Sainte Françoise Romaine _ récit de sa vie

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Sainte Françoise Romaine _ récit de sa vie

Message non lu par Cinci » lun. 20 sept. 2021, 1:32

Sainte Françoise Romaine

dans

Coll. nos amis les saints


[...]

____________

Chapitre III

La vie paisible du Palais Ponziani allait être troublée pendant une longue période, de cruelles guerres civiles ayant éclaté dans Rome vers l'an 1400.

Le roi de Naples, Ladislas Durazo, homme rusé et ambitieux, se montra d'abord ami de la Papauté, mais avec l'espoir de s"emparer du pouvoir et de devenir le maître de Rome. Cette année était une année de jubilé, de nombreux Français venaient en Italie à cette occasion et des brigands en abusaient pour piller et voler, semant le désordre dans la ville de Rome; Ladislas voulut lui aussi en profiter; il excita le peuple et plusieurs grandes familles romaines, parmi lesquelles les Colonna, qui ne demandaient pas mieux que de l'aider à obtenir la puissance, et qui se dressèrent contre le Pape. La famille Ponziani au contraire, profondément chrétienne, prit parti pour le Saint Père, prête à le défendre jusqu'au bout. Des combats eurent lieu dans les rues de la ville et aux alentours, toute la contrée fut ensanglantée, l'angoisse régnait.

Le Château Saint-Ange fut attaqué, le peuple sous les armes entretenait une sourde agitation, quelques nobles se rendirent cependant auprès du Pape pour parler de paix. Ils furent malheureusement reçus par le neveu de celui-ci, Louis de Migliorati, brutal et orgueilleux qui, pour toute réponse, les fit massacrer et jeter leurs cadavres par les fenêtres de l'Hôpital du Saint-Esprit. Cela ne pouvait qu'accroître la révolte des Romains; et le Pape, victime de la brutalité de son neveu, dut s'enfuir à Viterbe.

Pourtant, au milieu de ces événements, un grand bonheur était arrivé au Palais Ponziani : un petit enfant était né, le fils de Françoise et de Laurent, on l'avait appelé Giovanni-Battista. Tous se réjouissaient, même la pauvre Vannoza qui venait d'avoir le chagrin de voir mourir son propre enfant, mais qui était heureuse du bonheur de sa soeur chérie. Les premiers sourires, les premiers mots du bébé furent, comme dans toutes les familles, autant d'événements qui comblaient les parents de joie.

Françoise fut une mère passionnément tendre, tout en restant ferme et douce. Cependant, la mère de Laurent, la grand-mère du petit Battista, devait mourir à son tour peu après la naissance de l'enfant, et le poids de la lourde maison retomba sur Françoise. En réalité c'est Vannozza qui aurait dû devenir maîtresse de maison; mais, quoique plus âgée que Françoise, elle lui demanda de prendre la direction, car elle avait pour elle autant de respect et d'admiration et son mari fut d'accord avec elle. Voilà donc Françoise bien jeune encore - elle avait alors dix-sept ans - en face de devoirs nouveaux et très durs. La domesticité était très nombreuse, il y avait même autour du Palais d'immenses troupeaux et la jeune femme devait diriger les bergers, mais elle sut créer une ambiance de respect et de dévouement. Rien n'échappait à cette jeune et ponctuelle maîtresse de maison. 

Elle avait héritée de somptueuses robes de sa belle-mère, et celle-ci en mourant avait peut-être espéré qu'elle s'en parerait enfin. Mais Françoise ne voulut conserver qu'une solide robe de drap qu'elle devait porter presque toute sa vie. Avec la permission de son mari elle vendit également les magnifiques bijoux de Cécilia et en donna l'argent aux pauvres.

Quoique ayant en principe toute autorité au Palais, Françoise eut parfois à lutter un peu contre son mari pour empêcher le mal d'entrer chez elle. Ce fut rare, car Laurent était le modèle des maris et elle n'avait en général qu'à lui obéir, toujours aimable et gracieuse. Il arriva cependant qu'un de ses amis apporta un jour au Palais un livre sur la magie, et il le faisait circuler de l'un à l'autre.

Françoise, tout d'abord, ne dit rien; elle attendait silencieusement que le livre passât à portée de sa propre main, mais alors elle s'en saisit et sans un mot le jeta au feu.

- Mon livre, mon précieux livre ! s'écria le propriétaire indigné, en essayant de l'arracher des flammes.
- Françoise, que fais-tu ? disait en même temps Laurent très mécontent de la colère de son ami, est-ce ainsi que tu traites nos invités ? Comment pourrais-je remplacer ce livre, à l'heure actuelle introuvable ? Vraiment tu agis avec une impétuosité bien peu raisonnable !

Françoise avait baissé la tête, elle laissa passer l'orage et puis lorsque son mari fut calmé, elle lui sourit et dit :
-Malgré vos reproches, mon ami, je suis heureuse d'avoir empêché le mal que cet écrit infernal aurait pu causer dans ma maison.

Personne n'osait plus rien dire, tellement chacun des assistants sentait qu'elle avait raison.

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Re: Sainte Françoise Romaine _ récit de sa vie

Message non lu par Cinci » lun. 20 sept. 2021, 2:12

(suite)

A cette époque, une terrible épidémie de peste se déclara, les morts se multiplièrent, chaque jour on apprenait de nouveaux décès : parents, amis, brusquement frappés, succombaient en quelques jours, et pour échapper à ce fléau chacun s'enfermait chez soi, faisant brûler des herbes aromatiques, et vivait en reclus, replié sur sa terreur.

Les malades abandonnés, chassés de chez eux par des parents que la contagion effrayait, mouraient parfois dans la rue; on rencontrait des cadavres sur le bord des chemins. A la nuit tombante des charrettes ramassaient les dépouilles de ces malheureux pour aller les jeter dans des fossés, hors de la ville. La famine s'ajoutait à la maladie; le désespoir, un silence angoissé pesaient sur Rome.

