Lectio Divina
Dimanche 29 novembre 2015
Dimanche I de l'Avent - Année C
Une nouvelle année commence : l’occasion de lever les yeux, de nous mettre en chemin vers le Seigneur, de sortir de nous-mêmes. Ou plutôt : d’aller à sa rencontre, car il vient lui-même nous chercher. Lorsque l’on sonne à notre porte, nous ne faisons que quelques pas pour ouvrir au voyageur qui vient de loin ; de même notre petit parcours de l’Avent nous réjouira de la venue du Messie attendu depuis des siècles. Petit enfant, il vient à Noël ; revêtu de gloire, il viendra à la fin des temps. Il ne cesse donc de venir frapper à notre porte, pour nous libérer de notre petit univers mesquin, pour ouvrir notre âme à de grandes perspectives, comme l’exclamait le pape François :
« L’horizon de l’espérance ! C’est l’horizon pour faire une bonne marche. Le temps de l’Avent, que nous commençons aujourd’hui à nouveau, nous redonne l’horizon de l’espérance, une espérance qui ne déçoit pas parce qu’elle est fondée sur la Parole de Dieu. Une espérance qui ne déçoit pas, simplement parce que le Seigneur ne déçoit jamais ! Lui est fidèle ! Il ne déçoit pas ! Pensons et sentons cette beauté. » (1)
Lectures de la Messe:
Jr 33,14-16 Annonce de la venue du Messie
Ps 25,4 Vers toi, Seigneur, j'élève mon âme
1Th 3,12 - 4,2 Comment se préparer pour le jour du Seigneur
Lc 21,25-28.34-36 L'attente de la venue du Fils de l'homme
Explication des lectures:
Un oracle de consolation : c’est ce que Jérémie nous offre en première lecture (Jr 33,14-16). Le cadre historique est très sombre : la chute de Jérusalem entre les mains de Nabuchodonosor en 587, et l’exil du peuple loin de la terre promise, à Babylone. Le prophète l’annonce explicitement au roi Sédécias au chapitre suivant « Ainsi parle le Seigneur : Voici que moi, je vais livrer cette ville aux mains du roi de Babylone et il l’incendiera. Et toi, tu n’échapperas pas à sa main, mais tu seras bel et bien capturé et remis entre ses mains. » (Jr 34,2-3). Devant ce désastre, le Seigneur veut consoler son peuple et l’assurer qu’il ne l’abandonne pas : les promesses du passé ne se sont-elles pas évanouies devant l’invasion ? Non, répond Dieu : « j’accomplirai la promesse de bonheur que j’ai prononcée ».
Plus concrètement encore, il se porte garant de la lignée royale, pourtant dévastée par les Babyloniens : « je ferai germer pour David un germe de justice, qui exercera droit et justice dans le pays ». Le peuple récupèrera donc sa souveraineté, grâce à la descendance royale de David (cf. 2Sam 7). Et il obtiendra ce dont il rêve le plus devant les ruines fumantes de Jérusalem : la sécurité et la paix. Le Seigneur s’en fait garant : c’est pourquoi la ville sera rebaptisée « Le-Seigneur-est-notre-justice » (יהוה צדקנו, adonai tsidqênu). Ce titre, repris aussi en 23, 6, joue sur l’histoire de Sédécias : son nom était à l’origine Mattanya, il a été installé au pouvoir par Nabuchodonosor sous le nom de Sédécias (צדקיהו, tsidquiyahu, le Seigneur est Justice, cf. 2R 24,17), puis il s’est rebellé, il a été vaincu et déporté par le même roi de Babylone. Le message est clair : dans le futur ce sera Dieu lui-même qui rétablira la lignée royale, et il établira Jérusalem dans la sainteté, réalisant ce que les rois humains ont été incapables d’accomplir.
Notons combien l’oracle de Jérémie veut tourner le visage du croyant vers le futur : par trois fois, il répète « en ces jours-là ». Vivre dans l’attente du germe de justice, qui doit naître de la maison de David (cf. Is 11), pour offrir le don messianique de la paix : c’est bien l’attitude spirituelle de l’Avent, où nous sommes tendus vers la naissance du Fils de David, Prince de la paix. Cette première lecture est donc un merveilleux portail d’entrée dans la nouvelle année liturgique.
