Qu'est-ce que la doctrine sociale de l'Église ?

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Christophe
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Les corporations

Message non lu par Christophe » dim. 15 févr. 2009, 20:18

Bonsoir Bruno
Bruno1600 a écrit :Cette doctrine sociale n'a t-elle pas déjà été appliquée avec les corporations et guildes au Moyen-Âge? Alors il faudrait y revenir... :sonne:
Voilà ce qu'écrivait Pie XI dans son encyclique Quadragesimo anno (Sur la restauration de l'ordre social) :
Pie XI, [i]Quadragesimo anno[/i] a écrit :§97. Mais tout ce que Nous avons enseigné sur la restauration et l'achèvement de l'ordre social ne s'obtiendra jamais sans une réforme des mœurs. L'histoire Nous en fournit un très convaincant témoignage. Il a existé en effet un ordre social qui, sans être en tous points parfait, répondait cependant, autant que le permettaient les circonstances et les exigences de temps, aux préceptes de la droite raison. Si cet ordre a depuis longtemps disparu, ce n'est certes pas qu'il n'ait pu évoluer et se développer pour s'accommoder à ce que réclamaient des circonstances et des nécessités nouvelles. La faute en fut bien plutôt aux hommes, soit que leur égoïsme endurci ait refusé d'ouvrir, comme il eût fallu, les cadres de leur organisation à la multitude croissante qui demandait à y pénétrer, soit que, séduits par l'attrait d'une fausse liberté ou victimes d'autres erreurs, ils se soient montrés impatients de tout joug et aient voulu s'affranchir de toute autorité.
Selon le jugement du pape, l'ancien régime des corporations n'était pas en tout point parfait mais répondait, autant que possible, aux préceptes de la droite raison. Mais ce régime ne serait pas à restaurer à l'identique : il faudrait le faire évoluer pour tenir compte "des circonstances actuelles et des nécessités nouvelles".
Cela étant dit, Pie XI dans Quadragesimo anno (et à la suite de Léon XIII dans Rerum novarum), propose effectivement le modèle corporatiste comme solution à la "question sociale", et comme alternative tant au capitalisme libéral et qu'au socialisme.
Je vous reproduis ci-après les extraits de ces deux encycliques majeures traitant de cette question.
Pie XI, [i]Quadragesimo anno[/i] a écrit :81. L'objectif que doivent avant tout se proposer l'État et l'élite des citoyens, ce à quoi ils doivent appliquer tout d'abord leur effort, c'est de mettre un terme au conflit qui divise les classes et de provoquer et encourager une cordiale collaboration des professions.

82. La politique sociale mettra donc tous ses soins à reconstituer les corps professionnels. Jusqu'à présent, en effet, la société reste plongée dans un état violent, partant instable et chancelant, puisqu'elle se fonde sur des classes que des appétits contradictoires mettent en conflit et qui, de ce chef, inclinent trop facilement à la haine et à la guerre.

83. En effet, bien que le travail, ainsi que l'exposait nettement Notre Prédécesseur dans son encyclique,[48] ne soit pas une simple marchandise, qu'il faille reconnaître en lui la dignité humaine de l'ouvrier et qu'on ne puisse pas l'échanger comme une denrée quelconque, de nos jours, sur le marché du travail, l'offre et la demande opposent les parties en deux classes, comme en deux camps ; le débat qui s'ouvre transforme le marché en un champ clos où les deux armées se livrent un combat acharné. À ce grave désordre qui mène la société à la ruine, tout le monde le comprend, il est urgent de porter un prompt remède.Mais on ne saurait arriver à une guérison parfaite que si, à ces classes opposées, on substitue des organes bien constitués, des 'ordres' ou des 'professions' qui groupent les hommes, non pas d'après la position qu'ils occupent sur le marché du travail, mais d'après les différentes branches de l'activité sociale auxquelles ils se rattachent. De même, en effet, que ceux que rapprochent des relations de voisinage en viennent à constituer des cités, ainsi la nature incline les membres d'un même métier ou d'une même profession, quelle qu'elle soit, à créer des groupements corporatifs, si bien que beaucoup considèrent de tels groupements comme des organes sinon essentiels, du moins naturels dans la société.