Françoise n'hésita pas à ouvrir toutes grandes les portes du Palais Ponziani, de larges distributions de nourritures y furent faites chaque jour, la jeune femme ne pensait pas même à l'avenir des siens, elle donnait tout sans regrets. Cependant, son beau-père, Andreazzo Ponziani, plus prudent et plus raisonnable, commença à s'inquiéter en voyant diminuer les provisions nécessaires au nombreux personnel de la maison; il enferma donc une certaine quantité de victuailles dans les greniers.

Au bout d'un peu de temps, Françoise n'avait plus rien à sa disposition. Elle fut désolée, mais reconnaissant la prudence de son beau-père, elle ne s'adressa pas à lui et chercha un autre moyen de nourrir les malheureux. Elle appela Vannozza, l'entraîna vers une sorte de grenier ou l'on avait entassé des bottes de paille, et toute la journée les deux jeunes femmes assises dans la poussière trièrent cette paille dans l'espoir d'y trouver encore quelques grains de blé; il fallait soulever les lourdes bottes, les secouer, chercher dans les fentes du plancher, et quand vint le soir Françoise et Vannozza harassées, mais fières et ravies autant que poussiéreuses, descendirent avec une pleine mesure de blé qu'elles s'empressèrent de montrer à Laurent.

- Vous avez bien travaillé, dit celui-ci qui riait de les voir si noires, mais pour un aussi faible résultat ce n'était pas la peine de vous donner tant de mal, et de vous salir à ce point.

Puis il monta au grenier pour en fermer les portes, laissant les deux petites soeurs un peu déçues. Lorsque le jeune homme pénétra dans la vaste pièce il s'attendait à trouver un grand désordre et de la paille répandue un peu partout, mais avec une profonde stupeur il vit au milieu de la pièce un «monceau de blé beau et doré comme moissonné dans le paradis et apporté par les anges».

Le beau-père de Françoise eut lui aussi une leçon : il avait gardé dans sa cave une barrique de vin pour les mauvais jours. Or Françoise découvrit par hasard la précieuse barrique, elle s'empressa de la vider de son contenu qu'elle distribua aux pauvres. Cette fois-ci le père Ponziani fut pris d'une grande colère , il accabla la jeune femme de reproches :

- Belle charité, crait-il, que celle qui dépouille sa famille pour des étrangers !

Françoise se sentait très coupable, regrettait d'avoir causé tant de peine à son beau-père qu'elle aimait beaucoup et retenait ses larmes.

Brusquement son visage s'éclaira :
- Venez Père, s'écria-t-elle, venez avec moi au cellier, la main de Dieu peut réparer le tort que je vous ai causé.

Dans la cave ils trouvèrent la barrique pleine à nouveau d'un vin bien meilleur que l'autre. Le vieil Andreazzo fut bien obligé de s'incliner devant la sainteté de la jeune femme et il mit à sa disposition tous ses biens pour qu'elle en fit l'usage qui lui conviendrait.


***


Un autre petit enfant naquit, que Laurent et Françoise appelèrent Evangelista; il était merveilleusement beau et fragile, puis ce fut une petite fille aussi belle et douce que son frère. Ainsi le bonheur semblait devoir régner dans le Palais Ponziani, d'autant plus que l'épidémie était enfin arrêtée. C'est le moment que choisit le démon pour tourmenter encore la pauvre Françoise.

Il s'attaqua d'abord à son amie chérie, sachant bien qu'ainsi c'est Françoise qu'il ferait souffrir davantage. Comme Vannozza était un jour montée au sommet de la tour du Palais pour contempler le radieux paysage de la campagne romaine, elle se sentit brusquement saisie et projetée dans l'escalier et elle roula jusqu'en bas; il y avait de quoi se briser les os, Françoise terrifiée assista à cette terrible chute, et s'élança pour recevoir sa pauvre soeur dont elle osait à peine imaginer l'état, mais Vannozza se relevait déjà, seule et à peine meurtrie, son ange gardien l'avait soutenue et protégée.

Ce fut alors le tour de Françoise : pendant la nuit, comme elle dormait paisiblement, elle fut saisie par ses beaux cheveux noirs, emportée sur la loggia et suspendue au-dessus du vide. D'un moment à l'autre elle pouvait aller s'écraser sur le pavé. Glacée de terreur, confiante cependant, Françoise murmurait doucement :

- Jésus, mon Jésus !

Quelques instants plus tard elle se retrouvait dans sa chambre indemne. Mais dès le lendemain Françoise coupait ses beaux cheveux sombres que Satan ne toucherait plus.

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Re: Sainte Françoise Romaine _ récit de sa vie

Message non lu par Cinci » mar. 21 sept. 2021, 14:24

(suite)

La guerre, la peste ravagent Rome

Le calme ne devait pas régner longtemps sur la ville de Rome. Ladislas était revenu, rappelé par les Colonna et les Savelli. il joua toute sa vie le rôle d'un traître permanent, tantôt soutenant le pape tantôt se liguant avec ses ennemis. Il se fit appeler roi des Romains mais comme ceux-ci ne voulaient pas être gouvernés par un Napolitains les combats recommencèrent. Les soldats de Ladislas pillaient les maisons, mettaient tout à feu et à sang. De nouveau, il fallut s'enfermer chez soi en tremblant. Rome était divisé en deux parties et chaque quartier avait ses chefs. Laurent commandait le quartier du Transtevere. La lutte fut très dure mais le jeune homme était plein de courage et toujours en tête des combattants.

Françoise vivait dans l'angoisse, sachant les dangers qu'il courait. Un soir qu'elle attendait comme chaque soir devant le Palais, elle vit approcher un triste cortège, son coeur battant avec violence, un affreux pressentiment la saisit. Hélas, elle avait raison : le cortège s'arrête enfin devant le porche, la pauvre femme reconnaît son mari étendu pâle et sans vie sur une civière. Autour de lui les hommes ont la tête basse, ils restent silencieux, ils sont certains de ramener un mort. Lentement ils pénètrent dans la vaste entrée du Palais et déposent leur fardeau sur le sol devant Françoise déchirée de douleur et d'effroi.

