3. La vérité intérieure : Je vois (vv. 16-19) ; 4. Le culte intérieur (vv. 20-23) ; 5. La Révélation (vv. 24-26) ; 6. La volonté du Père (vv. 33-38) ; 7. Nous savons, nous croyons (vv. 39-42) ;
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Les dominantes verbales : 1. Mouvement, dialogue, don, repas (vv. 6-15) ; 2. Dialogue, connaissance (vv. 16-19) ; 3. Mouvement, connaissance, dialogue (vv. 20-26) ; 4. Mouvement, dialogue (vv. 27-38) ; 5. Foi (vv. 39-42)
La rencontre de Jésus avec la samaritaine était a priori triplement improbable : - le passage de Jésus par la Samarie honnie des juifs ; - un juif et une samaritaine ; - mais aussi que la samaritaine aille puiser de l'eau à midi, à l'heure où la chaleur est la plus intense. Il n'y a cependant pas de hasard, le dessein de Dieu s'exprimant au travers de cette improbabilité : il faut une rencontre déterminante tant pour la transformation de l'une que pour la Révélation du Christ !
«
Une femme de Samarie.. » Les gens de Samarie -et plus encore les samaritaines- sont méprisés par les juifs; parmi d'autres, le prophète Amos l'exprime lorsqu'il écrit à propos des samaritaines : « Écoutez cette parole, vaches de Bashân qui êtes sur la montagne de Samarie, qui exploitez les faibles, qui maltraitez les pauvres, qui dites à vos maris : «
Apporte et buvons ! » » [Am 4, 1]. La samaritaine est donc ce qui est de plus méprisable pour un juif, et pourtant -ou justement à cause de cela- c'est à elle que Jésus choisit de se révéler. On notera déjà une référence aux maris et à la soif : « buvons ! »
«
...vient pour puiser de l'eau. » On est ici en présence d'un acte éminemment humain : celui de la recherche de la source principale de la vie terrestre...
«
..., Jésus lui dit : ... » Il faut remarquer que c'est Jésus qui prend l'initiative du dialogue, même s'il se pose presque en hérétique aux yeux des juifs en parlant à une samaritaine : par lui, c'est Dieu qui cherche à parler aux hommes, car il a besoin des hommes pour laisser éclater l'infinité de son amour, de ces hommes qui le craignent, le prient, mais l'oublient tout aussi souvent depuis la chute d'Adam : même si nous ne nous croyons pas dignes de l'amour de Dieu, Dieu nous aime comme nous sommes ! Par son Fils et en l'Esprit, le Père veut faire exister les hommes, tous les hommes, y compris les exclus qui sont ici symbolisés par la samaritaine : une femme non juive et a priori pas très futée puisqu'elle va puiser de l'eau à midi, c'est-à-dire à la pire heure.
Il n'est pas innocent que la rencontre entre Jésus et la samaritaine suive l'entretien avec Nicodème [Jn 3, 1-21], car tout les oppose, même s'ils ont tous les deux la même attente : une femme/un homme, une samaritaine/un juif, une "pas très futée"/un "intellectuel"; tous les deux sont aux extrémités de l'humanité (du moins dans le cadre de la civilisation que le Père a choisi pour cadre à l'Incarnation), mais, alors que tout les oppose, ils se retrouvent dans leur rencontre avec Jésus, tendant tous deux vers un même but, celui de la découverte de la vérité, mais par deux voies différentes : une voie très intellectuelle pour Nicodème, une voie du cœur pour la samaritaine. Ceci montre bien que Jésus s'adresse à tous. Il n'est cependant pas innocent que Jésus ne se révèle pleinement qu'à la samaritaine, car celle-ci est l'image de nos faiblesses, mais aussi de la joie du coeur. Arrêtons nous ici un instant pour méditer le message des Béatitudes.... Et comment ne pas penser ici à la première Épître aux Corinthiens : «
Où est-il , le sage ? Où est-il, l'homme cultivé ? Où est-il, le raisonneur de ce siècle, Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? Puisqu'en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n'a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c'est par la folie du message qu'il a plu à Dieu de sauver les croyants. Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en quête de sagesse; nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés Juifs et Grecs, c'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » [1 Co 1, 20-24] ?
«
Donne-moi à boire » Toute la démarche de Jésus, toute son approche de la samaritaine ne sera plus désormais qu'au service de l'évolution de la foi intérieure de la samaritaine : il ne se révèle pas ipso facto, mais la laisse au contraire s'approcher d'elle-même de son mystère. Cette démarche progressive est à rapprocher de notre propre démarche qui, progressive, n'est qu'une découverte permanente du mystère divin. Il y a donc là bien démarche de foi, d'adhésion à Dieu, et non pas simple croyance comme dans le cas des faux dieux. C'est d'ailleurs pour cette raison que le chrétien parle de Foi et non pas de croyance, la foi impliquant une démarche personnelle aboutissant à une adhésion intime à Dieu, à un engagement a priori individuel même s'il s'exprime en communion au sein de l'Église, donc à une réalité et non à une probabilité éventuelle; la foi met en jeu un
tressaillement individuel et un appel du -et au- Cœur de l'Homme que ne présuppose pas forcément la croyance qui n'est qu'un mode de connaissance parmi d'autres, la croyance qui, comme le souvenir, est toujours mieux ou pire que la réalité, qu'il s'agisse de celle de Dieu ou de celle de sa création. La foi, qui est avant tout témoignage -ici celui à venir de la samaritaine- est en fait totale car adhésion à Dieu, alors que la croyance peut n'être que partielle. C'est par notre rencontre personnelle avec Dieu que notre foi grandit, s'affermit, qu'elle s'insinue dans notre coeur, car, comme le dit saint Paul : «
Ayant donc reçu notre justification de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, lui qui nous a donné d'avoir accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu » [Rm 5, 1-2].
