Cher Jean-Baptiste,
lorsque l'on parle de "politique", il convient d'abord de relire attentivement le passage l'Apôtre Paul, dans l'Epitre aux Romains, au chapitre XIII.
1- Que toute âme soit soumise aux autorités supérieures; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par lui.
2 - C'est pourquoi celui qui résiste à l'autorité, résiste à l'ordre que Dieu a établi et ceux qui résistent, attireront sur eux-mêmes une condamnation.
3 - Car les magistrats ne sont point à redouter pour les bonnes actions, mais pour les mauvaises. Veux-tu ne pas craindre l'autorité? Fais le bien, et tu auras son approbation;
4- car le prince est pour toi ministre de Dieu pour le bien. Mais si tu fais le mal, crains; car ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée, étant ministre de Dieu pour tirer vengeance de celui qui fait le mal, et le punir.
5 - Il est nécessaire d'être soumis, non seulement par crainte du châtiment, mais aussi par motif de conscience.
6 - C'est aussi pour cette raison que vous payez les impôts; car les magistrats sont des ministres de Dieu, entièrement appliqués à cette fonction. Rendez donc à tous ce qui leur est dû :
7 - à qui l'impôt, l'impôt; à qui le tribut, le tribut; à qui la crainte, la crainte; à qui l'honneur, l'honneur.
8 - Ne soyez en dette avec personne, si ce n'est de l'amour mutuel; car celui qui aime son prochain a accompli la loi.
9 - En effet, ces commandements: "Tu ne commettras point d'adultère; tu ne tueras point; tu ne déroberas point; tu ne diras point de faux témoignage; tu ne convoiteras point, " et ceux qu'on pourrait citer encore, se résument dans cette parole : " Tu aimeras ton prochain comme toi-même. "
10 - L'amour ne fait point de mal au prochain; l'amour est donc la plénitude de la loi.
11 - Cela importe d'autant plus, que vous savez en quel temps nous sommes : c'est l'heure de nous réveiller enfin du sommeil; car maintenant le salut est plus près de nous que lorsque nous avons embrassé la foi.
12 - La nuit est avancée, et le jour approche. Dépouillons-nous donc des œuvres des ténèbres et revêtons les armes de la lumière.
13 - Marchons honnêtement, comme en plein jour, ne nous laissant point aller aux excès de la table et du vin, à la luxure et à l'impudicité, aux querelles et aux jalousies.
14 - Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et ne prenez pas soin de la chair, de manière à en exciter les convoitises.
Sans crainte de guère se tromper, on peut dire que les représentants de l'Etat, tel qu'il existait à l'époque de saint Paul, "ne portaient pas le glaive en vain", et que le pouvoir coercitif qu'ils exerçaient constituait un facteur de modération indispensable, en raison de la cupidité et de l'orgueil présents au coeur de l'homme. C'est, en quelque sorte, ce que reconnaît saint Paul dans l'Epitre aux Romains.
En gros, le discours que l'Eglise catholique a tenu pendant des siècle consistait à dire que l'Etat ne conduirait personne au ciel, mais qu'il pourrait sûrement faire un "petit quelque chose" pour baliser le chemin toujours largement ouvert qui pouvait conduire à l'enfer de l'anarchie sans lui.
Une anarchie dont tout un chacun avait clairement conscience qu'elle faisait ressortir, dès qu'elle se manifestait, tout le potentiel de dépravation qui est en l'homme.
Ainsi, le gouvernement, dont les lois et les sanctions les plus rigoureuses, y compris même le recours à la violence, y compris la peine de mort, étaient indispensables pour assurer la cohésion de la société, pouvait-il exercer un rôle positif dans l'ordre divin, même s'il ne pouvait jamais parfaitement exprimer ou réaliser l'harmonie entre le Ciel et la terre, ni la justice au sens plein du terme.
Ce que nous avons oublié, et c'est la raison pour laquelle la définition que nous donne Christian paraît si dérangeante à certains, c'est que le caractère terriblement "définitif" du jugement dernier, du Ciel et de l'Enfer, était une réalité quotidienne pour la plupart de nos ancêtres, et pas seulement pour les plus pauvres d'entre eux.