Elle interroge les soldats, ils ne peuvent que lui affirmer la mort de leur chef, qui a reçu un coup de poignard dans le côté. Cependant Françoise se refuse à croire l'horrible nouvelle, elle se penche sur Laurent, le serre dans ses bras et sent enfin son coeur battre :

- Il est vivant s'écrie-t-elle, il est vivant !

Aussitôt chacun s'affaire, des cris de joie se mêle aux sanglots, on veut appeler un médecin, certains conseillent plutôt d'appeler un prêtre les hommes lâchent leurs armes qui roulent sur le sol avec fracas; les femmes les enfants accourent, le plus grand désordre règne dans la cour du Palais, autour du mourant qui semble abandonné. Mais Françoise est là, calme, apaisée ; elle organise le transport du blessé. aide elle même à ce transport afin d'entourer son mari de plus de douceur et d'amour, et bientôt Laurent repose sur un lit Il revint lentement à la vie soigné par sa femme qui ne le quitta ni jour ni nuit.

Pendant ce temps Françoise connut d'autres angoisses, pires encore peut-être.

Le tyran Ladislas parti en guerre avait laissé à la tête de la ville, le comte de Troia, brute cruelle et sanguinaire dont l'unique joie était de faire souffrir les partisans du Pape, il espérait les discipliner en les martyrisant. Parmi les premiers qui furent arrêtés figurait le mari de Vannozza nommé Paluzzo; il fut aussitôt jeté en prison. Par un raffinement de cruauté le tyran, bien renseigné. sut la tendre affection qui unissait les deux jeunes femmes, envoya un message à Françoise :

- Votre beau-frère Paluzzo va être massacré. Cependant vous pouvez le sauver.
- Comment, s'écria Françoise consternée par le chagrin de Vannozza et prête à tout pour la consoler, dites vite et vous aurez ce que vous demandez, quand même ce serait ma fortune entière.

- Le comte de Troia demande que vous lui ameniez immédiatement votre fils Battista au Capitole, en échange il libérera Paluzzo.

A ces mots le coeur de Françoise se serre avec une angoisse affreuse, elle imagine son enfant aux mains des soldats du comte de Troia. Cependant, à ses pieds, Vannozza sanglote et la supplie :
- Ton fils ne risque rien, dit elle, ils le garderont en otage quelque temps et te le rendront ensuite tandis que mon cher Paluzzo est menacé d'une mort atroce. Sauve-le, puisque tu le peux. Au nom de notre amitié, ma Ceccolella, rends-moi mon mari.

Certes l'égoïsme de Vannozza est inconscient et sans doute a-t-elle raison, Battista ne risque rien pour sa vie, mais vivre au milieu des soldats en pleine guerre est une épreuve pour un enfant de huit ans. Françoise torturée ne sait que devenir. Lorenzo trop malade encore ne peut la conseiller : il faut seule qu'elle se décide. Non, elle ne peut décidément sacrifier son enfant; alors comme une folle la pauvre mère prend son fils par la main et s'enfuit avec lui. Vannozza, redressée, la voit s'éloigner et croit qu'elle se dirige vers le Capitole; mais Françoise a pris de petites rues étroites qui conduisent au Tibre, elle court essoufflée et tremblante, serrant la petite main dans la sienne, elle veut attendre le désert s'y cacher avec Battista jusqu'à ce que le danger soit écarté.

Comme elle fuit ainsi, aveuglée, brusquement elle voit son confesseur Dom Antonio se dresser devant elle ;

- ou courez-vous, ma pauvre enfant, avec ce petit ? demanda-t-il.
- Mon père, gémit la malheureuse, il faut que je le sauve

A ces mots entrecoupés elle redit l'affreux marché, explique son angoisse, son effroi. Le vieillard l'arrête, il a compris :

- Vous fuyez dit-il pour sauver votre fils et moi je vous déclare de la part du Seigneur que vous ne le sauverez qu'en le conduisant au Capitole.
- Ah, sanglote Françoise, c'est au Capitole qu'on va me l'enlever. Non, mon père. Dieu ne peut exiger semblable chose.

- Soyez confiante, ma fille, reprend Dom Antonio.

Et bientôt vaincue, obéissante, Françoise revint sur ses pas. Elle approche du Capitole, rencontre alors des amis qui essaient de l'arrêter :
- Vous n'allez tout de même pas livrer votre enfant ?

D'autres l'insultent :
- Mauvaise mère qui abandonne son petit à la fureur de ses ennemis Seriez-vous lâche, vous qui nous devez l'exemple ?

La fierté romaine se réveille en Françoise, elle se redresse, la force de son sacrifice lui rend tout son courage; tête haute maintenant elle traverse la foule, voit les soldats qui l'attendaient, arrive jusqu'à eux et sans un mot leur remet son fils. L'enfant effrayé voudrait s'accrocher à elle. «Sois courageux, lui dit-elle, toi aussi tu es un noble romain». Son regard fier et tendre apaise Battista, lui aussi obéit tandis que très vite, car elle craint de défaillir, cette mère héroïque s'éloigne.

- Le comte de Troia est là, lui crie-t-on, recommandez-lui au moins votre fils.

- Je ne le recommande qu'à Dieu lui seul peut me le rendre, répond Françoise.

Les sanglots l'étouffent; à bout de forces elle va se réfugier dans l'église Ara Coeli et se jette à genoux devant une image de la Vierge enfermée dans un somptueux reliquaire ; là elle pleure enfin, elle pleure comme une pauvre mère qui a perdu son petit. Peu à peu cependant elle s'apaise et lève les yeux vers la Vierge pour l'implorer. Alors, ô merveille, elle voit le reliquaire s'ouvrir, la Vierge sourit et lui dit doucement :

- Ne crains rien, je suis ici pour toi.