La rencontre de la samaritaine avec Dieu, c'est notre propre rencontre avec Dieu, sur la route de la vie éternelle et du salut ! Nous vivons en notre Foi les mêmes étapes qu'elle : le doute, l'effarement, la réflexion, l'adhésion. Comme Jésus lui donne peu à peu les éléments qui lui permettront d'accéder à la Foi en Dieu, Il nous donne petit à petit les éléments qui nous permettront de concrétiser notre propre Foi… Comme Dieu demande de l'eau à la samaritaine,
Il a soif de nous : Il nous demande "tout", "tous"…
«
La femme samaritaine lui dit : "Comment ! toi qui es juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine ?" (Les Juifs en effet n'ont pas de relations avec les Samaritains). » Ne connaissant pas encore Jésus, la samaritaine le qualifie telle qu'elle le voit matériellement, c'est-à-dire de “juif”. Elle est interloquée. Peut-être même a-t-elle un peu peur.... Elle vit la première des cinq étapes de sa lente montée vers la connaissance et surtout l'adhésion au mystère du Christ. Je pense ici aux degrés de la foi dont parle Saint Paul : «
Au nom de la grâce qui m'a été donnée, je le dis à tous et à chacun : ne vous surestimez pas plus qu'il ne faut vous estimer, mais gardez de vous une sage estime, chacun selon le degré de foi que Dieu lui a départi » [Rm 12, 3].
Saint Paul nous demande ainsi de servir Dieu selon ses compétences, celles-ci étant un don de Dieu. Refuser de mettre ses compétences au service de l'Église - au sens de Corps mystique - est donc condamnable, tout comme il est condamnable de se sentir supérieur aux autres, car cette “supériorité” est un don de Dieu qui crée plus de devoirs que de droits, tout homme étant égal aux yeux de Dieu. Ce que Dieu veut, c'est que chacun progresse dans sa vie intérieure, dans la foi de son cœur, en aucun cas dans un “spectacle” par nature faux et contraire au dessein de Dieu. Dieu nous appelle à servir notre prochain, pas à l'humilier (on doit ainsi méditer sur la charité envers les faibles exprimée en [Rm 14—15], texte trop souvent négligé par les théologiens ou les catéchistes, alors qu'il devrait être le seul guide de leur "méthodologie" de travail).... C'est d'ailleurs la démarche que Jésus adopte avec la samaritaine en cherchant à la faire monter progressivement vers la découverte de son mystère et celle du don de Dieu.
La samaritaine s'étonne qu'un juif lui demande à boire de l'eau puisée avec un vase (en effet, conformément à la coutume, les juifs ne se servaient pas de vases à leur usage). Comme le dit saint Augustin, ce qu'elle ignore encore, c'est que celui qui lui demande à boire a soif de la Foi de cette femme (
Johan. Ev. Tract. , XV, 11).... Elle s'étonne d'autant plus que, pour les juifs, le samaritain est un
zâr, c'est-à-dire un étranger profane, un dévergondé, un bâtard, ... - qui vient de
zoûr : se détourner, devenir un inconnu-, en aucun cas un gèr, c'est-à-dire un étranger accepté car respectant les règles de la vie juive, voire un prosélyte (je renvoie ici à Ex 22, 20 et à Dt 10, 19). Le samaritain n'est donc pas un proche pour le juif : il est inassimilable au “pauvre”, ce qui fait que la Loi qui invite les juifs à se souvenir qu'ils étaient immigrés en Égypte ne s'applique pas en ce cas. Pire, pour le juif, le samaritain est considéré comme un am ha-arets, un “peuple du pays”, c'est-à-dire comme un étranger ignorant et incapable de mettre en pratique la Loi, et cela même si certains les considèrent comme faisant partiellement partie du peuple d'Israël (voir : H. Cousin éd.,
Le monde où vivait Jésus, Cerf, 1998, pp. 736-737). La fracture est donc très profonde entre le juif et le samaritain. Le juif est en Samarie comme le conquistador de la Renaissance face aux
Terra incognita; dans les deux cas, l'autre est l'inconnu, et si l'on ne cherche pas à le comprendre comme le fit par exemple Francisco de Vitoria avec les Amérindiens, on le tue par peur, ou, pour le moins, on refuse de l'affronter, de dialoguer -alors même que Jésus n'hésite pas à dialoguer, prenant même l'initiative de ce dialogue, avec la samaritaine-, donc de se connaître, blessant ainsi le coeur de Dieu par refus de son message éternel d'amour....
Mais quelle actualité ! D'une certaine manière, on pourrait dire que le samaritain est au juif ce que le beur de troisième génération -quelle que soit sa volonté d'assimilation- est à certains extrémistes nationalistes, alors que le juif est pour le samaritain le symbole d'une société incomprise sur les membres desquels on jette des pierres, comme certains jeunes de banlieues jettent des pierres sur les représentants de l'autorité que sont par exemple les policiers. Rien de nouveau sous le ciel, alors même que Jésus est venu rompre ces relations -ou plutôt ces absences de relations- absurdes et contraires au dessein du Père. C'est ici encore une preuve de l'actualité de ce passage de l'Évangile de Jean, une invitation faite aux hommes d'aujourd'hui à dépasser leurs différences, leurs querelles et leurs jalousies stériles pour appliquer le commandement d'amour de [Mc 12, 31] : tout ce texte n'est qu'un immense appel à la foi, à l'espérance et à la charité, c'est-à-dire à la mise en pratique quotidienne des trois vertus théologales, des trois charismes offerts aux hommes sur lesquelles insiste Saint Paul en [1 Co 13, 13].
