Kerniou a écrit :Je trouve très bien que chacun puisse choisir la messe qu'il souhaite; mais affirmer qu'il n'y ait qu'une seule forme "correcte" est abusif, tout comme embellir le passé. Les mentalités ont évolué et nous vivons avec notre temps tel qu'il est. Si je préfère la messe en français, je n'ai rien contre la messe en latin; mais je regrette qu'elle soit, dans certains cas, associée à des attitudes sociales regretables. Je vais en rester-là, mon objectif n'est pas de verser dans le réquisitoire.
Merci pour vos réponses.
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Bonjour,
c'est très bien ce que vous écrivez.
La réforme liturgique a été commencée avant le Concile, par Pie XII. Puis complétée par Jean XXIII, et ensuite par le Concile Vatican II, et Paul VI, et Jean-Paul II... et Benoît XVI.
La Constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium sur la sainte liturgie exprime deux choses dans son préambule, qu'il faut lire :
Puisque le saint Concile se propose de faire progresser la vie chrétienne de jour en jour chez les fidèles ; de mieux adapter aux nécessités de notre époque celles des institutions qui sont sujettes à des changements ; de favoriser tout ce qui peut contribuer à l’union de tous ceux qui croient au Christ, et de fortifier tout ce qui concourt à appeler tous les hommes dans le sein de l’Eglise, il estime qu’il lui revient à un titre particulier de veiller aussi à la restauration et au progrès de la liturgie. (1963 S C 1).
S'il s'agissait de « réformer la liturgie » de cette façon, cela supposait que dans l’Eglise chacun soit disposé à suivre les lesdites réformes et à les mettre en oeuvre, parce qu'elle correspondaient (correspondent) à l’intérêt général, dont le Pape, les dicastères romains, avec les Evêques assemblés en Concile étaient (sont) les seuls interprètes autorisés.
Or ceci, cette attitude supposée, est devenu aujourd'hui très problématique. Pas seulement à cause des refus de Mgr Lefebvre. Mais plutôt à cause de cette simple conviction que la liturgie n’a pas à être soumise à l’arbitraire de réformes et qu’il y a un certain nombre de choses qu'on ne peut pas supprimer sans perdre automatiquement la cohérence de la foi catholique. Je vous signale que pendant des années, en France, ceux qui ont affirmé (avec parfois une violence inouïe et des pratiques inadmissibles dont j'ai fait personnellement l'expérience) qu'il n'y avait qu'une seule forme "correcte" liturgiquement parlant, ce sont bien les clercs de l'Eglise catholiques eux-même...
Pour certains (ceux qu'on peut bien appeller des "intégristes" si l'on veut...) le jugement général portait sur l'intention même des réformes entreprises par le Concile. Pour d'autres, le jugement portait plutôt sur les abus commis au nom de ce même Concile - abus qu'il serait tout à fait vain de nier.
Cette "résistance", pour les raisons exposées dans les messages précédents, a été dès les départ incompréhensible à beaucoup de catholiques qui n’y voyaient que de la "désobéissance" - et une désobéissance d'autant plus inadmissible à leurs yeux qu'elle "osait" se réclamer de l'obéissance au Pape et à l'Eglise.
N'en reste pas moins que l'unanimité réclamée, supposée et voulue par le Concile n'était plus une réalité. Comme vous l'écrivez, les temps avaient changé...
Mais en fait pourquoi au juste?
Pour des raisons diverses.
Par exemple le caractère erratique des réformes conciliaire - avec une profusion de de tentatives "ad experimentum", de "permissions", suivies d'autant de "mises au point" et de "rappel à l'ordre".
Dans un tel contexte, c'est la conception même de l'obéissance unanime des fidèles à la loi liturgique qui a été atteinte. Peu à peu se sont dessinées des "tendances", des "sensibilités", des "options", etc.
En ce qui concerne la messe, on en arrive finalement au Motu Proprio Summorum Pontificum, qui affirme qu'en fin de compte la messe du Missel de 1962 « n’a jamais été abrogée ». Mais ce que l'on répété aux fidèles pendant des années, c’était justement le contraire: le nouveau missel avait remplacé l’ancien, l'ancien était donc caduque et le nouveau missel obligatoire...
