Des limites d'une prière

« J'enlèverai votre cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. » (Ez 36.26)
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cmoi
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Des limites d'une prière

Message non lu par cmoi » jeu. 06 mai 2021, 6:49

« Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! »

Cette prière du cœur, dite hésychaste, prépondérante dans l’orthodoxie, serait un condensé de tout ce que nous pouvons dire dans une prière, et je le crois. Maints écrits l’exposent et l’expliquent, que j’apprécie.
Elle se décompose en deux parties. La première nomme notre interlocuteur, celui que nous interpellons, et lui donne ce faisant certains titres et attributions.
La seconde constitue la prière proprement dite, qui rappelle notre condition, laquelle traduit notre besoin. Elle résume tout car pour Dieu, avoir pitié, c’est sauver. Et pour nous, être sauvés, c’est recevoir le salut auquel nous espérons ; or avec celui-ci, plus rien ne nous manque.
Sa brièveté n’a rien qui la dévalue, au contraire : Jésus a vanté les prières courtes mais sincères, et vilipendé presque grossièrement les bavardages qui les remplacent (Mathieu, 6 : 7).
Pourtant, ne sait-Il pas qui Il est et est-il nécessaire de le Lui rappeler ? Ne sait-Il pas quand nous nous adressons à Lui ? Si c’est davantage pour nous que nous effectuons ce rappel, il convient d’éviter de s’en attribuer par ricochet l’honneur, voire de s’en sentir flatté, ou de s’en gargariser : nous sommes autorisés à Lui parler !
Il convient de faire simple et d’être plus simple, et en sorte à ce qu’il n’y ait aucune utilité à nous rappeler à nous-mêmes la réalité de ce que nous faisons et de qui Il est, car ce serait le signe que nous l’aurions oublié, et l’oublier serait avoir péché ou trahi, perdu la foi.
Il convient de cesser ces artifices qui peuvent sembler spirituels mais ne sont que superflus et qui manifestent une distance : le temps que nous passons à dire cette première partie est quasiment du temps de perdu...

La seconde partie de cette prière semble avoir aboli la distance, mais même temps elle la suppose : c’est parce qu’il est ce qu’Il est que cela a du sens de Lui formuler cette demande, et c’est pourquoi aussi sans doute nous avons rappelé d’abord très subtilement sa puissance – Seigneur – et de quelle provenance qui la rend souveraine et absolue – fils de Dieu. Nous avons aussi rappelé son onction – Christ – par laquelle il nous est la voie, le chemin, et notre médiateur universel. Nous lui avions enfin donné son nom et qui voulait déjà dire qu’il est notre sauveur.
Mais comment éviter que ce soit pour nous en convaincre ou le flatter, sinon en considérant qu’il était bon de le lui rappeler à Lui, qu’il avait cette fonction, cette mission qui est la sienne envers nous ? Comme s’il pouvait l’avoir oublié ou avoir d’autres priorités, comme si cette évocation pouvait lui « forcer la main », au risque de l’indisposer... !

En réalité, et c’est bien là le message qui nous a été donné d’apprendre et d’entendre lors de sa venue, il ne cesse d’avoir pitié de nous, de nous tendre et de nous ouvrir ses bras.
C’est donc nous qui n’y entrons pas et non lui qui nous empêche d’en bénéficier.
Cette prière, prise sous ce jour-là, en ce qu’elle en manifesterait la compréhension, ne serait alors qu’une reformulation obéissante d’âme débutante et qui n’a pas encore réfléchi, qui s’y adonne pour elle-même dans un mouvement qui est de repli sur soi et non d’extase, de joie et d’adhésion profonde. Elle donne l’indice défavorable d’un retard à l’allumage (Luc, 12 : 49), d’une affinité défectueuse. Car après réflexion, ce que nous avons à lui dire n’est plus d’avoir pitié, mais de l’en remercier, de lui demander pardon de ne pas l’avoir mieux compris ou plus tôt, d’exprimer notre joie et notre gratitude, de lui préciser nos intentions.
Et cette réflexion, quand elle est la meilleure, elle se doit d’être spontanée, instantanée, sans ce détour.

Cette prière était excellente de la part de ses contemporains (Timée notamment : (Marc, 10 :47)), pour qui son contenu était un acte de foi car ils ne Le connaissaient pas encore et en cela ils exprimaient une intuition juste qui leur valut d’être exhaussés, mais de notre part elle serait hypocrite ou offensante, elle traduirait un malaise profond, une incompréhension, la dureté d’un cœur récalcitrant ou moqueur, sceptique.
Elle n’est acceptable qu’après nous être détournés de lui et nous savoir indignes de ce qu’il nous offre.

Bien sûr, la théologie nous enseigne que c’est le cas, mais est-ce bien ce que nous ressentons et nous faut-il en rester à ce sentiment, est-ce ce vraiment ce qu’il attend de nous ?
Après tout ce qu’il a fait, ne préférerait-il pas recevoir une effusion d’amour, et non ce rappel d’un fait pour lequel il a tant souffert et qui pourrait ainsi occulté mais suggéré, témoigner d’un certain égoïsme malvenu ?
A moins que nous n’embrassions ses plaies et nous consacrions à les soigner... (De multiples dévotions publiques ou privées en rendent compte, mais ne sont-elles pas quelque peu décalées et retardataires, incongrues ?)