La foi chrétienne n'est finalement pas si difficile que cela à comprendre : aimer Dieu à fond; aimer son prochain en acceptant les charismes ! C'est tout, c'est bien plus divin et humain que la Loi ancienne, que les préceptes des autres religions,... mais c'est déjà beaucoup car exigeant de nous une totale adhésion, un total abandon. C'est le trop occulté «
Aime donc et fais ce que tu veux » de saint Augustin (
Ep. Johan. Tract. , VII, 8), car, comme l'a écrit à propos de cette sentence Jacques Chevalier dans son Histoire de la pensée : « quand un homme aime profondément Dieu et les hommes, il peut faire ce qu'il veut, parce que, se guidant sur la vérité suprême et la sainte charité, il ne peut tomber dans l'erreur. »
L'amour absolu conduit toujours à la liberté absolue, à la joyeuse liberté des enfants de Dieu, alors que la peur, le refus de l'autre ne font que construire des prisons toujours plus rudes autour de nous et dans nos coeurs.... Mais l'amour de Dieu, sa miséricorde, par la réconciliation, peut, si l'on accepte de s'abandonner à lui, faire exploser toutes ces prisons, aussi “solides” soient elles.....
«
Jésus lui répondit : "Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c'est toi qui l'aurais prié et il t'aurait donné de l'eau vive. » Le Christ voit plus loin; je pense ici à l'entretien -qui précède l'épisode de la samaritaine- avec Nicodème : «
En vérité, en vérité, je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu; mais vous n'accueillez pas notre témoignage. Si vous ne croyez pas quand je vous dis les choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous dirai les choses du ciel » [Jn 3, 11-12], et Il sera mieux accueilli par la samaritaine que par certains notables et savants juifs, même si ceux-ci cherchent eux aussi la lumière (cf. [1 Co 1, 20-24]).
Jésus part de très haut dans son dialogue, avec une approche immédiatement spirituelle, alors que la samaritaine part de très bas, d'une approche uniquement matérielle; tout ce récit est donc celui d'une approche progressive avec une double démarche : une lente montée vers Dieu et Dieu qui vient vers nous, qui se met à notre portée. C'est là notre histoire ! La lente quête mutuelle de la perfection se fera par des signes imperceptibles, au coeur, et je ne peux m'empêcher ici de repenser à l'oeuvre majeure de saint Jean de la Croix : La montée du Carmel, avec cette montagne au sommet de laquelle la divine sagesse attend l'âme bien-aimée -notre propre âme-, au Chemin de la Perfection de Thérèse d'Avila, ou encore à l'histoire personnelle de saint Augustin et de saint François d'Assise qui ont tous deux connu une vie de péché avant de devenir des figures fondamentales de la foi; ces deux derniers ont trébuché, mais la rencontre avec Dieu leur a permis de triompher du mal et de devenir des lumières du bien pour l'humanité entière. Par là même, par cette lente montée vers Dieu que Dieu lui-même nous rend possible en se rendant accessible, nous pouvons surmonter les pièges du péché, tirer du mal du péché le bien de la grâce et du Salut; en cela, qui que nous soyons, quel que soit notre niveau intellectuel, de culture ou de richesses matérielles, nous pouvons imiter au quotidien les plus grandes figures de la foi ! Comme le dit saint Jean de la Croix, la voie vers Dieu est semée d'embûches, mais elle est aussi fléchée par Dieu pour nous sauver; à nous de reconnaître les “panneaux indicateurs”, en sachant qu'existe toujours la voie de secours du sacrement de réconciliation que nous offre Dieu qui sait que nous ne sommes que des hommes....
La question qui se pose à nous est alors : "Qu'est-ce que j'attends de Jésus ?" . Or, Il nous a tout donné par le Père et avec l'Esprit. Notre prière ne doit donc pas être supplication, mais au contraire louange et joie nous permettant d'atteindre notre propre perfection dans la foi et dans le témoignage.
«
Jésus lui répondit : "Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau; mais qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif; l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissant en vie éternelle." » L'eau dont parle Jésus n'est pas l'eau matérielle, l'eau putrescible , mais la vie éternelle. L'eau dont parle Jésus est en fait celle du baptême : l'eau baptismale; elle est signe de vie, non pas signe de mort, renvoyant à la symbolique de la naissance à la vie nouvelle (on peut penser ici aux eaux matricielles, à l'eau purificatrice, à la plus vivifiante en vue des moissons. À rapprocher des versets 35 à 38 ?), car le baptême est un « bain d'eau qu'une parole accompagne » [Ep 5, 26]. Cette eau est purification du péché, et plus encore pardon plein de miséricorde divine de ce même péché [Tt 3, 5] et illumination à la lumière du monde [Jn 1, 9; 14, 6; Ep 5, 8]. L'eau vive est celle de la vie : elle est la vie car ouverture à la participation à la joie du Père, fécondation de la terre, pureté et fraîcheur, libération du péché [Ex 17; Ps 50, Ez 36, 24-28]. Cette eau est celle du baptême; elle est intarissable (voir Is 58, 11) et Dieu, si nous voulons bien accepter son Don, nous en donne à profusion, autant que nous en souhaitons, à la condition que nous nous abandonnions à lui....
