PaxetBonum a écrit : ↑jeu. 08 juil. 2021, 8:52
L'orientation millénaire des églises vers l'est devenant ainsi caduque.
Sauf que ce n'est pas exactement ce que nous apprend l'Histoire. Non ! Les églises n'ont pas toujours été orientées.
Prenons quelques étapes de l'Histoire de la liturgie, et de l'Histoire de l'architecture qui va avec.
Au temps apostoliques (avant Constantin), les premières
maisons d'Église sont des maisons particulières, ou des pièces dans des maisons particulières. Très pragmatiquement, on choisit pour célébrer la pièce la plus grande et la plus commode pour accueillir l'assemblée, pas forcément celle qui permet de se tourner vers l'Orient. Il est possible (probable serait sans doute excessif) que le célébrant se soit tourné vers l'Orient selon un rituel venu du fond des âges. En revanche, nous ne pouvons absolument rien affirmer de l'attitude et de la position des fidèles, devant, derrière, sur les côtés, ou autour de lui.
A partir de Constatin (313), les premières
basiliques sont construites sur le modèle des édifices civils avec une abside tournée vers l'occident. Ainsi les antiques basiliques chrétiennes sont
occidentées, et non orientées. De même le vénérable
Martyrium, ou
anté-basilique (basilique placée devant), du Saint-Sépulcre à Jérusalem. L'
occidentation d'origine a généralement perduré au fil des reconstructions successives ; c'est notamment le cas de trois des basiliques majeures de Rome : Saint-Pierre du Vatican, Saint-Jean de Latran, et Saint-Paul-hors-les-murs. Excusez du peu !
Dans ces églises, l'autel présente la particularité de se trouver en position avancée dans l'abside ; une expression tardive pour les désigner est que l'on "
peut tourner autour à l'antique". De fait, le célébrant et l'assemblée se font face, de part et d'autre de l'autel, durant la majeure partie de la messe. S'il s'agit d'une cathédrale, l'évêque siège sur sa cathèdre placée au fond de l'abside, d'où il a une vision large et dominante de l'assemblée groupée dans la nef. Ainsi, puisque l'abside est à l'occident, l'évêque ou le prêtre célébrant sont bien, eux, tournés vers l'orient, tandis que l'assemblée fait face à l'occident, du moins pour la plus grande partie de la messe. Pourtant, il n'est pas exclu qu'à certains moments de la messe (mais peut-être pas partout, et pas tout le temps) l'assemblée se tourne elle aussi vers l'orient (pour le rite pénitentiel, semble-t-il).
Passé les premiers temps des églises constantiniennes, les premières églises orientées apparaissent. Dans ce cas, célébrant et assemblée sont ensemble orientés, ensemble tournées vers l'orient. Pourtant la construction d'églises occidentées (et la liturgie qui va avec) ne s'arrête pas pour autant ; elle retrouvera même un regain d'intérêt sous la forme étonnante d'églises à double orientation (il serait plus correct d'écrire : à absides opposées, à la fois orientées et occidentées) en contexte impérial (byzantin ou carolingien) ; c'est le cas d'églises monastiques (Saint-Gall, Hildesheim, et bien d'autres) ou épiscopales (Besançon, Verdun).
Ajoutez à cela des églises centrées, et donc ni orientées ni occidentées, car totalement tournées ... vers le ciel dont la coupole donne un avant-goût. Pas étonnant que ce plan soit celui de la première basilique de la Nativité à Bethléem, et de celle de la Résurrection (l'
Anastasis) à Jérusalem. Il semble que la maigre assemblée présente devait plutôt faire cercle, ou au moins demi-cercle autour de l'autel et du célébrant. Ce plan sera longtemps copié (Aix-la-Chapelle, 9ème s. ; Neuvy-Saint-Sépulcre, 12ème s.)
Pour mémoire, ce plan est aussi celui des baptistères ; dans ce cas toutefois, il ne s'agit pas de célébrations eucharistiques, mais de célébrations baptismales (ce qui nous éloigne de notre propos).
Pendant plusieurs siècles, on a donc en même temps des églises orientées et des églises occidentées, des églises à deux chœurs opposés, et des églises centrées, chacune avec la liturgie qui lui convient ... en théorie du moins, car la pratique a pu connaître des variantes nombreuses, voire contradictoires d'une région ou d'une époque à l'autre.
Au risque de simplifier à l'extrême, on pourrait dire que l'occidentation et sa liturgie
face à face se prêtaient bien à la mission enseignante (
pontifiante) de l'évêque en présence d'une assemblée nombreuse, tandis que l'orientation et sa liturgie
tous ensemble orientés semblaient mieux convenir au monde monastique et à l'absence d'assemblée autre que les clercs.
(Pardonnez-moi si je suis contraint à simplifier à l'extrême ; je ne cherche qu'à montrer ici une tendance de fond, sans entrer dans les détails ou exceptions.)
A l'usage, c'est la pratique liturgique issue du monachisme qui va l'emporter et l'orientation va progressivement s'imposer comme modèle principal pour la construction de nouvelles églises, poussé en cela par l'essor du monachisme, notamment bénédictin, et la volonté centralisatrice et unificatrice de Charlemagne et de saint Benoît d'Aniane (
le "deuxième" saint Benoît). Le basculement est achevé dans le courant du 10ème siècle, à quelques exceptions près (Nevers, 1020-1058).