C’est l’Évangile de Luc qui nous accompagnera toute cette année (cycle C), et nous commençons par un passage difficile, tiré du « discours eschatologique » de Jésus (chap. 21). Les disciples, inquiets, l’interrogent sur les événements de la fin des temps : « Maître, quand donc cela aura-t-il lieu, et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? » (v.7) Jésus répond en décrivant le Jour du Seigneur terrible et redoutable, avec le langage des prophètes (voir par exemple Zc 14). Trois aspects sont importants dans l’Évangile de ce dimanche (vv. 25-36) : des bouleversements cosmiques, qui préparent le retour du Fils de l’homme, un retour à l’improviste et inéluctable. Le monde physique en effet sera bouleversé (fracas de la mer, etc.) : ce sera la fin du monde que nous connaissons, où les créatures sont en ordre depuis que Dieu les a créées. Un passage douloureux comme un accouchement, vers une « nouvelle création » (cf. Ap 21), qui sera inaugurée par le « Fils de l’homme ». Jésus établira définitivement son Règne – celui de Dieu – sur le monde, c’est pourquoi il reprend les termes de Daniel, qui avait aperçu une scène mystérieuse : « À ce Fils d’homme fut conféré empire, honneur et royaume, et tous peuples, nations et langues le servirent. Son empire est un empire éternel qui ne passera point, et son royaume ne sera point détruit. » (Dn 7,14).
Cependant, les hommes ne se préparent pas à ce retour : ils n’y croient pas, ou bien, s’ils sont croyants, ils ont tendance à l’oublier et à vivre comme s’il ne devait pas avoir lieu. Exactement comme notre mort personnelle : nous savons tous qu’elle viendra, mais nous nous comportons comme si de rien n’était. Et pourtant, il est terrible de mourir et de comparaître devant le Juge ! C’est pourquoi Jésus emploie un langage si fort et nous invite à la vigilance : « Restez éveillés et priez en tout temps ». Saint Paul reprend cette invitation dans sa Première Lettre aux Thessaloniciens : il s’agit de l’écrit le plus ancien de tout le Nouveau Testament, qui nous montre combien les premiers chrétiens vivaient dans l’attente du retour imminent du Seigneur. Ils s’y préparaient en vivant le commandement de Jésus, celui de la charité (un amour de plus en plus intense et débordant). L’apôtre parle avec tendresse à cette communauté, qu’il a fondée : « vous vous êtes mis à nous imiter, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole, parmi bien des tribulations, avec la joie de l'Esprit Saint » (1Th 1,6). Il les exhorte comme un père ses enfants arrivés à maturité : « vous savez bien quelles instructions nous vous avons données de la part du Seigneur Jésus ». Ce qui le préoccupe, c’est que ces enfants ne soient pas confondus au jour du Jugement, lorsque le Seigneur reviendra : il veut qu’alors ils puissent « se tenir sans reproche devant Dieu notre Père », comme un homme innocent ne se dérobe pas, mais se tient debout face à ses juges. Jésus avait employé la même image dans l’Évangile : « paraître debout devant le Fils de l’homme » (Lc 21,36). Mais qui enseignera à l’homme comment être juste, si ce n’est Dieu lui-même ? C’est pourquoi nous prions le Psaume 25 (24), une très belle prière de supplication. Dieu est présenté comme un Maître qui enseigne au fidèle le chemin à parcourir : le vocabulaire de la route revient continuellement (tes voies, ta route, dirige-moi, etc.), une image classique de la sagesse. Dans les ténèbres de cette vie, une grande confiance nous vient de ce Dieu qui nous prend par la main (« Il montre aux pécheurs le chemin »), si nous avouons notre faiblesse (« Il enseigne aux humbles son chemin »). L’israélite trouvait dans la Loi ce chemin concret (« son alliance et ses lois »), le chrétien l’a découvert en Jésus-Christ qui s’est déclaré « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6).