L'eau vive n'est en aucun cas la mort, ou plutôt, s'il y a mort lors de la réception de l'eau vive, c'est uniquement celle du péché : l'idée de mort ontologique est donc à bannir, l'ontologie étant de plus la science de l'être en tant qu'être, en dépit de ses déterminants ; Jésus est vainqueur de la mort, vainqueur du péché : Il ne peut que donner la vie, et l'eau vive qu'il offre à tous les hommes au travers de la samaritaine est celle de la naissance à la foi, celle du renouvellement de la nature pécheresse dans le bain de la nouvelle naissance. En fait, Jésus est lui-même l'eau vive, lui-même le don de Dieu. N'oublions jamais que l'eau a jailli de Son côté avec le sang à l'heure de la Passion : ce sont là les marques de la double nature à la fois divine et à la fois humaine de Jésus ; cette eau jaillissant du flanc du Christ, cette eau offerte en source inépuisable aux hommes (il y en aura toujours assez, toujours plus, pour tous ceux qui acceptent de boire à la source du Christ) est la marque suprême de la vie éternelle battant la mort, la marque suprême de l'amour de Dieu [Jn 19, 34]. On peut ici songer à [Pr 5, 15] : « Bois l'eau de ta propre citerne, l'eau jaillissante de ton puits ! » ou encore à la source de [Ct 4, 12-15]. L'eau jaillissante des Proverbes, c'est peut-être celle de notre vie intérieure, celle dont parle Jésus....
Cette eau vive offerte par Jésus à la samaritaine est celle du baptême, de ce baptême qui est entrée dans la vie nouvelle [Mt 18, 19-20; Jn 3, 3; 1 P 1]. Par cette eau offerte et acceptée, nous devenons les fils adoptifs de Dieu [2 Co 5, 17] et nous sommes définitivement incorporés au Corps unique du Christ, à l'Église [1 Co 12, 13; Ep 4, 25]. On comprend ici encore mieux le sens de cette citation commentée par l'Abbé Gaubert : « Baptisé, tu es consacré ! Tu es le tabernacle de la Sainte Trinité ! Tu es greffé sur le Christ comme un membre vivant à son corps mystique, l'Église », citation qui est à mettre en parallèle avec cet extrait de l'Épître aux éphésiens : « (le Christ) dont le corps tout entier reçoit concorde et cohésion, par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l'actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même dans la charité » [Ep 4, 16]. L'eau vive est une grâce reçue : à nous de la faire vivre en nous, pour Dieu, l'Église et nos frères... Tout ceci nous est rappelé par le texte de l'Apocalypse : «
Jamais plus ils ne souffriront de la faim ni de la soif; jamais plus ils ne seront accablés par le soleil ni par aucun vent brûlant. Car l'Agneau qui se tient au milieu du trône sera leur pasteur et les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. » [Ap 7, 16-17].
L'eau vive, le don de Dieu, c'est Dieu lui-même, sa parole, l'accès à son mystère ! Elle préfigure l'Eucharistie, cet accomplissement de l'initiation chrétienne qui est la source et le sommet de toute la vie chrétienne car don de la vie éternelle, seul véritable “aliment” sur la route vers Dieu ! L'eau vive, le don de Dieu, c'est le don gratuit par le Père de son Fils aux hommes, don qui aboutira au sacrifice de Jésus sur la Croix glorieuse qui a tué la haine [Ep 2, 16], notre foi étant le seul sacrifice saint et agréable à Dieu [Rm 12, 1] qui nous soit désormais demandé... N'oublions jamais que le Père nous a donné ce qu'il avait de plus beau : son Fils, c'est-à-dire lui-même, Dieu lui-même dans le mystère de la Trinité !
Étant Dieu lui-même, le don de Dieu ne s'achète pas. Il est une grâce, et c'est ce que rappellera saint Pierre à Simon le magicien - d'ailleurs en Samarie ! - : «
Périsse ton argent, et toi avec lui, puisque tu as cru acheter le don de Dieu à prix d'argent » [Ac 8, 20]. Le don de Dieu est gratuit, offert à tous; à nous de l'accepter dans nos cœurs et dans nos vies !
