Prêter à intérêt est-il licite ? [VIX PERVENIT]

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L' intérêt tue-t-il, comme le dit le Cat. de Trente ?

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antoine93
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Prêt à intérêt

Message non lu par antoine93 » dim. 04 janv. 2009, 1:52

J'ai appris des choses dessus car je suis, en plus d'être croyant, étudiant en sciences économiques.

Les catholiques sont globalement défavorables au prêt à intérêt. Saint Thomas d'Aquin disait que cela est vendre le bien et l'usage du bien, et donc vendre la même chose deux fois, et donc vendre ce qui n'existe pas.

Alors que notre professeur d'économie nous dit : "l'intérêt est la rémunération de la patience et de la prise de risque du prêteur".
Et donc, ayant prêté l'argent, le prêteur vend bien quelque chose qui existe (la patience et la confiance) en contrepartie de l'intérêt.

Personnellement, je pense que le prêt à intérêt est licite. Et vous, qu'en dites vous ?

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Christophe
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Re: Prêter à intérêt est-il licite ? [VIX PERVENIT]

Message non lu par Christophe » jeu. 10 déc. 2009, 23:47

Les idées fondamentales de la conception économique scolastique

Intérêt et banque

La condamnation est ici générale, et c'est le principal point de divergence par rapport aux conceptions actuelles. On l'a vu, l'idée de base est que la monnaie est stérile. Et que le temps est un bien commun à tous. Cela dit, de nombreuses constatations réduisent la portée de cette condamnation. Certains auteurs disent par exemple que la monnaie est féconde si elle est associée au travail humain. Un saint Bernardin distingue le temps en général, et le temps d'usage d'un certain bien. Certaines notions de droit romain reprises conduisent à accepter qu'il y ait des paiements visant à dédommager ce qui pourrait être gagné ailleurs avec l'argent qui a été prêté, ou ce qui est perdu dans le processus, voire les retards (Lucrum cessans, damnum emergens). Certains admettent même que la valeur future d'un bien est toujours inférieure à la valeur présente. On notera ici l'apport de Pietro di Giovanni Olivi : il considère le cas d'un prêt à une activité productive. L'idée est que la valeur d'un capital investi est différente et supérieure à celle de la monnaie qui lui sert de support. Mais il faut pour cela un ferme dessein du propriétaire, en faveur d'un certain usage. Le gain est alors le fait du capital, pas de la monnaie.

On reconnaît en outre que le cas des banques est particulier, puisqu'elles ont besoin de pouvoir à tout moment rembourser les dépôts ; elles doivent donc pouvoir emprunter et rembourser rapidement; il est donc normal qu'elles payent cette disponibilité. L'escompte est jugé généralement licite si une des clauses de droit romain ci-dessus s'appliquent. Certains admettent aussi que cela soit sujet à un marché spécifique, tenant compte de la moindre valeur de l'argent dans le futur (sans pour autant dire que cela résulte du pur passage du temps). Mais il est vrai que d'autres critiquent cela en disant que cela justifie le taux d'intérêt. On rappellera d'ailleurs l'importance de l'institution à la même époque des Monts de Piété. Leur rôle a été important non seulement dans les finances privées, mais aussi dans le financement de l'économie. La question qui s'est posée à eux a été celle de la facturation: coût ou intérêt. L'intérêt a fini par être accepté, pour couvrir et les frais et le risque. Une bulle papale l'a même confirmé malgré l'opposition de Cajetan.

Dans la pratique on a été assez souple. Mais sur le plan théorique on tâtonnait sans dépasser véritablement la condamnation. Il y a en outre conscience du risque que l'argent stérile étouffe l'esprit d'entreprise; d'où la distinction qui est faite entre usure et intérêt. En bref, la théorie de l'usure est le talon d'Achille de cette école, même si elle s'est approchée assez près de la conception actuelle, et si l'effet pratique de la restriction n'a pas été significatif.
:arrow: Pierre de Lauzun, Christianisme et croissance économique, P. 111
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mama789
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Re: Oui, l'intérêt est nuisible