Méditation:
En ces jours-là… l’Avent
« Redressez-vous et relevez la tête » : l’exhortation de Jésus dans l’Évangile nous apostrophe au début de cette période de l’Avent. La forêt de nos soucis et préoccupations quotidiennes nous enserre dans la grisaille : voici une clairière qui s’ouvre enfin, la nouvelle année liturgique avec ses splendeurs spirituelles. Pour la vivre pleinement, il faut donc lever les yeux vers le Seigneur, et c’est la première prière que la liturgie met sur nos lèvres en ouverture de la messe : « Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme. Mon Dieu, je compte sur toi. » (Ps 25,1 – antienne d’ouverture).
L’oracle de Jérémie, en répétant « en ces jours-là », nourrit ainsi notre espérance : l’Avent nous introduit dans l’accomplissement des promesses. Le Dieu fidèle à son Alliance tiendra sa Parole, il « accomplira la parole de bonheur » pour son peuple. Cette expression générique désigne le don de la vie en plénitude : Jésus l’accomplit parfaitement. Par sa venue sur la terre, il a inauguré une nouvelle période du salut : « Paix sur la terre aux hommes qu’il aime », chantent les anges à sa naissance (Lc 2,14). Par sa venue chaque jour dans l’Église, il nourrit son peuple et l’engendre à la vie de l’Esprit. Par sa venue à la fin des temps, il portera cette vie à son achèvement : la simple « promesse de bonheur » s’élargira au don de la gloire sans fin dans le ciel. La liturgie nous situe donc entre ces trois venues : nous célébrons aujourd’hui la messe, en rappelant les mystères passés (la naissance à Noël), en attendant l’accomplissement total lors de la parousie. C’est pourquoi nous proclamons l’Évangile du discours eschatologique : pour nous maintenir dans une saine tension, pour attendre le retour de celui qui est notre espérance.
« Je ferai germer pour David un Germe de justice » (Jr 33,15) : Jérémie reprend les promesses messianiques de la lignée de David (cf. 2Sam 7), il contemple ce « germe » (צמח, tsemak), qui désigne la venue d’un héritier au trône. La maison royale n’est pas abandonnée à la stérilité : « Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines » (Is 11,1). L’image est très frappante pour ce temps de l’Avent, alors que Marie est enceinte de Jésus, lui-même le « Fils de David » qui vient accomplir ces promesses. Caché en son sein depuis l’Annonciation, le Germe est en train de grandir ; elle le sent et l’attend avec amour, comme toutes les mères qui posent avec tendresse leur main sur leur ventre qui grossit. Image de l’Église : elle nous engendre aujourd’hui à la vie dans le Christ, mais cette vie est encore cachée comme celle de l’embryon ; notre véritable naissance sera l’entrée au ciel.
Imitons donc Marie en ce temps de l’Avent, selon les indications du pape Paul VI lors de la réforme liturgique :
« Les fidèles qui, avec la liturgie, vivent l’esprit de l’Avent, en considérant l’amour ineffable avec lequel la Vierge Mère attendait le Fils, seront amenés à la prendre comme modèle et à se préparer à aller à la rencontre du Sauveur qui vient, ‘vigilants dans la prière et remplis d’allégresse’. Nous voulons faire observer également que la liturgie de l’Avent, en unissant l’attente messianique et l’attente du retour glorieux du Christ avec la mémoire pleine d’admiration de sa Mère, présente un heureux équilibre cultuel qui peut être pris comme règle pour empêcher toute tendance à séparer – comme il est arrivé parfois dans certaines formes de piété populaire – le culte de la Vierge de son point de référence indispensable : le Christ. Il en résulte que cette période, comme l’ont fait observer les liturgistes, doit être considérée comme un moment particulièrement adapté au culte de la Mère du Seigneur ; nous confirmons cette orientation et souhaitons que partout on l’accueille et la suive. » (2)
Jésus ne mâche pas ses mots
Le fameux « discours eschatologique » de Jésus vient nous interpeller vivement : la description des événements dramatiques à la fin des temps pourrait nous faire peur, souvent les prédicateurs sont gênés et ne l’expliquent pas, nous préférons tourner la page et retrouver le Jésus confortable des paraboles.