Une grande onde de joie gonfle le coeur de Françoise, ses larmes se sèchent, elle se calme, se relève confiante et sort de l'église pour rentrer chez elle et y attendre le retour de son fils.

Pendant ce temps les soldats. sur l'ordre de Troia, ont saisi le petit Battista et l'ont hissé sur un cheval pour l'emmener. Mais le cheval refuse de se mettre en marche. Surpris les soldats en amènent un autre , celui-ci se cabre, secoue la tête, refuse lui aussi de bouger; ni les coups, ni la douceur ne peuvent rien contre cet entêtement. Furieux, Troia ordonne d'amener un troisième cheval, puis un quatrième, mais il n'obtient aucun résultat , les chevaux semblent insensibles, ils restent figés sur place. Troia passe de la fureur à la stupéfaction, puis à l'effroi ; il a l'impression de se heurter contre quelque chose de plus fort que lui. Alors, très inquiet, il ordonne de rendre l'enfant à sa mère.

C'est ainsi que Françoise, qui attendait debout devant le Palais Ponziani, vit arriver le petit Battista qui se jeta dans ses bras :
- Ma mère, dit-il gaiement, vous aviez raison, ces soldats ne me voulaient pas de mal.

La guerre durait toujours, Rome était au pillage, on détruisait les églises, des écuries furent installées dans les basiliques dont les merveilleuses mosaïques furent souillées, des palais s'écroulaient, le sang coulait à flot. Le tyran faisait recherche Lorenzo dont il avait appris la guérison, aussi lui conseilla-t-on de fuir pendant quelque temps.

Il hésita longtemps, refusant de laisser le Palais à la garde des deux femmes seules et de trois enfants. Il fallut toute l'énergie de Françoise pour le décider à s'éloigner.

Voilà donc Vannozza et Françoise avec les trois petits dans le grand Palais. Au lieu de s'affliger outre-mesure et de trembler, la jeune femme transforme ce Palais en refuge pour les pauvres et les malheureux, en hôpital pour les malades. Toujours gracieuse, souriante et calme, aidée par sa chère petite soeur.

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Re: Sainte Françoise Romaine _ récit de sa vie

Message non lu par Cinci » mar. 21 sept. 2021, 15:12

(suite)

C'était compter sans le comte de troia qui s'était mis dans la tête de s'emparer de Lorenzo. Il réunit une petite troupe de soldats décidés à tout et les envoya au Palais Ponziani, avec mission de le ramener coûte que coûte. Ceux-ci arrivent avec grand fracas et se font ouvrir les portes avec des menaces et des grossièretés, ils envahissent toutes les pièces, fouillent partout, sèment le plus grand désordre et se livrent au pillage. Tout est saccagé dans le palais pendant que les deux femmes terrifiées et serrant les enfants dans leurs bras assistent impuissantes à ce désastre; le feu est mis à plusieurs endroits, des flammes s'élèvent et la fumée menace de les étouffer, tandis que les soldats les insultent et rient de leurs larmes.

La nuit entière s'écoule ainsi. A l'aube un spectacle désolant frappe les yeux des pauvres femmes, tout semble en ruines et la soldatesque déchaînée s'en va avec des rires grossiers. Si du moins ils s'en allaient seuls ! Hélas, au dernier instant, ivres de vin et de méchanceté, ils arrachent le petit Battista des bras de sa mère et l'emportent avec eux : «Puisque nous n'avons pu avoir le père, nous emporterons au moins son fils» crient-ils.

Françoise devrait avoir atteint le fond du désespoir. Son courage maintenant est invincible et aussi sa confiance en Dieu; elle console Vannozza, encourage ses voisins, éprouvés eux aussi, elle oublie son propre chagrin pour assister les autres et, comme le saint homme Job auquel le Seigneur avait tout ôté avant de tout lui rendre, elle accepte la souffrance et bénit Celui qui la lui envoie. Ainsi sans doute mérite-t-elle les consolations, les miracles que Dieu répandit autour d'elle tout le reste de sa vie.

Son mari est loin d'elle, son petit garçon lui a été enlevé, son palais est à demi-détruit, et pour comble de malheur la peste s'abat sur la ville.

L'un des premiers atteints fut le petit Evangelista, cet enfant extraordinaire qui disait parfois «Je me hâte d'arriver à la gloire éternelle» et qui avait grandi comme un petit saint. Il avait alors huit ans et lorsqu'il se sentit très malade ce fut lui qui consola et encouragea sa mère. Déjà il semblait voir le ciel, souriait aux anges. Il mourut comme en extase. Françoise vit aussi les anges qui venaient le chercher et elle ne fut pas la seule. En effet, dans la maison voisine, une petite fille de l'âge d'Evangelista, une de ses compagnes de jeu, se mourait elle aussi de la peste. Elle avait déjà perdu connaissance lorsque brusquement , elle se redressa sur son lit et s'écria extasiée :

- Oh, voyez comme c'est beau : Evangelista Ponziani monte au ciel entre deux anges !

Les ravages de la peste s'étendaient dans toute la ville. Avec le même courage, Françoise continua à s'occuper des malades. Elle pansait les plaies les plus hideuses, se consacrait à tous, rapportant chez elle les vêtements sales et pleins de vermine qu'elle lavait, raccommodait et, comble de délicatesse, parfumait légèrement avant de les rendre à leurs propriétaires afin qu'ils n'aient pas honte. Elle mendiait dans les rues pour avoir de quoi nourrir et soigner les malheureux au grand scandale de la noblesse romaine qui ne comprenait pas l'humilité de cette patricienne.

Ne vit-on pas un jour un noble et fier seigneur obligé de l'aider en pleine ville à ramasser la charge de bois que son âne avait répandue sur les pavés ? Mais on ne pouvait refuser un service à «Madonna» Ponziani comme tout Rome l'appelait alors.

