Le chrétien et la politique

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Virgile
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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Virgile » ven. 12 juin 2009, 15:40

BJLP a écrit :Le chrétien comme tout le monde fait partie de la société donc ses actes agissent sur cette société donc il fait de la politique. Chaque acte que nous faisons est un acte politique... Ce que j'ai écrit ou ce que nous écrivont , c'est de la politique
Cher BJLP,

ce que vous écrivez est un sophisme bien connu: "celui qui ne fait pas de politique en fait tout autant que celui fait de la politique", ou encore "l'abstention favorise le système en place", ou encore "le silence est une option politique", ou encore "chacun de nos actes est politique", et encore... et encore...

Le problème, c'est qu'il s'agit seulement d'un sophisme. En conséquence, un peu de réflexion suffira à ne pas se laisser enfermer dans votre problèmatique politique.

A vous entendre, il y aurait par exemple "l'acte politique" qui consisterait à tomber sous les coups d'un tortionnaire Khmer rouge et "l'acte politique" qui consisterait à assassiner tranquillement l'ennemi idéologique en tant que tortionnaire khmer rouge, et cela relèverait d'un même ordre. Quelle confusion!
Comme si vous pouviez établir une équivalence entre le fait d'être un engagé volontaire dans la Waffen SS et le fait d'être un "malgré nous" alsacien conscrit de force dans la Wehrmarcht...

Et que cache au juste votre problématique politique, totalement fictionnelle, exprimée au travers de ce sophisme qui remonte à loin et que j'ai entendu des dizaines de fois?
Tout simplement le fait que, dans un pays comme la France, la plupart des gens vont à la même école, lisent à peu près les mêmes journaux ou du moins ont accès aux mêmes informations, lisent les mêmes livres représentatifs de la même culture, prennent les mêmes vacances, se comportent à peu près de la même manière à table, sur la route, à la plage, à l'hôtel, au bureau, dans les débits de tabac, devant la télé, au stade, au bar d'à côté, partout. Alors... il me semble que la politique est depuis très longtemps un domaine totalement asphyxié par le confort et les conformismes.

Votre sophisme veut nous faire tomber dans un piège, cher BJLP, celui de prendre l'affrontement politique pour essentiel à l'avenir du genre humain. La politique que nous vivons aujourd'hui n'est qu'une séquelle tragi-comique d'un passé - pas trop récent, il faut le craindre, où elle n'avait déjà plus de signification véritable et féconde que dans quelques intelligences et quelques recoins de notre vie sociale.

Il me semble qu'il y a deux choses qu'il ne faut jamais oublier.

La première, c'est qu'il est toujours possible de trouver les meilleurs arguments du monde pour étatiser le pétrole, autogérér les banques, nationaliser l'industrie automobile; et de bien meilleurs arguments encore pour se battre pour que la politique la plus favorables aux pauvres et aux démunis l'emporte. Mais affirmer qu'un changement d'institution ou de politique suffisent à rendre plus heureux les hommes est une véritable trahison de l'évangile.

La deuxième, c'est que tous les engagements politiques, à "droite" comme à "gauche", et en particulier les engagements militants, exigent la plupart du temps, à divers degrés, la pratique du dogmatisme doctrinal, de l'intolérance quasi mystique, de l'appel quasi-religieux à l'Etat rédempteur ou à l'absence rédemptrice d'Etat, quant ce n'est pas à la justice immanente et messianique de leaders, qu'ils soient élus à 51% des voix ou autoproclamés à 99,9% des voix, qui aboient en tous cas plus fort que les autres et savent mentir effrontément au peuple sous le prétexte d'assurer son "salut"...

Un chrétien a beaucoup mieux à faire que de fabriquer des munitions idéologiques pour un quelconque combat politique, comme certains ont cru bien faire en bénissant des canons, en annexant la toute-puissance divine sur leur ceinturon ou en imprimant Son nom sur des billets de banques. Alors, décidément non, cher BJLP, le chrétien ne fait pas partie de la société "comme tout le monde", ses actes n'ont pas pour objectif premier "d'agir sur la société", et il ne fait pas de la "politique".

Ne rien préférer à l'amour du Christ relève d'un autre ordre de réalité que le fait d'appartenir à un parti de droite ou à un parti de gauche. Et il est tout à fait possible de ne rien préférer à l'amour du Christ tout en étant pas socialiste, ou pas UPM, ou pas tout ce que vous voudrez.

Apolitiquement.
Virgile.

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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Christian » lun. 15 juin 2009, 0:50

Bonsoir à tous,

J’ai moins le temps de participer aux conversations de ce forum. Le marché est un maître toujours juste, mais il est dur. Comme je n’ai pas trouvé le moyen de satisfaire peu de clients qui me payaient bien, je dois me mettre au service de beaucoup de clients qui me paient peu. Mes loisirs (et ce forum en est un) en souffrent.

Mais puisque je suis intervenu au début de ce fil, je prends quelques minutes en cette fin de dimanche pour y revenir. Virgile, je suis d’accord avec vous. :)
BLJP parle pour ne rien dire. Car affirmer que tout est politique ⎯ fonder une famille, manifester dans la rue, aller à l’église, voter communiste, payer des impôts, acheter son pain ou une auto ⎯ c’est prononcer quatre syllabes sans signification. Si tout est politique, plus rien ne l’est, puisque l’action que l’on voudrait spécifiquement politique ne distingue pas entre adhérer à un parti et sortir avec son petit copain.

Je l’ai écrit sur ce fil sans recevoir de réponse (mais il est habituel sur un forum d’ignorer les objections qui gênent), alors je vais le répéter. La politique a une définition communément acceptée par les dictionnaires : ‘relatif au gouvernement, aux affaires de l’Etat et à leur conduite’. Or le moyen d’action d’un gouvernement, ce qui fait sa spécificité, est la coercition ; l’Etat, selon l’acception classique, est l’entité qui exerce le monopole de la violence légale sur un territoire donné.

Je vais être plus clair. La politique est le processus qui vise à la légalisation du crime dans la société. Les mafias, les bandits, un individu isolé parfois, tuent. Mais si cette mafia ou cet individu revendiquent une Cause quelconque (avec un ‘C’ majuscule), seuls les adversaires parleront encore de crime ; les autres salueront le ‘combattant de la liberté’, le ‘révolutionnaire’, le ‘bras de Dieu’… Et si finalement les bandits prennent le pouvoir, les criminels sortis de prison deviennent ministres et les morts sont statufiés.

Interdisez à vos voisins d’acheter certains produits, exigez qu’ils paient 50% de leurs revenus aux gens que vous indiquerez, qu’ils vous demandent l’autorisation d’inviter chez eux leurs amis étrangers, à la limite, expliquez leur qu’ils doivent vous défendre en toutes circonstances au péril de leur vie, ils vous riront au nez. Sortez un revolver pour témoigner de votre sérieux, ils vous traiteront de criminel.

Mais qualifiez ces mêmes actions de ‘politiques’, instituez-vous comme ‘gouvernement’, et on ne parlera plus de crime, mais de ‘protection douanière’ et ‘homologation de produits’, il s’agira de lever un impôt, d’accorder des visas et permis de séjour, d’effectuer un service militaire…

Par quelle alchimie morale, dites-moi, une action, qui est clairement criminelle lorsqu’effectuée par vous et moi, ne l’est plus lorsqu’elle est le fait de politiciens ?

Un chrétien peut-il participer à cette légalisation du crime ? Surement pas. Poser la question, c’est y répondre. Tout l’enseignement du Christ vise à dénoncer la politique. Ça nous pose quand même question, non ? ‘Les infamies’, que depuis Voltaire on reproche à l’Eglise, découlent essentiellement de ses compromissions avec la politique. Ça aussi, c’est à retenir. Le chrétien a une action sociale, mais comment pourrait-il être socialiste, c’est à dire forcer d’autres qui ne le veulent pas à vivre en socialistes (ou selon n’importe quelle autre idéologie) ? Le chrétien enseigne, il témoigne par sa vie et ses engagements en famille, en Eglise, en association, en syndicat, mais il ne violente personne. A l’exemple du Christ, il ne force personne à vivre comme lui. Le chrétien milite contre la politique.

Bonne semaine
Christian

PS Je n’ai pas autorité évidemment pour décider comment ‘le chrétien’ doit agir. Dans le contexte de ce fil, je me réfère à l’Evangile, à l’essence de l’action politique, et je constate que les deux sont incompatibles. Si l’on peut me démontrer, et Popeye, par exemple, est de ceux qui s’y emploieraient s’il avait le temps, qu’on peut être chrétien sans aimer le Christ, par peur du gendarme, qu’on peut être généreux sans rien vouloir donner, parce qu’on ne peut éviter de payer des impôts, qu’on peut être pur sans discernement, parce que la censure intervient avant vous, alors effectivement les Pharisiens avaient raison. Les autorités musulmanes, de leur côté, ne disent pas autre chose. Seule compterait alors l'observation de la Loi. Mais ce n’est pas ce que j’ai appris au catéchisme.


L'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde
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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Pneumatis » lun. 15 juin 2009, 10:12

Bonjour,
Christian a écrit :Je l’ai écrit sur ce fil sans recevoir de réponse (mais il est habituel sur un forum d’ignorer les objections qui gênent), alors je vais le répéter.
Effectivement votre définition de la politique a le don de déranger. Elle me gêne, mais je crois qu'au fond, ce qu'elle gêne en moi c'est mon attachement au monde. Je crois qu'elle est très nettement au service de l'évangile et que c'est cela qui grattouille.
Christian a écrit :PS Je n’ai pas autorité évidemment pour décider comment ‘le chrétien’ doit agir. Dans le contexte de ce fil, je me réfère à l’Evangile, à l’essence de l’action politique, et je constate que les deux sont incompatibles.
Je me permets alors de prolonger ce que je déduis de votre définition, et pourquoi j'y vois vraiment une vision évangélique de la politique.

