L'Église sur la laïcité

« Aimez la justice, vous qui gouvernez la terre » (Sg 1.1)
Règles du forum
Forum de discussions entre personnes de bonne volonté sur la doctrine sociale, politique, économique et écologique de l'Église
gerardh
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 5032
Inscription : ven. 26 déc. 2008, 20:02
Conviction : chrétien non catholique
Localisation : Le Chambon sur Lignon (France)

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par gerardh » sam. 26 juin 2021, 12:44

"__

Bonjour,

Je n'ai encore qu'imparfaitement compris ce qu'était la laïcité, ou s'il y avait plusieurs acceptions de ce concept, et alors laquelle est la bonne ?


__

Avatar de l’utilisateur
Riou
Barbarus
Barbarus

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Riou » lun. 28 juin 2021, 10:55

gerardh a écrit :
sam. 26 juin 2021, 12:44
"__

Bonjour,

Je n'ai encore qu'imparfaitement compris ce qu'était la laïcité, ou s'il y avait plusieurs acceptions de ce concept, et alors laquelle est la bonne ?


__
Bonjour,

De manière classique, on distingue deux formes de "laïcité", mais la difficulté vient de ce qu'en France, le mot "Laïcité" n'intervient jamais dans la fameuse "loi 1905", qui préfère, avec beaucoup de pertinence, le terme de "séparation".
Il y a la laïcité au sens du "laïcisme" : idéologie athée qui pense, dans sa frange la plus fanatique, que les religions ne devraient pas exister, et qui prend la laïcité comme un cheval de Troie à partir duquel il deviendrait possible de lutter efficacement contre les religions. Ce "Laïcisme" n'a rien de "laïc", et il en est même la négation la plus totale. Sous sa forme moins violente mais tout aussi anti laïque, on trouve les affirmations selon lesquelles la religion n'est qu'une croyance subjective qui appartient au domaine privé et qui ne doit pas faire irruption dans l'espace public. Autrement dit, tout le champ de l'espace social et politique doit faire comme si la religion n'existait pas, cette dernière étant niée dans sa dimension collective et de fait publique. Il suffit de se balader dans une ville pendant 5 minutes pour voir que l'espace social est composé de bâtiments religieux, que ce soit en Europe ou au Maghreb, par exemple, et quelle que soit la religion en question.

Il y a la "laïcité" au sens de la "séparation" : en France, cela renvoie à la la loi de 1905, mais historiquement, elle remonte aux premiers temps du christianisme, voire même à certains éléments du judaïsme. La séparation dont il est question concerne la séparation entre le politique et le religieux, et la question brûlante est de savoir si le pouvoir doit être détenu (directement ou indirectement) par la puissance religieuse. La doctrine de la séparation affirme l'autonomie du politique, et notamment de l'Etat, en matière de religion, laissant ainsi aux églises leur autonomie et leur liberté en tant qu'elles ne troublent pas l'ordre public. Ainsi se trouve fondé ce que défend l'Eglise au plus haut point : la liberté religieuse d'exercer son culte. La laïcité au sens de la séparation affirme la "neutralité" de l'Etat pour une raison simple : la société, dans son rapport au sacré, n'est pas neutre, et c'est précisément parce que la société n'est pas neutre que l'Etat a intérêt à l'être, afin d'éviter d'introduire une confessionnalité officielle dans la société, confessionnalité qui aurait pour effet de produire de lourdes tensions au cœur de la société civile.

Le second sens, celui de la séparation, se trouve posé dès le chapitre 8 du Premier Livre de Samuel : il est question de savoir si le peuple juif doit avoir un roi, comme les autres nations, ou si Dieu seul tient lieu de roi. La solution est la suivante : n'accorder au pouvoir politique aucune dignité religieuse, et réserver la dignité religieuse au grand prêtre seulement, en séparant le grand prêtre de la royauté politique. Toute la finesse du système politique fondé sur la séparation est de trouver dans les prophètes une médiation, un contre pouvoir politique qui assure un équilibre entre grand prêtre et royauté politique. On est là dans un problème typiquement "laïc" au sens de la séparation.
Le Nouveau Testament, les Pères de l'Eglise et l'histoire de l'Eglise attestent de ce problème de la séparation, pour ne pas dire de cette tension entre politique et religieux. D'ailleurs les premiers chrétiens eux-mêmes sont les premiers à exiger la séparation du politique et du religieux, en défendant la liberté religieuse devant un empereur romain qui veut se faire appeler dieu. L'histoire de l'Eglise est traversée par ce problème de la séparation du politique et du religieux, avec des affrontements, des tensions, des égarements, des réussites, etc. Il faut vraiment avoir lu l'histoire de France comme un sot qui gobe des contes pour enfants pour s'imaginer que ce problème de la séparation ne travaille pas l'Eglise tout au long de son histoire.

Ce problème laïc de la séparation se pose à l'intérieur du christianisme avec autant de force pour des raisons qui sont proprement spirituelles : l'évangile effectue une telle désacralisation du pouvoir que la séparation ne peut pas ne pas se poser. Le pouvoir politique est toujours tenté par sa propre sacralisation, et l'ironie de l'histoire est de voir que le XX ème siècle, qui a cru balancer les religions par la fenêtre, a vu fleurir les deux sacralisations les plus morbides du pouvoir : Staline et Hitler, tout deux élevés au rang d'idoles et de Guides. C'est précisément quand l'Occident a voulu nier le sacré que ce dernier est revenu sous la pire des formes possible, un simulacre de sacré (l'idolâtrie) : le Chef politique fanatique qui s'autoconsacre et produit ce qui ne pouvait manquer d'arriver : le massacre qu'on connaît.
Ce que le catholicisme a parfaitement compris depuis le début, c'est que le pouvoir politique tend toujours à se sacraliser; c'est une tentation irrésistible. Le pouvoir politique est toujours atteint du syndrome de Pharaon. Le catholicisme est celui qui précisément restitue à la transcendance ses droits véritables en prônant la séparation et la liberté religieuse. La loi de 1905 n'est qu'une expression moderne et politique d'un problème antique propre au christianisme lui-même. Il suffit de regarder, par ailleurs, où est-ce que la liberté religieuse et les formes multiples de la laïcité se déploient depuis des siècles : précisément dans les pays christianisés, précisément dans les pays judéo-chrétiens. On ne trouve pas de telle séparation dans les pays de culture musulmane, tout simplement parce que l'islam ne pose pas le problème de la séparation en ces termes, et qu'il est possible qu'il ne le pose quasiment pas la plupart du temps.

Le problème de la position de l'Eglise de nos jours doit donc se penser à partir de cette histoire et de cette exigence de séparation propre au catholicisme depuis le début de son histoire. Que le Vatican puisse défendre, selon les circonstances, une confessionnalité de l'Etat n'enlève rien au fait que le phénomène de la laïcité dans sa version moderne, laïcité qui affirme une non confessionnalité de l'Etat, n'est pas étranger au catholicisme lui-même. Tout simplement parce que le catholicisme voit dans la laïcité le problème de la séparation du politique et du religieux, problème qui est le sien depuis sa naissance. La loi de 1905 n'invente pas l'eau chaude : elle ne fait que poser un problème qui présuppose l'arrière-plan spirituel du judéo-christianisme pour pouvoir se poser. Et c'est un fait que l'Eglise voit aujourd'hui dans ce devenir historique quelque chose qui ne la rebute pas, et pour cause : ce problème de la séparation est affirmée par elle depuis le début. Les époques changent, les mots changent, les contextes varient, mais le problème est le même. Mais l'Eglise étant inscrite dans le devenir historique, elle se doit de répondre à ce problème antique en faisant face au devenir historique du monde. Il est donc naturel de ne pas trouver sous la plume du Vatican d'aujourd'hui les mêmes positions que jadis; cela ne signifie pas que le Vatican se contredit, mais qu'il affirme la même chose et pense le même problème spirituel à partir d'un contexte historique qui a considérablement changé (et cela, personne n'y peut rien).

Donc : les catholiques qui veulent instaurer une théocratie, derrière des apparences de zèle, vivent leur foi à partir d'un arrière plan spirituel beaucoup plus proche de celui de certains courants de l'islam ou de certaines formes païennes apparues dans l'histoire ici ou là. Il sont en vérité beaucoup plus proche de l'empereur romain qui veut se sacraliser que de la ligne chrétienne depuis les origines. Pour une raison simple : ils succombent à la tentation du pouvoir : sacraliser celui qui tient l'épée.