On la rencontra aussi transportant un pestiféré sur ses épaules. Ce jour-là, naturellement, personne ne s'offrit à l'aider ! Elle portait toujours la vieille robe démodée et déteinte de sa belle-mère, ce qui lui donnait tout à fait l'air d'une mendiante. Son beau-père avait bien de la peine à se résigner aux habitudes de sa belle-fille. Il la rencontra portant des fagots de bois sur tête, il fut indigné, puis il l'admira.

Dieu allait faire éclater aux yeux de tous la sainteté de Françoise. Un grand miracle se produisit :

Une malheureuse mère vint un jour se jeter à ses genoux la suppliant de venir à son secours. Le désespoir l'égarait : son enfant unique, un bébé qui était tout son bonheur venait de mourir, et il n'était même pas baptisé.

Tout en pleurant elle avait ouvert son manteau et elle tendait vers Françoise le petit corps glacé. Celle-ci, qui souffrait encore si cruellement de la perte d'Evangelista, prit le petit enfant dans ses bras. Elle le serra doucement contre son coeur, priant Dieu d'avoir pitié de la pauvre mère.

C'est alors que le miracle arriva : le petit corps se réchauffa, l'enfant tressaillit soudain et Françoise en souriant le rendit à la mère folle de joie et de reconnaissance.

Françoise espérait bien que personne ne saurait la chose, la nouvelle au contraire se répandit rapidement et chacun s'écriait :

- C'est Madonna Ponziani, c'est la sainte de Rome.

Alors la pauvre femme, qui n'avait pas rendu la vie à son propre enfant s'enfuit en sanglotant et se réfugia dans l'église la plus proche pour prier.

Ce fut le premier grand miracle de sainte Françoise Romaine, une inscription l'a rappelé longtemps sur les lieux mêmes. Épurée et grandie par la souffrance et la pénitence, elle allait vivre de plus en plus parmi les merveilles. Des saintes femmes de Rome désiraient imiter sa vie. Elles vinrent la voir, lui demandaient de les guider. Françoise les groupa; chaque matin, dès l'aube, elles cheminaient ensemble par les rues de Rome pour aller assister aux offices. Ce fut le début de cet ordre des oblates que devait fonder sainte Françoise.

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Re: Sainte Françoise Romaine _ récit de sa vie

Message non lu par Cinci » mar. 21 sept. 2021, 18:11

(suite)

Le Bel Archange

Dès sa plus tendre enfance, Françoise, qui n'était encore que Ceccolella, avait pris sur les indications de sa mère l'habitude de prier son ange gardien et de l'appeler à l'aide, car l'Église nous affirme qu'il est toujours à côté de nous pour nous protéger. Dieu qui voulait en faire une grande sainte, permit que cette ange se manifestat à elle d'une manière sensible et plus d'une fois lorsqu'elle se rendait coupable d'une faute légère elle en recevait un avertissement.

Ainsi Françoise, encore toute jeune, assistait un jour chez ses parents à une conversation peu édifiante car on y disait beaucoup de mal du prochain; la fillette par amour-propre n'osait rien dire. Soudain les bonnes dames qui bavardaient avec si peu de charité entendirent nettement le bruit d'un soufflet. Elles se retournèrent et virent la joue de la petite Françoise toute rouge, son ange l'avait punie de son silence qui semblait approuver le bavardage. Parfois un simple petit choc sur l'épaule suffisait à la rappeler à l'ordre. Comment ne pas devenir une sainte quand on est ainsi dirigée ?

Plus tard cet ange devait lui tenir compagnie d'une manière plus merveilleuse encore : il y avait environ un an qu'Evangelista avait quitté sa mère, lorsqu'un soir comme celle-ci priait devant son oratoire elle vit apparaître l'enfant, plus beau encore que lorsqu'il était sur terre. Son sourire était radieux, son visage éblouissant. Le coeur de Françoise bondissait de joie en revoyant son fils. Près de lui se tenait un autre enfant qui semblait du même âge :

Evangelista parla longtemps à sa mère :

- Vous ne pouvez savoir, lui dit-il, combien je suis heureux. Celui que vous voyez près de moi est un archange. Dieu vous l'envoie, il ne vous quittera plus, il vous consolera car de grands chagrins vous attendent encore. Ma petite soeur Agnès va venir me rejoindre au ciel, Dieu l'appelle à partager ma joie. Mais vous, ma mère, vous serez bien seule.

Evangelista décrivit les merveilles du ciel, resta près d'une heure avec Françoise, puis respectueusement, car même au ciel il était toujours son fils obéissant, il lui demanda la permission de la quitter et disparut tandis que l'archange restait auprès de la sainte.

Depuis lors en effet il ne la quitta plus irradiant une telle clarté que Françoise pouvait lire et écrire la nuit sans autre lumière. Elle le distinguait à peine au milieu de ces rayons lumineux, mais parfois il les adoucissait pour qu'elle puisse le contempler.

Cet archange avait la taille d'un enfant de neuf ans, il priait en général les bras en croix et les yeux levés vers le ciel. Il portait un long vêtement blanc, toujours immaculé même lorsqu'il marchait à côté de Françoise sur des chemins boueux. Mais ce qu'il avait de plus beaux c'était ses cheveux, de merveilleuses boucles d'or étincelantes qui tombaient sur ses épaules. Parfois, il les secouait; alors elles brillaient comme des flammes et semblaient jeter des étincelles qui mettaient le diable en fuite. Il dut livrer en effet de véritables batailles contre les démons déchaînés qui frappaient la sainte. Il l'enveloppait alors tout entière de sa lumière éblouissante, ou bien il s'envolait au-dessus d'elle, et ses regards foudroyaient le maudit qui disparaissait enfin.

Nous avons tous près de nous ce merveilleux ami qui nous évite bien des dangers, mais nous n'y pensons pas, parce que nous ne le voyons pas comme sainte Françoise. Que de fois pourtant les mamans lui confient leurs enfants, et de que de fois ces enfants échappent à de grands dangers sans penser qu'ils le doivent à leur ange gardien.