Ne nous attardons pas sur les bouleversements cosmiques qui auront lieu « en ce jour-là » : Jésus ne veut pas nous donner des indications concrètes, mais nous avertir que toute la création vivra une fin grandiose. Son retour en gloire sera le prélude du jugement dernier, dont il nous a déjà averti dans différentes paraboles, par exemple celle des dix mines (cf. Lc 19, 15 : « une fois de retour, il fit appeler ces serviteurs auxquels il avait remis l’argent, pour savoir ce que chacun lui avait fait produire »).
C’est ce jugement qui sera terrible pour les hommes qui n’y sont pas préparés : « les hommes mourront de peur » (Lc 21,26) ; mais pour les chrétiens, ce retour devrait être attendu comme une libération. Nous devrions donc vivre cette période avec vigilance (« restez éveillés et priez ») et confiance (« redressez-vous et relevez la tête »). L’attente peut paraître longue, le temps peut émousser la vigueur de notre espérance : le cœur pourrait alors chercher ailleurs d’autres consolations illusoires. Origène commente très bien l’avertissement si clair de Jésus :
« En outre le Sauveur même, par son autorité de Seigneur et de Roi, fixant règles et lois pour les prêtres en même temps que pour les peuples, déclare : ‘Prenez garde que vos cœurs ne s’appesantissent dans l’ivresse et l’orgie, et dans les soucis du siècle, et que la mort ne fonde sur vous à l’improviste.’ Vous avez entendu la proclamation du roi éternel, vous avez appris la déplorable fin de l’ivresse et de l’orgie. Qu’un médecin habile et sage vous donne des prescriptions identiques, disant par exemple : Prenez garde que personne ne prenne avec excès du suc de telle ou telle herbe, le faire provoquerait la mort subite : Je ne doute pas que chacun pour son salut obéirait à la mise en garde du médecin. Or voici que le médecin des âmes et des corps en même temps que le Seigneur ordonne de se garder de l’herbe de l’ivresse et de l’orgie, et pareillement des soucis du siècle comme de sucs mortels à éviter. Et je ne sais si l’un d’entre vous ne s’y épuise, pour ne pas dire ne s’y blesse. […] Dans la maladie de l’ivresse, le corps en même temps que l’âme se détériore, l’esprit tout comme la chair se corrompt. Tous les membres sont faibles, les pieds, les mains ; la langue s’embrouille ; les ténèbres jettent un voile sur les yeux, et l’oubli, sur l’intelligence : on ne sait plus, on ne sent plus qu’on est un homme. Voilà d’abord l’état de déchéance qu’est l’ivresse corporelle. » (3)
L’avertissement de Jésus est plus actuel que jamais : en plus de l’ivresse classique, qui continue à faire des ravages, de nouvelles dépendances ont vu le jour, comme la drogue, et certaines sont à la portée de tous, comme internet. Un peu d’expérience dans l’accompagnement des séminaristes – voire des prêtres – nous montre combien cette tentation est forte. Le célibat est exigeant, surtout au milieu d’une société hédoniste et hyper-érotisée ; l’ordinateur fait irruption dans notre intimité pour nous proposer ces ivresses faciles qui détruisent en quelques instants l’œuvre vertueuse de plusieurs années. Origène l’a bien vu : dans ces péchés, « l’esprit tout comme la chair se corrompt ». C’est pourquoi l’appel de Jésus nous rejoint : « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries ».