Ainsi, et pour finir, pour montrer que le catholicisme ne peut sacraliser, de près ou de loin, l'épée, et ne peut prôner une évangélisation par l'épée qui trahit une mystique de la violence propre à tous les fanatismes, il suffira de citer ce passage de DH, 11 et 12:
Ne se voulant pas Messie politique dominant par la force [17], il préféra se dire Fils de l’Homme, venu « pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 45). Il se montra le parfait Serviteur de Dieu [18] , qui « ne brise pas le roseau froissé et n’éteint pas la mèche qui fume encore » (Mt 12, 20). Il reconnut le pouvoir civil et ses droits, ordonnant de payer le tribut à César, mais en rappelant que les droits supérieurs de Dieu doivent être respectés : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21). Enfin, en achevant sur la croix l’œuvre de la rédemption qui devait valoir aux hommes le salut et la vraie liberté, il a parachevé sa révélation. Il a rendu témoignage à la vérité [19], mais il n’a pas voulu l’imposer par la force à ses contradicteurs. Son royaume, en effet, ne se défend pas par l’épée [20], mais il s’établit en écoutant la vérité et en lui rendant témoignage, il s’étend grâce à l’amour par lequel le Christ, élevé sur la croix, attire à lui tous les hommes [21].

Instruits par la parole et l’exemple du Christ, les Apôtres suivirent la même voie. Aux origines de l’Église, ce n’est pas par la contrainte ni par des habilités indignes de l’Évangile que les disciples du Christ s’employèrent à amener les hommes à confesser le Christ comme Seigneur, mais avant tout par la puissance de la Parole de Dieu [22]. Avec courage, ils annonçaient à tous le dessein de Dieu Sauveur « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4) ; mais en même temps, vis-à-vis des faibles, même vivant dans l’erreur, leur attitude était faite de respect, manifestant ainsi comment « chacun d’entre nous rendra compte à Dieu pour soi-même » (Rm 14, 12) [23] , et, pour autant, est tenu d’obéir à sa propre conscience. Comme le Christ, les Apôtres s’appliquèrent toujours à rendre témoignage à la vérité de Dieu, pleins d’audace pour « annoncer la Parole de Dieu avec assurance » (Ac 4, 31) [24] devant le peuple et ses chefs. Une foi inébranlable leur faisait en effet tenir l’Évangile comme étant en toute vérité une force de Dieu pour le salut de tous les croyants [25]. Rejetant donc toutes les « armes charnelles [26] », suivant l’exemple de douceur et de modestie donné par le Christ, ils proclamèrent la Parole de Dieu avec la pleine assurance qu’elle était une force divine capable de détruire les puissances opposées à Dieu[27] et d’amener les hommes à croire dans le Christ et à le servir [28]. Comme leur Maître, les Apôtres reconnurent, eux aussi, l’autorité civile légitime : « Il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu », enseigne l’Apôtre, qui en conséquence ordonne : « Que chacun se soumette aux autorités en charge... Celui qui résiste à l’autorité se rebelle contre l’ordre établi par Dieu » (Rm 13, 1-2) [29]. Mais, en même temps, ils ne craignirent pas de contredire le pouvoir public qui s’opposait à la sainte volonté de Dieu : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29) [30]. Cette voie, d’innombrables martyrs et fidèles l’ont suivie en tous temps et en tous lieux.

12. L’Église marche sur les pas du Christ et des Apôtres

L’Église, donc, fidèle à la vérité de l’Évangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Révélation divine, et qu’elle encourage une telle liberté. Cette doctrine, reçue du Christ et des Apôtres, elle l’a, au cours des temps, gardée et transmise. Bien qu’il y ait eu parfois dans la vie du peuple de Dieu, cheminant à travers les vicissitudes de l’histoire humaine, des manières d’agir moins conformes, bien plus même contraires à l’esprit évangélique, l’Église a cependant toujours enseigné que personne ne peut être amené par contrainte à la foi.

Ainsi, le ferment évangélique a-t-il longtemps agi dans l’esprit des hommes et beaucoup contribué à faire reconnaître plus largement, au cours des temps, la dignité de la personne humaine, et à faire mûrir la conviction qu’en matière religieuse cette personne doit, dans la cité, être exempte de toute contrainte humaine.

Avatar de l’utilisateur
Perlum Pimpum
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1070
Inscription : lun. 19 avr. 2021, 23:28
Conviction : Chrétien
Localisation : Berry

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Perlum Pimpum » lun. 28 juin 2021, 14:28

.
Dernière modification par Perlum Pimpum le lun. 13 juin 2022, 17:30, modifié 1 fois.
« L’âme bavarde est vide intérieurement. Il n’y a en elle ni vertus fondamentales ni intimité avec Dieu. Il n’est donc pas question d’une vie plus profonde, d’une douce paix, ni du silence où demeure Dieu. L’âme qui n’a jamais goûté la douceur du silence intérieur est un esprit inquiet et elle trouble le silence d’autrui. J’ai vu beaucoup d’âmes qui sont dans les gouffres de l’Enfer pour n’avoir pas gardé le silence. »

Avatar de l’utilisateur
Riou
Barbarus
Barbarus

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Riou » mer. 30 juin 2021, 1:00

Vous me faites dire ce que je n'ai pas dit, comme vous le faites souvent avec vos interlocuteurs. Je ne reprendrai pas tout, car ça ne sert à rien : vous allez encore bazarder un message de quarante pages dont la seule vocation est de rendre impossible un dialogue intelligible.

Benoit XVI lui même ne craint pas d'employer le terme de "séparation" pour qualifier les rapports entre l'Etat et l'Eglise:

[+] Texte masqué
Il est conforme à la nature de l'Eglise qu'elle soit séparée de l'Etat et que sa foi ne puisse pas être imposée par l'Etat, mais repose sur des convictions librement acquises. Sur ce point, il y a un beau mot d'Origène qui, hélas, n'a pas toujours été suffisamment remarqué : "Le Christ ne triomphe de personne sans qu'il le veuille lui-même. Il ne triomphe qu'en convainquant : car il est la PAROLE de Dieu""

Benoit XVI, Libérer la liberté, Foi et politique, p.93.
Dans la droite ligne de DH et de sa condamnation de l'évangélisation qui s'appuie sur des "armes charnelles" - propos qui n'est pas simplement contextuel et circonscrit aux premiers chrétiens, puisque DH s'empresse de dire peu après que l'Eglise se doit de suivre ses principes (il y a donc bien une généralisation).
Par ailleurs : séparation implique la non confessionnalité de l'Etat, mais ne signifie aucunement l'absence de coopération entre l'Eglise et l'Etat. De plus, dire que Benoit XVI n'est pas contre la non confessionnalité de l'Etat ne signifie absolument pas qu'il n'envisage pas par ailleurs la possibilité d'une confessionnalité de l'Etat dans des circonstances particulières (car la politique prend en charge les circonstances particulières, nécessairement).

C'est un fait que l'Eglise comprend la loi de la séparation de 1905 comme une non-confessionnalité de l'Etat, et c'est aussi un fait qu'elle ne s'y oppose pas, car c'est une manière possible et acceptable à ses yeux de vivre la séparation des pouvoirs - et que l'ordre moral compris comme loi naturelle qui fonde les principes éthiques essentiels de l'Etat n'implique pas que l'action politique chrétienne doit viser nécessairement la confessionnalité de l'Etat (il y a bien d'autres manière de coopérer) :
[+] Texte masqué
"3.
Le principe de laïcité, auquel votre pays est très attaché, s’il est bien compris, appartient aussi à la Doctrine sociale de l’Église
. Il rappelle la nécessité d’une juste séparation des pouvoirs (cf. Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, nn. 571-572), qui fait écho à l’invitation du Christ à ses disciples: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» (Lc 20, 25). Pour sa part, la non-confessionnalité de l’État, qui est une non-immixtion du pouvoir civil dans la vie de l’Église et des différentes religions, comme dans la sphère du spirituel, permet que toutes les composantes de la société travaillent ensemble au service de tous et de la communauté nationale. De même, comme le Concile œcuménique Vatican II l’a rappelé, l’Église n’a pas vocation pour gérer le temporel, car, «en raison de sa charge et de sa compétence, elle ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique» (Constitution pastorale Gaudium et spes, n. 76 § 2; cf. n. 42). Mais, dans le même temps, il importe que tous travaillent dans l’intérêt général et pour le bien commun. C’est ainsi que s’exprime aussi le Concile: «La communauté politique et l’Église, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exercent d’autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles recherchent davantage entre elles une saine coopération» (Ibid., n. 76 § 3)"

Jean-Paul II, Lettre à Mgr Jean-Pierre RICARD
Jean Paul II accepte complètement cette loi de 1905 comme une modalité possible de la saine séparation des pouvoirs, séparation typiquement chrétienne qui permet une coopération des pouvoirs sur cette base de la séparation comprise comme non-confessionnalité de l'Etat. On est aux antipodes de votre "théocratie".