J’ai le tort de penser que c’est un geste de réparation inutile et artificiel, qu’il vaut mieux assumer nos fautes et ce qu’elles nous ont mérité, puis le faire profiter de nos qualités pour le divertir ou le réjouir, lui donner de vraies raisons de n’en rien regretter et qui tiendront à nous.
Que notre vie devienne la mise en œuvre permanente d’une oraison mentale en tout point inconvenante pour le monde. Car c’est à cette condition que nous pourrons acquérir assez d’autorité et de confiance en la grâce pour ne pas être « partagés » et pouvoir effectuer des miracles, et non en ne cessant de réclamer pitié...


Merci pour vos réactions, observations, remarques, objections, ou commentaires...

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Re: Des limites d'une prière

Message non lu par gerardh » jeu. 06 mai 2021, 8:33

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Bonjour cmoi,

Il y a beaucoup de bonnes choses dans votre réflexion. Mais j'achoppe sur cette expression : "avoir pitié, c’est sauver. Et pour nous, être sauvés, c’est recevoir le salut auquel nous espérons".

Le salut éternel, pour moi, on l'a ou on ne l'a pas. Si on l'a il n'est nul besoin de demander à Dieu que nous le recevions. Certes, beaucoup de chrétiens n'ont pas vraiment l'assurance de leur salut, et cela est donc une perte pour eux, notamment un manque de paix intérieure. Il serait donc plus judicieux, pour ce chrétien non assez affermi, de demander à Dieu d'avoir cette assurance du salut et ainsi d'en jouir.

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Re: Des limites d'une prière

Message non lu par cmoi » jeu. 06 mai 2021, 12:33

Merci encore pour votre "retour".
Vous décrivez des choses bien réelles. Oui, nous l'avons ou pas, mais nous ne le savons pas toujours comme il conviendrait, l'erreur d'appréciation est possible (humilité ou orgueil y entrent disons objectivement à part égales).

Je vais vous répondre en prenant les choses par leur sommet : étant donné son éternité, Dieu sait, et tout ce qu'il a fait ou fera est au présent et lui fait face.
Ce que nous pouvons demander à Dieu, c'est que dans notre présent il nous mette en face de la bonne réalité, car le mal est avant tout dans l'erreur.
En quelque sorte, lui demander de nous sauver, c'est reconnaître qu'il l'a fait - si nous le sommes - et l'en remercier.
Et sinon, je dirai que c'est surtout reconnaitre que nous n'y avons aucun mérite, dans l'espoir de l'apitoyer et qu'il veuille bien changer notre coeur.

Je "sens" malgré tout derrière votre remarque quelque chose de la doctrine de la prédestination, j'essaye d'en éviter la difficulté en ce que quand bien même elle serait juste, nous ne savons pas ce qu'il en est vraiment, sinon par un acte de foi qui n'est pas la foi - qui sauve.
Cela se décide en fonction du dernier moment, et d'ici là, rien n'interdit de penser que ce que Dieu a décidé dans le passé est le résultat du futur, et pour cela un réajustement tenant compte de notre positionnement actuel peut être salutaire .

Ce faisant, vous m'avez obligé à faire la contre-critique de ma critique !


Autre regard : pouvons-nous encore parler de foi s'il y a l'assurance du salut ?
Ce qui en fait la beauté et la valeur, de ce salut, c'est qu'il soit un acte de foi et de confiance, d'espérance

cmoi
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Re: Des limites d'une prière

Message non lu par cmoi » lun. 10 mai 2021, 6:15

gerardh a écrit :
jeu. 06 mai 2021, 8:33
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Bonjour cmoi,

Il y a beaucoup de bonnes choses dans votre réflexion. Mais j'achoppe sur cette expression : "avoir pitié, c’est sauver. Et pour nous, être sauvés, c’est recevoir le salut auquel nous espérons".

Le salut éternel, pour moi, on l'a ou on ne l'a pas. Si on l'a il n'est nul besoin de demander à Dieu que nous le recevions. Certes, beaucoup de chrétiens n'ont pas vraiment l'assurance de leur salut, et cela est donc une perte pour eux, notamment un manque de paix intérieure. Il serait donc plus judicieux, pour ce chrétien non assez affermi, de demander à Dieu d'avoir cette assurance du salut et ainsi d'en jouir.

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Cher Gérardh,

j'avais craint que vous ne soyez censuré, mais pour une fois que non et que nous pouvons "discuter," j'aimerais que vous répondiez à mon argumentaire contre l'impact et la considération protestante de la prédestination, si tant est que ce soit pour vous une doctrine amie ou choyée.
J'espère ne pas vous avoir offensé...
Vous aurez remarqué et probablement résolu une fausse contradiction concernant la foi dans ma réponse : il y a en effet en celle-ci une addition

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