- Comme vous l'avez fait remarquer : exercer un pouvoir sur autrui, réduire ses libertés, c'est contraire à l'évangile. Le chrétien ne peut donc au minimum pas être dans le camp de ceux qui gouvernent

- Ne pas être dans le camp de ceux qui gouvernent, de ceux qui gagnent, mais plutôt être de ceux qui luttent pour des petits mieux, pour faire du bien à leurs proches (prochain), sans s'inquiéter plus que ça d'y gâcher leur vie ou d'être désespérément seuls à semer ces minuscules graines, cela est proprement évangélique.

- Ne pas vouloir gouverner, mais vouloir oeuvrer, voilà qui est proprement évangélique : c'est un sens du devoir et non du pouvoir qui est véritablement au service de l'évangile.

Bon voilà, je me fais la leçon à moi-même et vous remercie, Virgile et Christian, d'avoir réveillé en moi cette logique d'une œuvre chrétienne, que BLJP qualifiera certainement de politique, mais qui ne sera jamais sans aucun intérêt pour quiconque s'intéresse à "pouvoir". Puis-je, Seigneur, à chacun de mes engagements, ne m'inquiéter que de mes devoirs.
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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Christian » lun. 15 juin 2009, 11:40

Bonjour Pneumatis

Vous avez parfaitement compris ce que je voulais dire, et je vous en remercie. Vraiment. Votre formule ‘œuvrer, pas gouverner’ cristallise mon propos. Je ne voudrais pas cependant que vous m’attribuiez une auréole que je ne mérite guère.

A bientôt
:)
Christian

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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par jeanbaptiste » lun. 15 juin 2009, 13:02

Je l’ai écrit sur ce fil sans recevoir de réponse (mais il est habituel sur un forum d’ignorer les objections qui gênent), alors je vais le répéter. La politique a une définition communément acceptée par les dictionnaires : ‘relatif au gouvernement, aux affaires de l’Etat et à leur conduite’. Or le moyen d’action d’un gouvernement, ce qui fait sa spécificité, est la coercition ; l’Etat, selon l’acception classique, est l’entité qui exerce le monopole de la violence légale sur un territoire donné.

Je vais être plus clair. La politique est le processus qui vise à la légalisation du crime dans la société.
Bon, je vous propose une autre définition du politique, et citer quelques lignes de l'excellent livre d'Hannah Arendt "Qu'est-ce que la politique ?" aux éditions du Seuil :

«Le préjugé à l'encontre de la politique et ce qu'est réellement aujourd'hui la politique. (...) Derrière les préjugés contre la politique, on trouve aujourd'hui (...) la peur que l'humanité elle-même puisse être balayée du monde à cause de la politique et des moyens dont elle dipose et, étroitement lié à cette peur, l'espoir que l'humanité se rendra à la raison et qu'elle se débarrassera plutôt de la politique que d'elle-même et que grâce à un gouvernement mondial qui résorbe l'État en une machine administrative, les conflits politiques se régleront de façon bureaucratique (...) Mais cet espoir est complètement utopique si l'ont entend par politique, comme c'est souvent le cas, une relation entre dominants et dominés. De ce point de vue, plutôt qu'à une disparition du politique, nous aboutirions à une forme de despotisme encore plus monstrueuse (...) car la domination bureaucratique, la domination à travers l'anonymat de la bureaucratie, n'est pas moins despotique du fait que personne ne l'exerce ; au contraire elle est encore plus effroyable car on ne peut ni parler ni adresser de réclamation à ce «Personne»

«Le point culminant du préjugé le plus courant aujourd'hui à l'encontre de la politique consiste dans la fuite dans l'impuissance, dans le voeu désespéré d'être avant tout débarrassé de la capacité d'agir, alors qu'autrefois ce préjugé et ce privilège ne concernaient qu'une petite clique qui pensait, avec lord Acton, que le pouvoir corrompt et qu'à fortiori posséder le pouvoir absolu est synonyme de corruption absolue.»


Sur les préjugés :

«l'homme qui est esclave des préjugés est au fond toujours assuré d'une influence, tandis que ce qui relève de la pure idiosyncrasie ne s'affirme que très difficilement dans l'espace publico-politique et ne vaut que dans la sphère intime du privé. Le préjugé joue par conséquent un grand rôle dans le domaine purement social (...) Plus un homme est libre de tout préjugé, moins il sera adapté à la vie purement sociale. Mais c'est qu'à l'intérieur de la société nous ne prétendons pas non plus juger, et ce renoncement au jugement, cette substitution des préjugés aux jugements ne devient véritablement dangereuse que l'orsqu'elle s'étend au domaine politique dans lequel, d'une manière générale, nous ne pouvons pas nous mouvoir sans jugement puisque, comme nous le verrons par la suite, la pensée politique est essentiellement fondée sur la faculté de juger (...)»

«La réponse qui place l'homme au centre du souci contemporain et qui prétend devoir le changer et lui porter secours est profondément non politique. Car, au centre de la politique, on trouve toujours le souci pour le monde et non pour l'homme (...) L'espace entre les hommes qui constitue le monde ne peut assurément pas exister sans eux et un monde sans hommes, contrairement à un univers sans hommes, et à une nature sans hommes, serait contradictoire en lui-même. Mais cela ne signifie pas que le monde et les catastrophes qui s'y produisent se laissent réduire à un événement purement humain, et encore moins quelque chose qui arrive à l'homme ou à l'essence des hommes.»

«Le sens de la politique est la liberté.»

«Afin de nous libérer du préjugé selon lequel le miracle serait un phénomène purement et exclusivement religieux qui interrompt le cours terrestre des événements humains ou naturels par un phénomène surnaturel et surhumain, il n'est peut être pas hors de propos de rappeler que le cadre tout entier de l'existence réelle repose sur une sorte de miracle. (...) l'émergence de la terre est déjà quelque chose d'infiniment improbable. Et il n'en va pas autrement en ce qui concerne l'émergence de la vie organique (...) ou de l'émergence de l'espèce homme (...) ces exemples démontrent que chaque fois que quelque chose de nouveau se produit, c'est de façon inattendue (...) chaque nouveau commencement est par sa nature même un miracle. (...) Le miracle de la liberté consiste dans ce pouvoir-commencer, lequel à son tour consiste dans le fait que chaque homme, dans la mesure ou par sa naissance il est arrivé dans un monde qui lui préexistait et qui perdurera après lui, est en lui-même un nouveau commencement

Aristote et l'homme animal politique :

«Il voulait simplement dire qu'il y a une particularité en l'homme qui consiste en ce qu'il peut vivre dans une polis et que l'organisation de cette polis représente la forme la plus haute de la communauté humaine.»

Et enfin du christianisme et d'Augustin :

«Il ne fait aucun doute que dans l'enseignement de Jésus l'idéal de bonté joue le même rôle que l'idéal de sagesse dans la doctrine de Scocrate : Jésus refuse d'être qualifié de bon par ses disciples, tout comme Socrate refuse que ses disciples le tiennent pou sage. Mais il est de l'essence de la bonté de devoir se cacher, de ne pas être autorisée à apparaitre pour ce qu'elle est. Une communauté d'hommes qui estime qu'il faut vraiment régler toutes les affaires humaines en terme de bonté (...) ne peut que se tenir à l'écart de la sphère publique et de sa lumière. Elle doit oeuvrer dans l'ombre puisque le fait d'être vu et entendu produit inévitablement cet éclat et cette apparence dans laquelle toute sainteté se transforme d'emblée en pseudo-sainteté et hypocrisie. Dans le cas de l'éloignement des premiers chrétiens par rapport à la politique, il ne s'agit donc pas en général d'un abandon de la sphère des affaires humaines comme chez les philosophes. Un tel enseignement aurait été en contradiction notoire avec l'enseignement de Jésus et à été très tôt condamné par l'Église. La question était bien plutôt que le message chrétien proposait une forme d'existence dans laquelle les affaires humaines en général devaient être renvoyées de la sphère publique pour revenir à une relation personnelle d'homme à homme. (...) Ce qui a été décisif sur le plan politique, c'est que le christianisme recherchait l'obscurité tout en maintenant la prétention d'entreprendre dans le secret ce qui avait toujours été l'affaire de la sphère publique.»

«ce qui a transformé le caractère du christianisme de manière si consciente et si radicalement antopolitique qu'une sorte de politique chrétienne a pu s'imposer : ce fut l'oeuvre (...) d'un seul homme, Augustin, et cela fut possible grâce à la tradition de pensée romain si extraordinairement vivante en lui encore. (...) Le corps politique accepta également pour la première fois l'idée que la politique serait un moyen en vue d'une fin plus haute (...) la liberté par rapport au politique ne concernait plus exclusivement le petit nombre mais devin au contraire l'affaire de la multitude qui ne devait ni n'avait à se soucier des affaires du gouvernement, tandis que le petit nombre se voyait assigner le fardeau de se soucier de l'ordre politique nécessaire dans les affaires humaines. (...) Augustin exige expressément que la vie des saints se déroule elle aussi dans une «société» et il reconnaît par l'institution d'une Civitas Dei, d'un État divin, que la vie des hommes est également déterminée par des conditions politiques même dans un autre monde, en qu'il laisse ouvert la question de savoir si même dans l'au-delà le politique est encore ou non un fardeau. En tout cas, le motif pour se charger du fardeau de la politique terrestre n'est pas la peur mais l'amour du prochain


Où l'on voit que la définition du politique comme "relatif au gouvernement, aux affaires de l’Etat et à leur conduite" est tyiquement chrétienne, mais que l'idée selon laquelle si la coercition est le mode d'action de l'État alors la politique est la pure et simple légalisation du crime dans la société, est non seulement absurde mais aussi profondément anti-catholique. Je dis catholique car, au fond, le moment ou une partie de la chrétienté a pu se dégager complètement des affaires publiques fut celui de la Réforme.