84. L'ordre résultant, comme l'explique si bien saint Thomas,[49] de l'unité d'objets divers harmonieusement disposés, le corps social ne sera vraiment ordonné que si une véritable unité relie solidement entre eux tous les membres qui le constituent. Or, ce principe d'union trouve - et pour chaque profession, dans la production des biens ou la prestation des services que vise l'activité combinée des patrons et des ouvriers qui la constituent - et pour l'ensemble des professions, dans le bien commun auquel elles doivent toutes et chacune pour sa part tendre par la coordination de leurs efforts. Cette union sera d'autant plus forte et plus efficace que les individus et les professions elles-mêmes s'appliqueront plus fidèlement à exercer leur spécialité et à y exceller.

85. De ce qui précède, on conclura sans peine qu'au sein de ces groupements corporatifs, la primauté appartient incontestablement aux intérêts communs de la profession ; entre tous, le plus important est de veiller à ce que l'activité collective s'oriente toujours vers le bien commun de la société. Pour ce qui est des questions dans lesquelles les intérêts particuliers, soit des employeurs, soit des employés, sont en jeu de façon spéciale, au point que l'une des parties doive prévenir les abus que l'autre ferait de sa supériorité, chacune des deux pourra délibérer séparément sur ces objets et prendre les décisions que comporte la matière

86. Il est à peine besoin de le rappeler ici, ce que Léon XIII a enseigné, au sujet des formes de gouvernement, vaut également, toute proportion gardée, pour les groupements corporatifs des diverses professions, et doit leur être appliqué : les hommes sont libres d'adopter telle forme d'organisation qu'ils préfèrent, pourvu seulement qu'il soit tenu compte des exigences de la justice et du bien commun.[50]

87. Mais comme les habitants d'une cité ont coutume de créer aux fins les plus diverses des associations auxquelles il est loisible à chacun de donner ou de refuser son nom, ainsi les personnes qui exercent la même profession gardent la faculté de s'associer librement en vue de certains objets qui, d'une manière quelconque, se rapportent à cette profession. Comme ces libres associations ont été clairement et exactement décrites par Notre illustre Prédécesseur, il suffira d'insister sur un point : l'homme est libre, non seulement de créer de pareilles sociétés d'ordre et de droit privé, mais encore de leur " donner les statuts et règlements qui paraissent les plus appropriés au but poursuivi. " [51]La même faculté doit être reconnue pour les associations dont l'objet déborde le cadre propre des diverses professions. Puissent les libres associations qui fleurissent déjà et portent de si heureux fruits se donner pour tâche, en pleine conformité avec les principes de la philosophie sociale chrétienne, de frayer la voie à ces organismes meilleurs, à ces groupements corporatifs dont Nous avons parlé, et d'arriver, chacune dans la mesure de ses moyens, à en procurer la réalisation.

Notes :
48. Cf. Encyclique, Rerum Novarum, 31. Art. 2.
49. St. Thomas, Contra Gentiles, III, 71; cf. Summa theologica,
50. Encyclique, Immortale Dei, Nov. 1, 1885.
51. Cf Encyclique, Rerum Novarum, 76.
Léon XIII, [i]Rerum novarum[/i] a écrit :En dernier lieu, les patrons et les ouvriers eux-mêmes peuvent singulièrement aider à la solution de la question par toutes les oeuvres propres à soulager efficacement l'indigence et à opérer un rapprochement entre les deux classes.

De ce nombre sont les sociétés de secours mutuels ; les institutions diverses dues à l'initiative privée qui ont pour but de secourir les ouvriers, ainsi que leurs veuves et leurs orphelins, en cas de mort, d'accidents ou d'infirmités ; les patronages qui exercent une protection bienfaisante sur les enfants des deux sexes, sur les adolescents et sur les hommes faits.