La signification que l'on doit donner à Summorum Pontificum, ne serait-ce pas tout simplement qu'un rite n’en remplace pas un autre, et que l’autorité compétente en la matière ne peut tout simplement pas en modifier les données selon son bon plaisir. C’est qu’il y a un ordre liturgique qui préexiste, en quelque sorte, aux dispositions purement juridiques et dont il est impossible de nier l'existence - même si l'on peut en orienter l'évolution. Que la "messe en latin" d'avant le Concile ne peut pas avoir été interdite comme par un coup de baguette magique...
Il faudra probablement des années avant que les catholiques retrouvent une attitude qui soit celle de l'obéissance à l'Eglise par rapport à la liturgie. En attendant, l'attachement à la Forme extraordinaire, loin d'exprimer une option idéologique ou de manifester un attachement au passé, n'est sans doute qu'une manière, pour certains fidèles, d'exprimer leur conviction qu'on ne peut pas "fabriquer" une liturgie nouvelle sans tenir compte de l'ancienne, et qu'il est urgent de sortir de l'impasse dans laquelle les abus divers - eux aussi indéniables, ont conduit de trop nombreux catholiques à oublier qu'ils ne sont aucunement "propriétaires" de la liturgie - et que cette dernière n'est pas tributaire de l'"esprit" inventif des délégués du Peuple de Dieu.
En ce qui me concerne, toujours, j'assiste à la messe selon le rite de la Forme ordinaire dans une paroisse diocésaine. J'ai accueilli avec un immense soulagement la possibilité de la célébration selon la Forme extraordinaire du rite romain. D'abord parce que j'y suis attaché, certes, mais aussi parce que cette possibilité représentait une sorte de reconnaissance pour tous ceux qui avaient fini par être lassé (tout comme moi) - par les accusations systématiques et malveillantes concernant leur fidélité et leur obéissance à l'Eglise, au Pape, à leur Evêque et à leur curé. Celui qui n'a pas fait l'expérience de se faire traiter d'"intégriste" tous les jours de sa vie pendant des années, alors qu'il n'a jamais mis les pieds dans un prieuré de la FFSPX ne peut guère comprendre de quoi il s'agit, évidemment...
Que la réforme conciliaire (son « esprit »?), soient des "dogmes" intangibles et des "conquêtes" non négociables pour certains importe peu. Pourquoi pas. En revanche, il est important de discerner quelle fidélité ils revendiquent exactement. Les messages de ce fil l'indiquent très clairement: c’est une fidélité négative. Je n'écris pas cela our juger les personnes - ce n'est pas le but, mais simplement pour indiquer une attitude qui ne me semble pas très juste.
Dans la perspective qui nous occupe ici, et à la lecture des messages, cette fidélité au rite conciliaire se définit en opposition à l’image (locale, partielle, voire caricaturale) qu’on se fait du passé, un passé que l'on a vécu et qui ne reviendra pas. Dans cette fidélité, tout ce qui fait référence à l’'ancien rite" est perçu comme un retour en arrière, comme quelque chose qui est au fond blâmable... illusoire, quand ce n'est pas idéologique.
Il y a des laïcs (et de prêtres, et des évêques aussi) qui n'ont connu que la messe de la réforme conciliaire, qui ont formé leur spiritualité avec le missel de Paul VI, et qui s’étonnent de le voir malmené comme il l’est d’un côté comme de l’autre... pour eux, et pour moi aussi, le "Novus Ordo" n'est certainement pas le commencement absolu d'une "ère nouvelle" après les "ténèbres" d'un "âge de fer". Telle est ma conviction, et celle de ceux qui cherchent à donner à la forme ordinaire du rite de l’Eglise catholique une véritable cohérence, dans la fidélité à la tradition liturgique de l'Eglise. Mais cela suppose aussi l'absence de tout esprit d'exclusive vis-à-vis de la forme extraordinaire de ce même rite. Un rite auquel je tiens beaucoup, que je défendrai toujours et toutes circonstances, non en raison de quelque sentimentalisme ou de quelque option idéologique, mais parce qu'il est tout simplement l'une des formes du rite romain.
Je trouve donc très bien que vous ayez écrit que "chacun puisse choisir la messe qu'il souhaite". Encore faudrait-il que ce soit vraiment le cas partout. Si c'est encore trop demander pour certains catholiques (clercs comme laïcs), autant se préparer à des déchirures lamentables et surtout, plus généralement, des séparations bien plus graves que celles que nous connaissons aujourd'hui.
Amicalement.
Virgile.