«
La femme lui dit : "Seigneur, je vois que tu es un prophète…" » La samaritaine en arrive à la troisième étape de son adhésion au mystère de Jésus, de son initiation à l'esprit et à la vérité. La samaritaine a définitivement compris que Jésus est autre, mais elle ne sait toujours pas ce qu'il est vraiment. Humaine, elle continue à se référer à son histoire : si Jésus n'est pas “Seigneur”, n'est-il pas “prophète” ? Même si la samaritaine n'a pas encore compris la personne de Jésus, elle accède déjà à la vie intérieure, à la foi intérieure par son « Seigneur ». Elle commence à s'abandonner en toute confiance à Jésus : elle est désormais prête à recevoir l'eau, source de la vie éternelle, et cela même si elle n'a pas tout compris. Mais nous-mêmes, pouvons-nous vraiment comprendre toutes les dimensions et tout le contenu du mystère de Jésus ? Sa foi n'est peut-être pas encore en vérité, mais elle commence à l'être en esprit; elle est déjà au cœur, intérieure, cachée, mais bien réelle. Il ne lui manque plus grand chose pour devenir un témoin de la vérité et du Verbe incarné. On peut ici encore songer au sacrement de la confirmation en son sens d'affermissement de la grâce; la samaritaine nous rappelle ici qu'il faut désirer recevoir la grâce de l'Esprit Saint, se rendre disponible intérieurement à l'accueil du Seigneur (la Foi est ici celle du cœur, pas celle de la raison, du pari ou de l'intellectualité, donc pas celle de Nicodème), mais surtout avoir conscience de sa petitesse et de sa pauvreté face à Dieu; il faut, pour saisir au maximum - tant est-il qu'il soit possible de saisir totalement le mystère divin sur cette terre où nous ne pouvons pas contempler la Face de Dieu, juste l'entrevoir au temps de l'adoration du Saint-Sacrement ou à celui de l'Eucharistie -, nous abandonner à Dieu, dans un bonheur et une joie indicibles. La samaritaine a elle la grâce de contempler Dieu “en direct”....
«
Jésus lui dit : "Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs" » Par Jésus, c'est l'homme qui devient le Temple (on peut penser ici à l'Épître aux Hébreux). Comme l'a dit saint Boniface, ou encore saint François d'Assise, Dieu est partout, même s'il ne faut pas tomber dans l'erreur du fétichisme ou de l'animisme; Dieu est partout, mais sa création n'est que témoignage de sa présence, non pas partie de Dieu lui-même.
Ce verset pousse à réfléchir sur les notions de transcendance et d'immanence, sur le rôle de l'homme dans la création. Au contraire de la transcendance qui établit une relation personnelle avec Dieu, l'immanence exprime l'idée de la fusion de l'être dans la conscience collective; elle réfute donc dans sa finalité toute notion d'individualité et d'individualisme, tendant donc non à l'exclusion mais à l'anéantissement de celui qui n'y adhère pas. L'immanence est donc par essence totalitaire. L'immanence est de plus inhumaine en ce sens qu'elle nie la perception qui est à la base même de l'humanité et de la conscience; c'est ainsi que Spinoza définissait l'immanence comme l'idée que la vérité de la chose ne réside pas dans la perception mais dans sa place dans le système de l'esprit absolu. Donc, si l'immanence ne remet pas forcément en cause Dieu, elle dénie à ce dernier son unicité en le divisant en de multiples éléments qui sont les éléments constitutifs du monde; ainsi Dieu n'est pas le créateur du monde car il est lui-même le monde. Or, pour le chrétien, Dieu est distinct de sa création. Un autre aspect négatif de l'immanence procède du fait que, suite aux écrits de Blondel, elle s'oppose, certes au fidéisme -ce qui n'est pas forcément négatif-, mais surtout à la foi elle-même car donnant une priorité absolue à la raison; ainsi, il n'y a pas équilibre entre la foi et la raison mais subordination de la foi à la raison puisque, selon Blondel, si Jésus existe, c'est de la raison et d'elle seule que doit émerger la nécessité d'un oui total à la Révélation chrétienne. Négation de la grâce, l'immanence n'est donc pas chrétienne malgré ses aspects séduisants au premier abord. Alors que l'immanence pourrait finalement conduire l'homme à négliger soit sa propre existence, soit celle de la création du fait de l'absence de toute remise en cause de l'équilibre de l'univers, la transcendance impose au contraire à l'homme, certes une certaine maîtrise du monde terrestre, mais surtout un respect de la création, tout irrespect le conduisant inéluctablement à sa perte du fait de sa relation personnelle avec Dieu par l'alliance et par la révélation. La transcendance n'est donc pas la traduction du seulement humain, mais bien plus la réalisation d'une fusion permanente et évocatrice entre l'humain et le sacré, entre l'homme, créature de Dieu, la nature, objet de la création, et Dieu créateur. Alors que l'immanence est par nature statique -ou du moins figée lorsqu'elle se veut dynamique-, la transcendance se veut progrès, mais progrès respectueux de la création; alors que l'immanence implique une création figée, la transcendance implique une création évolutive, l'homme ayant été créé par Dieu pour qu'il continue, pour qu'il peaufine, sa propre création, et c'est pour cela qu'il est dit que Dieu créa l'homme à son image, l'homme étant établi dans un lien personnel à Dieu et chargé d'une double mission de préservation et d'amélioration. On pourrait presque dire que Dieu a joué son existence même en créant l'homme, même si une telle expression est à la limite du dogme; ceci doit en fait être compris comme sublimation du lien de l'homme à Dieu et non pas dans le sens d'une dépendance de Dieu envers l'homme. C'est en cela que les théories contemporaines tendant à concevoir le divin dans un sens uniquement d'immanence sont dangereuses, car permettant tous les excès, la création et Dieu lui-même n'étant qu'énergie et cette énergie étant immuable quelle qu'en soit la forme. Admettre que la relation entre Dieu et l'homme est une relation d'immanence, c'est en fait nier l'homme lui-même, car le réduire au seul sens de point de l'histoire terrestre, alors que Dieu l'en a établi le maître; c'est nier le Christ car privant la révélation de toute signification; c'est nier la nature elle-même, puisqu'elle se trouve ainsi réduite seulement à une forme particulière de l'énergie cosmique universelle, puisque seule cette énergie cosmique universelle compte, quelle qu'elle soit.