Que le retour du Christ devienne l’horizon habituel de nos pensées et préoccupations, que le cœur y trouve son aspiration profonde : les tentations perdront alors de leur force. Et reprenons cette prière de dom Guéranger en réponse aux avertissements de l’Évangile :
« Nous devons donc nous attendre à voir éclater tout à coup votre Avènement terrible, ô Jésus ! Bientôt vous allez venir dans votre miséricorde pour couvrir notre nudité, comme un vêtement de gloire et d'immortalité ; mais vous reviendrez un jour, et avec une si effrayante majesté que les hommes en sécheront de frayeur. Ô Christ ! Ne me perdez pas, en ce jour de l'embrasement universel. Visitez-moi auparavant dans votre amour : je veux vous préparer mon âme. Je veux que vous preniez naissance en elle, afin qu'au jour où les convulsions de la nature annonceront votre approche, je puisse lever la tête, comme vos fidèles disciples, qui, vous portant déjà dans leurs cœurs, ne craindront rien de vos foudres. » (4)
La confiance de Saint Paul
Le ton adopté par Jésus était dramatique ; pourtant, lorsque Paul aborde le même thème, une grande confiance transparaît dans sa lettre. Les Thessaloniciens connaissent déjà comment se conduire pour plaire à Dieu, Paul est comme un père qui voit ses enfants déjà bien avancés dans le droit chemin, et qui en reçoit une grande satisfaction. Il sait surtout que son influence est faible, que l’effort des chrétiens ne joue qu’un petit rôle : c’est l’œuvre du Seigneur qui se déploie en eux, c’est lui qui les rend irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père.
La justification : toutes les lectures d’aujourd’hui touchent ce thème délicat. Lorsque Jérémie donne à Jérusalem le titre de « Le Seigneur est notre justice », il veut dire que c’est le Seigneur qui sauve le Peuple, et non pas un roi humain ; c’est Dieu qui lui donne gratuitement de devenir juste. Paul pensait peut-être à cela lorsqu’il écrit, dans une autre lettre, que Jésus – le véritable germe de David – est notre justice, puisqu’il nous justifie devant Dieu : « …vous êtes dans le Christ Jésus qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et rédemption… » (1Co 1,30).
L’Évangile exprime cette justification avec une autre image : « ainsi vous aurez la force de vous tenir debout devant le Fils de l’homme », semblable à celle de Paul : « qu’il affermisse vos cœurs, les rendant irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père ». Nous sommes donc appelés à nous présenter devant Dieu, c’est-à-dire à le contempler pour l’éternité en partageant sa vie divine ; cependant notre misère nous empêche de répondre à cet appel, nos souillures sont incompatibles avec la sainteté de Dieu ; c’est donc lui qui nous purifie, nous transforme et nous élève jusqu’à lui : voilà ce qu’est la justification. Édith Stein en a fait l’expérience profonde, accompagnée par Marie :
« Lorsque nous recevons le saint habit du Carmel, nous nous engageons non seulement envers notre Époux divin mais aussi envers sa Mère à servir le mieux possible. Le vêtement du salut est aussi appelé vêtement de la justice. Il nous est remis avec l’invitation à nous dépouiller du vieil homme et à revêtir l’homme nouveau, créé à l’image de Dieu dans la sainteté et la justice Par ‘justice’, l’Écriture sainte entend la perfection, l’état de l’homme justifié, qui a été rendu juste, comme il l’était avant la chute. Quand nous recevons le manteau de la justice, nous nous engageons donc à tendre de toutes nos forces vers la perfection et à garder ce saint vêtement intact. Nous ne pouvons mieux servir la Reine du Carmel ni lui montrer davantage notre reconnaissance qu’en la prenant pour modèle et en la suivant sur le chemin de la perfection. » (5)
L’Évangile du jour et l’épître de Paul sont donc complémentaires : Jésus adopte un ton dramatique pour réveiller nos consciences et nous inviter à veiller ; Paul exprime sa confiance totale parce que c’est le Seigneur lui-même qui accomplit l’œuvre. Enrichis par ces deux attitudes fondamentales, nous supplions le Seigneur de nous justifier en reprenant les paroles du Psaume 25 :
« Seigneur, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route.
Dirige moi, car tu es le Dieu qui me sauve-moi par ta vérité, enseigne-moi.
Pour aller plus loin:
Résolution
Trois attitudes spirituelles naissent des lectures : l’espérance du salut (Jr 33), la crainte du jugement (Lc 21), la confiance dans le Seigneur (1Th 3). Elles nous accompagneront durant tout l’Avent. Quelle est celle que je vis le moins ? Pendant cette semaine, je supplierai donc le Seigneur de me la donner, de faire grandir mon âme dans cette dimension qui me manque. Pour cela, il me suffira de relire souvent le texte correspondant.