Enfin, lors d'une médiation sur Augustin et la théologie politique de Rome, Benoit XVI rejette la théocratie pour des raisons précises, et ceci à l'occasion d'une méditation sur la théologie du langage :
[+] Texte masqué
Ce qu'autrefois la tour de Babel avait dispersé, l'Eglise désormais le rassemble. "D'une seule langue, il s'en est produite plusieurs, ne t'étonne pas c'est le fait de l'orgueil. De multiples langues, il s'en produit une seule, ne t'étonne pas, c'est le fait de la charité" (IN JOH, tr.6, 10, CChr). Pour Augustin, devenir chrétien signifie essentiellement sortir de la diaspora et entrer dans l'unité, passer de la Tour de Babel au cénacle de la Pentecôte, passer des nombreux peuples de l'humanité à l'unique et nouveau peuple. Il serait passionnant de comparer ces deux théologies du langage : l'une, eschatologique, d'Origène, à laquelle se joindrait une théologie intemporelle - mystique, purement spirituelle; avec une théologie de nature sacramentelle d'Augustin, et une troisième qui se forma peu à peu selon la ligne inaugurée par Eusèbe de Césarée, ligne pour laquelle l'unification eschatologique des langages naît de l'unité de la langue impériale de la nouvelle Rome, c'est-à-dire sur la voie conduisant à la théocratie politique. ceci caractérise la théorie de ce cercle en général, qui équiparre l'universalisme chrétien à l'universalisme romain, puis abaisse le premier au niveau politique et lui enlève ainsi sa véritable grandeur. La violation par le nationalisme est maintenant seulement apparente : elle est remise à une entité politique. Tandis qu'Augustin maintient le caractère nouveau du christianisme : sa doctrine des deux cités ne tend ni à une "ecclesialisation" de l'Etat, ni à une étatisation de l'Eglise, mais au sein des structures de ce monde - qui restent et doivent rester telles- il souhaite rendre présente, active, la force de la foi nouvelle : l'unité des hommes dans le Corps du Christ"

Benoit XVI, Libérer la liberté, p. 74-75.
La théocratie est bien considérée ici comme un abaissement, une dégradation de la grandeur spirituelle du christianisme. Ce qui est confirmé à la page suivante, lors de la conclusion :
[+] Texte masqué
"Même Augustin ne s'est pas risqué à élaborer ce que l'on pourrait entendre comme la formation d'un monde devenu chrétien. Sa "Cité de Dieu" n'est pas du tout une communauté purement idéale de tous les hommes croyant en Dieu, ni se rapprochant, si peu soit-il, d'une théocratie terrestre, d'un monde structuré chrétiennement, tout en étant une entité sacramentelle - eschatologique vivant en ce monde comme signe du monde à venir [...]. Ainsi, aux yeux d'Augustin, l'Etat même réellement ou apparemment christianisé demeure un "état terrestre", et l'Eglise une communauté d'étrangers, qui consent aux réalités terrestres et en usent, sans être vraiment chez elle [...]. Dans cette mesure son christianisme, se faisant sagement légal, demeure, au sens ultime, "révolutionnaire", car il ne peut être assimilé à aucun Etat; il est une force qui relativise toutes les réalités immanentes du monde, désignant celui auquel il renvoie : le Dieu unique absolu et l'unique médiateur entre Dieu et l'homme : Jésus-Christ",

Ibid, p. 76-77
Vous comprendrez que votre projet de "révolution violente" par "l'épuration" (quelle horreur!!!) de ceux qui ne pensent pas comme vous n'a rien à voir avec la révolution chrétienne selon Benoit XVI et Augustin, car "révolution" est à entendre selon sa signification spirituelle, sans l'usage des armes charnelles en vue d'établir une pseudo théocratie terrestre qui ne peut manquer de trahir l'esprit de l'évangile (et de DH que vous avez cité en prenant soin d'éliminer les passages qui contredisent votre vision des choses).

Avatar de l’utilisateur
Perlum Pimpum
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1070
Inscription : lun. 19 avr. 2021, 23:28
Conviction : Chrétien
Localisation : Berry

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Perlum Pimpum » jeu. 01 juil. 2021, 21:54

.
Dernière modification par Perlum Pimpum le lun. 13 juin 2022, 17:30, modifié 1 fois.
« L’âme bavarde est vide intérieurement. Il n’y a en elle ni vertus fondamentales ni intimité avec Dieu. Il n’est donc pas question d’une vie plus profonde, d’une douce paix, ni du silence où demeure Dieu. L’âme qui n’a jamais goûté la douceur du silence intérieur est un esprit inquiet et elle trouble le silence d’autrui. J’ai vu beaucoup d’âmes qui sont dans les gouffres de l’Enfer pour n’avoir pas gardé le silence. »

Avatar de l’utilisateur
Perlum Pimpum
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1070
Inscription : lun. 19 avr. 2021, 23:28
Conviction : Chrétien
Localisation : Berry

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Perlum Pimpum » jeu. 01 juil. 2021, 22:39

.
Dernière modification par Perlum Pimpum le lun. 13 juin 2022, 17:32, modifié 2 fois.
« L’âme bavarde est vide intérieurement. Il n’y a en elle ni vertus fondamentales ni intimité avec Dieu. Il n’est donc pas question d’une vie plus profonde, d’une douce paix, ni du silence où demeure Dieu. L’âme qui n’a jamais goûté la douceur du silence intérieur est un esprit inquiet et elle trouble le silence d’autrui. J’ai vu beaucoup d’âmes qui sont dans les gouffres de l’Enfer pour n’avoir pas gardé le silence. »

Avatar de l’utilisateur
Perlum Pimpum
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1070
Inscription : lun. 19 avr. 2021, 23:28
Conviction : Chrétien
Localisation : Berry

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Perlum Pimpum » jeu. 01 juil. 2021, 22:45

.
Dernière modification par Perlum Pimpum le lun. 13 juin 2022, 17:32, modifié 1 fois.
« L’âme bavarde est vide intérieurement. Il n’y a en elle ni vertus fondamentales ni intimité avec Dieu. Il n’est donc pas question d’une vie plus profonde, d’une douce paix, ni du silence où demeure Dieu. L’âme qui n’a jamais goûté la douceur du silence intérieur est un esprit inquiet et elle trouble le silence d’autrui. J’ai vu beaucoup d’âmes qui sont dans les gouffres de l’Enfer pour n’avoir pas gardé le silence. »

Cinci
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 11765
Inscription : lun. 06 juil. 2009, 21:35
Conviction : catholique perplexe

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Cinci » lun. 05 juil. 2021, 19:09

Perlum Pimpum,

Il se peut que vous n'obteniez pas de réponse de Riou. Vu ce qui est dit plus haut, mais comme dans le premier message que notre ami avait écrit.


En attendant ...
Admettez vous oui ou non les enseignements des Encycliques pontificales antécédentes au Concile Vatican II citées ci-avant, ou les rejetez-vous ?

«Je l'admet, votre excellence ! La position des anciens papes était sans ambiguïté. Il est clair qu'il fallait que le gouvernement discrimine en faveur du catholicisme. La vérité ne pouvant pas être placé sur un pied d'égalité avec l'erreur.»


Vous poursuivrez ...
Admettez vous oui ou non l’enseignement du Concile Vatican II et de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui affirment le devoir des États à être catholiques, ou le rejetez-vous ?
Je dis :

«Non, votre excellence !»