Avec la Réforme l'idée que le gouvernement est un fardeau s'est maintenu, mais s'y est ajouté l'idée que le chrétien n'avait plus rien à y faire. Seul l'espace social était le lieu du chrétien, pas le politique.

L'Église Catholique rappelait, et continue de rappeler, que le politique, lié dorénavant au gouvernement et devenu lieu spécifique du public (et non tout le public), est certes un fardeau mais un fardeau nécessaire que les catholiques ne doivent pas avoir peur de prendre en main pour l'amour du prochain.

Quoi de plus écoeurant que cette attitude qui consiste à mépriser le politique, au motif qu'il corromprait nécessairement, afin de se protéger et de s'assurer sa petite place au paradis au mépris de celle des autres hommes ? Car un État qui sombre dans la décadence n'est pas le lieu le plus adapté à l'émergence du bien et du désir du bien chez les citoyens. Et des hommes qui ne recherchent pas le bien ne recherchent pas Dieu. Donc oui, les catholiques se doivent de se soucier du politique et de ne pas mépriser l'action de gouverner.

Documents :

Luc 22, 24-27 :

«Il s'éleva aussi entre eux une contestation: lequel d'entre eux pouvait être tenu pour le plus grand? 25 Il leur dit: "Les rois des nations dominent sur eux, et ceux qui exercent le pouvoir sur eux se font appeler Bienfaiteurs. 26 Mais pour vous, il n'en va pas ainsi. Au contraire, que le plus grand parmi vous se comporte comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert. 27 Quel est en effet le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert? N'est-ce pas celui qui est à table? Et moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert! »

Lettre à Diognète :

«(...) Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre l'emporte en perfection sur les lois...
En un mot, ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde.»


Concile Vatican II, Gaudium et Spes n°43 :

«Le Concile exhorte les chrétiens, citoyens de l'une et de l'autre cité, à remplir avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se laissant conduire par l'esprit de l'Evangile. Ils s'éloignent de la vérité ceux qui, sachant que nous n'avons point ici-bas de cité permanente, mais que nous marchons vers la cité future (13) croient pouvoir, pour cela, négliger leurs tâches humaines, sans s'apercevoir que la foi même, compte tenu de la vocation de chacun, leur en fait un devoir plus pressant (14). Mais ils ne se trompent pas moins ceux qui, à l'inverse, croient pouvoir se livrer entièrement à des activités terrestres en agissant comme si elles étaient tout à fait étrangères à leur vie religieuse - celle-ci se limitant alors pour eux à l'exercice du culte et à quelques obligations morales déterminées. Ce divorce entre la foi dont ils se réclament et le comportement quotidien d'un grand nombre est à compter parmi les plus graves erreurs de notre temps. Ce scandale, déjà dans l'Ancien Testament les prophètes le dénonçaient avec véhémence (15) et, dans le Nouveau Testament avec plus de force, Jésus-Christ lui-même le menaçait de graves châtiments (16). Que l'on ne crée donc pas d'opposition artificielle entre les activités professionnelles et sociales d'une part, la vie religieuse d'autre part. En manquant à ses obligations terrestres, le chrétien manque à ses obligations envers le prochain, bien lus, envers Dieu lui-même, et il met en danger son salut éternel. A l'exemple du Christ qui mena la vie d'un artisan, que les chrétiens se réjouissent plutôt de pouvoir mener toutes leurs activités terrestres en unissant dans une synthèse vitale tous les efforts humains, familiaux, professionnels, scientifiques, techniques, avec les valeurs religieuses, sous la souveraine ordonnance desquelles tout se trouve coordonné à la gloire de Dieu.»

ibid. N°74 :

«Individus, familles, groupements divers, tous ceux qui constituent la communauté civile, ont conscience de leur impuissance à réaliser seuls une vie pleinement humaine et perçoivent la nécessité d'une communauté plus vaste à l'intérieur de laquelle tous conjuguent quotidiennement leurs forces en vue d'une réalisation toujours plus parfaite du bien commun (1). C'est pourquoi ils forment une communauté politique selon des types institutionnels variés. Celle-ci existe donc pour le bien commun; elle trouve en lui sa pleine justification et sa signification et c'est de lui qu'elle tire l'origine de son droit propre. Quant au bien commun, il comprend l'ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement et plus facilement (2).

Mais les hommes qui se retrouvent dans la communauté politique sont nombreux, différents, et ils peuvent à bon droit incliner vers des opinions diverses. Aussi, pour empêcher que, chacun opinant dans son sens, la communauté politique ne se disloque, une autorité s'impose qui soit capable d'orienter vers le bien commun les énergies de tous, non d'une manière mécanique ou despotique, mais en agissant avant tout comme une force morale qui prend appui sur la liberté et le sens de la responsabilité.

De toute évidence, la communauté politique et l'autorité publique trouvent donc leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d'un ordre fixé par Dieu, encore que la détermination des régimes politiques, comme la désignation des dirigeants, soient laissées à la libre volonté des citoyens (3).

Il s'ensuit également que l'exercice de l'autorité politique, soit à l'intérieur de la communauté comme telle, soit dans les organismes qui représentent l'Etat, doit toujours se déployer dans les limites de l'ordre moral, en vue du bien commun (mais conçu d'une manière dynamique), conformément à un ordre juridique légitimement établi ou à établir. Alors les citoyens sont en conscience tenus à l'obéissance (4). D'où, assurément, la responsabilité, la dignité et l'importance du rôle de ceux qui gouvernent.

Si l'autorité publique, débordant sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivement requis par le bien commun; mais qu'il leur soit cependant permis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus du pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et la loi évangélique.

Quant aux modalités concrètes par lesquelles une communauté politique se donne sa structure et organise le bon équilibre des pouvoirs publics, elles peuvent être diverses, selon le génie propre de chaque peuple et la marche de l'histoire. Mais elles doivent toujours servir à la formation d'un homme cultive, pacifique, bienveillant à l'égard de tous, pour l'avantage de toute la famille humaine.»


ibid. n°75 :

« Il est pleinement conforme à la nature de l'homme que l'on trouve des structures politico-juridiques qui offrent sans cesse davantage à tous les citoyens, sans aucune discrimination, la possibilité effective de prendre librement et activement part tant à l'établissement des fondements juridiques de la communauté politique qu'à la gestion des affaires publiques, à la détermination du champ d'action et des buts des différents organes, et à l'élection des gouvernants (5). Que tous les citoyens se souviennent donc à la fois du droit et du devoir qu'ils sont d'user de leur libre suffrage, en vue du bien commun. L'Eglise tient en grande considération et estime l'activité de ceux qui se consacrent au bien de la chose publique et en assurent les charges pour le service de tous. (1965 Gaudium et Spes 75)»

Jean-Paul II, Christifideles Laici n°42 :

«La charité qui aime et qui sert la personne ne doit pas se séparer de la justice: l'une et l'autre, chacune à sa manière, exigent la reconnaissance totale et effective des droits de la personne, à laquelle est ordonnée la société avec toutes ses structures et ses institutions(149). Pour une animation chrétienne de l'ordre temporel, dans le sens que nous avons dit, qui est celui de servir la personne et la société, les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la "politique", à savoir à l'action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun. Les Pères du Synode l'ont affirmé à plusieurs reprises: tous et chacun ont le droit et le devoir de participer à la politique; cette participation peut prendre une grande diversité et complémentarité de formes, de niveaux, de tâches et de responsabilités. Les accusations d'arrivisme, d'idolâtrie du pouvoir, d'égoïsme et de corruption, qui bien souvent sont lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante, des partis politiques, comme aussi l'opinion assez répandue que la politique est nécessairement un lieu de danger moral, tout cela ne justifie pas le moins du monde ni le scepticisme ni l'absentéisme des chrétiens pour la chose publique. (1988 Christifideles laici 42)»

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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Pneumatis » lun. 15 juin 2009, 13:49

Bonjour Jean-Baptiste,

Bon je ne peux pas parler pour Christian, donc je vais me contenter de parler pour moi. Ce que j'ai compris du discours de Christian, et avant lui de Virgile, dans ce "mépris" de la politique, ce n'est pas une fuite des responsabilité d'organisation de la société. Désolé d'ailleurs si je me suis mal exprimer en disant "ne pas être dans le camp de ceux qui gouvernent". J'entendais par là, non pas l'organisation mais l'exercice d'un "pouvoir" coercitif.

Il semble que la définition de "politique" dans les discours des uns et des autres ne soit d'ailleurs pas la même, et vous le faites justement remarquer. Bon c'est bête parce que j'avais déjà posé la question de savoir comment on faisait une société anarchique sans toutefois la priver d'une nécessaire administration, ni d'une hiérarchie fonctionnelle. Voir dans le sujet sur la Doctrine Sociale de l'Eglise, à la fin : ma question est d'ailleurs restée sans réponse à ce jour.

Bref, ce que j'ai déduis, à mon compte, du discours de Christian, c'est que le Chrétien ne va bien sur pas fuir l'engagement social : il va oeuvrer y compris dans les tâches d'administration, d'organisation de la vie sociale, ... Ce qui était, me semble-t-il, dénoncé plus haut c'était plutôt l'esprit partisan. Celui qui milite pour imposer sa règle plutôt que d'oeuvrer, fusse comme législateur, juge, ou administrateur. Il n'y a pas de fuite des responsabilités vis-à-vis de la cité, il y a un retrait par rapport à deux choses dont la politique est trop imprégnée :
- la recherche d'un quelconque intérêt personnel dans l'exercice de la fonction sociale
- l'idée que ma volonté (ou la volonté majoritaire selon les formes de "craties") doit être imposée

Voilà, après il est évident que si les définitions du mot "politique" ne sont pas exactement les mêmes d'une personne à l'autre, ... Enfin bref. Je crois que ce que Christian définissait ici comme politique ce qu'elle est actuellement, à savoir l'exercice légitime d'un pouvoir, et non la nécessaire administration de l'entité "groupe" dépassant la somme des "individus".