Réflexion
Aux origines du mouvement liturgique, qui a produit de si grands fruits pendant le XXe siècle, se trouve notamment un moine de grande stature, dom Guéranger, le restaurateur de Solesmes. Il nous a légué un beau livre, L’année liturgique, dont le chapitre sur l’Avent nous aidera à mieux comprendre la spiritualité de cette période (6).
« Si maintenant, après avoir détaillé les caractères qui distinguent le temps de l'Avent de tout autre temps, nous voulons pénétrer dans les profondeurs du mystère qui occupe l'Église à cette époque, nous trouvons que ce mystère de l’Avènement de Jésus-Christ est à la fois simple et triple. Il est simple, car c'est le même Fils de Dieu qui vient ; triple, car il vient en trois temps et en trois manières. « Dans le premier Avènement, dit saint Bernard au Sermon cinquième sur l'Avent, il vient en chair et infirmité; dans le second, il vient en esprit et en puissance; dans le troisième, il vient en gloire et en majesté ; et le second Avènement est le moyen par lequel on passe du premier au troisième. » Tel est le mystère de l'Avent. Écoutons maintenant l'explication que Pierre de Blois va nous donner de cette triple visite du Christ, dans son sermon troisième de Adventu : « Il y a trois Avènements du Seigneur, le premier dans la chair, le second dans l'âme, le troisième par le jugement. Le premier eut lieu au milieu de la nuit, suivant ces paroles de l'Évangile: Au milieu de la nuit un cri s'est fait entendre : Voici l'Époux! Et ce premier Avènement est déjà passé : car le Christ a été vu sur la terre et a conversé avec les hommes. Nous sommes présentement dans le second Avènement: pourvu toutefois que nous soyons tels qu'il puisse ainsi venir à nous ; car il a dit que si nous l'aimons, il viendra à nous et fera sa demeure en nous. Ce second Avènement est donc pour nous une chose mêlée d'incertitude; car quel autre que l'Esprit de Dieu connaît ceux qui sont à Dieu ? Ceux que le désir des choses célestes ravit hors d'eux-mêmes, savent bien quand il vient ; cependant, ils ne savent pas d'où il vient ni où il va. Quant au troisième Avènement, il est très certain qu'il aura lieu ; très incertain quand il aura lieu : puisqu'il n'est rien de plus certain que la mort, et rien de plus incertain que le jour de la mort. Au moment où l’on parlera de paix et de sécurité, dit le Sage, c'est alors que la mort apparaîtra soudain, comme les douleurs de l'enfantement au sein de la femme, et nul ne pourra fuir. Le premier Avènement lut donc humble et caché, le second est mystérieux et plein d'amour, le troisième sera éclatant et terrible. Dans son premier Avènement, le Christ a été jugé par les hommes avec injustice; dans le second, il nous rend justes par sa grâce ; dans le dernier, il jugera toutes choses avec équité: Agneau dans le premier Avènement, Lion dans le dernier, Ami plein de tendresse dans le second. » (De Adventu, sermo III).
Les choses étant telles, la sainte Église, pendant l'Avent, attend avec larmes et impatience la venue du Christ Rédempteur en son premier Avènement. Elle emprunte pour cela les expressions enflammées des Prophètes, auxquelles elle ajoute ses propres supplications. Dans la bouche de l'Église, les soupirs vers le Messie ne sont point une pure commémoration des désirs de l'ancien peuple : ils ont une valeur réelle, une influence efficace sur le grand acte de la munificence du Père céleste qui nous a donné son Fils. Dès l'éternité, les prières de l'ancien peuple et celles de l'Église chrétienne unies ensemble ont été présentes à l'oreille de Dieu ; et c'est après les avoir toutes entendues et exaucées, qu'il a envoyé en son temps sur la terre cette rosée bénie qui a fait germer le Sauveur.