«Après avoir lu et relu vingt-cinq fois Dignitatis Humanae en long et en large; la matin, le midi, en soirée; même après l'avoir repassé très lentement, avec une loupe en main, ménageant même des pauses pour éviter la fatigue visuelle, en augmentant l'éclairage dans la pièce : je ne trouve nulle part que la situation de nos États libéraux contemporains du XXIe siècle, en Europe ou aux États-Unis, commanderait la reconnaissance officielle de l'Église catholique, soit que l'Église catholique romaine serait la seule et unique Église du Seigneur Jésus-Christ, la foi catholique romaine la seule vraie religion, par conséquent son culte étant le seul pouvant plaire à Dieu. »

Plutôt :

«Je trouve une affirmation à l'effet que Dignitatis Humanae ne serait pas contraire à la doctrine plus ancienne de l'Église. Ainsi, je trouve une affirmation de principe certes. Mais avec le défaut d'être une affirmation faible, indirecte, insuffisamment précise. Un mot qui autorise diverses interprétations, pas nécessairement celle qui voudrait qu'une obligation soit fait au gouvernement de la France de devoir faire du catholicisme la religion officielle du pays !

Je ne trouve pas dans la documentation conciliaire de 1965 une affirmation claire pour reconduire la doctrine de Pie IX , de Léon XIII ou de Pie X. En réalité, le texte entier de Dignitatis Humanae présente un démenti de Grégoire XVI, Pie IX et les autres.»

Enfin ...

«A votre excellence, j'aurai déjà fait remarquer comment le Vatican de 1966 aura bien exigé que soit rompu le concordat de 1953 existant avec l'Espagne, concordat favorisant nettement l'Église catholique. La religion catholique était alors la religion officielle du pays. Par suite, il m'est impossible de penser que la lecture de Paul VI de Dignitatis Humanae devrait signifier une reconduction de la pensée de Pie IX ou Pie X. La situation en Espagne correspondait déjà à cet idéal dont vous nous parlez, votre excellence. Mais c'est le Vatican qui n'en a plus voulu. Moralité ? Vatican II se comprend différemment de ce que vous suggérez.»

«J'ajouterais encore, toujours à l'attention de votre excellence, qu'on imagine bien mal comment le Vatican escompterait améliorer ses rapports diplomatiques avec les Juifs, les protestants et autres à main droite, tandis qu'à main gauche il devrait souhaiter ouvertement que les autres cultes religieux soient réprimés légalement. Votre excellence devrait pourtant savoir comment le dialogue oecuménique reste comme le paradigme central, celui à la racine de ce besoin de convoquer le concile pour commencer, l'aggiornamento de Jean XXIII, l'ouverture sur le monde.»

Avatar de l’utilisateur
Perlum Pimpum
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1070
Inscription : lun. 19 avr. 2021, 23:28
Conviction : Chrétien
Localisation : Berry

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Perlum Pimpum » mar. 06 juil. 2021, 12:45

.
Dernière modification par Perlum Pimpum le lun. 13 juin 2022, 17:32, modifié 1 fois.
« L’âme bavarde est vide intérieurement. Il n’y a en elle ni vertus fondamentales ni intimité avec Dieu. Il n’est donc pas question d’une vie plus profonde, d’une douce paix, ni du silence où demeure Dieu. L’âme qui n’a jamais goûté la douceur du silence intérieur est un esprit inquiet et elle trouble le silence d’autrui. J’ai vu beaucoup d’âmes qui sont dans les gouffres de l’Enfer pour n’avoir pas gardé le silence. »

Avatar de l’utilisateur
Perlum Pimpum
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1070
Inscription : lun. 19 avr. 2021, 23:28
Conviction : Chrétien
Localisation : Berry

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Perlum Pimpum » mar. 06 juil. 2021, 15:58

.
Dernière modification par Perlum Pimpum le lun. 13 juin 2022, 17:32, modifié 1 fois.
« L’âme bavarde est vide intérieurement. Il n’y a en elle ni vertus fondamentales ni intimité avec Dieu. Il n’est donc pas question d’une vie plus profonde, d’une douce paix, ni du silence où demeure Dieu. L’âme qui n’a jamais goûté la douceur du silence intérieur est un esprit inquiet et elle trouble le silence d’autrui. J’ai vu beaucoup d’âmes qui sont dans les gouffres de l’Enfer pour n’avoir pas gardé le silence. »

Avatar de l’utilisateur
Riou
Barbarus
Barbarus

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Riou » mar. 06 juil. 2021, 19:58

Bonjour,
Vous comprendrez que vos questions présupposent comme acquis et réglé ce dont il s'agit précisément de discuter. Par conséquent, il n'est pas acceptable de demander à quelqu'un de répondre à des questions qu'il estime discutable dans ses présupposés, pour ne pas dire fausses dans ses interprétations implicites.

Perlum Pimpum a écrit :
jeu. 01 juil. 2021, 21:54


Le titre honorifique de « Pape émérite » ne peut servir à occulter cette évidence que J. Ratzinger n’est plus Pape ni chargé d’une quelconque activité magistérielle. L’ancien Pontife n’est désormais plus que l’abbé J. Ratzinger : ses propos n’engagent désormais que lui. D’où donc cette question : le texte que vous citez a-t-il été écrit avant ou après son abdication ; et si avant, est-il tiré d’un de ses livres ou écrits où il ne s’exprimait que comme théologien privé, ou est-il extrait d’un de ses enseignements public où il s’exprimait en sa qualité de Cardinal Préfet de la CDF ou comme Pape Benoît XVI ?
Extrait d'une allocution du cardinal Joseph Ratzinger à l'Académie des sciences morales et politiques, Paris, 1992.
Si ce texte ne revêtira pas l'autorité d'autres textes, il n'en demeure pas moins que le propos du futur pape est tout de même très explicite, notamment dans un contexte français, devant une Académie française : il est de la nature de l'Eglise d'être séparé de l'Etat. Ratzinger n'est pas du genre a employer des mots au hasard : la nature d'une chose, c'est son essence, ce qui constitue son être. Or, l'être même de l'Eglise, dit-il, est d'être séparée de l'Etat d'un point de vue politique. Il ne recule pas devant le terme séparation, qui ne signifie pas nécessairement exclusion ou hostilité. Le tout est de comprendre clairement ce terme "séparation", et c'est un des enjeux de la discussion. Je soutiens qu'il implique la possibilité de l'acceptabilité, pour le Vatican, de la loi de séparation de 1905. Il semble que DH et le texte de Jean Paul II (que vous tordez dans tous les sens) appuie cette possibilité. Notez que cette possibilité n'indique pas l'impossibilité absolue, aux yeux du Vatican, de la confessionnalité d'un Etat par ailleurs. A vrai dire, la vertu de prudence, qui considère le particulier, considère la loi de 1905 sur la séparation comme une possibilité acceptable, aux côtés d'autres possibilités, comme la confessionnalité de l'Etat. Ce que vous ne voulez pas voir, c'est que le Vatican accepte les deux possibilités comme également envisageables.
De manière générale, les texte de Ratzinger proposent une véritable réflexion sur la catégorie de "vérité" en rapport avec le politique. Le paradoxe est le suivant : la vérité n'est pas une catégorie appartenant en propre à l'Etat, dans le sens où c'est un domaine qui le dépasse; pour autant, l'Etat ne peut pas agir et s'orienter moralement dans l'énonciation de ses lois sans se référer à la vérité. Ainsi, deux écueils sont à éviter : le positivisme juridique, qui est en fait un relativisme (Ratzinger réfère souvent cette position à Kelsen, juriste contemporain, mais la filiation est souvent faite avec le relativisme pseudo-démocratique analysé dans Platon). Le relativisme ne peut que s'en remettre, en dernier lieu, à la contingence des mœurs du moment, sans principes éthiques communs, avec pour conséquence le fait de livrer l'ordre social à la tyrannie de l'opinion dominante, changeante et dénuée de vérité. Le second écueil, c'est l'imposition brutale d'une vérité qui mènerait aux totalitarismes, car Ratzinger est hanté, dans toutes ses réflexions sur le politique, par ce monstre contemporain qu'est le totalitarisme qui, faut-il encore le rappeler, fondait sa domination totale et violente sur ce qu'il proclamait être "la vérité" - la vérité de l'histoire telle que prêchée par le socialisme dit scientifique; la "vérité biologique de la race" telle que prêchée par le nazisme. "Vérité" délirante mais complètement intransigeante et au nom de laquelle tout devenait possible - car on ne discute pas la "vérité", et les Goulags et les camps sont ni plus ni moins que la conséquence logique d'un tel fanatisme.
La question de Ratzinger est donc la suivante : comment affirmer le besoin vital de la vérité en politique sans tomber dans les égarements totalitaires qui se sont faits au nom de la vérité? Le christianisme est à ses yeux la solution. Mais la réflexion de Ratzinger, si elle n'exclut pas la possibilité, dans des conditions données, de la confessionnalité de l'Etat (de fait, cela existe), s'oriente beaucoup plus vers un autre domaine : c'est moins l'Etat que la société civile et ses mœurs qui sont déterminants à ses yeux, loin de l'idolâtrie du pouvoir et de la force. Il veut dire par là que pour que l'ordre moral objectif soit respecté dans les lois, la meilleure assise qui soit est celle des mœurs, c'est-à-dire des manières d'être au monde d'un peuple déterminé, ses habitus, ses repères fondamentaux. Cela ne se décrète pas. A vrai dire, l'histoire le montre : un Etat devient catholique quand l'écrasante majorité des personnes qui peuplent la société ont des mœurs catholiques; l'Etat cesse d'être catholique, à terme, quand le catholicisme devient sociologiquement minoritaire - ce qui était le cas le plus souvent dans l'histoire, malgré les phantasmes d'une histoire revisitée à la sauce marketing du "Puy du fou". L'inverse ne se produit pas : ce n'est pas l'Etat qui décrète des mœurs catholiques, mais ce sont bien les mœurs catholiques qui rendent possibles un Etat catholique. Cela vaut d'ailleurs pour la majorité des religions. Or ce point échappe à la volonté humaine. Voilà pourquoi Ratzinger n'est pas un volontariste, et qu'il n'assimile pas la doctrine sociale de l'Eglise à la nécessité d'une confessionnalité de l'Etat, car plus profond que l'Etat sont les mœurs sociales et les pratiques des hommes dans le monde. Il parlera aussi bien de la situation d'un Etat catholique que de la situation d'un pays ou l'Etat ne porte aucune confession religieuse. Il parle aussi bien des situations laïques où la coopération se fait de manière pacifique que de la situation où le catholicisme implique une résistance contre ce qui trouble l'ordre moral objectif.
Autrement dit, vous imposez aux textes que nous lisons un impératif absolu et indiscutable de confessionnalité de l'Etat là où les textes disent des choses en fait très différentes et son beaucoup plus souples que ce que vous décrétez.
Ainsi, dire : "De fait, comme il a déjà été dit, DH n'exclut pas la confessionnalité de l'Etat", ne signifie pas que l'Etat doit nécessairement être catholique.