Message non lu par mama789 » ven. 30 sept. 2022, 10:54

janpier dutrieux a écrit :
jeu. 17 févr. 2005, 11:28

LA « RIBA » ISLAMIQUE

La civilisation islamique condamna également l'intérêt. La principale règle coranique dans le domaine économique dispose que Dieu a rendu licite l'achat et la vente, le commerce, et illicite l'intérêt ou usure, ou « riba » (du verbe arabe rabâ: accroître et augmenter) .
Selon J. Schacht, dans son Encyclopédie de l'Islam, l'usure est « d'une façon générale, tout avantage précaire illégitime sans équivalent du service rendu ». Déjà, le prophète Mahomed condamnait l'intérêt à faible taux tout comme celui à taux élevé. Cependant, M. Arkour note dans « Islam, Religion et Société » que « l'enseignement religieux chrétien comme celui du Coran interdit l'usure et condamne l'enrichissement continu, égoïste et personnel, ainsi que la concentration des richesses dans les mains de quelques-uns aux dépens de larges couches de la population ».
Le problème posé par l'usure ou « riba » a soulevé de nombreuses controverses au fil des siècles, et plus encore ces dernières décennies qui ont littéralement vu exploser les flux financiers entre les pays islamiques et non islamiques. En droit musulman, il convenait de déterminer ce qui est « halal » (ou licite) et ce qui est « haram » (ou illicite), chose d'autant moins aisée que l'emploi des capitaux épargnés ou prêtés n'est plus maîtrisé, dans l'internationalisation des flux financiers par les épargnants.
De nombreuses « Fatwa », ou règles de loi coranique, sont venues, au XX e siècle, enrichir la jurisprudence islamique sur ce sujet. Aujourd'hui le gain que retire l'argent est légal (halal) lorsqu'il ne lèse aucune des parties contractantes. Il peut être alors qualifié d'encouragement à l'épargne et à la coopération et accepté par la « Shari’a ».
A contrario, est illégal (haram) le gain demandé à l'argent alors que le débiteur ne réalise pas ou ne peut réaliser suffisamment de bénéfice pour le dégager. La majoration de la dette après l'échéance, et la multiplication des intérêts qui renouvelle sans cesse la dette sera également « haram ». En tout état de cause, le gain que procure un capital épargné ne peut être fonction de la durée de cette épargne ni même être déterminé à l'avance, il ne peut être que le résultat d'une association dans un commerce, dont le bénéfice effectif ne peut être connu qu'au terme de son activité. Dès lors, exiger un intérêt, quelqu'il soit, d'un prêt consenti à un tiers, commerçant, industriel ou particulier, sans participer aux risques et aux pertes éventuels de celui-ci sera prohibé. Par contre, prêter le même capital en participant aux gains et aux pertes éventuels de l'emprunteur sera licite, puisqu'il s'agit d'une association où le risque est bilatéral, et par conséquent partagé.
Cependant, afin de respecter les règles coraniques, les autorités musulmanes invitent les fidèles qui déposent des capitaux dans des entreprises bancaires non musulmanes à retirer les intérêts en les donnant aux musulmans pauvres conformément à une « fatwa » répondant à la révélation du Coran : « Tout ce que vous donnerez à usure pour augmenter vos biens ne vous produira rien auprès de Dieu. Mais tout ce que vous donnerez en aumône pour obtenir les regards bienveillants de Dieu vous sera porté au double ». Certains pays musulmans s’attachent à respecter le principe de l'association aux profits et pertes dans le maniement de l'argent, et dans l'union du capital et du travail. Cette association est appelée « Mudarãba » ou société de spéculation islamique (expression qu'il ne convient pas ici de prendre dans le sens péjoratif qui nous est connu, mais dans son sens etymologique d’observer et de compter sur.