Françoise entourait de tendresse sa jolie et fragile Agnès qui devait bientôt la quitter, La petite fille se mit à dépérir, à languir, à devenir plus pâle chaque jour. Puis, toute douce et souriante, elle s'éteignit dans les bras de sa maman.

***

Maintenant Françoise se trouva seule dans le vaste palais, son mari et son fils Battista sont prisonniers, sa chère Vannozza loin d'elle. Accablée de peine, épuisée par tant de travaux et de dévouement, elle ne résiste pas à l'épidémie et tombe malade à son tour.

Ses amis n'avaient pas son courage; effrayés par la contagion, ils l'abandonnèrent , non sans l'avoir vertement tancée sur son imprudence. Ce qui, d'ailleurs, ne servait à rien - un peu de charité eût été plus utile ! Françoise songea qu'elle allait rejoindre ses enfants chéris, envoya une tendre pensée à son mari et Battista et s'abandonna heureuse entre les mains de Dieu. Elle avait trente ans.

C'est alors qu'elle eut cette célèbre et terrifiante vision de l'enfer dont elle devait garder toute sa vie la terrible empreinte. A Rome, au couvent de Tor dei speicchi, on peut encore voir les peintures qui furent faites d'après les indications de la sainte et qui représente quelques unes des scènes de cette vision. Les visiteurs en sont en général très impressionnés. Quant à Françoise, elle crut mourir d'épouvante à la vue des démons repoussants, des damnés désespérés qui hurlaient dans l'abîme. Que de femmes, que de jeunes fille, elle vit là perdues par leur vanité et leur goût des plaisirs !

Lorsqu'elle revint à elle, Françoise pleura longtemps, et elle se promit de parler si souvent de cette vision que ceux qui l'entendraient partageraient son effroi et se convertiraient.

Elle vit aussi le Purgatoire. Mais, là, une merveilleuse espérance soutenait le courage des suppliciés. Purifiés par les flammes, ils devenaient peu à peu lumineux et légers et s'envolaient vers le ciel, enivrés de bonheur, accompagnés de leurs anges gardiens qui les avaient attendus.

Peu à peu elle guérit et put recommencer à s'occuper des autres.

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Re: Sainte Françoise Romaine _ récit de sa vie

Message non lu par Cinci » mer. 22 sept. 2021, 11:51

(suite)

Enfin la paix revint à Rome après de longues années de souffrances. Le Tyran Ladislas mourut et les prisonniers furent rendus à leurs familles. Laurent et Battista furent parmi les premiers. Quelle émotion ce fut pour Laurent de revoir sa femme. Il l'avait laissée belle, jeune et radieuse - il la retrouvait vieillie et changée par la souffrance et la maladie. Quel chagrin de ne pas retrouver ses chers petits ! Il éprouvait une haine et une colère terrible contre ceux qui l'avaient fait souffrir et qui les avaient séparés; il fallut à Françoise beaucoup de patience et de persuasion pour amener son mari à pardonner et oublier. Mais alors il ne pensa plus qu'à l'aider dans ses oeuvres de charité.

Parfois, cependant, il avait encore des sursauts d'orgueil et son amour-propre était blessé lorsqu'il rencontrait Françoise dans les rues de Rome, misérablement vêtue, et, comme un jour elle portait encore sur la tête un fagot de bois, il s'indigna :

- Est-ce donc toi, Françoise, le fière patricienne que j'ai épousée ? Madonna Ponziani elle-même, ma femme devant tous ?

Françoise le regarda en souriant. Ce sourire suffit à apaiser le pauvre mari vexé. Désormais, il lui laissa toute liberté, l'aidant autant qu'il le pouvait. Il y avait bien à faire pour cela, on ne savait jamais qui Françoise ramènerait au Palais ! Un jour, elle rencontra dans la rue un pauvre vieux dont le bras était presque arraché par un coup d'épée reçu dans une rixe. Il portait une plaie affreuse ou les vers se mettaient déjà.

- Pourquoi ne te fais-tu pas soigner ? lui demanda Françoise apitoyée.
- Je n'ai pas d'argent, répondit le pauvre homme.

Sans hésiter, Françoise l'emmena chez elle, l'y garda dans une des meilleures chambres, le soigna, le guérit et ne le laissa repartir qu'au bout de plusieurs jours. Rien ne la rebutait ni ne l'effrayait.

Cinci
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Re: Sainte Françoise Romaine _ récit de sa vie

Message non lu par Cinci » mer. 22 sept. 2021, 12:23

(suite)

Gentillezza et Mabilia

L'histoire de Gentillezza est fort jolie. Cette ravissante jeune femme romaine menait une vie très mondaine, elle dansait, allait au théâtre, ne s'occupait que de ses toilettes, de sa beauté dont elle était très fière, de ses magnifiques cheveux d'or qu'elle teignait à la mode vénitienne, et de ses plaisirs. Cependant, elle allait avoir un enfant. Au lieu de s'en réjouir, elle s'en désolait, redoutant d'en être gênée pour ses sorties et ses distractions. Elle craignait aussi pour sa beauté.

Françoise l'apprit. Indignée par une telle insouciance, elle vint voir la jeune femme, essaya de la convaincre des joies que lui apporterait un petit enfant :

- Il te ressemblera, dit-elle, il sera la beauté et le bonheur de ta vie, songe à ses premiers sourires qui ne seront que pour toi.

La jeune femme éclata de rire, se moqua des conseils de Françoise et la traita insolemment de «matrone vieux jeu». Heureusement, Françoise ne se fâcha pas et se borna à prier pour cette tête folle.

Gentillezza continua à sortir, à danser, à s'amuser. Mais, un jour, comme elle sortait d'une maison amie après toute une nuit de danse, elle glissa dans l'escalier, roula jusqu'en bas et fut emportée à l'hôpital sans connaissance, les jambes brisées, le front ouvert.

Lorsqu'elle revint à elle, ce fut pour se rendre compte de son état.

- Est-il possible, gémissait-elle, que je doive rester infirme toute ma vie, défigurée par une horrible cicatrice au visage ? Non, j'aime mieux mourir.