Une réalité qui faisait que les disputes sur le pouvoir, les richesses, les honneurs, le confort et le sexe relèvaient pour eux, même lorsqu'ils étaient très puissants et très riches, souvent surtout lorsqu'ils étaient puissants et riches, du domaine des apparences non seulement éphémères, mais futiles.
Les réalités quotidiennes de l'existence exigeaient aussi, bien entendu, de reconnaître le fait que la nature du pouvoir et la façon de l'exercer dans ce monde n'étaient pas vraiment des questions totalement dénuées d'intérêt.
C'est la raison pour laquelle il est apparu très tôt que la politique ne pouvait être soustraite à des jugements moraux, et bien plus, qu'elle devait être considérée comme une partie propre des sciences morales.
La communauté politique existait donc pour le bien commun. Elle trouvait en lui sa pleine justification et sa signification et c'est de lui qu'elle tirait l'origine de son droit propre. Quant au bien commun, il comprennait l'ensemble des conditions de vie sociale qui permettaient aux hommes, aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement et plus facilement. Aussi semblait-il naturel de considérer que l'exercice de l'autorité politique doive toujours se déployer dans les limites de l'ordre moral en vue du bien commun, conformément à un ordre juridique légitimement établi ou à établir...
En clair, même si l'on admettait que le catholique devait avoir une "indifférence" religieuse à l'endroit de la politique, justement parce que le gouvernement des hommes est essentiellement préoccupé par des problèmes de court terme et par l'élimination de difficultés administratives, et non par les choses qui sont de nature à mener les hommes et les femmes au ciel, il n'en restait pas moins que toute pensée politique devait être dominée par un débat plus large portant précisément sur la nature et le destin de l'homme. Et en premier lieu sur sa nature et son destin dans des communautés déterminées et conformément à un ordre juridique établi.
La question de saint Augustin, qu'il est difficile de ne pas se poser aujourd'hui, mais en des termes sans doute un peu différents, est la suivante:
"Si l'on enlève la justice, les royaumes sont-ils autre choses que du brigandage sur une grande échelle?"
(
La cité de Dieu, livre IV, 4).
Force est de constater que depuis un peu plus de deux siècles, dans notre pays et dans d'autres pays aussi, des hommes ont imaginé de formuler cette question d'une nouvelle manière, à l'aide d'une idéologie exclusive de l'idée même de justice telle que l'entendait saint Augustin.
Au "brigandage" dont parlait saint Augustin, avait en effet manqué jusqu'alors une "justification" idéologique exprimée à l'aide d'un corps de doctrine cohérent et applicable en tous temps et en tous lieux. Avec le mouvement concomittant 1) de la concentration du pouvoir entre les mains de quelques uns, inaugurée par les rois de France d'ailleurs et propre aux Etats modernes, et 2) de l'évacuation des ennemis du pouvoir, nécessaire à la survie politique des hommes en place, inaugurée principalement par les révolutionnaires français, apparaît le phénomène inquiétant de la "terreur" comme méthode de gouvernement.
Ce mouvement de concentration politique et d'évacuation des opposants a été théorisé par un français que vous pouvez lire, si vous avez le temps, et que curieusement les Français connaissent peu quoiqu'il ait donné son nom à quelques lycées: ce "grand homme" de la Révolution, ce fut ce Carnot... dont le Ministère de l'Education nationale ne donne jamais les oeuvres à lire aux élèves: quel dommage!
Ce mouvement a ensuite trouvé sa justification intellectuelle dans l'idée de "nécessité politique" telle que définie par le système de pensée hégelien. Et ce que l'on appelle le "terrorisme", même aujourd'hui, n'est pas, comme le pense la plupart des gens, l'agitation marginale de quelques militants originaux et minoritaires passés à "l'action directe", mais le ressort essentiel et central, le moteur d'une nouvelle conception de la politique fondée sur la concentration du pouvoir et l'évacuation des opposants.