J'en veux pour preuve DH, qui jamais n'affirme ce que vous dites (et qui souvent dit exactement le contraire). Je cite des extraits de DH:
« Considérant avec diligence ces aspirations dans le but de déclarer à quel point elles sont conformes à la vérité et à la justice, ce saint Concile du Vatican scrute la sainte tradition et la doctrine de l’Église d’où il tire du neuf en constant accord avec le vieux ».
DH affirme clairement qu'il va dire quelque chose de nouveau, et que ce "neuf" n'est pas en contradiction avec le "vieux", mais qu'il en est une potentialité qui s'actualise face la situation historique du XXème siècle. C'est une manie assez répandue chez les traditionalistes d'assimiler le nouveau avec le "contraire à la tradition". A ce rythme là, aucun Père de l'Eglise n'aurait pu écrire quoi que ce soit, et il n'y aurait pas de tradition, tout simplement.
«   Or, puisque la liberté religieuse, que revendique l’homme dans l’accomplissement de son devoir de rendre un culte à Dieu, concerne l’exemption de contrainte dans la société civile, elle ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ ».
Lisez bien : la liberté religieuse est un sujet brûlant de l'époque contemporaine. Ce passage dit que non seulement cette liberté religieuse n'est pas à rejeter, mais qu'en plus elle est déjà contenue dans la tradition de l'Eglise (et à vrai dire dès le début, puisque les premiers à avoir réclamé la liberté religieuse, ce sont précisément les premier chrétiens face au pouvoir romain). Ce passage dit donc que le devoir moral à l'égard du catholicisme implique l'affirmation de la liberté religieuse. Il ne dit absolument pas que l'Etat doit être catholique!
« en traitant de cette liberté religieuse, le saint Concile entend développer la doctrine des Souverains Pontifes les plus récents sur les droits inviolables de la personne humaine et l’ordre juridique de la société ».
DH porte donc sur la liberté religieuse. Qu'est-ce à dire?
« Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même [2]. Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil ».
Voilà le fondement posé. Ce fondement n'est pas libéral, c'est-à-dire qu'il ne se situe pas dans la subjectivité intime de l'individu considéré comme un atome, mais dans l'être même de l'homme tel que la Révélation et la raison le fait connaître à l'homme. Assimiler la liberté religieuse au libéralisme est une absurdité. C'est bien plutôt le libéralisme qui reprend cela au catholicisme en le déformant :
Ce n’est donc pas sur une disposition subjective de la personne [compréhension libérale de la liberté religieuse], mais sur sa nature même [compréhension catholique], qu’est fondé le droit à la liberté religieuse.

=> c'est moi qui écrit entre crochets
Que donne ce droit qu'est la liberté religieuse, et quel devoir implique-t-elle (droit et devoir étant ici essentiellement liés)?
En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu’ils sont des personnes, c’est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et, par suite, pourvus d’une responsabilité personnelle, sont pressés, par leur nature même, et tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d’abord qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu’ils la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité. Or, à cette obligation, les hommes ne peuvent satisfaire, d’une manière conforme à leur propre nature, que s’ils jouissent, outre de la liberté psychologique, de l’exemption de toute contrainte extérieure.
DH est on ne peut plus clair : la liberté religieuse implique un devoir : chercher la vérité. Ce devoir n'est possible qu'à une seule condition : le droit de jouir d'une exemption de toute contrainte extérieure au sujet qui cherche.
Mais que faire si des sujets humains n'accomplissent pas ce devoir moral (ce qui est manifestement le cas)?
C’est pourquoi le droit à cette exemption de toute contrainte persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer ; son exercice ne peut être entravé, dès lors que demeure sauf un ordre public juste ».
Le droit de jouir d'aucune contrainte - quelle qu'elle soit - demeure même quand le devoir impliqué par la liberté religieuse n'est pas rempli - à l'exception de l'ordre public juste, sur lequel je reviendrai.

Le devoir de rechercher la vérité implique le droit de ne pas être contraint par la force et par un pouvoir humain.
« En outre, par nature, les actes religieux par lesquels, en privé ou en public, l’homme s’ordonne à Dieu en vertu d’une décision intérieure, transcendent l’ordre terrestre et temporel des choses. Le pouvoir civil, dont la fin propre est de pourvoir au bien commun temporel, doit donc, certes, reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il faut dire qu’il dépasse ses limites s’il s’arroge le droit de diriger ou d’empêcher les actes religieux ».
Notez que dans ce passage, il est question des "actes religieux" en général, et pas de la religion catholique en particulier. Autrement dit, et cela sera flagrant dans les passages qui vont suivre, DH se situe dans un paradigme pluriconfessionnel, et la liberté religieuse vaut pour toutes les religions, à condition que l'ordre public ne soit pas entravé (un terroriste, par exemple, sera légitimement réprimé). Par ailleurs, ce texte fait intervenir la transcendance divine, fondement théologique de la séparation des pouvoirs.

Mais continuons : le titre du point 4 est le suivant:
«4. Liberté des groupes religieux
 La liberté ou absence de toute contrainte en matière religieuse qui revient aux individus doit aussi leur être reconnue lorsqu’ils agissent ensemble. Des communautés religieuses, en effet, sont requises par la nature sociale tant de l’homme que de la religion elle-même.
Dès lors, donc, que les justes exigences de l’ordre public ne sont pas violées, ces communautés sont en droit de jouir de cette absence de contrainte afin de pouvoir se régir selon leurs propres normes, honorer d’un culte public la divinité suprême, aider leurs membres dans la pratique de leur vie religieuse et les sustenter par un enseignement, promouvoir enfin les institutions au sein desquelles leurs membres coopèrent à orienter leur vie propre selon leurs principes religieux ».
Que vous le vouliez ou non, il s'agit bien du pluralisme, et le droit de jouir de la liberté religieuse (de ne subir aucune contrainte d'un pouvoir humain) ne s'applique pas qu'au catholicisme, mais aux différentes communautés religieuses. Ceci signifie que votre entreprise de réduction progressive de tous les cultes à une fausse religion qui doit être réprimé est absurde, car DH envisage que plusieurs religions sont à même de jouir du droit d'exister et d'être reconnues par l'Etat sans pour autant contrevenir à l'ordre public.
Ou alors il faudrait dire que les rédacteurs de DH aurait la perversité de faire croire qu'ils acceptent le pluralisme religieux dans leur compréhension de la liberté religieuse, pour nier ce pluralisme en sourdine et dire le contraire sans vraiment le dire. Avouez que votre grille d'interprétation est assez tordue, et qu'elle ne tient pas une seconde : car il faudrait dire que DH se contredit dans le texte, à quelque lignes d'intervalles, soit volontairement, soit involontairement, par intention de tromper ses lecteurs. On se demande bien alors quelle pourrait être la légitimité d'un tel texte.

