Du vrai dialogue interreligieux

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Miles Christi
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Du vrai dialogue interreligieux

Message non lu par Miles Christi » mar. 25 avr. 2006, 15:40

nelly emont a écrit :Comme il me semble l'avoir déjà écrit, ce genre de discussions est complètement, mais alors complètement stérile. Car à quoi servent-elles sinon à entretenir l'animosité qui existe entre deux communautés religieuses ? Vouloir prouver à un musulman que ce en quoi il croit est complètetement tarte entraîne comme réponse que ce que fait le chrétien n'est guère plus intelligent. Quant à vous battre pied à pied, verset par verset pour voir qui est le "plus vrai" le "plus juste", c'est vous perdre dans les dédales d'un labyrinthe dont vous ne sortirez jamais. Voulez-vous vous convertir mutuellement en vous assénant des coups destinés à abattre l'autre jusqu'à espérer qu'il ne se relève plus ? Est-ce que cela a la moindre utilité ? Le chrétien et le musulman existent parallèlement dans un même monde. Et il y a de fortes chances pour qu'à la fin du monde, ils soient là encore, l'un et l'autre. Que chacun puisse vivre sa foi dans la paix et le respect de l'autre est tout ce à quoi nous pouvons prétendre et que nous devons souhaiter.
Ce qui ne veut pas dire que nous ne devons pas chercher à connaître l'Islam, ni l'Islam à chercher à connaître le Christianisme. Mais de grâce, dans le respect dû à l'autre....
oak a écrit :Miles Christi, nous sommes sur ce fil pour échanger à propos de l'évangélisation, de son contenu, de ce que cela veut dire, pas pour nous jeter à la figure les turpitudes du passés.


Cela ne facilite pas le dialogue.


Le type de dialogue invoqué par ces intervenants est de nature profane et il est maladroit de l'appliquer tel que au champ religieux, le dialogue suivant une approche catholique ne saurait s'inscrire dans ces formes de dialogue impropres à communiquer la Vérité. Beaucoup, qui avaient perdu de vue que l'office de la Vérité impose d'écraser la tête du Dragon, se sont ainsi fourvoyés et épuisés dans des discussions oiseuses sans fin, finissant par accepter de guerre lasse un consensus mou au lieu du triomphe de la Vérité qui était l'objectif premier. Il faut donc avant toute chose mener une réflexion sur le dialogue en tant que tel et se prémunir contre les formes préjudiciables à la communication de la Vérité. Voici des extraits de la publication "Le Dialogue Artiste/scientifique" du laboratoire Epistémé, ils montrent a contrario que les différentes conceptions de dialogue, opérationnelles dans un cadre profane ne sauraient l'être dans un cadre religieux:





Quelles sont les raisons qui ont pu pousser Platon à utiliser le genre
dialogué, dont le mouvement serait celui d'une conversation familière. Pour Léon
Robin, tout d’abord son tempérament d’artiste devait répugner à l’idée d’une
exposition didactique. Il devait au contraire être enclin à imaginer une oeuvre d’où
s’exprimeraient, avec toutes les apparences de la vie, les attitudes diverses et
individuellement caractérisées de plusieurs esprits placés en face d’un problème
philosophique à discuter. Pour cela, Platon n’avait qu’à reprendre et imiter le
procédé par lequel Socrate s'était opposé aux physiciens du passé et aux sophistes
du présent. Depuis l’oracle de Delphes, il n’avait d’autre souci que de converser et
surtout pas d’enseigner.


Deux procédés de dialogues platoniciens sont à observer de plus près. Car,
ce qui les caractérise a pris toute son importance dans les DAS. Il s’agit de
l’aporie et de la maïeutique.


1.1. L’aporie
C’est la transcription littérale de aporia, dont le sens propre est “impasse”,“sans issue”, “embarras”. En philosophie, on peut lui donner un sens faible,
comme le fait Aristote en insistant sur l’aspect de difficulté à résoudre, notamment lorsqu’il s’agit de la “mise en présence de deux opinions contraires et également
raisonnées en réponse à une même question” (ce qu’on appellera plus tard “antinomie”); et un sens fort, celui de Platon, pour qui il s’agit d’une difficulté qui
exige un changement de registre dans la recherche. Les Modernes donnent à ce terme le sens encore plus fort de problème insoluble, d’obstacle insurmontable.