Néanmoins, nous ne devons pas oublier que l'immanence chrétienne existe, mais il faut bien la situer au risque de se perdre car elle n'a rien à voir avec le sens contemporain que l'on veut donner à ce mot, alors même que l'immanence chrétienne est contemporaine en son éternité. Je ne parlerai bien sûr pas de l'immanence des trois personnes de la Trinité en elles-mêmes puisque dans la Trinité il n'y a qu'une seule nature, qu'une seule essence, qu'une seule substance, qu'une seule éternité, qu'une seule divinité (4° Concile du Latran, II). Je parlerai par contre de cette immanence que nous connaissons à l'occasion de l'acceptation de chacun des trois sacrements de l'initiation chrétienne ou encore dans celui de la réconciliation : - le baptême est en premier lieu une grâce, une nouvelle création [2 Co 5, 17] faisant du baptisé un fils adoptif aimé de Dieu : le baptême est délivrance des ténèbres. En tant que fils adoptif de Dieu, le baptisé est réconcilié avec Jésus et se doit donc de participer à la vie du Christ et à sa mission. Le baptême est aussi une incorporation, celle de membre du corps unique du Christ qu'est l'Église. Le baptisé est ainsi invité à participer au sacerdoce du Christ. Temple vivant de l'Esprit Saint, le baptisé est d'une certaine manière un nouvel Apôtre. Pierre vivante de l'édifice spirituel qu'est l'Église [1P 2, 5], le baptisé ne s'appartient plus : il appartient désormais, et ce de manière définitive à Jésus mort et ressuscité; il est membre de la communauté de l'Église, donc membre du peuple de Dieu, celui de la nouvelle alliance. Marqué de la nouvelle alliance, le baptisé l'est donc d'une trace indélébile qui fait que le baptême est un sacrement unique, non renouvelé -a contrario par exemple du sacrement de l'Eucharistie qui est mémoire et accès subtil et hors du temps à la vie éternelle-. Après le baptême, le baptisé est définitivement uni au Christ, le péché -né par nature d'une créature- ne pouvant briser cette union même s'il empêche d'accéder -en l'absence de pénitence et de réconciliation- aux fruits du salut. Incorporation définitive, le baptême est le sceau qui marque le chrétien pour le jour de la rédemption, le sceau de la vie éternelle entr'aperçue lors du sacrement de l'Eucharistie. Le baptême est donc une forme de l'immanence chrétienne ; - l'effusion de l'Esprit de la confirmation est enrichissement et fortification de notre foi; cela nous oblige donc à répandre et à défendre la foi, en parole et en action, faisant de nous des témoins vivants du Christ. On peut penser ici au
j'ai péché en pensée, en parole, en action et par omission du Confiteor, la grâce de l'Esprit Saint, unie au sacrement de pénitence et de réconciliation, transformant le mal du péché en bien. L'effusion de l'Esprit nous fait saisir par l'amour de Dieu, dans un don réciproque d'amour : l'amour de Dieu qui nous est offert, mais aussi l'offrande aimante de soi à Dieu auquel on doit s'abandonner : il nous faut, à l'imitation du Psalmiste, goûter et voir comme est bon le Seigneur. L'effusion de l'Esprit est donc expérience de l'amour de Dieu, amour dont le désir vient lui-même de Dieu. L'effusion de l'Esprit est un moment de grâce, un cadeau de l'Esprit Saint; c'est un moment de joie qui donne le désir et la capacité de nous offrir totalement à la vie du Christ par l'Esprit Saint donc au Père. En acceptant la confirmation, nous disons à Dieu "Prends tout ! Prends nous tout !", et ce avec joie et reconnaissance de sa miséricorde. Nous devons donc saisir cette expérience unique de l'amour de Dieu comme un don gratuit qui nous rappelle que Jésus est vivant, ressuscité, présent et agissant dans nos vies. Il faut, pour saisir au maximum -tant est il qu'il soit possible de saisir totalement le mystère divin sur cette terre-, nous abandonner à Dieu, dans un bonheur et une joie indicibles. La confirmation est aussi un signe fort de notre communion avec l'Évêque, l'Église, donc le Christ dont elle est le corps mystique, d'où l'idée renforcée de communauté des croyants, de communion avec ses frères, mais aussi avec tous les hommes, Jésus ayant rouvert l'Alliance à toute l'humanité. La confirmation est donc un temps fondamental et essentiel de la vie du chrétien, mais il est donc fort dommage que beaucoup n'en saisissent pas le sens.... Elle est au sens de ce qui précède elle aussi immanence chrétienne ; - L'Eucharistie, enfin, cette "célébration du célébré", ce don de la vie éternelle, cette insertion plénière dans le corps du Christ est elle aussi immanence. Mystère de la plénitude du Christ, nous devons accepter en esprit et en vérité que le Christ est présent dans l'Eucharistie pour rendre présente sa victoire sur la mort et sur le péché. L'Eucharistie vise à rendre présente et à proclamer la victoire et le triomphe de la mort de Jésus-Christ par la vertu de l'Esprit Saint, et, en ce sens, elle est incorporation de nous-mêmes au corps du Christ, participation à sa vie glorieuse; elle est suspension du temps instantané, mais en des moments isolés et hors du temps nous mettant en contact direct -y compris physique- avec Dieu, et c'est pourquoi nous devons renouveler ce sacrement car il est impossible d'exprimer la totalité du mystère de l'Eucharistie, tout comme il est impossible de vivre sur cette terre marquée par le temps -survivance physique du péché originel- l'éternité vivante et dynamique. Créant une communion entre nous et le Ciel, entre l'Église et le Ciel, l'Eucharistie est le sommet et le centre de la vie de la communauté chrétienne, tous les fidèles se devant d'y participer, offrant à Dieu la victime divine et s'offrant ainsi eux-mêmes avec elle comme membres du corps du Christ. L'Eucharistie est donc bien elle aussi immanence chrétienne....
