Trinité a écrit : ↑dim. 25 juil. 2021, 15:23
Un prêtre belge témoigne:
Par l’Abbé Pierre N., prêtre belge
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J’ai appris à célébrer la “forme extraordinaire” du rite romain. Nommé vicaire de sept paroisses, j’ai évidemment célébré tous les jours la Messe de Paul VI. Néanmoins, je profitais de diverses occasions pour célébrer la “messe tridentine”. Mon cœur tendait vers cette liturgie que je souhaitais faire connaître à mon entourage. Avec le recul, je me rends compte que mes motivations étaient négatives. Je comparais sans cesse “l’ancien” et “le nouveau” rite en approfondissant le premier et en nourrissant une multitude de préjugés sur le second.
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En fait, je regardais la Messe de Paul VI uniquement sous l’angle des abus. Je dois avouer que je l’ai rarement vu célébrée correctement et jamais dans sa forme normative. Avec le recul, je me dis que si tel avait été le cas, je n’aurais sans doute pas eu autant de préjugés.
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J
’ai rencontré, hélas, beaucoup d’orgueil. Que de prêtres et de fidèles de ces groupuscules ont la certitude d’être les dépositaires de la bonne manière de faire au milieu d’une Eglise “gangrénée” par le “modernisme” et le « progressisme”.
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Dans ce milieu aussi, j’ai plus ou moins tout vu et tout entendu, jusqu’à l’écœurement. Sans juger des bonnes intentions de nombreux fidèles, mais en regardant attentivement la situation, je ne peux m’empêcher de constater que ces groupes constituent une Eglise dans l’Eglise. Au fond – et cette appréciation n’engage évidement que moi – le discours de base de ces deux fraternités (Saint Pierre et Saint Pie X) ne varient que très peu, à quelques détails près… C
e qui se dit à voix haute d’un côté est murmuré à l’oreille de l’autre avec cette même assurance que seule ce qu’ils considèrent comme “la Tradition” est la solution à la crise que traverse l’Eglise.
Un prêtre lui a dit que la nouvelle messe était de la viande avariée
Je crois que le danger est d’éclater l’Eglise en une multitude de “chapelles” qui deviennent de véritables “ghetto”, seuls bastions de la “vraie foi” et de la “Tradition”. Les dérives sont nombreuses et effrayantes. Je pourrais citer de nombreux exemples dont j’ai moi-même été le témoin direct. Je me souviens de cette demoiselle, fidèle de la fraternité Saint-Pierre. Obligée de travailler occasionnellement le dimanche, et ne pouvant assister à la “vraie messe” le matin, e
lle faisait le soir plus de cent kilomètres pour assister sans scrupule à une messe basse célébrée dans une église de la fraternité Saint-Pie X, de peur de perdre la foi en allant près de chez elle à une “messe… protestante”. Quand on connaît le statut canonique de ces prêtres de la fraternité Saint-Pie X, on se demande où est le protestantisme…
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Je me souviens d’un jeune dérouté parce qu’un prêtre lui avait dit : “La nouvelle messe est de la viande avariée ou de l’eau croupie. On peut y assister si on n’a rien d’autre, mais si l’eau vive de la Tradition coule à proximité, il n’y a pas d’hésitation possible à avoir afin d’éviter à long terme l’empoisonnement. » Si on suit logiquement ce raisonnement, c’est toute l’Eglise qui a sombré dans l’apostasie.
Face à ces aberrations, le dialogue est quasiment impossible. On est directement accusé d’être un menteur (“On n’a jamais dit ça ”, “Vous exagérez… ”) ou un moderniste. J’ai personnellement attiré l’attention d’une connaissance sur le danger de l’intégrisme et de la radicalisation dans ces “saintes chapelles” : elle est partie…
refusant le dialogue et m’assurant que ce n’était pas vrai. Comme si rectifier, aborder certains sujets, ouvrir les yeux, c’est risquer de perdre la foi, c’est quitter un système sécurisant et un certain milieu social.
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La propagande interne de ces groupes assure que c’est au sein de la “Tradition” que se trouve la relève et qu’on y voit beaucoup de familles. Mais si l’on regarde froidement les chiffres (à l’échelle mondiale et même nationale), on se rend vite compte qu’on est loin du miracle.
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De plus, j’ai pu constater que certains fidèles qui optaient pour ce “milieu” ne le faisaient pas uniquement pour une question liturgique, mais également pour “épouser” certaines idéologies qui s’éloignent fortement de la dimension religieuse.
Ces idéologies sont généralement politiques et frôlent bien souvent l’extrémisme.
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Contrairement à ce que ces groupuscules traditionnalistes font croire, il n’y a pas de rupture entre le passé et le présent, entre le missel de 1962 et celui de 1969. Les textes officiels (Concile, Présentation générale du Missel romain, les textes de S. Jean-Paul II et de Benoît XVI…) insistent précisément sur la continuité de la Tradition de l’Eglise.
A l’analyse, on se rend vite compte que la structure entre les deux missels est évidemment identique et que si certaines prières ont été supprimées lors de la réforme conciliaire, c’est pour éviter les “doublets” et les accumulations parfois tardives de l’histoire. Il n’y a pas une “Messe de toujours” mais une “Eucharistie de toujours” célébrée par un rite qui a inévitablement changé au fil du temps. L
e souhait du dernier Concile était de rendre à ce rite (le rite romain) sa beauté primitive, en mettant davantage en lumière les deux grandes parties de la Messe : la liturgie de la Parole et laliturgie Eucharistique.