Euthyphron bredouille : “Socrate, je ne sais plus comment t’exprimer ma pensée. Chacune de nos hypothèses tourne pour ainsi dire en rond et ne veut jamais rester à la place où
nous l’avons établie.” De même Lysis cherchant ce qu’est l’amitié : “Je suis moimême réellement pris de vertige devant l’embarras du raisonnement.” De même pour Calliclès lorsqu’il s’agit de définir le courage. Il s’agit là d’une étape essentielle du dialogue platonicien : au terme d’une recherche partielle. Mais à
l’aporie initiale succède la plupart du temps l’aporie finale, l’échec de l’entreprise
de définition des valeurs : ainsi les dialogues dont le but est une définition sont
tous aporétiques (Grand Hippias, Lysis, Lachès, Euthyphron, Ménon, Théétète ).

Plus profondément encore, on fera de l’aporie le symbole d’une situation existentielle fondamentale faite de
manque et de désarroi.


D’une part, les étudiants mentionnent souvent dans leurs évaluations les sentiments d’impasse et
d’embarras dans lesquels les mettent les discussions qui “ ne débouchent sur
rien ”,
mais également les acteurs du dialogue eux-mêmes. Ainsi, on a pu observer
des “ couples ” artistes-scientifiques qui ont souhaité cesser “ l’expérience ” du
dialogue, parce qu’ils ne parvenaient pas à sortir d’un discours qui conduisait soit
à la succession de deux monologues parallèles et non interférents, soit à “ des
impasses ”.
Tel mathématicien déclarant : “ je ne recommencerai pas l’an
prochain, car nous n’aboutissons à rien de constructif pour les étudiants et pour
nous-mêmes. ”
Tels biologiste et écrivain souhaitant mettre fin après cinq années
de dialogue, parce que l’expérience, après avoir été fructueuse, conduit à une
impasse : une “ situation où l’embarras stérilise la discussion et ne débouche plus
sur des pistes nouvelles et fécondes.
” Tous ces propos recueillis oralement ou par
écrit, s’inscrivent à nos yeux dans la tradition de l’aporie platonicienne. En ce sens
il nous semble que ce concept, en tant qu’il désigne une situation
communicationnelle, est à explorer plus avant et à exploiter comme une situation
d’aide au développement de l’esprit critique chez les étudiants. Le plus difficile
étant de faire admettre la valeur de la non-réponse à une question.


1.2. La maïeutique

L’idée principale est que dans la maïeutique
“ l’accoucheur ” ne porte pas la vérité, pas plus que les vieilles sages femmes ne
pouvaient porter d’enfant.
Son rôle est de faire sortir la vérité de la bouche de
l’autre par un jeu de questions.

Le Socrate accoucheur
des esprits, dont le rôle n’est point d’introduire du dehors dans l’âme une vérité
toute faite, mais de l’amener à découvrir la vérité elle-même originellement
présente.



La maïeutique n’est pas concentrée dans les mains d’un seul qui ferait accoucher l’autre de quelque vérité cachée. Il s’agit
plutôt d’une “ maïeutique inter-locutive ” et inter-subjective. Nous entendons par
là que ce qui peut sortir de la bouche de l’un et de l’autre ne le peut que par un jeu
de réfraction questions-réponses, réponses-réactions, réactions-questions, et ainsi
de suite.
Chacun joue pour l'autre le rôle d'accoucheur et d'accouché.