De fait, la majorité des églises romanes et gothiques (qui, elles, sont parvenues jusqu'à nous à la différence des églises constantiniennes, mérovingiennes, ou carolingiennes, disparues ou remplacées depuis longtemps) sont bel et bien orientées. Il n'y a pas lieu d'insister sur cette évidence ... tellement évidente qu'elle semble la seule éternellement vraie ... ce qu'elle n'est pas, comme j'essaye de le montrer ici.
Le concile de Trente (et les grands et saints évêques qui le mettront en application) va s'avérer beaucoup plus paradoxal qu'il n'y paraît !
D'une part, sa dimension eucharistique va insister sur la convergence de toutes les attentions, celle du célébrant et celle des fidèles, à la fois sur l'autel et sur le tabernacle. Du coup, l'autel ne peut que se retrouver au fond du chœur, à l'extrême bout de l'édifice, ce qu'il n'était pas toujours jusqu'alors (exception notable : le nouveau Saint-Pierre du Vatican, celui de Bramante) et le tabernacle (j'espère pouvoir revenir plus loin sur l'existence et l'emplacement du tabernacle au fil des siècles) ne peut que se retrouver sur l'autel. Le tout surmonté du retable, ultime avant-goût de la vision céleste.
D'autre part, et c'est là le paradoxe (trop peu connu par beaucoup de partisans du traditionalisme), les constructions qui suivront (et elles seront particulièrement nombreuses et imposantes) s'affranchissent de l'orientation, du moins à chaque fois que nécessaire ! Saint Charles Borromée déclare sans ambiguïté que l'orientation des églises est facultative (bonne ! mais facultative !) et qu'il convient, très pragmatiquement, de tenir compte de la parcelle et du terrain, ainsi que des constructions à l'entour (en termes modernes, on dirait : du contexte urbain). Dans les mêmes années, Pie V écrit que l'important est "
que la façade de l'église soit bien orientée par rapport à la ville, son axe principal et sa grande place". En effet qu'à la différence de ce qu'avaient connu les siècles précédents, les églises de cette époque jusqu'à nos jours, sont presque toujours implantées en milieu urbain dense, là où la
tabula rasa n'est guère concevable.
Le concile de Trente s'est donc traduit donc à la fois par une focalisation extrême sur l'autel et le tabernacle, et par l'abandon de l'orientation systématique. Il est donc totalement erroné et vain d'invoquer le concile de Trente et la messe de saint Pie V pour légitimer la prétendue "
orientation millénaire des églises". Quant aux siècles qui l'ont précédé, je vous renvoie à ce que ce que nous apprend réellement l'Histoire de l'Église, celle de la liturgie, et celle de l'architecture (sans oublier l'archéologie).
Enfin, le 19ème siècle, si rigoriste par ailleurs, a peu tenu compte de l'orientation, sauf quand il s'agissait de reconstruire une église neuve sur les restes d'une église plus ancienne. Deux exemples particulièrement caractéristiques de ce choix de la non-orientation : le Sacré-Cœur de Montmartre, tourné vers le nord-ouest afin de présenter sa façade à Paris ; la basilique de l'Immaculée Conception, dite basilique supérieure (la seconde, celle du Rosaire ne faisant que suivre l'exemple) qui est occidentée et non orientée, c'est à dire à l'exact inverse du premier plan proposé par l'architecte. C'est Mgr Laurence qui a exigé qu'elle tourne sa façade, ses portes, et ses escaliers (aujourd'hui ses rampes) pour accueillir les pèlerins, autrement dit vers la ville de Lourdes, sa gare et ses hôtels, ainsi que vers le long et large terrain plat où il comptait créer l'esplanade que nous connaissons.
En résumé,
- la tradition que le célébrant et l'assemblée soit
ensemble tournés vers l'autel est bel et bien issue d'une longue tradition,
- mais cette tradition n'est ni la seule, ni même la plus ancienne !
- la tradition que les églises soient tournées vers l'orient est attestée de longue date,
- mais cette tradition n'est ni la seule, ni la plus ancienne, et elle est loin d'être absolue !
- la tradition que le prêtre soit tourné vers l'orient est ancienne dans l'Église,
- mais il n'est pas certain qu'elle remonte jusqu'aux temps apostoliques,
- elle reprend pourtant une tradition bien antérieure au Christianisme,
- elle a été régulièrement battue en brèche à diverses époques,
- ... et plus particulièrement depuis le concile de Trente !
PS : Notez que l'horrible moderniste que je suis n'emploie jamais l'expression
dos au peuple (aussi réductrice que désobligeante). Je n'emploie pas non plus
ensemble tournés vers l'orient, pour les raisons exposées plus haut. J'emploie le plus souvent l'expression
ensemble tournés vers l'autel. En effet, je crois sincèrement que dans toute eucharistie, et quelle que soit la disposition respective du prêtre et de l'assemblée, tous sont ensemble et unanimement tournés vers le Seigneur, présent dans les Saintes Espèces, vers l'autel de son sacrifice, et vers sa croix.