Gentillezza tomba dans un morne désespoir. Elle se laissait à peine soigner, pleurait du matin au soir, ce qui n'arrangeait pas les choses. Ses parents ne savaient que faire, et, comme tous ceux qui avaient quelques ennuis, ils allèrent chercher Françoise. «Elle seule, pensaient-ils, peut consoler notre fille».

Françoise accourut sans hésiter. Une fois de plus, elle sut trouver le chemin du coeur de la jeune femme, qui n'avait plus alors aucune envie de rire. Elle pleura dans les bras de la sainte dont la bonté l'avait touchée. Elle promit, si elle guérissait, de renoncer désormais aux plaisirs, aux folles parures.

- J'ai été mauvaise avec vous, dit-elle, et pourtant vous êtes là. Ne pouvez-vous rien pour me guérir, vous qu'on dit si sainte ? Je tâcherai de vous ressembler, je penserai aux autres, et je voudrais tant avoir un petit enfant qui m'aime. Croyez-vous, Madonna Ponziani, que ce soit encore possible et que le Bon Dieu ne m'en veuille pas trop ?

- Aies confiance, répondit simplement Françoise, je prierai avec toi et Dieu nous exaucera.

Gentillezza guérit, grâce aux prières de sainte Françoise sans doute, car elle était en péril de mort. Elle retrouva même sa beauté et sa gaieté. Peut-être n'eût-elle pas tenu ses promesses, car il est toujours difficile de tenir les promesses qu'on a faites quand on était malheureux et qu'on ne l'est plus. Mais Dieu lui envoya un beau petit bébé qui fut tout son bonheur. Elle se consacra à l'élever et ne pensa plus à autre chose.

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Re: Sainte Françoise Romaine _ récit de sa vie

Message non lu par Cinci » jeu. 23 sept. 2021, 14:48

(suite)

Cependant le Pape Grégoire XII était mort. Il ne fut pas remplacé immédiatement et le Concile gouverna la chrétienté. La paix revenait lentement à Rome, mais des monceaux de ruines étaient partout, et les loups de la campagne romaine venaient jusque dans les jardins du Vatican. Enfin, un nouveau pape fut nommé, ce fut Martin V. Le schisme prenait fin, et les Romains attribuaient cette victoire aux prières et aux souffrances de leur grande sainte. Les familles recommençaient à faire des projets, songeaient à l'avenir, ce qui n'avait pas été possible dans l'insécurité des dernières années.

Battista le fils de Françoise était devenu un grand et beau garçon, solide, gai, plein d'entrain. Il avait dix-sept ans et son père pensait à le marier. Une jolie jeune fille, de riche et noble famille romaine, fut choisie pour lui. Elle s'appelait Mabilia, ce qui est paraît-il un diminutif de «aimable», mais elle ne méritait pas ce nom charmant.

Mabilia, gâtée par ses parents, se montrait surtout vaniteuse, comme l'avait été Gentillezza. Elle fut reçue au palais Ponziani comme une princesse; ses beaux parents et Battista ne savaient qu'inventer pour lui faire plaisir. On la combla de cadeaux, on lui cherchait des distractions. Tout cela ne la rendait pas moins orgueilleuse. Une bonne nature eût été reconnaissante et eût rendu affection pour affection, mais Mabilia se rendit vite insupportable tant elle était fière de sa beauté et de sa noblesse. Elle voulait montrer à ses amies le beau palais qu'elle habitait, ses parures et sa fortune. Elle les reçut souvent. Toutes ces jeunes péronnelles étaient revêtues de robes à traîne, de velours, de lamé or ou de soie dorée, ornées de ceintures d'argent et de perles, de rubans d'or ou de satin; elles portaient dans leurs cheveux des couronnes d'or, des voiles légers ou des tresses de perles et de pierres. De riches pendants d'orfèvrerie ornaient leurs oreilles; elles passaient leur temps à bavarder en mangeant des petits gâteaux et en raillant ceux qui ne les imitaient pas.

Mabilia ne pouvait apprécier les vertus de sa belle-mère; elle en avait honte lorsqu'elle la voyait dans la vieille robe qui lui venait de Dame Cécilia, et qui avait peut-être bien un siècle d'existence; elle commença donc à se moquer d'elle devant ses amies. Celles-ci ne se gênèrent plus, accablèrent à leur tour la pauvre Françoise de leurs sarcasmes.

- Comment pourrais-je respecter une femme qui ne se respecte pas elle-même ? disait en riant Mabilia à celles qui s'étonnaient de son insolence. Et tout le petit groupe riait avec elle.

Françoise fut très peinée de la méchanceté de cette belle-fille qu'elle aimait déjà et qui était la femme de son fils chéri. Mais, toujours douce et bonne, elle ne dit rien et accepta les méchancetés de la petite jeune femme qu'un peu de sévérité eût peut-être fait taire. Un soir, toute la famille se trouvant réunie, Mabilia, emportée par l'habitude et oubliant la présence de Laurent et de Battista, répondit à sa belle-mère avec insolence.

- Que dis-tu, malheureuse ? s'écria Laurent indigné, comment oses-tu parler ainsi à ta mère ?

Battista furieux lui aussi se levait pour corriger la jeune femme prête à s'insurger, et Françoise cherchait à les apaiser , lorsque Mabilia s'affaissa brusquement sur sa chaise, tandis qu'une douleur si violente la tordait que des larmes coulaient sur ses joues. Vaincue par la souffrance, l'orgueilleuse jeune femme appela sa belle-mère à son secours. Honteuse cependant de sa méchanceté, elle la supplia de lui pardonner et de la guérir. Françoise sans rancune avait posé la main sur le front de la jeune femme et la tenait dans ses bras; elle lui murmurait de douces paroles, et Mabilia se releva enfin sereine et souriante.