Sinon là où cette réflexion me conduit encore et toujours, et c'est bête mais c'était le sens de ma question sur l'autre fil de discussion, c'est à me demander : est-il possible de faire disparaitre toute notion de pouvoir (anarchie), pour que ne subsiste, comme intrinsèquement à la notion d'ordre social, que la notion de devoir ? Qu'est-ce qui est intrinsèque à un ordre social, ou encore à la notion de "fonction" pour les éléments qui le composent.

En y réfléchissant rapidement ici, on peut facilement recomposer les éléments nécessaire à la cohérence du groupe :
- Vérité qui ordonne les membres vers une seule fin
- Intelligence et Volonté des membres qui les fait avancer vers cette fin (d'être membres du groupe)

On voit alors que lorsque le premier point fait défaut, il faut en appeler à une forme d'institution dont le travail sera d'éclairer au mieux, de juger au mieux du rapport de ce qui est en cours d'application avec l'idéal recherché. Ca pourrait ressembler à une forme de démocratie, mais où il serait bien entendu que son but est la recherche de la vérité et l'ouverture de l'intelligence des citoyens à cette vérité.

On voit également que lorsque le deuxième élément fait défaut, on arrive pour l'instant à ce que dénonce Christian : la coercition c'est le moment où certains membres imposent leur volonté là où celle des autres ne semble pas s'accorder à la fin recherchée. Il y a alors contrainte : le seul fait de l'envisager est, il me semble, une négation de l'idée de liberté.
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Virgile
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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Virgile » lun. 15 juin 2009, 14:05

Cher Jean-Baptiste,

lorsque l'on parle de "politique", il convient d'abord de relire attentivement le passage l'Apôtre Paul, dans l'Epitre aux Romains, au chapitre XIII.
1- Que toute âme soit soumise aux autorités supérieures; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par lui.
2 - C'est pourquoi celui qui résiste à l'autorité, résiste à l'ordre que Dieu a établi et ceux qui résistent, attireront sur eux-mêmes une condamnation.
3 - Car les magistrats ne sont point à redouter pour les bonnes actions, mais pour les mauvaises. Veux-tu ne pas craindre l'autorité? Fais le bien, et tu auras son approbation;
4- car le prince est pour toi ministre de Dieu pour le bien. Mais si tu fais le mal, crains; car ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée, étant ministre de Dieu pour tirer vengeance de celui qui fait le mal, et le punir.
5 - Il est nécessaire d'être soumis, non seulement par crainte du châtiment, mais aussi par motif de conscience.
6 - C'est aussi pour cette raison que vous payez les impôts; car les magistrats sont des ministres de Dieu, entièrement appliqués à cette fonction. Rendez donc à tous ce qui leur est dû :
7 - à qui l'impôt, l'impôt; à qui le tribut, le tribut; à qui la crainte, la crainte; à qui l'honneur, l'honneur.
8 - Ne soyez en dette avec personne, si ce n'est de l'amour mutuel; car celui qui aime son prochain a accompli la loi.
9 - En effet, ces commandements: "Tu ne commettras point d'adultère; tu ne tueras point; tu ne déroberas point; tu ne diras point de faux témoignage; tu ne convoiteras point, " et ceux qu'on pourrait citer encore, se résument dans cette parole : " Tu aimeras ton prochain comme toi-même. "
10 - L'amour ne fait point de mal au prochain; l'amour est donc la plénitude de la loi.
11 - Cela importe d'autant plus, que vous savez en quel temps nous sommes : c'est l'heure de nous réveiller enfin du sommeil; car maintenant le salut est plus près de nous que lorsque nous avons embrassé la foi.
12 - La nuit est avancée, et le jour approche. Dépouillons-nous donc des œuvres des ténèbres et revêtons les armes de la lumière.
13 - Marchons honnêtement, comme en plein jour, ne nous laissant point aller aux excès de la table et du vin, à la luxure et à l'impudicité, aux querelles et aux jalousies.
14 - Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et ne prenez pas soin de la chair, de manière à en exciter les convoitises.
Sans crainte de guère se tromper, on peut dire que les représentants de l'Etat, tel qu'il existait à l'époque de saint Paul, "ne portaient pas le glaive en vain", et que le pouvoir coercitif qu'ils exerçaient constituait un facteur de modération indispensable, en raison de la cupidité et de l'orgueil présents au coeur de l'homme. C'est, en quelque sorte, ce que reconnaît saint Paul dans l'Epitre aux Romains.
En gros, le discours que l'Eglise catholique a tenu pendant des siècle consistait à dire que l'Etat ne conduirait personne au ciel, mais qu'il pourrait sûrement faire un "petit quelque chose" pour baliser le chemin toujours largement ouvert qui pouvait conduire à l'enfer de l'anarchie sans lui.
Une anarchie dont tout un chacun avait clairement conscience qu'elle faisait ressortir, dès qu'elle se manifestait, tout le potentiel de dépravation qui est en l'homme.
Ainsi, le gouvernement, dont les lois et les sanctions les plus rigoureuses, y compris même le recours à la violence, y compris la peine de mort, étaient indispensables pour assurer la cohésion de la société, pouvait-il exercer un rôle positif dans l'ordre divin, même s'il ne pouvait jamais parfaitement exprimer ou réaliser l'harmonie entre le Ciel et la terre, ni la justice au sens plein du terme.

Ce que nous avons oublié, et c'est la raison pour laquelle la définition que nous donne Christian paraît si dérangeante à certains, c'est que le caractère terriblement "définitif" du jugement dernier, du Ciel et de l'Enfer, était une réalité quotidienne pour la plupart de nos ancêtres, et pas seulement pour les plus pauvres d'entre eux.
Une réalité qui faisait que les disputes sur le pouvoir, les richesses, les honneurs, le confort et le sexe relèvaient pour eux, même lorsqu'ils étaient très puissants et très riches, souvent surtout lorsqu'ils étaient puissants et riches, du domaine des apparences non seulement éphémères, mais futiles.
Les réalités quotidiennes de l'existence exigeaient aussi, bien entendu, de reconnaître le fait que la nature du pouvoir et la façon de l'exercer dans ce monde n'étaient pas vraiment des questions totalement dénuées d'intérêt.
C'est la raison pour laquelle il est apparu très tôt que la politique ne pouvait être soustraite à des jugements moraux, et bien plus, qu'elle devait être considérée comme une partie propre des sciences morales.

La communauté politique existait donc pour le bien commun. Elle trouvait en lui sa pleine justification et sa signification et c'est de lui qu'elle tirait l'origine de son droit propre. Quant au bien commun, il comprennait l'ensemble des conditions de vie sociale qui permettaient aux hommes, aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement et plus facilement. Aussi semblait-il naturel de considérer que l'exercice de l'autorité politique doive toujours se déployer dans les limites de l'ordre moral en vue du bien commun, conformément à un ordre juridique légitimement établi ou à établir...
En clair, même si l'on admettait que le catholique devait avoir une "indifférence" religieuse à l'endroit de la politique, justement parce que le gouvernement des hommes est essentiellement préoccupé par des problèmes de court terme et par l'élimination de difficultés administratives, et non par les choses qui sont de nature à mener les hommes et les femmes au ciel, il n'en restait pas moins que toute pensée politique devait être dominée par un débat plus large portant précisément sur la nature et le destin de l'homme. Et en premier lieu sur sa nature et son destin dans des communautés déterminées et conformément à un ordre juridique établi.

La question de saint Augustin, qu'il est difficile de ne pas se poser aujourd'hui, mais en des termes sans doute un peu différents, est la suivante:
"Si l'on enlève la justice, les royaumes sont-ils autre choses que du brigandage sur une grande échelle?"
(La cité de Dieu, livre IV, 4).
Force est de constater que depuis un peu plus de deux siècles, dans notre pays et dans d'autres pays aussi, des hommes ont imaginé de formuler cette question d'une nouvelle manière, à l'aide d'une idéologie exclusive de l'idée même de justice telle que l'entendait saint Augustin.

Au "brigandage" dont parlait saint Augustin, avait en effet manqué jusqu'alors une "justification" idéologique exprimée à l'aide d'un corps de doctrine cohérent et applicable en tous temps et en tous lieux. Avec le mouvement concomittant 1) de la concentration du pouvoir entre les mains de quelques uns, inaugurée par les rois de France d'ailleurs et propre aux Etats modernes, et 2) de l'évacuation des ennemis du pouvoir, nécessaire à la survie politique des hommes en place, inaugurée principalement par les révolutionnaires français, apparaît le phénomène inquiétant de la "terreur" comme méthode de gouvernement.
Ce mouvement de concentration politique et d'évacuation des opposants a été théorisé par un français que vous pouvez lire, si vous avez le temps, et que curieusement les Français connaissent peu quoiqu'il ait donné son nom à quelques lycées: ce "grand homme" de la Révolution, ce fut ce Carnot... dont le Ministère de l'Education nationale ne donne jamais les oeuvres à lire aux élèves: quel dommage!
Ce mouvement a ensuite trouvé sa justification intellectuelle dans l'idée de "nécessité politique" telle que définie par le système de pensée hégelien. Et ce que l'on appelle le "terrorisme", même aujourd'hui, n'est pas, comme le pense la plupart des gens, l'agitation marginale de quelques militants originaux et minoritaires passés à "l'action directe", mais le ressort essentiel et central, le moteur d'une nouvelle conception de la politique fondée sur la concentration du pouvoir et l'évacuation des opposants.
Au caractère terriblement "définitif" du jugement dernier, du Ciel et de l'Enfer, on a substitué le caractère terriblement "définitif" de l'évacuation hors de ce monde. La mort a cessé d'être le passage d'un monde à un autre, et elle s'est inscrite désormais uniquement dans ce monde-ci, dans la contingence des réalités, dans l'éphémère du "sens de l'histoire". Elle n'a plus été qu'un simple rouage, rentabilisé comme tel, administré par une machine à répétition (guillotine, chambre à gaz, guerres mondiales, bombes atomiques ou pas, etc.), prenant ainsi la forme diabolique de la "mesure quantifiable".