Or cette dernière
est justement commandée par l’attitude de la recherche. Montrer les difficultés, se
méfier d’un savoir auquel on adhère sans critique ; donner le sens du problème ;
placer sans cesse l’esprit dans l’état de l’examen, du libre examen du problème ;
ne pas croire qu’un seul discours peut faire l’affaire et que la solution a été
immédiate ; ne pas croire non plus qu’il y a toujours une solution.
Comme
l’observe Lambert :

Comme nous l’avons vu précédemment, à propos des dialogues
platoniciens, l’aporie joue un rôle important et inattendu dans les dialogues entre
artistes et scientifiques. Pas de solution. Voilà une situation nouvelle pour les
étudiants. Comment peut-on poser des questions qui ne trouvent pas de solution ?
Et si la question avait plus d’importance que la réponse.
“ Je suis venue avec des questions, dit une étudiante, je repars avec dix
fois plus de questions et aucune réponse. Mais c’est intéressant, ça
m’ouvre les yeux et me fait mieux comprendre ce que chercher veut dire. ”
(séance d'évaluation, mai 96)




L’impasse devient défense et illustration du cheminement, du processus de
pensée. S’engager dans une recherche c’est accepter l’idée que peut-être on s’est
engagé dans une voie sans issue.
Assister à un cours c’est ne voir de la science
que la voie tracée, réussie, c’est croire que ça marche toujours. La forme du
dialogue est donc bien, en ce sens, un mode communicationnel qui illustre l’acte
de créer et de découvrir. Car chercher c’est dialoguer avec sa propre pensée , c’est
dialoguer avec l’histoire de sa discipline, c’est dialoguer avec la communauté
scientifique.



Le dialogue précède toute énonciation, précède toute expérience. À l’origine
est le dialogue, à l’origine est la critique. Cette priorité du dialogue sur le logos
conduit Calogero à affirmer que le principe de non-contradiction est postérieur au
dialogue.
Pour lui, le dialogue est volonté de comprendre et de ce fait il nous
permet d’échapper aussi bien à la désespérance des sceptiques qu’à l’arrogance
des dogmatiques. Et cette dimension critique du dialogue est très importante. En
effet, le DAS s'avère être une lieu privilégié de tolérance et d’écoute. Idée si bien
exprimée par Calogero :
" Ce que nous avons appelé liberté de comprendre, ou volonté de dialogue ,
nous pouvons encore l’appeler principe éthique, fondement des droits de
l’homme
, respect de la liberté de conscience, esprit de tolérance, esprit
critique, esprit raisonnable, rationalité, religion de la liberté . Chacun de ces
termes évoque les autres, ne révélant qu’un aspect du tout. Tous renforcent
l’affirmation qu’ il n’y a pas de canon suprême de vie morale et intellectuelle
de l’homme, basé sur la cohérence d’un discours, qui ne s’articule en même
temps sur le dialogue. "
(op. cit. ; 67)


Ce qui nous intéresse dans cette joute de pensées et de pratiques ce n’est pas de savoir s’il y
aura un vainqueur et quel sera son nom, mais bien plutôt l’enseignement qui en
résultera. D’ailleurs, faut-il souhaiter qu’il y ait un vainqueur ?

À l’origine de la communication est donc le conflit. Ne nous y trompons
pas, dire “ je ”, c’est originellement nier au “ tu ” à qui l’on dit “ je ”, le droit de
revendiquer son propre “ je ”. On retrouve cette idée, chez Hegel, dans la
dialectique du désir
tout comme dans celle du maître et de l’esclave, deux
moments clef de la Phénoménologie de l’Esprit. La conscience de soi, qui est
Désir, ne parvient à sa vérité qu’en trouvant une autre conscience de soi
. Si la
science veut accéder à la conscience d’elle-même, le peut-elle autrement que dans
la rencontre d’une autre conscience de soi ? “Arts et sciences” s’inscrit donc dans
cette nécessité dialectique par laquelle la science et l’art accèdent à la conscience
de soi. Car la conscience de soi ne peut se limiter à l’affirmation de soi, au Moi =
Moi. On n’obtient qu’une tautologie inerte, une science aveugle, “ le nez dans le
guidon ”. Le mouvement de la conscience de soi, pour Hegel, exige donc
l’altérité. Cette dialectique exprime ce que Hegel nomme “ le concept de la
reconnaissance mutuelle des consciences de soi. ” (Hegel, 1970 ;T.1, 157) On
retrouve cette idée dans l’analyse des conversations développée par J. Austin
(1991), ou encore chez Goffman (1984) dans son approche des rites d’interaction
sur laquelle sous reviendrons plus loin. La présentation de soi devient un enjeu
prépondérant de toute relation.
Nous avons pu l’observer dans les séminaires que
nous organisons depuis plusieurs années. Chacun, au moment de la présentation
ou de la prise de parole, élabore un discours sur lui-même par lequel, quelles que
soient les formulations (même les plus modestes), il pose une identité qu’il espère
être admise par les autres.