Au caractère terriblement "définitif" du jugement dernier, du Ciel et de l'Enfer, on a substitué le caractère terriblement "définitif" de l'évacuation hors de ce monde. La mort a cessé d'être le passage d'un monde à un autre, et elle s'est inscrite désormais uniquement dans ce monde-ci, dans la contingence des réalités, dans l'éphémère du "sens de l'histoire". Elle n'a plus été qu'un simple rouage, rentabilisé comme tel, administré par une machine à répétition (guillotine, chambre à gaz, guerres mondiales, bombes atomiques ou pas, etc.), prenant ainsi la forme diabolique de la "mesure quantifiable".
La "mort de Dieu", c'est exactement cela : ce pari infernal sur le calcul de l'espèce en fonction de considérations idéologiques et opportunistes, et cette absence de toute considération pour la justice véritable, ignorée, bafoué, oubliée, ridiculisée, niée. D'où la politique comme instance qui se place d'elle-même au "delà du bien et du mal", comme expression de "l'idée" qui va dans le "sens de l'histoire".
Et cette régulation mécanique des morts est la véritable brisure politique de notre histoire : cette brisure qui nous mène de la "terreur" du Comité de Salut public (le nom de ce Comité est remarquable) comme forme du gouvernement, à toutes les idéologies politiques fondées sur la discrimination des "coupables" à éliminer. Du camps de la mort à l'extermination des nouveaux-nés, d'Auschwitz aux avortements.
Car la "culture de mort" que dénonce l'Eglise catholique, qui est aussi une culture qui relève du politique, n'a tout de même pas surgit de la brume par miracle. Elle a une histoire aux multiples facettes.
Tout de même, il est bien difficile de soutenir que les diverses communautés politiques qui se sont développés depuis deux-cents ans ont existé pour le bien commun dont parle Vatican II. Il est en revanche assez facile de démontrer qu'elles n'ont trouvé en lui ni leur pleine justification ni leur signification et que ce n'est pas de lui qu'elles ont tiré l'origine de leur droit propre. Quant aux conditions de vie sociale qui permettaient aux hommes, aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement et plus facilement, elles ont parfois été gravemet menacé, elles ont parfois disparu, elles sont toujours en danger...
Dans la plupart des pays, y compris les pays dits "démocratiques", l'exercice de l'autorité politique se déploie-t-elle encore dans les limites de l'ordre moral en vue du bien commun, conformément à un ordre juridique légitimement établi? Tout indique au contraire que l'exercice de l'autorité politique se déploie de plus en plus en dehors des limites de l'ordre moral, en vue d'intérêts particuliers, conformément à l'ordre du fait accompli et de l'arbitraire technocratique.
Et en ce qui me concerne, je préfère croire, aujourd'hui, dans le monde bien réel dans lequel je vis, que sans la justice telle que l'entendait saint Augustin, la puissance politique n'est rien d'autre que du brigandage de terroristes sur une échelle de plus en plus grande et avec des conséquences de plus en plus fatales à l'humanité (une façon comme une autre de concevoir aussi la "mondialisation" que "rien ne pourra arrêter" que nous "proposent" certains de nos hommes politiques...).
Le chrétien est celui qui, loin de se réfugier dans son abri en attendant des jours meilleurs, se tient en plein coeur du "dispositif" pour rappeler, envers et contre tout, que la vie est plus forte que la mort, que sur l'histoire des hommes pèse le jugement de Dieu, et que l'amour ne faisant point de mal au prochain, il est donc la plénitude de la loi.
Le chrétien est celui qui travaille, dans sa vie quotidienne, à la création ou à la re-création des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement et plus facilement. Nul besoin d'être "carté" à un parti, quel qu'il soit, pour effectuer ce travail, bien au contraire.
Maintenant, si certains désirent s'amuser à se demander si l'on peut être catholique et socialiste, ou catholique et bien d'autres choses encore, qu'ils s'amusent donc à se poser cette question à perte de vue et en pure perte.
Amicalement.
Virgile.