La "mort de Dieu", c'est exactement cela : ce pari infernal sur le calcul de l'espèce en fonction de considérations idéologiques et opportunistes, et cette absence de toute considération pour la justice véritable, ignorée, bafoué, oubliée, ridiculisée, niée. D'où la politique comme instance qui se place d'elle-même au "delà du bien et du mal", comme expression de "l'idée" qui va dans le "sens de l'histoire".
Et cette régulation mécanique des morts est la véritable brisure politique de notre histoire : cette brisure qui nous mène de la "terreur" du Comité de Salut public (le nom de ce Comité est remarquable) comme forme du gouvernement, à toutes les idéologies politiques fondées sur la discrimination des "coupables" à éliminer. Du camps de la mort à l'extermination des nouveaux-nés, d'Auschwitz aux avortements.
Car la "culture de mort" que dénonce l'Eglise catholique, qui est aussi une culture qui relève du politique, n'a tout de même pas surgit de la brume par miracle. Elle a une histoire aux multiples facettes.

Tout de même, il est bien difficile de soutenir que les diverses communautés politiques qui se sont développés depuis deux-cents ans ont existé pour le bien commun dont parle Vatican II. Il est en revanche assez facile de démontrer qu'elles n'ont trouvé en lui ni leur pleine justification ni leur signification et que ce n'est pas de lui qu'elles ont tiré l'origine de leur droit propre. Quant aux conditions de vie sociale qui permettaient aux hommes, aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement et plus facilement, elles ont parfois été gravemet menacé, elles ont parfois disparu, elles sont toujours en danger...

Dans la plupart des pays, y compris les pays dits "démocratiques", l'exercice de l'autorité politique se déploie-t-elle encore dans les limites de l'ordre moral en vue du bien commun, conformément à un ordre juridique légitimement établi? Tout indique au contraire que l'exercice de l'autorité politique se déploie de plus en plus en dehors des limites de l'ordre moral, en vue d'intérêts particuliers, conformément à l'ordre du fait accompli et de l'arbitraire technocratique.

Et en ce qui me concerne, je préfère croire, aujourd'hui, dans le monde bien réel dans lequel je vis, que sans la justice telle que l'entendait saint Augustin, la puissance politique n'est rien d'autre que du brigandage de terroristes sur une échelle de plus en plus grande et avec des conséquences de plus en plus fatales à l'humanité (une façon comme une autre de concevoir aussi la "mondialisation" que "rien ne pourra arrêter" que nous "proposent" certains de nos hommes politiques...).

Le chrétien est celui qui, loin de se réfugier dans son abri en attendant des jours meilleurs, se tient en plein coeur du "dispositif" pour rappeler, envers et contre tout, que la vie est plus forte que la mort, que sur l'histoire des hommes pèse le jugement de Dieu, et que l'amour ne faisant point de mal au prochain, il est donc la plénitude de la loi.
Le chrétien est celui qui travaille, dans sa vie quotidienne, à la création ou à la re-création des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement et plus facilement. Nul besoin d'être "carté" à un parti, quel qu'il soit, pour effectuer ce travail, bien au contraire.

Maintenant, si certains désirent s'amuser à se demander si l'on peut être catholique et socialiste, ou catholique et bien d'autres choses encore, qu'ils s'amusent donc à se poser cette question à perte de vue et en pure perte.

Amicalement.
Virgile.

BJLP
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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par BJLP » lun. 15 juin 2009, 16:55

Parlant pour ne rien dire , je pris mes lecteurs de bien vouloir me pardonner mes propos.
La politique théoricienne ce n'est pas celle qui rempli mon assiette.
On ne vit pas seulement de pains, de vin, mais pour un chrétien ont vit de la parole de Dieu.
Cette parole de Dieu nous demande d'agir la où nous sommes dans la Foi qui est la notre.
Saint Paul écrit qu'il faut obéir à tout autorité humaine, soit mais quand cette autorité est du style Hitler Staline ou semblable le chrétien à le devoir de réagir.
On peut régir et agir sans pour autant être partisan d'un parti mais simplement par le fait qu'on constate des injustices.
Faut se taire face aux actions du libéralisme à outrance que nous supportons actuellement ou un petit groupe d'homme décide du droit au travail par exemple. Comment des hommes qui travaillent et perdent leurs emplois peuvent-ils assurer cette mission que Dieu nous assigne :
Tu travailleras à la sueur de ton front, mais des hommes vont t'empêcher de travailler car il se foutent royalement des petite gens.

Je ne reviens pas sur : chrétien et socialiste car il semble que l'on confonde le partisianisme politique et la direction politique d'un pays.
A vous lire tous dans l'ensemble on croirait que la vie des hommes sur cette terre doit passer après , elle est secondaire.
Je sais les chrétiens sont des citoyens d'un monde qui n'est pas encore acquit. Mais le monde dans lequel nous vivons fait déjà parti du monde que Dieu nous accordera un jour.

Je ne crois pas à la prédestination.
La terre est assez riche pour que le plan de Dieu soit appliqué.
Ce sont les hommes qui rendent la vie difficile , et certains en éprouvent de certaines satisfactions.
Doit-on se taire?, Laissé faire?, Dire c'est comme cela on y peut rien?,

Le monde doit-il être composé de riches, de pauvres de bénévoles chargés d'aider les pauvres , ces dernier étant bien souvent victime des riches.
La richesse n'est pas une tare, un défaut , tout dépend de ce qu'on fait de sa richesse et surtout comment on l'a eu.

Peut-on me dire pourquoi on fait la chasse aux syndicalistes dans les entreprises?
Cela gêne qui ?
Les travailleurs ont-ils le droit de défendre leur dignité leurs droits?
Faut-il accepter sans broncher les licenciements à tour de bras?

Oui vraiment la politique n'est pas belle dans tous les sens humains du terme.

Alors comment nous chrétiens, qui croyons en Dieu, en la parole du Christ, en sa mise en application, doit-on gérer l'humanité voir gérer un état.
Qui choisir parmi les hommes qui ont tous les mêmes défauts?

On sait ce que donne des états religieux.

Tout cela pour ne rien dire et laisser faire, on baisse les bras.
L'Abbé Pierre sont action a été politique
Soeur Emmanuelle son action a été politique
Saint Vincent de Paul son action a été politique
Et beaucoup d'autres chrétiens qui on voulu mettre un peu d'Humanité dans la vie des autres et agir en respectant la parole de Dieu.
Si il y avait un peu plus de solidarité entre les hommes la question politique serait plus simple et évidente de fraternité.

Paroles pour ne rien dire et laissé faire.

Tant que le fric sera le dogme politique pour gérer les états il ne faut pas s'attendre à un mieux vivre ensemble.
Si des hommes et des femmes agissent bénévolement, politiquement, pour un mieux vivre ensemble il faut les suivre à droite ou a gauche.

Tout ce qu'un chrétien fera pour un plus pauvre que lui c'est à Dieu qu'il le fait.

Paroles pour ne rien dire et laissé faire.

L'homme est rempli de bonnes intentions mais a peu de volonté de vouloir changer le monde en mieux.

Je ne suis pas utopique car je sais qu'il y aura toujours des pauvres, des exclus, des riches qui profiterons de la situation et la , il n'y a ni gauche ni droite. Il n'y a que des hommes et des femmes.


Note : certainement hors sujet: les chrétiens qui vont voter UMP pour que l'on travaille le dimanche ce n'est pas politique ça! On préfaire cela , seule une élite poura aller à la messe.

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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Christian » lun. 15 juin 2009, 18:07

Bonsoir à tous,

Les questions soulevées par les uns et les autres sur ce fil sont au fondement de toute vie en société. J’ai abondamment donné mon point de vue. C’était à une époque où j’étais plus libre de mon temps. Les quelques notes ci-dessous sont de simples rappels

Jean-Baptiste, :fleur: comme tout le monde, j’ai lu Arendt. Sa problématique n’est plus la nôtre. Elle réfléchit sur le phénomène totalitaire de son époque et conclut à son succès par la démission des peuples, qui ne lui ont pas opposé la démocratie libérale, si méprisée alors. Son point de départ n’est guère différent de celui de Jean-Paul II, que vous citez aussi. Mais le danger aujourd’hui n’est plus ce totalitarisme. C’est la démocratie elle-même, son pouvoir mou et gluant, et la bureaucratie qu’elle engendre que nous devons redouter. L’analyse d’Arendt n’est alors plus pertinente. La conclusion qu’il faut opposer une forme de pouvoir politique à une autre forme de pouvoir politique est désormais banqueroutière. La vraie question devient : pourquoi diable faut-il du pouvoir politique ?
Quoi de plus écœurant que cette attitude qui consiste à mépriser le politique, au motif qu'il corromprait nécessairement, afin de se protéger et de s'assurer sa petite place au paradis au mépris de celle des autres hommes ? Car un État qui sombre dans la décadence n'est pas le lieu le plus adapté à l'émergence du bien et du désir du bien chez les citoyens.
Je vous laisse l’adjectif ‘écœurant’ et vous renvoie aux interventions précédentes. En long et en large, elles s’étendent sur la coaction des êtres humains hors de la politique, dans la famille, les associations, les entreprises, les syndicats et pour certains, en Eglise. Où est le ‘mépris’ des autres hommes dans ces œuvres ?