Par conséquent la forme de dialogue élaborée par les modernistes n'est pas une forme neutre susceptible d'épouser n'importe quel contenu, elle est fondamentalement anticatholique:


- Le dialogue en lui-même a plus de valeur que la vérité qui peut éventuellement en émerger, alors que le catholicisme subordonne le dialogue à la Vérité comme instrument au service de sa communication.

- Le dialogue est symétrique du début jusqu'à la fin, par conséquent à aucun moment une des deux parties ne peut avoir définitivement raison sur l'autre, alors que le catholicisme en tant qu'unique dépositaire de la Vérité révélée est, en droit, déjà vainqueur, et se doit de conserver cette position asymétrique dans une perspective d'édification de ceux qui sont dans l'erreur.

- La vérité résulte d'une construction dialectique, elle n'est que le résultat mécanique et impersonnel d'un jeu d'oppositions, alors que le catholicisme conserve une Vérité unique, personnelle donnée une fois pour toute, révélée par Dieu lui-même.

- La vérité n'est rien en dehors d'un consensus inter-subjectif, alors que le catholicisme délivre une Vérité existant indépendamment de tout consensus social, une Vérité éternelle.


Le terrain a donc été miné par les modernistes à dessein: ils font tout pour instaurer des conditions de dialogue rendant impossible l'expression d'une Vérité souveraine et lumineuse, ils préfèrent que les hommes restent dans les ténèbres d'un pluralisme anarchique soi-disant indépassable. Le discours catholique percera à nouveau lorsque le sceau du Diviseur pesant actuellement sur toute forme de dialogue aura été réduit en cendre au terme d'une critique du modernisme sans concession.


L'Eglise, traditionnellement, s'est toujours employée à justifier rationnellement le choix de la foi catholique par rapport aux autres options, ici il ne faut pas se méprendre: ce n'est pas la Foi qui deviendrait un objet de raison, non c'est le choix de cette Foi relativement aux autres croyances qui est un choix rationnel, la raison détermine la direction, mais une fois la direction déterminée par la raison il n'y a que la Foi qui permette de continuer à avancer sans relâche sur le droit chemin. C'était bien là le sens de la mission apologétique de l'Eglise: établir à la face du monde et par la raison la fausseté des mouvements religieux qui n'étaient pas en communion avec l'unique Eglise du Christ. Aujourd'hui dans une société sécularisée, matérialiste, aux familles et aux traditions éclatées, où tout choix raisonné ou irraisonné est le fruit d'une conscience individuelle livrée à elle-même, l'enjeu est de taille: l'incroyant se retrouve seul face à une multitude d'options spirituelles et existentielles, et si l'Eglise n'est plus capable ou se refuse au nom de la susceptibilité oecuménique à tenir un discours rigoureux et précis justifiant rationnellement pourquoi il faut choisir l'Eglise catholique et non une secte protestante, pourquoi il faut choisir l'Eglise catholique et non une église schismatique, pourquoi il faut choisir l'Eglise catholique et non l'Islam, le judaïsme, le bouddhisme, l'athéisme etc ...alors comment espérer dans ces conditions que l'incroyant fasse de lui-même le bon choix, (sauf si bien sûr il est touché par la grâce) ? Cette répugnance à pourfendre les fausses croyances par l'arme de la raison est d'autant plus surprenante lorsque l'on sait avec quel brio des docteurs de l'Eglise comme Saint Thomas d'Aquin ont anéanti des hérésies pour la plus grande gloire de la Vérité, du bien individuel et du bien commun. Le Syllabus du Pape Pie IX est égalemement un modèle de défense de la Vérité dans son exposition limpide et impitoyable des mensonges modernistes. Cette réticence à se démarquer des impies pour mieux les édifier donne la désagréable impression d'un refroidissement de la Foi au sein même de l'Eglise. Les imprécations du Pape Léon XIII semblent toujours d'actualité:


L'Église, épouse de l'Agneau immaculé, des ennemis très rusés l'ont saturée d'amertume et abreuvée d'absinthe ; ils ont porté leurs mains impies sur tout ce qu'elle a de plus précieux. Là où a été établi le Siège du bienheureux Pierre et la Chaire de la Vérité pour la lumière des nations, là ils ont posé le trône de l'abomination de leur impiété ; de sorte qu'en frappant le Pasteur, ils puissent aussi disperser le troupeau.
...
Va-t-en, Satan, inventeur et maître de toute tromperie, ennemi du salut des hommes ! Cède la place au Christ, en qui tu n'as rien trouvé de tes œuvres. Cède la place à l'Église, une, sainte, catholique et apostolique, que le Christ lui-même a acquise au prix de son Sang. Humilie-toi sous la puissante main de Dieu. Tremble et fuis, à l'invocation faite par nous du saint et terrible Nom de Jésus, qui fait trembler les enfers ; à qui les Vertus des Cieux, les Puissances et les dominations sont soumises ; que les Chérubins et les Séraphins louent dans un concert inlassable, disant : Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des Armées.

In cruce salus. In cruce vita. In cruce protectio ab hostibus. In cruce robur mentis. In cruce gaudium spiritus. In cruce virtus summa. In cruce perfectio sanctitatis. Non est salus animae, nec spes æternæ vitæ, nisi in cruce. Tolle ergo crucem et sequere Jesum, et ibis in vitam æternam.


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Message non lu par MB » mar. 25 avr. 2006, 18:46

Bonjour MC

Le texte que vous citez est extrêmement tendancieux, car il en arrive à des résultats gratuits. Ainsi :

"Ce que nous avons appelé liberté de comprendre, ou volonté de dialogue ,
nous pouvons encore l’appeler principe éthique, fondement des droits de
l’homme , respect de la liberté de conscience, esprit de tolérance, esprit
critique, esprit raisonnable, rationalité, religion de la liberté"


Il y a ici une accumulation de termes qui n'ont pas forcément de lien logique entre eux, mais qui évoquent de vagues associations au lecteur, avec une fin qui vient là comme une mouche dans la soupe, de façon tout à fait gratuite : "religion de la liberté". Ergo la volonté de dialogue signifie la religion de la liberté ; a contrario, la vraue religion nécessite le refus de la volonté de dialogue, etc. Non, ça ne va pas.
L'expression elle-même de "religion de la liberté" ne veut rien dire ; elle n'a pas nécessairement de rapport avec ce qui la précède (on peut donner dans la rationalité et être opposé à la liberté ; on peut avoir un principe éthique tout à fait différent de celui des droits de l'homme ; etc.). Ce mécanisme est typique des personnes opposées au caractère tolérant de ce qu'on appelle, pour faire simple, la modernité ; pour la dénigrer, elles font des associations d'idées tout à fait incongrues et non nécessaires. Cela commence à me fatiguer.

Cordialement
MB

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Message non lu par MB » mar. 25 avr. 2006, 21:43

Et rebelote !

Comme l'a très bien dit Nelly Emont plus haut, "tolérer" ne veut pas dire "accepter".

Un exemple : je hais le communisme, et mes parents ont grandi dedans, je connais des gens qui en ont souffert, etc. Je ne risque pas d'être convaincu par un communiste, et je ferai tout mon possible pour éradiquer cette idéologie. Néanmoins, je tolère que quelqu'un professe une opinion communiste : c'est-à-dire que je ne l'empêche pas de le faire. Je m'interdis de lui faire la moindre persécution, sous quelque forme que ce soit, si j'en ai le pouvoir ; je ne refuse pas, sous prétexte de son opinion, de lui témoigner d'un minimum d'égards.