Mais la première place appartient aux corporations ouvrières qui, en soi, embrassent à peu près toutes les oeuvres. Nos ancêtres éprouvèrent longtemps la bienfaisante influence de ces corporations. Elles ont d'abord assuré aux ouvriers des avantages manifestes. De plus, ainsi qu'une foule de monuments le proclament, elles ont été une source de gloire et de progrès pour les arts eux-mêmes. Aujourd'hui, les générations sont plus cultivées, les moeurs plus policées, les exigences de la vie quotidienne plus nombreuses. Il n'est donc pas douteux qu'il faille adapter les corporations à ces conditions nouvelles. Aussi, Nous voyons avec plaisir se former partout des sociétés de ce genre, soit composées des seuls ouvriers, soit mixtes, réunissant à la fois des ouvriers et des patrons. Il est à désirer qu'elles accroissent leur nombre et l'efficacité de leur action.

Bien que Nous Nous en soyons occupé plus d'une fois, Nous voulons exposer ici leur opportunité et leur droit à l'existence, et indiquer comment elles doivent s'organiser et quel doit être leur programme d'action.

L'expérience que fait l'homme de l'exiguïté de ses forces l'engage et le pousse à s'adjoindre une coopération étrangère. C'est dans les Saintes Ecritures qu'on lit cette maxime : "Mieux vaut vivre à deux que solitaire; il y a pour les deux un bon salaire dans leur travail; car s'ils tombent, l'un peut relever son compagnon. Malheur à celui qui est seul et qui tombe sans avoir un second pour le relever !" (39) Et cet autre : "Le frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte" (40) De cette tendance naturelle, comme d'un même germe, naissent la société civile d'abord, puis au sein même de celle-ci, d'autres sociétés qui, pour être restreintes et imparfaites, n'en sont pas moins des sociétés véritables.

Entre ces petites sociétés et la grande, il y a de profondes différences qui résultent de leur fin prochaine. La fin de la société civile embrasse universellement tous les citoyens. Elle réside dans le bien commun, c'est-à-dire dans un bien auquel tous et chacun ont le droit de participer dans une mesure proportionnelle. C'est pourquoi on l'appelle publique, parce qu'elle réunit les hommes pour en former une nation. (41) Au contraire, les sociétés qui se constituent dans son sein sont tenues pour privées. Elles le sont, en effet, car leur raison d'être immédiate est l'utilité particulière exclusive de leurs membres.

La société privée est celle qui se forme dans un but privé, comme lorsque deux ou trois s'associent pour exercer ensemble le négoce. (42)

Les sociétés privées n'ont d'existence qu'au sein de la société civile dont elles sont comme autant de parties. Il ne s'ensuit pas cependant, à ne parler qu'en général et à ne considérer que leur nature, qu'il soit au pouvoir de l'Etat de leur dénier l'existence. Le droit à l'existence leur a été octroyé par la nature elle-même, et la société civile a été instituée pour protéger le droit naturel, non pour l'anéantir. C'est pourquoi une société civile qui interdirait les sociétés privées s'attaquerait elle-même, puisque toutes les sociétés, publiques et privées, firent leur origine d'un même principe: la naturelle sociabilité de l'homme.

Assurément, il y a des cas qui autorisent les lois à s'opposer à la formation de sociétés de ce genre. Si une société, en vertu même de ses statuts, poursuivait une fin en opposition flagrante avec la probité, avec la justice, avec la sécurité de l'Etat, les pouvoirs publics auraient le droit d'en empêcher la formation et, si elle était formée, de la dissoudre. Mais encore faut-il qu'en tout cela ils n'agissent qu'avec une très grande circonspection.

Il faut éviter d'empiéter sur les droits des citoyens et de prendre, sous couleur d'utilité publique, une décision qui serait désavouée par la raison. Car une loi ne mérite obéissance qu'autant qu'elle est conforme à la droite raison et, ainsi, à la loi éternelle de Dieu (43).

Ici se présentent à Notre esprit les confréries, les congrégations et les ordres religieux de tout genre, auxquels l'autorité de l'Eglise et la piété des fidèles avaient donné naissance. L'histoire jusqu'à notre époque nous dit assez quels en furent les fruits de salut pour le genre humain. Considérées simplement par la raison, ces sociétés apparaissent comme fondées dans un but honnête et, conséquemment, comme établies sur le droit naturel. Du côté où elles touchent à la religion, elles ne relèvent que de l'Eglise. Les pouvoirs publics ne peuvent donc légitimement prétendre à aucun droit sur elles, ni s'en attribuer l'administration. Leur devoir est plutôt de les respecter, de les protéger et, s'il en est besoin, de les défendre.