L'Église aspire aussi vers le second Avènement, suite du premier, et qui consiste, comme nous venons de le voir, en la visite que l'Époux fait à l'Épouse. Chaque année cet Avènement a lieu dans la fête de Noël ; et une nouvelle naissance du Fils de Dieu délivre la société des Fidèles de ce joug de servitude que l'ennemi voudrait faire peser sur elle (Collecte du jour de Noël), L'Église, durant l'Avent, demande donc d'être visitée par celui qui est son chef et son Époux, visitée dans sa hiérarchie, dans ses membres, dont les uns sont vivants et les autres sont morts, mais peuvent revivre; enfin dans ceux qui ne sont point de sa communion, et dans les infidèles eux-mêmes, afin qu'ils se convertissent à la vraie lumière qui luit aussi pour eux. Les expressions de la Liturgie que l'Église emploie pour solliciter cet amoureux et invisible Avènement, sont les mêmes que celles par lesquelles elle sollicite la venue du Rédempteur dans la chair ; car, sauf la proportion, la situation est la même. En vain le Fils de Dieu serait venu, il y a dix-huit siècles, visiter et sauver le genre humain, s'il ne revenait, pour chacun de nous et à chaque moment de notre existence, apporter et fomenter cette vie surnaturelle dont le principe n'est que de lui et de son divin Esprit. Mais cette visite annuelle de l'Époux ne satisfait pas l'Église ; elle aspire après le troisième Avènement qui consommera toutes choses, en ouvrant les portes de l'éternité. Elle a recueilli cette dernière parole de l'Époux : Voilà que je viens tout à l’heure (Apoc. XXII, 20) ; et elle dit avec ardeur : Venez, Seigneur Jésus ! Elle a hâte d'être délivrée des conditions du temps ; elle soupire après le complément du nombre des élus, pourvoir paraître sur les nuées du ciel le signe de son libérateur et de son Époux. C'est donc jusque-là que s'étend la signification des vœux qu'elle a déposés dans la Liturgie de l’Avent ; telle est l'explication de la parole du disciple bien-aimé dans sa prophétie : Voici les noces de l’Agneau, et l'Épouse s'est préparée (Apoc. XIX, 7).
Mais ce jour de l'arrivée de l'Époux sera en même temps un jour terrible. La sainte Église souvent frémit à la seule pensée des formidables assises devant lesquelles comparaîtront tous les hommes. Elle appelle ce jour « un jour de colère, duquel David et la Sibylle ont dit qu'il doit réduire le monde en cendres ; un jour de larmes et d'épouvante. » Ce n'est pas cependant qu'elle craigne pour elle-même, puisque ce jour fixera à jamais sur son front la couronne d'Épouse ; mais son cœur de Mère s'inquiète en songeant qu'alors plusieurs de ses enfants seront à la gauche du Juge, et que, privés de toute part avec les élus, ils seront jetés pieds et mains liés dans ces ténèbres où il n'y aura que des pleurs et des grincements de dents. Voilà pourquoi, dans la Liturgie de l'Avent, l'Église s'arrête si souvent à montrer l'Avènement du Christ comme un Avènement terrible, et choisit dans les Écritures les passages les plus propres à réveiller une terreur salutaire dans l'âme de ceux de ses enfants qui dormiraient d'un sommeil de péché.
Tel est donc le triple mystère de l'Avent. » (6)
Références Bibliographiques:
(1) Pape François, Angélus, 1er décembre 2013, disponible ici.
(2) Paul VI, Exhortation apostolique Marialis Cultus (1974), disponible ici.
(3) Origène, Homélie sur le Lévitique VII, 5-6 (SC 286, p. 302-303).
(4) Dom Guéranger, L’année liturgique, 1er dimanche de l’Avent (numérisation par l’Abbaye Saint Benoît de Port-Valais, disponible ici).
(5) Édith Stein, Source cachée (œuvres spirituelles), Ad solem – Cerf, 1999, p. 252.
(6) Dom Guéranger, L’année liturgique, Chapitre II : Mystique de l’Avent (numérisation par l’Abbaye Saint Benoît de Port-Valais, disponible ici).
Père Nicolas Bossu, LC