Vous voyez donc que tout en tolérant cette opinion adverse, je ne l'accepte pas. Mais cela ne m'empêchera pas de chercher à dialoguer avec cette personne ; d'ailleurs, en l'absence de toute autre manière de convaincre (la force étant exclue par principe), je ne peux faire que cela.
Je pense à une personne en particulier qui se trouve dans mon entourage ; je sais qu'elle restera, sauf miracle, quelque part dans la mouvance entre le communisme et l'extrême gauche, et je ne pense pas lui faire changer d'avis. Néanmoins, je peux lui objecter quelques points bien précis qui la font réfléchir (car c'est quelqu'un d'intelligent). Il est donc tout à fait possible de dialoguer avec quelqu'un, de bonne foi et en essayant de dire la vérité, sans espérer autre chose que des petits points d'accord - et pour le reste, en sachant que le dialogue n'aboutira pas à la persuasion générale de l'interlocuteur.

Il y a encore d'autres points qui font du dialogue un but en soi :
- il a une vertu pédagogique pour moi-même. En m'obligeant à formuler mes idées, il m'amène à les resserrer, à les rendre plus percutantes, plus convaincantes, à les affiner ; je sais donc mieux ce que je pense, et je le pense mieux.
- la vie étant ce qu'elle est, il est bon d'avoir du commerce avec les autres hommes ; la fraternité, et la sociabilité qui nous est commune à tous doivent naturellement s'accompagner d'une attitude de bienveillance et de respect. Ici, dans le cadre qui nous intéresse, respect veut dire : considérer que celui d'en face est assez digne pour ne pas être empêché de penser ce qu'il pense (même si son opinion est manifestement fausse, ou vraiment bête). A titre personnel, j'ajouterais aussi : cette personne est assez digne pour que je lui dise franchement mon avis.

Je crois que ce qui crispe certains d'entre nous quand ils entendent le mot "dialogue", c'est davantage - comme souvent - une association d'idées construite en réaction à une sorte de magma politiquement correct, que les vraies implications du terme. Evidemment, quand un homme politique, devant une émeute, a pour seule ressource d'en appeler au "dialogue" au lieu de faire charger les forces de l'ordre, ce mot perd son sens. Mais la mauvaise utilisation qu'on peut faire de ce mot n'en épuise pas la validité. Il y a des gens qui disent n'importe quoi de Dieu, cela ne veut pas dire que Dieu n'existe pas ; et si j'ose dire, c'est pareil avec le dialogue.
Naturellement, la "tolérance" peut être invoquée par des faiblards ou par des sceptiques ; mais ce n'est pas sur leur opinion qu'il faut se fonder pour parler de la tolérance, et malheureusement, j'ai l'impression que beaucoup agissent ainsi parmi nous.

Amicalement
MB

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à Miles Christi, encore

Message non lu par MB » mar. 25 avr. 2006, 22:36

Ce sujet m'inspire, décidément !

Miles Christi critique un certain nombre de choses sur le dialogue, avec l'idée notamment qu'étendu à tout, il empêche l'expression de la Vérité (je simplifie outrageusement).

Il y a un problème sur l'utilisation de la Vérité ; elle est ici conçue comme un tout, quelque chose que l'on connaît, comme une leçon finalement, mais une leçon à pratiquer autant qu'à réciter. Une telle attitude me gêne un peu : ça fait musulman : "ah-que-Dieu-qu'il-a-dit-qu'il-fallait-pas-boire-de-vin-donc-je-bois-pas-de-vin". Ne me dites pas "oui, mais nous on a raison", car les musulmans le disent aussi. Il faut chercher à justifier notre religion. Or à partir du moment où nous cherchons à justifier les nécessités liées à la foi, ne serait-ce qu'en formulant les mots mêmes des phrases que nous assemblons dans notre explication, nous créons un espace d'intersubjectivité et nous nous forçons à admettre la possibilité que quelqu'un, en face, vienne nous contredire. L'expression de la Vérité, ainsi que sa démonstration (si elle est possible), n'interdit pas le dialogue, et je dirais même qu'elle le suppose.