Dans la Shari’a, la Mudarãba est définie comme un contrat associant le capital de l'un au commerce exercé par l'autre. C'est une forme de coopération qui unit les deux facteurs de la production, le capital et le travail.
La société de « spéculation islamique » autorise l'investissement des capitaux dans des projets utiles à la nation et estime que le capital ne représente qu'un dépôt entre les mains de l'ouvrier. Enfin, elle exige que les bénéfices ne soient pas fixés d'avance en volume ou en priorité, mais selon des quote-parts du profit indivis. Cette spéculation peut aboutir soit à des gains, soit à des pertes, sans que rien ne soit garanti à l'avance. La notion de risque est ici mutualisée La principale différence entre la spéculation islamique sur laquelle la Banque Islamique est fondée et le prêt à intérêt, moteur de notre système financier, réside dans le fait que notre système bancaire détermine a priori l'intérêt, qu'il soit prêteur ou emprunteur; alors que la spéculation islamique (qui observe) ne le détermine qu'en fin de période, a posteriori.
Par exemple: « en ce qui concerne les déposants de fond à la banque, à qui on annoncerait préalablement qu'à la fin de l'année ils percevront, disons 3 % que la banque ait réalisé ou non un bénéfice suffisant pour remplir cette promesse, cela l'Islam l'interdit; par contre, si la banque dit à la fin de l'année: nous avons réalisé des bénéfices; après déductions des réserves contre les éventualités, nous sommes en mesure de vous payer disons les mêmes 3 %, à titre de participation proportionnelle aux gains, l'Islam l'admet volontiers ».
La spéculation islamique peut donc s'analyser, quant au fond, comme un contrat associant les spéculateurs, l'épargnant qui apporte le capital et l'ouvrier qui emploie celui-ci, aux profits et pertes résultant de l'opération.
Excellente analyse pertinente et exhaustive, bravo ! L'histoire de l'usure au travers de nos différentes cultures et civilisations est perçue de bien des manières différentes en fonction des peuples et des époques. L'islam n'y fait pas exception.
Entre les premiers écrits islamiques relatifs à l'usure et la situation actuelle avec des puissances pétrolières musulmanes telles que le Qatar et les Émirats, nous voyons bien que les choses ont changé au fil du temps... Et peut-être pas en bien malheureusement

Christian
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Re: Prêter à intérêt est-il licite ? [VIX PERVENIT]

Message non lu par Christian » sam. 01 oct. 2022, 17:07

Bonjour à tous,

Intéressante discussion.

La prohibition du prêt à intérêt nous vient de sociétés nomades, hébraïque et arabe. Les Romains, bâtisseurs et agriculteurs, prêtaient à intérêt sans complexe. Pourquoi ce que la coutume interdisait aux uns, elle le permettait aux autres ? La raison, à mon avis est celle-ci. Les sociétés nomades sont peu gourmandes en capital. Un prêt était donc un prêt à la consommation, c’est-à-dire dans ces sociétés pauvres, une avance pour subvenir à des besoins primaires. Il eut été odieux de réclamer un intérêt à ceux qui avaient faim. D’où tireraient-ils le revenu pour rembourser ces intérêts ?

En revanche, dans les sociétés agraires et celles économiquement plus complexes, le prêt peut servir à investir, donc augmenter les ressources disponibles de l’emprunteur (et accessoirement de la société) – achat et mise en valeur de terres agricoles, utilisation de machines… L’accroissement de ces ressources permet le remboursement du prêt.

Ainsi l’emprunteur loue du capital comme il louerait un local pour servir ses clients ou une machine pour augmenter sa production. On ne voit pas pourquoi ces locations seraient licites, mais pas celle de l’argent.

Dans sa logique, la finance islamique reconnaît bien la différence entre
— le prêt à la consommation, qui doit être remboursé par une autre source de revenus (le sofa ou la télévision achetés à crédit ne se paieront pas eux-mêmes)
— et le prêt pour un investissement productif, générateur d’un revenu supplémentaire, qui remboursera l’emprunt.

Mais si le but est de faire du bénéfice, disent les théologiens islamiques, comme il est rappelé plus haut, tous les financiers doivent être traités à égalité, partageant pertes et profits. Or les prêteurs dans nos économies occidentales sont servis d’abord. L’intérêt doit leur être versé, avant la répartition des bénéfices aux autres apporteurs de capitaux.

Ces théologiens islamiques ont logiquement tort, à mon avis. On n’attend pas du bailleur d’un local ou d’un loueur de camions qu’il prenne une part aux bénéfices de ses clients. Ce n’est pas son rôle. A chacun son métier. Il en va de même des banquiers. La compagnie d’assurances ou la caisse de retraite qui prête à des dizaines d’entreprises n’a pas pour vocation de les cogérer. Elle se contente d’évaluer le risque du prêt et de charger un intérêt qui tient compte de ce qu’on appelle très justement « le loyer de l’argent », qui est le même pour tous dans une économie donnée, plus une prime de risque, calculée pour chaque emprunteur.

Comme statistiquement, des emprunteurs ne rembourseront pas, les bailleurs de fonds perdraient systématiquement de l’argent. Ce ne serait pas seulement une perte pour l’économie, mais une injustice flagrante. Certains loueurs sont rémunérés, d'autres pas pour le même service.

(à moins d’interdire le principe même de la location, que ce soit d’un champ, d’un appart’, d’une voiture, ou d’un capital monétaire)

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