Ou bien voulez-vous dire, contre toute vraisemblance, que le seul lieu où l’on ne méprise pas les êtres humains est la politique et qu’on ne peut ‘gagner sa petite place au paradis’ qu’en militant dans un parti ?

Je reprends votre citation de Jean-Paul II, d’un texte que j’ignorais Pour une animation chrétienne de l'ordre temporel [belle formule, qui traduit précisément mon propos] pour une animation chrétienne de l'ordre temporel dans le sens que nous avons dit, qui est celui de servir la personne et la société, les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la "politique", à savoir à l'action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun.

Soit. Au nom de Jean-Paul II, cher Jean-Baptiste, je vous accorde cette participation-là à la politique. Notez la définition très large donnée à ce mot. Mais nous voici revenus à la grande difficulté dans laquelle l’Eglise s’est enferrée depuis St Augustin et dont St Thomas d’Aquin, malgré son immense génie insufflé par l’Esprit, n’a pu l’en tirer. Comment définir le Bien commun ?

Il existe un fil sur le sujet avec d’importantes réflexions de notre ami Christophe. La définition que Christophe donne du Bien commun, si pleine de bons sentiments avec sa métaphore des instruments de musique, ne peut qu’entraîner l’adhésion de principe ; elle ne permet aucune application pratique. Celle qu’il donne ensuite, tirée de Louis Even, succombe au même travers. La métaphore cette fois est celle d’associés discutant de leur Bien commun autour d’une tasse de thé, ce qui est vrai d’un club de bridge ou d’une assemblée d’actionnaires, mais ce rousseauisme ne reflète nullement les conditions de la Cité moderne.

Le Catéchisme est tout aussi impuissant à nous renseigner : Par bien commun, on entend l'ensemble des conditions de la vie sociale qui permettent aux groupes et aux personnes d'atteindre leur perfection. Avec cette définition on a eu, et on a, des catholiques (y compris des prêtres et théologiens) marxistes, fascistes, démocrates, écolos, nationalistes, …. s’invectivant quand ils ne se combattent pas physiquement, chacun affirmant que seule son idéologie est capable de produire les conditions de vie sociale permettant à chacun d’atteindre sa perfection.

Retour inévitable à la case départ. Le Bien commun, tel qu’il n’est pas (encore) défini par les catholiques, est une simple invocation. Donc affirmer que la politique doit lui être subordonnée n’élimine aucun crime de son champ d’application. Le camp de travail obligatoire, la censure la plus brutale, la persécution des hérétiques, homosexuels et autres dissidents, pour ne prendre que ces exemples, peuvent être déclarés parfaitement nécessaires ‘à la perfection du groupe et des personnes’

J’ai écrit sur le fil en question quel contenu pratique pourrait avoir le Bien commun. J’y vois une condition nécessaire à la recherche de la perfection, mais nullement suffisante. Ce Bien cependant serait réellement commun à tous les êtres humains, d’ici et d’ailleurs, chrétiens ou pas. Il permet de concilier les aspirations individuelles et la vie collective. Le Bien commun, c'est le Droit (de propriété de chaque être humain sur son corps et sur ce qu'il acquiert par échange et par don). Je ne vais pas me répéter ici.

Christian


Si les peuples ont les gouvernements qu'ils méritent,
quand mériterons-nous de n'en avoir pas ?
P.J. Toulet

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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par jeanbaptiste » lun. 15 juin 2009, 22:23

Jean-Baptiste, :fleur: comme tout le monde, j’ai lu Arendt. Sa problématique n’est plus la nôtre. Elle réfléchit sur le phénomène totalitaire de son époque et conclut à son succès par la démission des peuples, qui ne lui ont pas opposé la démocratie libérale, si méprisée alors.
Faux. Hannah Arendt n'était pas une démocrate libérale, et pour elle le problème du totalitarisme est un problème à la fois d'absence de pensée, de vie de l'esprit, et d'action. [edit : réponse un peu rapide. Hannah ne croit pas en un régime politique idéal, et encore moins au libéralisme. Quand au problème totalitaire, il est complexe et pas seulement politique. Il est en partie liée à la question de la disparition du public ; de la désolation ; de l'idéologie comme réalisation dans l'histoire d'une logique systématique ; du mépris du politique ; de la disparition de ce qu'elle appelle les garde-fous de la pensée etc.]
C’est la démocratie elle-même, son pouvoir mou et gluant, et la bureaucratie qu’elle engendre que nous devons redouter.
C'est précisément la bureaucratie que dénonce ici, et dans d'autres textes, Hannah Arendt.
L’analyse d’Arendt n’est alors plus pertinente. La conclusion qu’il faut opposer une forme de pouvoir politique à une autre forme de pouvoir politique est désormais banqueroutière. La vraie question devient : pourquoi diable faut-il du pouvoir politique ?
Parce qu'il est inévitable, et que la question n'est pas de savoir pourquoi il faut du politique, mais comment faire en sorte que l'espace du politique soit un espace de liberté dans lequel le soucis premier soit le bien commun.
Je vous laisse l’adjectif ‘écœurant’ et vous renvoie aux interventions précédentes.
Je suis désolé, ce terme ne vous visait pas, ni même les autres intervenants de ce fil. J'ai publié ces éléments sur le rapport entre politique et catholicisme sur mon blog, ma réponse a donc pris un ton plus général et moins circonstancié.
Ou bien voulez-vous dire, contre toute vraisemblance, que le seul lieu où l’on ne méprise pas les êtres humains est la politique et qu’on ne peut ‘gagner sa petite place au paradis’ qu’en militant dans un parti ?
Absolument pas. Mais cette question a ceci d'intéressant qu'elle montre bien que vous lier directement militantisme et politique. Au fond la politique n'est plus que réduite au militantisme. Faire de la politique, agir dans l'espace public ne devient plus qu'un acte militant.

Je ne le pense absolument pas. Tout comme je ne pense pas que la seule réponse à un gouvernement despotique et/ou totalitaire est le mépris du politique. Bien au contraire.

Je vais répondre très très rapidement à Virgile en citant à nouveau Augustin :
"Si l'on enlève la justice, les royaumes sont-ils autre choses que du brigandage sur une grande échelle?"
Oui, tout à fait.

Mais lorsqu'Augustin dit ceci je ne crois qu'il nous dit : «puisque la justice est dégradée dans les royaumes brigands, ne soyons plus justes.»

Or c'est précisément l'erreur que je crois trouver ici (et ceci s'applique aussi à Christian) : parce que vous constater, très lucidement et justement, la dégradation du politique dans nos sociétés, la présence d'un pouvoir gouvernemental injuste etc. vous en concluez qu'il faut en finir avec le politique.

Vous réagissez exactement comme ces hommes qui ont décidés que la religion c'est mal parce qu'il y a eu des dérives de l'Inquisition.

L'essence du politique, comme le rappelle bien Julien Freund, c'est l'action. Vous ne pourrez pas empêcher les hommes d'agir dans l'espace public. Et vous ne me ferez pas croire que l'action dans l'espace public est en soi mauvaisz.

Oui le politique n'est aujourd'hui pas glorieux, non il ne faut pas en finir avec le politique pour une raison aussi absurde.

Autant en finir avec l'humanité qui elle non plus n'est pas toujours glorieuse.

P.S. : politique n'est pas égal à militantisme.

P.S. : Je trouve vraiment insultant de considérer une Hannah Arendt ou un Jean-Paul II "dépassés" sur cette question alors que lorsqu'ils traitent de politique ils n'en parlent pas uniquement qu'au regard du contexte particulier qui est le leur, mais aussi, et surtout, dans son essence. De plus leur contexte est encore en grande partie le notre. Les éléments qui ont rendus possible le totalitarisme sont au fondement de nos sociétés, c'est cela, aussi, qu'il faut voir.

Virgile
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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Virgile » mar. 16 juin 2009, 4:33

jeanbaptiste a écrit :Je vais répondre très très rapidement à Virgile en citant à nouveau Augustin :
"Si l'on enlève la justice, les royaumes sont-ils autre choses que du brigandage sur une grande échelle?"
Oui, tout à fait. Mais lorsqu'Augustin dit ceci je ne crois qu'il nous dit : «puisque la justice est dégradée dans les royaumes brigands, ne soyons plus justes.»
Or c'est précisément l'erreur que je crois trouver ici (et ceci s'applique aussi à Christian) : parce que vous constater, très lucidement et justement, la dégradation du politique dans nos sociétés, la présence d'un pouvoir gouvernemental injuste etc. vous en concluez qu'il faut en finir avec le politique.
Vous réagissez exactement comme ces hommes qui ont décidés que la religion c'est mal parce qu'il y a eu des dérives de l'Inquisition.
L'essence du politique, comme le rappelle bien Julien Freund, c'est l'action. Vous ne pourrez pas empêcher les hommes d'agir dans l'espace public. Et vous ne me ferez pas croire que l'action dans l'espace public est en soi mauvaise.
Cher Jean-Baptiste,

pour répondre à votre message sur le point précis de l'action en vue du "bien commun" dans un "espace public", je voudrais d'abord rappeler que lorsque vous utilisez le concept de "bien commun" sur un forum comme le forum catholique, vous parlez d'une chose somme toute assez précise. D'autant que ce "bien commun" dont vous parlez est avant tout un concept chrétien.
En somme, le droit, celui que pose les gouvernants, et il s'agit donc ici du droit positif humain, n'a de légitimité qu'à la condition d'avoir un but correspondant à ce que l’Eglise catholique considère être un "bien commun".
Le droit positif humain est une nécessité parce que l'homme est un être sociable, c'est-à-dire un être qui vit en société et qui a donc besoin de respecter un certain ordre social.
Cet ordre social est évidemment un ordre relevant du politique, puisque les humains civilisés vivent dans des cités. Mais il n'a de validité, il n'est "régulier" ou encore "légal" que parce qu'il est accepté par tous, ce qu'exprime la forme du "consensus" politique. Et il n'a de légitimité que parce qu'il a en vue le "bien commun".
En conséquence, le droit humain, le droit positif humain, ne peut être légitime que s'il est conforme au droit naturel. Hors le droit naturel voulu par Dieu est une fraction du droit divin dont l'expression accessible à l'homme est lisible dans les Ecritures saintes.
Nous sommes donc renvoyés, en ce qui concerne le "bien commun", au Ecritures en premier lieu et, par conséquent aussi, à la doctrine sociale de l'Eglise en deuxième lieu.