Cette immanence chrétienne se retrouve enfin dans le sacrement de réconciliation. La réconciliation est en effet un deuxième baptême, non plus dans les eaux, mais dans les larmes. La réconciliation permet de retrouver sa place dans la communauté ecclésiale et la grâce de l'amour du Père. Elle est ainsi le lieu privilégié d'exercice de la miséricorde divine. Comme l'a dit le Frère Jean Legrez o.p. lors d'une conférence prononcée à Marseille le 2 mars 1999 : «
Si un baptisé a commencé à entrer dans le mystère de la miséricorde du Père, il doit comprendre que la réconciliation est un retour vers le Père, qu'il doit, après l'avoir blessé par le péché, faire un retour vers Lui ; mais pensons-nous vraiment au Père lorsque nous nous confessons ? Quelle utilité alors ? La réconciliation ne doit pas être tristesse mais au contraire moyen de demeurer sur un chemin joyeux, celui de la communion, de la communauté par et en l'amour du Père, celui de la joie d'un cœur pardonné tourné vers le père et donc vers tout frère en humanité. » La réconciliation est elle aussi une forme d'immanence chrétienne....
Comment ne pas penser ici à la conversion des samaritains [Ac 8, 4-25] ou encore à l'épisode du baptême de l'eunuque éthiopien qui poursuit son chemin tout joyeux après le baptême [Ac 8, 26-39] ? «
L'accueil de la foi par les Samaritains annonçait une résurrection pour le peuple divisé. Le retour chez lui de cet adorateur du bout du monde, après son baptême par Philippe, annonce l'essaimage des lieux d'adoration par toute la terre. En ces jours décisifs, le Ressuscité se donnera bientôt à rencontrer en tout lieu, par ses messagers. Partout sa vie se donnera à partager aux croyants (...) Le Lieu saint a repris la route pour aller dresser sa tente en toute nation où réside un croyant messianique » (Bossuyt (Ph.) sj,
L'Esprit en Actes, Éd. Lessius, Bruxelles, 1998, coll. Le livre et le rouleau, n° 3, page 46). L'annonce faite par Jésus en [Jn 4, 21] s'accomplit, les deux épisodes cités des Actes des Apôtres étant là pour en témoigner, tout comme l'actuelle diffusion de la Foi le démontre aussi puisque ce sont aujourd'hui près de deux milliards d'hommes, environ le tiers des hommes qui sont touchés par la Bonne Nouvelle. Un long chemin a été parcouru, mais il reste encore du chemin à parcourir, mais par l'exemplarité de la foi, non pas par la persécution ou la contrainte ! Si l'on rajoute à ce total le milliard de musulmans de diverses confessions, ce sont plus de trois milliards d'hommes qui connaissent Jésus Christ, car, -et il ne faut pas l'oublier-, même s'ils se trompent sur la nature de Jésus en niant sa divinité et la Trinité -ce qui est quant même fondamental pour nous chrétiens-, les musulmans reconnaissent que Jésus est le Messie, fils de Marie (le Coran consacre plus de 100 versets à Jésus, sans même parler des très nombreux textes qui lui sont consacrés dans la littéature et la philosophie coranique !!!). N'oublions pas aussi que le Mahatma Gandhi avouait lui-même avoir été guidé dans sa pensée par ... le message des Béatitudes !!! Même Lénine a dit : «
Quelques gouttes de sang de Saint François d'Assise suffiraient à régénérer l'humanité » (quelle vérité dans la bouche d'un ennemi de la religion) !!! La Parole a donc fait du chemin, mais il lui en reste beaucoup à parcourir......
Souvenons-nous donc du sens de la confirmation pour être de vrais témoins de Jésus, mais je le répète, par l'exemple, par notre vie quotidienne, par notre témoignage plein de paix et d'amour, y compris par le martyr, mais en aucun cas par la guerre, par la discorde, par le martyre provoqué, car celui-ci est insulte à Dieu, alors que le martyr vrai (voir Ac 7, 1-60) est une grâce de Dieu à laquelle l'on ne s'attend pas, car le martyr vrai est aussi témoignage et pardon : «
Seigneur, ne leur impute pas ce péché » [Ac 7, 60]. C'est là le sens du martyre de Maximilien Kolbe, de celui d'Édith Stein, .... On peut ici avoir une pensée émue pour le martyr de saint André Dung-Lac et ses compagnons, au Vietnam, en 1839, ou encore pour celui, très récent -1998 !-, de ces 40 séminaristes du Burundi massacrés pour avoir refusé de dénoncer ceux qui, parmi eux, étaient des Hutus, étaient des Tutsis; on peut aussi penser à saint Abo, mort martyr des musulmans en 786 parce qu'il ne voulait pas renier Jésus-Christ.... Et ce ne sont là que des exemples infimes, mais toujours présents, dans la multitude des martyrs pour le Christ.... N'oublions pas qu'ils sont allés au supplice en pardonnant à leurs bourreaux !!! Qui mieux que les martyrs pour le Christ a appliqué pleinement le commandement d'Amour de ce dernier, à la suite d'Étienne, premier martyr, qui devait s'endormir dans la mort en pardonnant et en priant pour ses bourreaux :
Seigneur, ne leur impute pas ce péché ? Je me répète peut-être, mais cela est fondamental. Soyons des témoins, des exemples, soyons des témoignages vivants de la miséricorde divine, des porteurs de réconciliation, pas des exhibitionnistes !
