prodigal a écrit : ↑lun. 22 août 2022, 18:34
Cher Riou,
votre hypothèse relative au désir et à sa répression est prometteuse, j'espère que vous pourrez en dire quelques mots. J'avoue que je ne suis qu'à moitié convaincu (car cela reviendrait peut-être à identifier intégrisme et puritanisme), mais c'est que vous n'avez pas encore eu le temps de nous l'expliquer!
Bonjour,
Je voulais dire par là que toute communauté humaine, dans son organisation interne, présuppose une certaine idée de l'homme. Il s'avère qu'un groupe intégriste véhicule toujours une idée de l'homme qui se réduit à une dimension morale et militante, la morale étant entendue ici dans le sens d'un système de normes fixes et "rigoristes" visant une domestication du désir. De là un ton souvent rugueux, une certaine tension permanente qui paraît parfois se révolter contre la vie, une obsession pour le légal et les règles (ce qui explique sans doute le caractère littéraliste de leur lecture et la prédominance de la lettre figée contre la vie de l'esprit), et peut-être aussi une compulsion de répétition particulièrement prononcée.
Or, il me semble que la religion, qui ne doit pas faire l'économie de la morale, ne peut s'y réduire pour autant, puisqu'elle implique une conversion du désir, une transfiguration de l'existence (autant que possible), et non une domestication par des normes communautaires extérieures.
Il est assez frappant de constater que l'intégrisme se traduit toujours par un communautarisme et une société de contrôle, et qu'il se dresse toujours, à l'origine, contre un ennemi désigné à partir duquel se fonde la cohésion du groupe, de sorte qu'à l'origine de l'intégrisme, il y a un "non" plutôt qu'un "oui". Beaucoup de sectes protestantes nées au XIX ème siècle se sont fondées essentiellement
contre le catholicisme, de même que le salafisme, né aussi au XIXème siècle, naît d'un rejet de l'islam traditionnel lié au fait que la défaite des musulmans contre les armées napoléoniennes apparaissait comme la preuve d'une décadence de la civilisation de l'islam. Les salafistes ont fait leur constat: l'islam traditionnel aurait engendré une civilisation faible, et il faudrait revenir aux "ancêtres" (signification de "salaf") pour retrouver une religiosité "pure" et "authentique".
Le rejet comme fondement d'une communauté entraîne généralement une société "en ordre de bataille", car la lutte est leur premier mot, avec une discipline extérieure exacerbée afin de marquer nettement l'identité du groupe contre les "ennemis" décadents, mais aussi afin de se distinguer. La morale, ici, n'est pas loin d'être une forme de discipline martiale (les salafistes sont très portés sur les règles extérieures, visibles et donc facilement contrôlables par le groupe, à l'inverse d'une spiritualité plus intériorisée, qui ne laisse aucune prise pour un contrôle clair et distinct). Dans ce contexte, la religion ne vise pas, ultimement, une transformation et une régénération intérieure du désir, mais le contrôle de celui-ci par des règles strictes et très extérieures. A défaut de convertir le désir dans une perspective plus spiritualiste, l'individu est donc corseté par toute une prose réglementaire et morale censée assurer sa "pureté" (généralement identifiée comme l'appartenance au groupe, l'impureté étant en dehors), et le seul moyen d'assurer cet objectif est de réprimer le désir par des structures collectives invasives et tyranniques. Car un individu ne se réduit jamais à l'identité de son groupe...
La pureté étant inconcevable en dehors du groupe intégriste en question, et l'impureté étant partout en dehors (dans "le monde"), l'assimilation au groupe devient la priorité essentielle, et la communauté est toujours hantée par la perte de sa pureté de l'intérieur, c'est-à-dire par l'intrusion, dans ses propres rangs, d'une brebis galeuse qui contaminerait le tout de l'intérieur : de là la nécessité de couper les membres de la société dès l'éducation et de pratiquer l'ostracisme sitôt qu'un membre déroge à une règle; il faudra aussi contrôler les unions conjugales, qui doivent souvent se faire à l'intérieur du groupe, ce qui ne peut manquer de provoquer des déchirures intérieures pour les nombreux membres qui ne manquent jamais, un jour dans leur vie, de s'attacher à un individu extérieur; de là aussi un discours obsédé par la "méchanceté" et la "dangerosité" de quasiment tout ce qui n'appartient pas au groupe; ceci explique aussi la place excessive d'un champ lexical que nous avons beaucoup entendu lors de l'épidémie : souillure, contagion, contamination, contact, etc.
Conséquence? Un système hiérarchique fort et brutal qui n'en finit jamais de s'intensifier et de contrôler ses propres membres, puisque tout le monde est un potentiel ennemi de l'intérieur. De sorte que ce n'est plus Dieu qui est honoré, mais le groupe, ersatz de transcendance - l'idolâtrie sociale par excellence. Ce qui était au départ un moyen et un intermédiaire vers Dieu (la communauté intègre) devient une fin en soi. Et l'inversion des moyens et des fins est une source évidente du mal, puisqu'on finit toujours par prendre du relatif pour de l'absolu, définition de l'idolâtrie.
Le fondement de l'intégrisme ne peut pas donner autre chose qu'un système clos, statique et allergique au devenir des individus. La "tradition" sera pour eux la négation totale du présent et du devenir inhérent à la vie (il est frappant aussi de voir que l'intégrisme cherche toujours à se rapprocher de l'origine, des "premiers", censés être plus purs que ce qui suit).
Dans un tel cadre, et en considérant tous ces éléments ensemble, il est inévitable que ce type de communauté se caractérise par une répression permanente du désir et une certaine méfiance envers tout ce qui vit. La course à la pureté, avec cet objectif permanent d'une purification communautaire radicale, ne peut adopter une autre méthode que la répression du désir. Il faudrait pourtant lire la parabole du bon grain et de l'ivraie pour voir ce que pense Jésus de ce désir de purification communautaire...
Il est évident que ceux qui, à l'intérieur, ont une foi chancelante, feront semblant d'être "intègres" extérieurement, puisqu'ils ne veulent pas subir le châtiment suprême : l'ostracisme. Voilà comment l'hypocrisie ne peut manquer de surgir dans cette course communautaire à la pureté.
Qui veut faire l'ange fait la bête. Voilà peut-être, dans cette phrase de Pascal, l'essence de l'intégrisme dont vous parliez plus haut.
prodigal a écrit : ↑lun. 22 août 2022, 10:28
Cependant, une particularité frappante ici, c'est que ceux que vous soupçonnez (la FSSPX)
Il s'agit de beaucoup plus que de soupçons. On peut même parler de preuves, puisque les témoignages divers abondent dans le même sens.