Pour dire les choses autrement, le bien commun est la valeur objective qui mobilise la tendance socialisante de l'homme et est à l'origine de la société. Le bien commun a les caractères suivants : 1) il est désiré et voulu par le grand nombre ; 2) il peut seulement être obtenu par l'action conjointe du grand nombre, c'est à dire par une action sociale ; 3) c'est enfin un bien qui contente le grand nombre ; 4) il est obtenu par l'action légitime parce qu'effectué dans le cadre d'un droit lui aussi légitime.

Curieusement, il n'existe par ailleurs, à ma connaissance, et en tout cas en France, aucun parti politique se réclamant exclusivement de la doctrine sociale de l’Eglise et disposant actuellement des députés dans l'hémicycle...

La raison en est que ce qui fausse complètement la perspective par rapport au débat sur "la politique au service du bien commun", c'est que ce concept a été laïcisé par la République française sous un autre nom, celui "d'intérêt général". Il faut donc absolument parler de l'intérêt général tel qu'il est conçu par la République française pour pouvoir parler de ce que l’on entend aujourd'hui par la "politique".

En effet, l'action politique, dans un pays comme la France, ne peut se concevoir que dans le cadre d'un "espace public" défini, hors duquel elle perd, aux yeux du régime en place, non pas seulement toute forme de légalité mais aussi toute forme de légitimité.

En France, le concept d'intérêt général a été défini de façon précise par le Conseil d'Etat.

Pour la République française, l'intérêt général se situe au coeur de la pensée politique et juridique en tant que finalité ultime de l'action publique. La conception de l'intérêt général dans notre pays est une conception d'essence volontariste, qui exige le dépassement des intérêts particuliers et doit être d'abord l'expression de la volonté générale. Cette conception confère à l'Etat la mission de poursuivre des fins qui s'imposent à l'ensemble des individus, par delà leurs intérêts particuliers.

Dans notre pays toujours, il revient à la loi, expression de la volonté générale, de définir l'intérêt général au nom duquel les services de l'Etat, sous le contrôle du juge, édictent les normes réglementaires, prennent les décisions individuelles et gèrent les services publics.

L'idée d'intérêt général se trouve non seulement à la base des grandes constructions jurisprudentielles publiques, mais au fondement de constructions législatives spécifiques, qui confirment l'attribution, au profit de l'administration, d'importantes prérogatives de puissance publique. Les grandes notions clés du droit public, que sont le service public, le domaine public, l'ouvrage public et le travail public ont ce point commun qu'elles ne peuvent être définies que par référence à la notion première de l'intérêt général.

S'inscrivant clairement dans la conception volontariste de l'intérêt général, la démarche du législateur devra donc reflèter sa volonté de se réapproprier la définition de l'intérêt général, laquelle, selon la théorie de Rousseau relève bien de sa compétence propre. En disant ce qu'est l’intérêt général, le législateur se fait dépositaire de cet intérêt et revendique pour lui-même ce retour aux sources de la légitimité démocratique.

Toutefois la notion d'intérêt général n'est pas seulement à la base de ces grandes notions de droit public qui confèrent à l'autorité publique des prérogatives exorbitantes du droit commun. La découverte par le juge d’une finalité d'intérêt général peut aussi justifier, sous certaines conditions, qu'il soit dérogé à certains principes fondamentaux. C'est précisément à la conciliation entre le respect de ces principes et la finalité de l'intérêt général que doit procéder le juge.

L'une des fonctions les plus importantes de la notion d'intérêt général dans la jurisprudence administrative est donc de limiter, au nom des finalités supérieures qu'elle représente, l'exercice de certains droits et libertés individuelles, au nombre desquels on peut ranger notamment le droit de propriété et la liberté d’entreprendre, ainsi que certains principes fondamentaux, tels celui d'égalité et celui de sécurité juridique.

Il faut rappeler que cette conception est celle d'un positivisme juridique qui ne reconnaît pas d'autre source du droit que la loi positive et qui fait de la société politique ou de l'Etat l'unique source originelle du droit. Et en effet, l'action politique, dans un pays comme la France, n'est légale et même légitime que dans le cadre de cet "espace politique" défini par un positivisme juridique, hors duquel elle perd, aux yeux du régime en place, non seulement toute forme de légalité mais aussi toute forme de légitimité.

Pour "faire de la politique", il faudra donc commencer par admettre, en principe, le fait que la société politique n'est pas une société naturelle qui répond à la nature de l'homme et est exigée par lui, mais une société conventionnelle, née institutionnellement et historiquement d'un contrat social. Il faudra adhérer aussi aux "valeurs" de la République...
jeanbaptiste a écrit :Oui le politique n'est aujourd'hui pas glorieux, non il ne faut pas en finir avec le politique pour une raison aussi absurde. Autant en finir avec l'humanité qui elle non plus n'est pas toujours glorieuse.
Le problème n'est pas que le politique ne soit pas "glorieux", mais tout simplement qu'il soit inexistant. Et que la parole politique soit systématiquement confisquée par l'Etat.
jeanbaptiste a écrit :P.S. : politique n'est pas égal à militantisme.
Ah bon?
En France, le seul acte souverain qu'exerce directement le peuple souverain est l'élection au suffrage universel. Les partis politiques sont d'une absolue nécessité dans notre système politique parcequ'ils sont les moyen nécessaire par lequel le peuple souverain réalise, de façon directe et médiate l'action du gouvernement qu'il lui appartient de faire, puisqu'il est le sujet permanent du pouvoir souverain.
Autrement dit, les partis sont le moyen indispensable à la formation de la volonté politique et des mécanisme nécessaires de la vie politique.
En France, la vie politique se limite au militantisme politique dans le cadre d'un parti politique. Et cela jusque dans les corps intermédiaires, à l'exception des associations, entre autres, qui ne sont que "contrôlées" par l'Etat...
jeanbaptiste a écrit :P.S. : Je trouve vraiment insultant de considérer une Hannah Arendt ou un Jean-Paul II "dépassés" sur cette question alors que lorsqu'ils traitent de politique ils n'en parlent pas uniquement qu'au regard du contexte particulier qui est le leur, mais aussi, et surtout, dans son essence. De plus leur contexte est encore en grande partie le notre. Les éléments qui ont rendus possible le totalitarisme sont au fondement de nos sociétés, c'est cela, aussi, qu'il faut voir.
Les éléments qui ont rendus possible et rendent toujours probable le totalitarisme sont au fondement de nos sociétés. C'est cela qu'il faut dénoncer. Cela s'appelle faire de la politique, de la vraie. Et ne pas se contenter de participer à un système obligatoire d'action politique et de pensée unique dont le "bien commun" en partie réalisé, est désormais sous nos yeux en permanence.

Amicalement.
Virgile.

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Le chrétien et la politique

Message non lu par jeanbaptiste » mar. 16 juin 2009, 10:35

Les éléments qui ont rendus possible et rendent toujours probable le totalitarisme sont au fondement de nos sociétés. C'est cela qu'il faut dénoncer. Cela s'appelle faire de la politique, de la vraie.
Oui. Mais alors nous sommes d'accord, vous ne voulez pas en finir avec le politique.

Tout ce que je cherchais à dire dans mes propos c'est que l'on ne peut pas décider d'en finir définitivement avec le politique sous prétexte que la politique française, européenne et mondiale est inacceptable pour tout chrétien.

Lorsque j'écris que politique n'est pas égal à militantisme, vous me répondez "Ah bon ? En France...". Mais je ne parle pas de la France, je parle du politique !

Je partage tout à fait votre opinion sur l'intérêt général, sur la notion de contrat social. Mais là n'était pas mon propos. Je le répète : je ne cherchais qu'à défendre le politique, comme constituante de notre nature (l'homme est un zoon politikon), contre les amalgames, pas la politique française.

Notre désaccord n'est que verbal.

Quand à Christian, je cherchais également à défendre la notion de pouvoir, de souverain, contre le même type d'amalgames. Je croyais lire, mais sans doute me suis-je trompé, chez Christian que le pouvoir politique, en tant que pouvoir gouvernemental, était en soi criminel (justification de la violence etc.), ce qui me semble infiniment douteux. Quelque soit l'avis que l'on porte sur le gouvernement actuel qui, par définition, en légalisant l'avortement a légalisé un crime au nom de ce même "intérêt général" fondé sur la moyenne des intérêts particuliers (quelle absurdité !).

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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Pneumatis » mar. 16 juin 2009, 10:43

Ouah, là ça dépasse mes capacités. Je crois que je suis d'accord avec Virgile. Et en même temps ça ne veut pas dire grand chose, car d'un autre côté je pourrai tout autant être d'accord avec Jean-Baptiste. J'ai vraiment l'impression que le problème vient de la définition de ce de quoi on parle.