«
Mais l'heure vient -et c'est maintenant- où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l'esprit et la vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c'est dans l'esprit et la vérité qu'ils doivent adorer. » La vérité, c'est la découverte progressive, la recherche de la Parole de Dieu en écoutant cette même Parole. Comme le dit le père André Marchadour, à la source extérieure doit se substituer
la source intérieure à chacun, révélatrice de la vérité intérieure de chaque croyant, débouchant sur un culte intérieur. Il dit encore : «
Ce culte en Esprit et en vérité est celui que chaque croyant habité par l'Esprit rend au Père. Il est intérieur, non pas parce qu'il serait localisé dans la partie la plus intérieure de chacun, mais parce qu'il est l'œuvre de l'Esprit : c'est l'adoration véritable que l'Esprit Saint qui est vérité (c'est-à-dire révélation) suscite en nous, qui provient de sa présence et de sa permanence en nous (...) Une telle naissance d'un culte spirituel s'appuie sur la révélation du mystère de Dieu (...) Désormais Dieu n'est plus relié à une terre (...), mais habite dans le cœur de tout homme, en qui l'Esprit a fait sa demeure. » En recevant cette révélation, la samaritaine a retrouvé son vrai mari, car elle peut comprendre que le vrai culte est inspiré par l'Esprit Saint, par le don que lui fait le Fils et pour la plus grande gloire du Père....
«
...et ils disaient à la femme : "Ce n'est plus sur tes dires que nous croyons; nous l'avons nous-mêmes entendu, et nous savons que c'est vraiment lui le sauveur du monde" » La Révélation est accomplie, l'adhésion au mystère de Jésus -hormis sa Résurrection, mais le temps n'est pas encore venu- est achevée : tous comprennent que Jésus est plus qu'un “Seigneur”, plus qu'un “prophète”, plus même qu'un “Messie” sacerdotal ou royal : il est bien plus que tout cela, même s'il est “Seigneur”. Il est le Messie, LE Sauveur du monde, celui par qui le dessein du Père s'accomplit pour l'éternité, pour notre Salut et pour celui du monde ! On remarquera que les habitants de la ville ne s'adressent pas à Jésus; ils n'ont plus “besoin” de lui pour rendre témoignage car ils ont reçu l'eau vive; c'est par contre au premier témoin, à la samaritaine qu'ils rendent témoignage, à celle qui n'était rien et qui est désormais tout ! Que sont-ils devenus ? Nul ne le sait.... Néanmoins, c'est à Samarie que Philippe annonça avec un grand succès la parole de la Bonne Nouvelle [Ac 8, 4-25]……
Pour conclure, quelques mots sur les versets 25-26, ceux de la Révélation, ceux du
Je le suis. On est ici à un moment décisif qui marque l'avant-dernière étape de la samaritaine vers l'adhésion au mystère du Christ, après avoir professé qu'elle croyait fermement en la venue du Messie. Jésus se révèle définitivement à la samaritaine : il est LE Messie, comme elle commençait à s'en douter au verset précédent. C'est LA Révélation ! La samaritaine vit peut-être en cet instant le premier sacrement de l'initiation chrétienne, celui du baptême, car elle a reçu l'eau vive, source de la vie éternelle. Dans le cadre de la Révélation, Dieu, seul et unique, un et trine, a quelque chose à dire aux hommes. Pour ce faire, il s'est révélé à eux en s'incarnant en Jésus-Christ. Dieu se montrant aux hommes -et s'adressant directement à eux-, la Révélation est donc, dans sa manifestation humaine, vérité vivante et absolue, car divine non pas en essence, mais en principe même. La Révélation est pour le chrétien une vérité absolue, mais surtout et avant tout une vérité vivante.
Jésus se révèle en des termes qui sont proches du témoignage de Jean le baptiste : «
Et voici quel fut le témoignage de Jean, quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : "Qui es-tu ?"Il confessa, il ne nia pas, il confessa : "Je ne suis pas le Christ" -"Qu'es-tu donc ? lui demandèrent-ils. Es-tu Élie ?" Il dit : "Je ne le suis pas" - "Es-tu le prophète ?" Il répondit : "Non" » [Jn 1, 19-21]. Comme le disait Jean le baptiste, Il est, Il arrive : «
Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. C'est de lui que j'ai dit : derrière moi vient un homme qui est passé devant moi parce que avant moi il était » [Jn 1, 29b-30]. Dieu lui même s'était révélé à Moïse dans des termes très proches : quoi de plus beau que le
Je suis celui qui suis [Ex 3, 14]. Dieu, qu'il soit Père, Fils ou Esprit conserve le même langage pour parler aux hommes, pour se révéler.
Le « Je le suis » de Jésus est le même que celui de [Mt 18, 20] : «
Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux. » Jésus s'est révélé, Il est au milieu de nous, la gloire de Dieu est présente, l'Église et le culte ont désormais leur(s) fondement(s) en esprit et en vérité.
Plus que se comprendre, plus que se lire, plus que se commenter, ce passage doit se méditer, par exemple en le confrontant avec Jn 1, 49 !