Mais DH va plus loin et confirme ce que j'en dis :
« La liberté religieuse demande, en outre, que les communautés ne soient pas empêchées de manifester librement l’efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’activité humaine. La nature sociale de l’homme, enfin, ainsi que le caractère même de la religion, fondent le droit qu’ont les hommes, mus par leur sentiment religieux, de tenir librement des réunions ou de constituer des associations éducatives, culturelles, caritatives et sociales ».
Il s'agit bien, par ailleurs, de l'action sociale des religions, et non de la confessionnalité de l'Etat. Il ne faut pas confondre société civile et Etat.
les droits des parents se trouvent violés lorsque les enfants sont contraints de suivre des cours ne répondant pas à la conviction religieuse des parents ou lorsque est imposée une forme unique d’éducation d’où toute formation religieuse est exclue
Conséquence de la liberté religieuse : l'éducation. Notez que le texte ne mentionne pas que ce principe s'applique exclusivement en faveur du catholicisme.
 C’est pour tout pouvoir civil un devoir essentiel que de protéger et promouvoir les droits inviolables de l’homme [5]. Le pouvoir civil doit donc, par de justes lois et autres moyens appropriés, assumer efficacement la protection de la liberté religieuse, de tous les citoyens et assurer des conditions favorables au développement de la vie religieuse en sorte que les citoyens soient à même d’exercer effectivement leurs droits et de remplir leurs devoirs religieux, et que la société elle-même jouisse des biens de la justice et de la paix découlant de la fidélité des hommes envers Dieu et sa sainte volonté [6].
Il ne s'agit pas exclusivement du catholicisme (ce que la suite directe du texte va confirmer textuellement). Par ailleurs, l'a priori de ce passage est le suivant : l'Etat n'est pas nécessairement confessionnel.
Regardez la suite directe :
Si, en raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent certains peuples, une reconnaissance civile spéciale est accordée dans l’ordre juridique de la cité à une communauté religieuse donnée, il est nécessaire qu’en même temps, pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses, le droit à la liberté en matière religieuse soit reconnu et sauvegardé 
Notez la dimension générale du propos : si une religion est reconnue comme religion d'Etat (islam, anglicanisme, catholicisme, etc.), la liberté religieuse impose l'acceptation en son sein des autres communautés religieuses, et l'interdiction d'exercer une contrainte par la force sur ces communautés afin de les faire disparaître.
Encore une fois, DH reconnaît non seulement l'existence du pluralisme religieux dans une société, mais aussi sa légitimité, que l'Etat soit confessionnel ou pas.
Par conséquent, votre raisonnement s'effondre. Pour ce qui est de la violence, je n'en parle même pas : c'est complètement étranger à DH.
 Il s’ensuit qu’il n’est pas permis au pouvoir public, par force, intimidation ou autres moyens, d’imposer aux citoyens la profession ou le rejet de quelque religion que ce soit, ou d’empêcher quelqu’un de s’agréger à une communauté religieuse ou de la quitter. A fortiori, est-ce agir contre la volonté de Dieu et les droits sacrés de la personne et de la famille des peuples que d’employer la force, sous quelque forme que ce soit, pour détruire la religion ou lui faire obstacle, soit dans tout le genre humain, soit en quelque région, soit dans un groupe donné 
Votre projet violent est contraire à la volonté de Dieu. Voilà ce que dit DH.

Mais comme toujours, la liberté religieuse offre un droit, et ce droit, comme tous les droits, doit être limité. Vous verrez que la réflexion de DH sur les limites de la liberté religieuse contredit encore plus profondément ce que vous dites :
En outre, comme la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer cette protection ; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement et en favorisant injustement l’une des parties, mais selon des normes juridiques, conformes à l’ordre moral objectif, qui sont requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et l’harmonisation pacifique de ces droits, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par la protection due à la moralité publique. Tout cela constitue une part fondamentale du bien commun et entre dans la définition de l’ordre public. Au demeurant, il faut observer la règle générale de la pleine liberté dans la société, selon laquelle on doit reconnaître à l’homme le maximum de liberté et ne restreindre celle-ci que lorsque c’est nécessaire et dans la mesure où c’est nécessaire 
L'ordre moral objectif, ici, doit servir de normes pour déterminer une harmonie entre les différentes religions présentes sur un territoire. Il n'est donc pas invoqué pour réprimer par la force toutes les religions à l'exception de la religion catholique.

On en arrive plus spécifiquement au témoignage des chrétiens :
Mais les fidèles du Christ, pour se former la conscience, doivent prendre en sérieuse considération la doctrine sainte et certaine de l’Église [35]. De par la volonté du Christ, en effet, l’Église catholique est maîtresse de vérité ; sa fonction est d’exprimer et d’enseigner authentiquement la vérité qui est le Christ, en même temps que de déclarer et de confirmer, en vertu de son autorité, les principes de l’ordre moral découlant de la nature même de l’homme. En outre, les chrétiens doivent aller avec sagesse au-devant de ceux qui sont au-dehors, et s’efforcer « dans l’Esprit saint, avec une charité sans feinte, dans la parole de vérité » (2 Co 6, 6-7) de répandre la lumière de vie en toute assurance [36] et courage apostolique, jusqu’à l’effusion de leur sang 
Il n'est pas exigé de partir à l'abordage de l'Etat et d'imposer un Etat catholique. Il est question de témoigner de la vérité dans l'esprit de l'évangile (que DH comprend comme inconciliable avec une évangélisation par l'épée). Notez qu'en fin de paragraphe, il est question du martyr, ce qui envisage bien le cas d'une situation où le catholique est persécuté. Il ne s'agit donc pas de faire couler le sang d'autrui, contrairement à ce que vous dites. Il n'y a pas de mystique de la violence dans DH, tout simplement.
Car le disciple a envers le Christ son maître le grave devoir de connaître toujours plus pleinement la vérité qu’il a reçue de lui, de l’annoncer fidèlement et de la défendre énergiquement, en s’interdisant tout moyen contraire à l’esprit de l’Évangile. Mais la charité du Christ le presse aussi d’agir avec amour, prudence, patience, envers ceux qui se trouvent dans l’erreur ou dans l’ignorance de la foi [37]. Il faut donc prendre en considération tant les devoirs envers le Christ, Verbe vivifiant, qui doit être annoncé, que les droits de la personne humaine et la mesure de grâce que Dieu, par le Christ, a accordée à l’homme, invité à accueillir et à professer la foi de son plein gré
Conclusion du texte : l'évangélisation doit respecter la liberté religieuse, qui proscrit la violence et la négation du pluralisme religieux, pluralisme religieux affirmé par DH comme légitime et existant de fait. L'évangélisation que vous préconisez est impossible.
Est-ce contraire à la tradition? Non, dit DH dès le début. Il y a du nouveau, mais ce nouveau n'est pas contraire à l'ancien. Voilà ce que semble affirmer DH.

Pour ce qui est de Jean-Paul II, votre lecture est tout simplement aberrante. Le texte se situe en page 1. Tout le monde pourra vérifier que Jean-Paul II désigne la loi de séparation comme une modalité acceptable de vivre la séparation conforme à la nature de l'Eglise.