"L'Eglise, traditionnellement, s'est toujours employée à justifier rationnellement le choix de la foi catholique par rapport aux autres options, ici il ne faut pas se méprendre: ce n'est pas la Foi qui deviendrait un objet de raison, non c'est le choix de cette Foi relativement aux autres croyances qui est un choix rationnel, la raison détermine la direction, mais une fois la direction déterminée par la raison il n'y a que la Foi qui permette de continuer à avancer sans relâche sur le droit chemin."

- Bon, à titre personnel, ma foi est plus sentimentale que rationnelle, donc je souscris partiellement à ce que vous dites.
Je note simplement qu'il y a un problème : certes, un examen rationnel de la Foi relativement aux autres croyances est une chose nécessaire. Mais d'abord, cela même suppose un espace de confrontation, de pluralité des opinions et des choix, et donc de tolérance, au moins le temps que le croyant potentiel choisisse la voie. Vous pouvez me dire : cet espace de confrontation est provisoire, une fois qu'on a choisi il n'existe plus.
Mais il y a encore autre chose : certains hommes croient, parce qu'ils ne font que cela depuis leur petite enfance ; à d'autres, pour croire, il suffit de se planter derrière un pilier de Notre Dame de Paris ; à d'autres encore, et leur cas devient problématique, l'arrivée de la foi peut prendre un temps fou, parfois toute une vie. Dans le cas de ces personnes, l'espace de confrontation dont je vous ai parlé n'est quasiment pas provisoire, il est même plutôt à la limite du permanent. Dans leur cas - et je ne vois pas pourquoi leur situation serait moins digne d'intérêt que d'autres - il est nécessaire que cet espace soit protégé pour lui-même. Et comme on ne peut sonder les coeurs, on ne sait jamais exactement qui est concerné par cette situation spirituelle ; il est donc nécessaire que cet espace de pluralité soit ouvert à tous.

Je poursuis dans la lecture de vos propos :
"Aujourd'hui dans une société sécularisée, matérialiste, aux familles et aux traditions éclatées, où tout choix raisonné ou irraisonné est le fruit d'une conscience individuelle livrée à elle-même, l'enjeu est de taille: l'incroyant se retrouve seul face à une multitude d'options spirituelles et existentielles, et si l'Eglise n'est plus capable ou se refuse au nom de la susceptibilité oecuménique à tenir un discours rigoureux et précis justifiant rationnellement pourquoi il faut choisir l'Eglise catholique et non une secte protestante, pourquoi il faut choisir l'Eglise catholique et non une église schismatique, pourquoi il faut choisir l'Eglise catholique et non l'Islam, le judaïsme, le bouddhisme, l'athéisme etc ...alors comment espérer dans ces conditions que l'incroyant fasse de lui-même le bon choix, (sauf si bien sûr il est touché par la grâce) ? "

Bon, d'abord, quelle que soit la manière dont on fait le bon choix, on est touché par la grâce (mais c'est un détail ici...). Ensuite, je ne vois pas du tout en quoi l'Eglise se refuse à dire la vérité, et à la dire avec le plus grand effort intellectuel (je suis admiratif du sérieux avec lequel bien des philosophes pas du tout chrétiens considèrent certaines encycliques récentes). Au contraire même, les média occidentaux reprochent au pape actuel, ou plutôt lui reprochaient à l'époque où il était était en charge de ce travail, d'être trop "rigoriste" ! Il faudrait savoir. L'Eglise continue à délivrer son message ; le monde dans lequel elle le fait n'est pas le même qu'il y a 100 ans, et c'est normal ; je crois que c'est plutôt cela qui vous choque.
On peut tout à fait chercher le dialogue avec des musulmans ; on doit même le faire, puisque nous nous refusons de toute façon à l'usage de la force, que de plus nous leur prouvons que nous ne sommes pas des sauvages (ce dont ils pourraient tirer exemple) ; et je ne vois pas du tout en quoi cela empêcherait de juger fausse leur croyance. Dialogue et jugement intellectuel ne sont pas incompatibles.

Bien à vous
MB

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