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Je pense que le mouvement traditionnel s’est développé en réaction aux abus liturgiques.
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Lors de mes nombreuses conversations avec des fidèles fréquentant des chapelles ou églises “traditionnelles”, j’ai souvent entendu la même réflexion :
“Si la Messe était célébrée correctement dans notre paroisse, on ne ferait pas des kilomètres pour aller à tel endroit…” Dans beaucoup de cas, le déplacement n’est pas motivé par le désir de la “messe tridentine” mais tout simplement par l’attrait d’une célébration où l’on retrouve un certain sens du sacré, malheureusement souvent confondu avec un décorum pompeux, désuet et généralement de mauvais goût.
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Il me semble bon que le fidèle soit confronté à la Parole de Dieu (même les extraits déroutants ) pour ne pas sombrer dans une multitude de dévotions qui éloignent son cœur du sens même de la célébration.
Quand on étudie l’histoire de la liturgie, on constate que la célébration présentée par certains comme “traditionnelle” n’est devenue la norme universelle qu’au courant du XIXe siècle. Dans ses nombreux écrits, Denis Crouan, Docteur en théologie, démontre qu’il ne faut pas confondre la grande Tradition de l’Eglise avec des habitudes et un décor hérité du siècle passé. Il semble acquis que la célébration a varié au cours des âges, étant sauves les parties essentielles de la Messe qui en constituent le fondement. On ne peut pas mettre sur le même plan les prières au bas de l’autel et les prières de la Consécration…
Je pense que la forme “extraordinaire” de la Messe que l’on voit aujourd’hui est “exemplaire” (et n’a dès lors pas existée historiquement) dans le sens où elle n’est choisie que par les prêtres qui la célèbrent et les fidèles qui y assistent.
Dès lors, cette forme est conservée dans un bocal hermétique, ce qui est contraire à la vie même de l’Eglise au cours des siècles.
Affirmer que cette Messe est un rempart contre les abus liturgiques, c’est méconnaître l’histoire qui est remplie d’anecdotes savoureuses sur la façon dont certains prêtres la célébraient autrefois.
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La solution n’est donc pas dans la reproduction d’un passé aujourd’hui désuet :
elle est dans une saine acceptation de la Tradition vivante de l’Eglise, comme l’a développé le dernier Concile.
Avec le temps, je pense que la vie de l’Eglise n’est ni dans le progressisme, ni dans le traditionalisme. L’attitude vraiment fidèle n’est-elle pas de vivre aujourd’hui dans l’Eglise en puisant dans la richesse de sa Tradition pour regarder l’avenir avec confiance ? Dans ce sens, le passé n’est ni à rejeter, ni à absolutiser. Qu’on le veuille ou non, les situations ne sont plus les mêmes qu’il y a cinquante ans Le nier et faire “comme si”, c’est faire preuve d’un aveuglement spirituel. On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu de Concile, comme s’il n’y avait pas eu de réforme liturgique
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On ne peut pas figer la vie de l’Eglise dans les usages d’une époque aujourd’hui révolue. Je connais des prêtres, religieux ou diocésains qui empruntent ce chemin : ils sont fiers de la Tradition de l’Eglise ; ils portent à l’occasion la soutane (qui n’est pas réservée aux prêtres des fraternités) et célèbrent la liturgie selon les véritables règles établies par l’Eglise.
Je pense que les fidèles soucieux de Tradition doivent soutenir ces initiatives afin d’éviter que celle-ci ne soit confisquée par certains groupes qui en travestissent le sens. C’est un chemin exigeant car il ne satisfait ni les “progressistes” qui y voient une forme de “retour en arrière”, ni les “traditionnalistes” qui y voient du modernisme. C’est pourtant, selon moi, la seule attitude vraiment ecclésiale.
La voie facile consiste à tolérer quelques “chapelles tradis” dans un diocèse… et de laisser plus ou moins tout faire ailleurs. “
Il me semble que l’avenir passe par une saine réappropriation de la Tradition par tout prêtre.
Celle-ci n’est pas l’apanage ou “la marque de fabrique” de tel ou tel groupe mais elle est le trésor de toute l’Eglise.
En guise de conclusion, il me semble important que chaque prêtre catholique célèbre la Messe selon les règles actuelles du Missel romain, c’est-à-dire dans la forme ordinaire, en utilisant toutes les possibilités du rite restauré et en refusant le “bricolage liturgique”.
Il importe donc de considérer l’Eglise dans sa
dimension universelle qui, pour être crédible face à nos contemporains, doit affronter les problèmes de ce temps avec
audace et fidélité à l’enseignement du Christ.
Chaque prêtre a le devoir d’œuvrer pour l’unité de l’Eglise. Dans la crise de la foi et de l’autorité que nous vivons, le plus beau témoignage que le prêtre doit donner, c
’est de vouloir ce que veut l’Eglise aujourd’hui, dans l’obéissance et la fidélité.
“Respecter la liturgie lorsqu’elle évolue dans le seul but de traduire la foi et la vie intime de l’Eglise, c’est manifester publiquement tant l’amour que nous portons au Christ que notre docilité à l’enseignement de son Eglise.
C’est aussi favoriser, cultiver et approfondir la vertu d’obéissance par laquelle on a toujours su reconnaître les véritables disciples du Christ.” (Denis Crouan, Tradition et liturgie, Ed. Téqui., 2005)
Abbé Pierre N. , prêtre belge