J'ai l'impression que Virgile parle de la politique appliquée alors que Jean-Baptiste parle de la politique fondamentale. Et le constat semble être que ce que nous définirions comme possible dans une analyse politique fondamentale est dans la réalité inapplicable. Non pas que ce soit moins possible à "être" dans l'absolu, mais il semble que cela soit impossible à "advenir" dans les faits. D'un autre côté je ne sais pas si il faut absolument se limiter à réfléchir sur la base de l'appliqué. Sauf que parler de ce qu'est la politique sans regarder comment faire de la politique, c'est un peu stérile aussi, du moins c'est ce qu'en dirait Virgile si j'ai bien compris.

Bref, tout ça me dépasse totalement. Je vais vous laisser poursuivre cet excellent débat, je voulais juste témoigner de ce que ça fait germer chez quelqu'un de très naïf et très influençable. Donc là j'en suis toujours à me sentir plutôt bien dans ce qui semble être en apparence un divorce mais n'en est pas vraiment un : d'un côté théoriser, dans un discours fondamentalement politique, sur l'idéal social à rechercher et les mécanismes optimum de l'organisation sociale d'un côté, et de l'autre côté, dans la pratique, indépendamment là de toute considération politique, oeuvrer, aimer son prochain, sans chercher à aimer de droite ou aimer de gauche.

Voilà, après je voudrais savoir, sur le côté théorique justement : Jean-Baptiste, pourriez-vous approfondir votre idée que le pouvoir politique est inévitable ? C'était le sens de ma question dans le fil de discussion sur la doctrine sociale de l'Eglise... L'anarchie, au sens d'une société d'où tout pouvoir politique serait absent et où n'existerait que les droits et les devoirs, est-elle vraiment impossible ? Je n'entends pas dans l'état actuel des choses, mais dans l'absolu. Est-ce une utopie cohérente avec ce que l'on sait de la nature humaine, de ses chutes et de sa finalité ? Est-ce une utopie cohérente avec la foi chrétienne ? Ou au contraire est-ce, comme vous le laissez entendre, fondamentalement impossible ?
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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Virgile » mar. 16 juin 2009, 11:27

Cher Jean-Baptiste,
jeanbaptiste a écrit :Oui. Mais alors nous sommes d'accord, vous ne voulez pas en finir avec le politique.
Certes non! Ce serait d'ailleurs contraire à ce que demande l'Eglise catholique, comme vous le soulignez vous-même.
Notre désaccord n'est effectivement que verbal.
Ce que je voulais simplement souligner, en prenant l'exemple précis de la France, c'est le fait que toutes les idéologies, et même les idéologies qui semblent aussi "normales" que peut l'être pour beaucoup l'idéologie républicaine française, ont une tendance "naturelle" à en "finir" avec le politique.
Et il est remarquable que l'Eglise soit aujourd'hui l'une des rares institutions (la seule?) à proposer non pas une une doctrine politique mais une doctrine sociale qui ne soit ni une idéologie ni d'ailleurs une simple théorie politique générale.
Je suis certain que sur ce point, en examinant bien ce qu'est la doctrine sociale de l'Eglise et avec un peu d'effort de part et d'autre, même des personnes en apparence aussi éloignées que moi-même et BJLP devraient arriver à tomber en accord, pour prendre cet exemple-là.

Quand à la question posée par Pneumatis, il s'agit-là d'une question très intéressante mais qui n'a qu'un rapport très indirect avec la question du fil. Mais il faudrait sans doute en ouvrir un autre.

Amicalement.
Virgile.

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Re: Peut-on être catholique et socialiste ?

Message non lu par Christian » mar. 16 juin 2009, 11:30

Bonjour jeanbaptiste
Hannah Arendt n'était pas une démocrate libérale
Arendt est plus républicaine que démocrate, c’est vrai, elle recommandait même la désobéissance civile des minorités contre certaines décisions de la majorité. Mais le pouvoir est la passion la plus nocive des êtres humains. Répubicaine ou pas, tant qu’il existera une institution où ceux qui éprouvent intensément cette passion pourront s’y livrer sans honte et impunément, nous serons tous en danger.
C'est précisément la bureaucratie que dénonce ici, et dans d'autres textes, Hannah Arendt.
Illusoire, car on ne peut pas imaginer d’institution politique à l’échelle d’un grand pays sans bureaucratie, et les fonctionnaires, aimant leur métier, persuadés d’agir pour le bien, élargiront constamment leur champ d’action. Pour eux, naturellement, il y aura toujours besoin de plus d’assistanat, plus d’impôts, plus de régulations, plus de contrôles.
la question n'est pas de savoir pourquoi il faut du politique, mais comment faire en sorte que l'espace du politique soit un espace de liberté
Les coactions des êtres humains, fondées sur le Droit, sont l’expression de leur liberté. L’appel à la politique manifeste qu’on veut limiter ces coactions, et donc la liberté des acteurs. Vouloir que l’espace du politique soit un espace de liberté, c’est vouloir des boules de neige frites.

C’est d’ailleurs bien à ça que sert la politique, limiter la liberté. Si Pierre écrit un bouquin ‘révisionniste’ que Paul veut lire ; si Pierre veut se lier avec Paul par un contrat qu’ils appellent ‘mariage’ ; si Pierre veut fumer un joint ; si Paul veut employer Pierre, qui l’accepte, à un salaire de balayeur chinois, ou lui donner des dizaines de millions de bonus ; si Pierre est d’accord de vendre son rein à Paul ; si Pierre et Paul veulent acheter leur lait auprès de fermiers étrangers, qui le vendent moins cher que ceux d’ici, la bonne santé d’une société civile se mesure au débat que ses membres vont engager entre eux, et avec Pierre et Paul, au sujet d’actions qui questionnent certaines valeurs présentes dans cette société. Mais personne n’a autorité à interdire ces actions. Sauf si le débat glisse au plan politique. Car alors il ne s’agira plus de débattre, de confronter des idées, de questionner des valeurs, il s’agira de permettre ou d’interdire, d’envoyer des gendarmes ou de laisser en paix.

Voilà l’essence de la politique. A l’horizon de chaque débat politique, il y a l’ombre du policier. Si elle n'y est pas, on ne parle pas politique, on discute de philosophie. Si l’on n’est pas conscient de cette différence entre la politique et toutes les autres actions humaines, on s’interdit de comprendre quoi que ce soit au fonctionnement des sociétés.

Les policiers sont des gens fort utiles. Leur fonction est de protéger chacun de nous contre une agression physique. Cette agression est absente de tous les exemples que j’ai cités. Pierre et Paul sont consentants, ils n’agressent personne. Pourtant les policiers se saisiront d’eux, aujourd’hui, en France, s’ils font certains actes qu’ils ont envie de faire.

Critiquer, oui, absolument ; voilà l’agora.
Interdire, c’est à dire, paresseusement, demander au gouvernement d’interdire, c’est à dire, de mettre fin au débat, voilà la politique.

(je ne fais pas de distinction entre ‘le’ et ‘la’ politique ; si elle existe, vous m’expliquerez en quoi elle consiste)
parce que vous constater, très lucidement et justement, la dégradation du politique dans nos sociétés, la présence d'un pouvoir gouvernemental injuste etc. vous en concluez qu'il faut en finir avec le politique.
Non. Il n’y pas de dégradation du politique dans nos sociétés. Le politique est très vivant, il fait ce qu’il doit faire. Il règlemente, emprisonne, interdit, monopolise avec une santé éclatante.
je ne pense pas que la seule réponse à un gouvernement despotique et/ou totalitaire est le mépris du politique.
Il ne s’agit pas de ‘mépriser’ le politique. Il est bien trop dangereux pour qu’on se contente de le mépriser. Il s’agit de l'éradiquer.
L'essence du politique, comme le rappelle bien Julien Freund, c'est l'action. Vous ne pourrez pas empêcher les hommes d'agir dans l'espace public. Et vous ne me ferez pas croire que l'action dans l'espace public est en soi mauvaisz.
Dire que toute action est politique, c’est tomber dans le parler-pour-ne-rien-dire, que je reprochais à notre ami BLJP. Et le concept d’espace public n’a pas bcp de sens non plus. Voulez-vous parler de l’administration de la Place de la Concorde ? Bien sûr que les êtres humains agissent. Je vis en société, et pas sur une île déserte, pour bénéficier de la fantastique créativité de mes congénères. Mais du Caravage dans la Fondation Thyssen à Madrid, ou de ceux au Louvre, lesquels sont dans l’espace public ? Apple, est-ce l’espace public ? Tous les deux agissent dans la société, mais à qui dois-je le plus de reconnaissance, à un politicien taxateur et règlementateur (donc qui fait scrupuleusement son boulot), ou aux fondateurs de Google (qui font eux aussi le leur) ?
je croyais lire, mais sans doute me suis-je trompé, chez Christian que le pouvoir politique, en tant que pouvoir gouvernemental, était en soi criminel (justification de la violence etc.), ce qui me semble infiniment douteux.
Le boulot du politicien sera toujours néfaste, par nature, quelle que soit la personne et quel que soit son parti, puisque le moyen d’action qu’il a choisi pour satisfaire ses amis est de contraindre policièrement leurs adversaires. Google, et toutes les autres entreprises au service du public, préfèrent la voie de la séduction à celle de la contrainte. Ce sont deux façons d’agir dans l’espace public.
Je préfère être séduit à être contraint.

En ne dévoilant pas ce qui est réellement l’enjeu de tout débat politique, c’est à dire l’action policière, vous commettez une première imprudence. En encourageant les gens à participer et soutenir cette entreprise de coercition, vous leur ôtez le goût du débat et de la persuasion ; vous les déculpabilisez de vouloir agir par la contrainte. C’est une seconde et grave imprudence.

Merci de votre apport, j’apprécie beaucoup

Christian



Le Bien commun, c’est le Droit
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