Peccator a écrit :Voilà les deux axes sur lesquels il me semble fondamental de réfléchir pour bien poser la question du mariage : quelle est la place et le rôle du mariage dans les relations entre le couple et ses contemporains ? Quelle est la place et le rôle du mariage dans les relations entre le couple et les générations précédentes (parents, grands-parents, et au-delà) et les générations suivantes ?
Si on ne se pose pas ces questions, alors en effet, il ne reste que l'histoire d'amour entre deux personnes, et on ne comprend pas où il pourrait bien y avoir un lien entre famille et société.
Mais justement, c'est un peu la question que je vous posais en reprenant à l'interrogative ce pan social du mariage que vous souligniez.
Parce que pour ma part je suis un peu impuissante devant votre double axe : comme je l'ai déjà dit, je pense qu'aujourd'hui beaucoup de gens se marient pour sécuriser leurs enfants. Ils n'ont pas besoin de se marier pour être amoureux, être en couple ou avoir une famille mais le mariage (civil, je ne parlerai pas du mariage religieux qui ne concerne pas tout le monde) semble consolider tout cela, le rendre réel et acté aux yeux de la République.
D'autres personnes se marient certainement pour l'aspect "conte de fée" qui rejoint l'aspect traditionnel : on se marie parce que c'est ce qui se fait quand on forme un couple durable.
Donc, pour reciter ce qui me laissait perplexe :
Peccator a écrit :Par contre, je déplore que la dimension sociale du mariage soit aujourd'hui ignorée, voire condamnée. Un mariage, ca n'a jamais été seulement une relation amoureuse entre deux personnes. Pas même chez Marivaux... aujourd'hui, on tente de nous faire croire que ce n'est que cela. C'est tout le tissu social que l'on a mis en lambeaux.
Pourriez-vous m'expliquer ce que vous voulez dire par cette "dimension sociale" contemporaine ?
Comme le remarquait judicieusement Marie, la pression sociale n'a jamais disparu. Auparavant pas de vie normale possible hors du schéma "mari-femme-enfants" (dans cet ordre) : les filles-mères étaient cachées ou reniées et les personnes des deux sexes célibataires montrées du doigt ou moquées.
Aujourd'hui la pression sociale qui pousse à faire couple est toujours présente, mais au moins plus dans des cadres aussi rigides. Les trentenaires célibataires sont également un peu moqués/plaints, mais ils ne mettent pas pour autant leur réussite personnelle (professionnelle ou autre) de côté à cause de ça. C'est un peu la honte de n'avoir été en couple avec personne quand on arrive en fin de lycée mais ce n'est pas non plus la fin du monde. On peut mentir jusqu'à ce que ça arrive vraiment ou qu'on mûrisse
Si on n'est pas en couple en fait on est soupçonné de défaillance : peut-être qu'on est trop moche, ou trop bête, ou trop gauche, qu'on a des vices cachés, qu'on est nul au lit ou qu'on ne sait pas s'y prendre (donc qu'on est faible) ou qu'on est trop exigeant... Bref, il y a sûrement un truc qui cloche. C'est une forme de performance individuelle, c'est vrai.
Je ne comprends pas vraiment votre deuxième question. Voulez-vous interroger notre rapport actuel au mariage et celui de nos grands-parents ?
Je crois que ce qui change encore une fois c'est la rigidité sociale qui empêche tout déplacement des êtres, toute mobilité. Le fils reprenait l'affaire des parents, la fille était mariée dans l'entourage, les couples de divorçaient pas, les enfants d'agriculteurs ne faisaient pas d'études poussées... Or aujourd'hui, même les enfants d'ouvriers peuvent avoir accès à l'université (même si bien sûr c'est plus compliqué que ça et que de ce côté le constat est très noir), et les couples qui ne s'entendent plus n'ont plus à se subir. L'individualisme qui peut par ailleurs faire des ravages me donne quand même ici une impression d'un plus grand épanouissement.
Jeremy43 a écrit :Dans le mariage on s'engage pour la vie, le devoir est donc bien plus important que toutes les vicissitudes sentimentales que tout le monde a.
Voilà, il est là ce mot : le devoir. Pourquoi diable aurait-on le devoir de se marier ? Pourquoi aurait-on le devoir d'absolument vivre toute sa vie avec la même personne ?
(je parle dans un contexte laïque)
J'ai lu aussi dans ce fil des allusions à la tentation d'aller voir ailleurs et de partir pour ce motif, mais j'ajouterais qu'à mon avis cette tentation est bien plus forte quand on n'a connu qu'une seule personne. On n'a rien pour comparer, on ne peut qu'être curieux pour ce qui pourrait être différent. Et si c'était mieux ? Personnellement je suis contente de ne pas avoir fait l'économies d'histoires bien nazes ; c'est horrible sur le moment, mais sans elles je ne reconnaîtrait certainement pas l'actuelle à sa juste valeur.
Avant les gens ne s'interrogeaient pas trop sur leur propre bonheur, comme le dit Astre. Forcément, quand on bosse 60 heures par semaine (plus pour les paysans) on n'a pas tellement le temps de se retourner contre sa situation.
Notre vie est maintenant juste ce que nous en faisons, il n'y a rien d'autre à respecter qu'autrui (ce qui peut avoir plein de formes, de la plus quotidienne à la plus politique). Nous n'avons pas de comptes à rendre (et je ne dis pas ça dans la perspective libérale "on fait ce qu'on veut on détruit tout"). On remet en cause la vie classique proposée : avoir une famille et un travail de bureau ; mais pourquoi plutôt ne pas faire le tour du monde, aller vivre ailleurs, travailler (comme salarié) le moins possible, avoir d'autres expériences que celle de la famille ? La responsabilité n'est plus dans des préceptes moraux non appropriés ou dans le respect des indications des donneurs d'ordre mais dans l'expérience empirique de la vie et du rapport à l'autre.