Avatar de l’utilisateur
Perlum Pimpum
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1070
Inscription : lun. 19 avr. 2021, 23:28
Conviction : Chrétien
Localisation : Berry

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Perlum Pimpum » mar. 06 juil. 2021, 23:36

.
Dernière modification par Perlum Pimpum le lun. 13 juin 2022, 17:33, modifié 1 fois.
« L’âme bavarde est vide intérieurement. Il n’y a en elle ni vertus fondamentales ni intimité avec Dieu. Il n’est donc pas question d’une vie plus profonde, d’une douce paix, ni du silence où demeure Dieu. L’âme qui n’a jamais goûté la douceur du silence intérieur est un esprit inquiet et elle trouble le silence d’autrui. J’ai vu beaucoup d’âmes qui sont dans les gouffres de l’Enfer pour n’avoir pas gardé le silence. »

Avatar de l’utilisateur
Riou
Barbarus
Barbarus

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Riou » mer. 07 juil. 2021, 11:55

Bonjour,

"Herméneutique de rupture" et "herméneutique de la continuité" sont des catégories polémiques, et elles voilent le cœur du sujet: la nouveauté. Acceptez que vos interlocuteurs ne se laissent pas enfermer dans les catégories que vos questions présupposent.
Je cite de nouveau DH:
« Considérant avec diligence ces aspirations dans le but de déclarer à quel point elles sont conformes à la vérité et à la justice, ce saint Concile du Vatican scrute la sainte tradition et la doctrine de l’Église d’où il tire du neuf en constant accord avec le vieux »
DH dit bien qu'il va dire des choses nouvelles, mais que cette nouveauté n'est pas en désaccord avec l'ancien, c'est-à-dire la tradition. Le simple fait de parler d'une herméneutique de la continuité implique que quelque chose de nouveau est dit, sinon il n'y aurait pas besoin de produire une interprétation qui pose le problème de la continuité, puisque rien de nouveau ne serait dit.
Le traditionaliste se crispera et dira que le nouveau nie l'ancien; le "moderniste" chantera en cœur de faire table rase du passé en niant l'ancien au profit du nouveau.
DH rejette ces lectures idéologiques. Le nouveau n'est pas nécessairement contraire à l'ancien. Enfermer DH dans des déclarations antérieures pour s'assurer que rien de nouveau n'y est dit est tout simplement contraire à ce que dit DH.

Revenons aux fondamentaux : de quoi parle DH? De la liberté religieuse, et pas de la confessionnalité de l'Etat. La question centrale de DH est la liberté religieuse (c'est marqué dans le titre!).
Plus précisément : la liberté religieuse dans un contexte de persécution, tant il est vrai que ce thème revient régulièrement dans le déroulé du texte. Quelqu'un d'un peu attaché à la tradition y verra immédiatement une chose essentielle : le concept de liberté religieuse est en premier lieu revendiqué par les premiers chrétiens en contexte romain, durant les 3 premiers siècles. Autrement dit, la proclamation de la liberté religieuse par DH n'est ni plus ni moins que la reprise de quelque chose d'hyper traditionnel (si je puis me permettre l'expression), puisque c'est aux sources du catholicisme depuis son commencement : la liberté religieuse.
Et DH dit en substance que l'affirmation de la liberté religieuse doit protéger l'Eglise de la persécution, mais qu'elle doit aussi empêcher de devenir un persécuteur. De là tous les thèmes connexes : pluralisme religieux impliqué dans l'affirmation de la liberté religieuse, éducation, rapport entre les communautés, etc.
Les traditionalistes ont interprété ce texte comme une proclamation de la liberté de conscience qui rejetterait la révélation comme source de vérité sur l'homme. Mais il ne s'agit absolument pas de cela dans DH : DH dit bien que la révélation est source de vérité, et que cette révélation porte en elle l'affirmation de la liberté religieuse, qui implique l'illégitimité de la persécution - et par conséquent, l'innocence du persécuté, et la culpabilité du persécuteur.

C'est pourquoi DH peut revenir au témoignage des premiers chrétiens, témoignage qui interdit la violence, et que l'Eglise peut dire ceci d'elle-même:
12. L’Église marche sur les pas du Christ et des Apôtres

L’Église, donc, fidèle à la vérité de l’Évangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Révélation divine, et qu’elle encourage une telle liberté. Cette doctrine, reçue du Christ et des Apôtres, elle l’a, au cours des temps, gardée et transmise. Bien qu’il y ait eu parfois dans la vie du peuple de Dieu, cheminant à travers les vicissitudes de l’histoire humaine, des manières d’agir moins conformes, bien plus même contraires à l’esprit évangélique, l’Église a cependant toujours enseigné que personne ne peut être amené par contrainte à la foi.

Ainsi, le ferment évangélique a-t-il longtemps agi dans l’esprit des hommes et beaucoup contribué à faire reconnaître plus largement, au cours des temps, la dignité de la personne humaine, et à faire mûrir la conviction qu’en matière religieuse cette personne doit, dans la cité, être exempte de toute contrainte humaine.
Voilà peut-être ce qu'il y a de nouveau : un retour aux sources qui légitime la liberté religieuse, ce que l'Eglise, de son propre aveu (dans ces lignes), n'a peut-être pas toujours fait dans certaines de ses actions.
L'objet du texte est donc bien la liberté religieuse en contexte de persécution, et qu'il n'est pas admissible d'être persécuté ou de persécuter son prochain.
Votre révolution par la violence est donc condamnée par ce texte.

Maintenant, il est à noter que ce qu'il y a de nouveau dans Vatican II est le plus souvent une reprise des sources du catholicisme lui-même. Par exemple, la reprise des premières prières eucharistiques. Le nouveau est ici ce qu'il y a de plus ancien, et non une négation de l'ancien.

Vatican II n'est pas un concile qui statue sur un point dogmatique ou théologique. Il n'y a pas, par exemple, de discussion interne sur la bonne manière de comprendre tel ou tel dogme.
Ce qu'il y a de véritablement révolutionnaire, dans ce concile, est peut-être Gaudium et spes : c'est peut-être la première fois qu'un Concile porte une constitution qui s'adresse au monde entier et pratique une théologie qui ne s'adresse pas seulement aux catholiques, mais au monde dans son entier, et notamment au monde moderne.
Ceci à son importance : c'est l'introduction, dans un texte magistériel, d'un genre théologique très présent dans les 3 premiers siècles du catholicisme - l'apologétique.
Vatican II s'adresse non pas seulement aux chrétiens, mais à tous les hommes. C'est une volonté de dialogue avec tous les hommes. Ceci ramène le propos de l'Eglise à la situation historique des premiers chrétiens : une théologie qui s'adresse à un monde qui n'est pas chrétien. Ce point est absolument essentiel, car cela conditionne le sens des textes.
Voici ce qu'on peut y trouver :
[+] Texte masqué
1. Tout ce que nous avons dit sur la dignité de la personne humaine, sur la communauté des hommes, sur le sens profond de l’activité humaine, constitue le fondement du rapport qui existe entre l’Église et le monde, et la base de leur dialogue mutuel [80]. C’est pourquoi, en supposant acquis tout l’enseignement déjà fixé par le Concile sur le mystère de l’Église, ce chapitre va maintenant traiter de cette même Église en tant qu’elle est dans ce monde et qu’elle vit et agit avec lui
Notez qu'il est question de "dialogue", et pas de décapitation par l'épée.