Comme elle était intelligente et avait un bon coeur sous ses dehors écervelés, elle n'oublia pas cette leçon et, jetant ses parures aux pieds de la sainte, elle lui promit de changer et de chercher à l'imiter. Elle n'en devint d'ailleurs que plus jolie, ses traits s'adoucirent : elle y gagna un charme que toutes ses belles robes ne pouvaient lui donner.

Deux petits enfants naquirent et aidèrent Mabilia à tenir ses promesses. On les appela Girolamo et Vannozza. Françoise connut la joie d'être grand-mère et aima ces deux petits comme ceux qu'elle avait perdus.

Ces deux enfants, dans leur innocence, voyaient sans doute le bel archange qui accompagnait sans cesse Françoise. Le diable, furieux parce que Françoise et son ange étaient toujours victorieux dans les combats qu'il leur livrait, s'attaqua au petit Girolamo. Un jour qu'il était dans les bras de sa grand-mère, il se mit à pousser des cris d'épouvante et Françoise vit bien le démon affreux et repoussant qui l'effrayait; elle traça des signes de croix sur son front , lui fit prononcer le nom de Jésus, mais le diable était toujours là. Alors, Françoise, qui ne craignait rien pour elle, eut peur et appela son ange au secours. L'archange tendit les bras et la sainte put y déposer l'enfant, à la grande stupéfaction des assistants qui virent Girolamo soutenu dans les airs et doucement déposé dans son berceau. Il souriait à celui que seule Françoise pouvait voir, qui était si beau, si rassurant. Le démon une fois de plus, n'eut plus qu'à disparaître.

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Re: Sainte Françoise Romaine _ récit de sa vie

Message non lu par Cinci » jeu. 23 sept. 2021, 15:23

Pèlerinage à Assise

Les pieuses dames romaines aimaient se grouper autour de Françoise et l'une d'entre elles, Rina Celli, proposa un jour de se rendre à Assise en pèlerinage pour prier le grand saint François, Vannozza, ravie de cette idée, convainquit rapidement Françoise. Les maris donnèrent les autorisations nécessaires, heureux de cette distraction pour leurs femmes, Mais lorsqu'ils apprirent que le voyage devait s'accomplir à pieds et sans aucune provision, ils furent assez inquiets :

- Vous n'iriez pas loin ainsi, dirent-ils, c'est une folie, Nous vous défendons bien de partir dans ces conditions, votre santé n'y résisterait pas.
- Qu'importe notre santé, supplia Françoise, Dieu nous assistera et saint François veillera sur nous. Nous ne risquons rien.

Vannozza et Rina joignirent leurs supplications à celles de Françoise si bien que les maris finirent par se laisser attendrir et le voyage fut décidé.

- Ne manquez pas de prier pour nous, qui sommes obligés de rester, recommanda encore Laurent.

La route est longue de Rome à Assise. Les pèlerins suivirent la belle vallée de l'Ombrie, au milieu des vignes, des prairies. Venant de la ville, elles se réjouissaient de la fraîcheur et de la pureté de l'air, elles admiraient les jolis ruisseaux des champs, les rivières qu'il fallait traverser. Le ciel était d'un bleu tendre, la brise embaumée semblait les soulever et elles avançaient rapidement, chantant de joyeux cantiques qui exprimaient leur joie.

Cependant, au bout de quelque temps, elles se sentirent lasses. La chaleur de juillet pesait, dans le milieu de la journée. Le soir, elles couchaient dans des couvents ou elles étaient toujours bien reçues. Elles passèrent ainsi à Foligno, approchèrent enfin de leur but et purent apercevoir la colline d'Assise, ses maisons gothiques et ses tours crénelées. Mais il y avait encore une large plaine à traverser et cette colline à gravir. Or, les trois femmes étaient vraiment épuisées. Elles avaient les pieds meurtris, la gorge sèche. Cependant, elles avançaient avec d'autant plus de courage qu'elles apercevaient Assise, but de leur voyage.

Tout à coup, elles virent devant elles un pèlerin qui s'en allait pieds nus lui aussi et la bâton à la main. Il s'arrêta pour les attendre, les salua poliment et se mit à leur parler. Françoise se sentait un peu inquiète. Qui était cet inconnu ? Levant alors les yeux vers son ange, elle voit la lumière qui l'environne s'étendre aussi sur le religieux, elle le reconnaît. Sans rien dire à ses compagnes, elle poursuit son chemin rassurée.

Le religieux, tout en marchant, parle de Jésus et de Marie. le coeur des trois femmes, comme celui des disciples d'Emmaüs, est tout brûlant d'amour.

Cependant, la chaleur devient accablante; le pèlerin s'arrête devant un arbre à demi-desseché, un poirier qui, depuis longtemps, n'a donné aucun fruit; il considère avec pitié les trois voyageuses, leurs traits tirés par la fatigue, leurs yeux cernés, leurs lèvres brûlées par la soif. Alors, il jette son bâton dans les branches de l'arbre et trois beaux fruits viennent rouler devant Françoise et ses amies.

Stupéfaites, Vannozza et Rina regardent la sainte. Celle-ci sourit et leur fait signe de ramasser les fruits sans crainte : ce sont de magnifiques poires juteuses, sucrées, telles qu'il est si agréable d'en manger par des chaudes journées d'été; mais celles-ci doivent être des fruits du paradis, et jamais les trois femmes n'en ont goûté de si délicieux. Elles veulent remercier le religieux, mais il a déjà disparu. Comme Françoise, ses compagnes ont compris qu'il s'agissait de saint François d'Assise venu à leur rencontre sur le chemin de son sanctuaire.

Réconfortées, elles poursuivent leur route et arrivent enfin à Sainte-Marie-des-Anges.

***

Au retour, Françoise apprit avec douleur la mort de Dom Antonio. Son nouveau confesseur, Dom Mattioti, fut un peu effrayé lorsqu'il se vit appelé à diriger une âme de grande sainte, et à entendre le récit de ses extases et de ses miracles.

- Dieu confond la sagesse du monde, s'écria-t-il.

C'est lui qui a écrit la première vie de sainte Françoise.

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