Mais encore :
[+] Texte masqué
2. Certes, la mission propre que le Christ a confiée à son Église n’est ni d’ordre politique, ni d’ordre économique ou social : le but qu’il lui a assigné est d’ordre religieux [90]. Mais, précisément, de cette mission religieuse découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir la communauté des hommes selon la loi divine. De même, lorsqu’il le faut et compte tenu des circonstances de temps et de lieu, l’Église peut elle-même, et elle le doit, susciter des œuvres destinées au service de tous, notamment des indigents, comme les œuvres charitables et autres du même genre [...].
 1. Surtout là où existe une société de type pluraliste, il est d’une haute importance que l’on ait une vue juste des rapports entre la communauté politique et l’Église ; et que l’on distingue nettement entre les actions que les fidèles, isolément ou en groupe, posent en leur nom propre comme citoyens, guidés par leur conscience chrétienne, et les actions qu’ils mènent au nom de l’Église, en union avec leurs pasteurs.
2. L’Église qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine.
3. Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes. Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exerceront d’autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles rechercheront davantage entre elles une saine coopération, en tenant également compte des circonstances de temps et de lieu 
Plus loin :
[+] Texte masqué
Lorsque les Apôtres, leurs successeurs et les coopérateurs de ceux-ci, sont envoyés pour annoncer aux hommes le Christ Sauveur du monde, leur apostolat prend appui sur la puissance de Dieu qui, très souvent, manifeste la force de l’Évangile dans la faiblesse des témoins. Il faut en effet que tous ceux qui se vouent au ministère de la parole divine utilisent les voies et les moyens propres à l’Évangile qui, sur bien des points, sont autres que ceux de la cité terrestre.
5. Certes, les choses d’ici-bas et celles qui, dans la condition humaine, dépassent ce monde, sont étroitement liées, et l’Église elle-même se sert d’instruments temporels dans la mesure où sa propre mission le demande. Mais elle ne place pas son espoir dans les privilèges offerts par le pouvoir civil. Bien plus, elle renoncera à l’exercice de certains droits légitimement acquis, s’il est reconnu que leur usage peut faire douter de la pureté de son témoignage ou si des circonstances nouvelles exigent d’autres dispositions. Mais il est juste qu’elle puisse partout et toujours prêcher la foi avec une authentique liberté, enseigner sa doctrine sociale, accomplir sans entraves sa mission parmi les hommes, porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent, en utilisant tous les moyens, et ceux-là seulement, qui sont conformes à l’Évangile et en harmonie avec le bien de tous, selon la diversité des temps et des situations 
Tout cela se tient : l'Eglise parle au monde en disant qu'elle ne recourt pas à la violence et qu'elle ne cherche pas le pouvoir. Son objectif premier est d'être le signe de la transcendance dans l'immanence de l'histoire. Il n'y a pas d'idolâtrie de la force, pas d'appel à prendre l'épée, etc.

Je m'arrête là pour cette discussion. Je peux me tromper, comme tout le monde, mais je reste ferme sur un point au moins : ces textes refusent la violence que vous appeler de vos vœux.

Chacun lira et se fera sa propre opinion, car il n'est pas interdit d'opiner.
Ma lecture de ce texte, de manière globale, est la suivante : l'Eglise dit au monde qu'elle ne veut pas être le moule qui contraint les sociétés, mais le ferment qui féconde le monde, le grain de sénevé qui fait croître la vie. Et que la conquête du pouvoir politique n'est pas son objectif, car il ne doit pas l'être.
L'évangile dit-il autre chose?
Chacun pensera ce qu'il voudra de cette lecture, et je ne prétends pas l'imposer d'une quelconque manière.

Cinci
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 11765
Inscription : lun. 06 juil. 2009, 21:35
Conviction : catholique perplexe

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Cinci » mer. 07 juil. 2021, 17:30

Salut Perlum Pimpum,

Je ne citais personne plus haut. Non, je m'exprimais en mon nom propre, répondant à vos deux questions initialement adressées à Riou.

1) Donc, je suis d'accord avec ce que vous pouvez dire, à propos des affirmations des anciens papes du XIXe siècle. La position de l'Église catholique était facile à comprendre. Les gouvernements avaient le devoir de reconnaître et de soutenir la mission de l'Église catholique romaine. Le Vatican ne fait qu'aller dans ce sens quand il signe un concordat en Italie avec le royaume d'Italie en 1929.
Concordat

Le traité confirme que le catholicisme est la seule religion de l'État italien, comme il est stipulé dans les statuts du royaume de 1848. Quant au concordat, il dispose que les mariages catholiques et les jugements de l'Église en matière matrimoniale prennent effet civil. Les juridictions ecclésiastiques sont reconnues en matière spirituelle et disciplinaire, un prêtre apostat pouvant ainsi se voir refuser un emploi public. L'enseignement religieux catholique devient obligatoire à tous les niveaux scolaires.

De son côté, l'État italien se voit refuser toute ingérence dans la nomination des évêques, lesquels doivent jurer fidélité au roi. Toute activité politique est interdite à l'Action catholique. Les religieux et les prêtres se voient interdire de militer dans un parti. Le but de Mussolini est d'empêcher la recréation d'un parti catholique hostile au fascisme.

Mussolini ajoutera au concordat des dispositions unilatérales réglant le sort des autres confessions, qui sont désormais reconnues. Un fossé juridique s'installe alors entre le catholicisme et les autres religions.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_du_Latran

2) Je suis en désaccord avec votre affirmation selon laquelle le document de Vatican II, Dignitatis Humanae, devrait consacrer à l'identique la doctrine de l'Église telle qu'exprimée par Pie VI, Grégoire XVI, Pie IX, Léon XIII, Pie X, Pie XI, Pie XII, et touchant cette question du rapport entre l'Église et l'État, la liberté religieuse ou ce que les catholiques d'aujourd'hui devraient promouvoir.

Je vous dis et re-dis autant de fois que nécessaire, Perlum, cent, mille, dix mille ou un million de fois, que la position du Vatican n'est désormais plus la même que jadis. Et j'ajouterai, même, que ce n'est pas moi qui le dit, moi ou n'importe quel horrible tradissident que vous voudrez, mais Benoit XVI himself.

Benoit XVI le disait, par exemple, lors de son discours à la Curie romaine, le 22 décembre 2005. Il y faisait alors un retour sur les quarante ans de Vatican II.

Voir :
https://www.vatican.va/content/benedict ... curia.html

Il y exposait son idée de la fameuse herméneutique de la discontinuité (... de la rupture) par opposition à ce que lui nommerait une herméneutique de la réforme (... dans la continuité).

Le fait est que Benoit XVI allègue qu'un changement de posture doctrinal est bel et bien intervenu à l'occasion de Vatican II. Il ne dit pas bien sûr que l'Église catholique romaine aurait dû perdre son identité ou trahir sa tradition essentielle de fond la plus ancienne. Non, mais qu'il aurait bien fallu adopter une nouvelle position (une nouvelle doctrine) face à l'État moderne, et parce que les «choses» seraient changées par rapport à l'époque de Pie IX.

Les politiciens libéraux actuels ne raisonneraient plus comme ceux de l'an 1860 ou 1885, les scientifiques ne raisonneraient plus comme ceux de l'ère «glorieuse» du positivisme, l'Église aurait même pu découvrir entre temps l'idée d'une sorte de laïcité positive à l'instar de ce qu'il y aurait aux États-Unis. Il veut dire que la situation actuelle ne serait plus si agonistique qu'à l'époque. Nous ne serions plus dans une sorte de combat à finir les uns contre les autres, à savoir qui des libéraux ou des évêques catholiques seraient en mesure de mieux faire disparaître le système de pensée de l'autre.

Bref, Benoit XVI dit en 2005 que l'Église catholique aura pu adopter sans danger un élément de la pensée des autres en face (les libéraux), vue que l'ère actuelle serait meilleure que jadis, plus souple, plus tolérante, etc. Benoit XVI admet qu'un élément de discontinuité puisse intervenir ( ... donc du nouveau, comme le dirait également Riou).

En un mot comme en cent : il serait impossible de comprendre que les catholiques de l'an 2021 seraient dans une sorte d'obligation, comme celle de promouvoir la morale de tout bon gouvernant et comme un Louis Veuillot aurait pu le penser à son époque. Et non les conférences des évêques d'Allemagne, de France ou d'ailleurs n'exigent pas que les États adoptent le catholicisme comme religion officielle. Jamais ! Et Paul VI a torpillé volontairement le concordat en Espagne qui avait été signé sous le pontificat de Pie XII. Pourquoi ? Pour ne plus faire en sorte que le catholicisme puisse bénéficier d'une sorte de «privilège» dont les autres seraient exclus.

Avatar de l’utilisateur
Perlum Pimpum
Tribunus plebis
Tribunus plebis
Messages : 1070
Inscription : lun. 19 avr. 2021, 23:28
Conviction : Chrétien
Localisation : Berry

Re: L'Église sur la laïcité

Message non lu par Perlum Pimpum » mer. 07 juil. 2021, 18:01

.
Dernière modification par Perlum Pimpum le lun. 13 juin 2022, 17:34, modifié 1 fois.
« L’âme bavarde est vide intérieurement. Il n’y a en elle ni vertus fondamentales ni intimité avec Dieu. Il n’est donc pas question d’une vie plus profonde, d’une douce paix, ni du silence où demeure Dieu. L’âme qui n’a jamais goûté la douceur du silence intérieur est un esprit inquiet et elle trouble le silence d’autrui. J’ai vu beaucoup d’âmes qui sont dans les gouffres de l’Enfer pour n’avoir pas gardé le silence. »

Répondre

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 13 invités