Or, c'est justement tout l'opposé que Nous avons vu, surtout en ces derniers temps. Dans beaucoup de pays, l'Etat a porté la main sur ces sociétés et a accumulé à leur égard les injustices: assujettissement aux lois civiles, privation du droit légitime de personnalité morale, spoliation des biens. Sur ces biens, l'Eglise avait pourtant ses droits ; chacun des membres avait les siens; les donateurs qui leur avaient fixé une destination, ceux enfin qui en retiraient des secours et du soulagement avaient les leurs. Aussi ne pouvons-Nous Nous empêcher de déplorer amèrement des spoliations si iniques et si funestes; d'autant plus qu'on frappe de proscription les sociétés catholiques dans le temps même où l'on affirme la légalité des sociétés privées, et que ce que l'on refuse à des hommes paisibles et préoccupés seulement de l'intérêt public, on l'accorde, et certes très largement, à des hommes qui agitent dans leur esprit des desseins funestes tout à la fois à la religion et à l'Etat.

Jamais assurément à aucune époque, on ne vit une si grande multiplicité d'associations de tout genre, surtout d'associations ouvrières. Ce n'est pas le lieu de chercher ici d'où viennent beaucoup d'entre elles, quel est leur but et comment elles y tendent. Mais c'est une opinion confirmée par de nombreux indices qu'elles sont ordinairement gouvernées par des chefs occultes et qu'elles obéissent à un mot d'ordre également hostile au nom chrétien et à la sécurité des nations; qu'après avoir accaparé toutes les entreprises, s'il se trouve des ouvriers qui se refusent à entrer dans leur sein, elles leur font expier ce refus par la misère. Dans cet état de choses, les ouvriers chrétiens n'ont plus qu'à choisir entre ces deux partis' ou de donner leur nom à des sociétés dont la religion a tout à craindre, ou de s'organiser eux-mêmes et de joindre leurs forces pour pouvoir secouer hardiment un joug si injuste et à intolérable. Y a-t-il des hommes ayant vraiment à coeur d'arracher le souverain bien de l'humanité à un péril imminent qui puissent douter qu'il faille opter pour ce dernier parti ?

Aussi, il faut louer hautement le zèle d'un grand nombre des nôtres qui, se rendant parfaitement compte des besoins de l'heure présente, sondent soigneusement le terrain pour y découvrir une voie honnête qui conduise au relèvement de la classe ouvrière. S'étant constitués les protecteurs des personnes vouées au travail, ils s'étudient à accroître leur prospérité, tant familiale qu'individuelle, à régler avec équité les relations réciproques des patrons et des ouvriers, à. entretenir et à affermir dans les uns et les autres le souvenir de leurs devoirs et l'observation des préceptes évangéliques; préceptes qui, en ramenant l'homme à la modération et condamnant tous les excès, maintiennent dans les nations et parmi les éléments si divers de personnes et de choses la concorde et l'harmonie la plus parfaite. Sous l'inspiration des mêmes pensées, des hommes de grand mérite se réunissent fréquemment en congrès pour se communiquer leurs vues, unir leurs forces, arrêter des programmes d'action.

D'autres s'occupent de fonder des corporations assorties aux divers métiers et d'y faire entrer les ouvriers; ils aident ces derniers de leurs conseils et de leur fortune et pourvoient à ce qu'ils ne manquent jamais d'un travail honnête et fructueux.

Les évêques, de leur côté, encouragent ces efforts et les mettent sous leur haut patronage. Par leur autorité et sous leurs auspices, des membres du clergé tant séculier que régulier se dévouent en grand nombre aux intérêts spirituels des associés.

Enfin, il ne manque pas de catholiques qui, pourvus d'abondantes richesses, mais devenus en quelque sorte compagnons volontaires des travailleurs, ne regardent à aucune dépense pour fonder et étendre au loin des sociétés où ceux-ci peuvent trouver, avec une certaine aisance pour le présent, le gage d'un repos honorable pour l'avenir.

Des efforts, si variés et si empressés ont déjà réalisé parmi les peuples un bien très considérable et trop connu pour qu'il soit nécessaire d'en parler en détail. Il est à Nos yeux d'un heureux augure pour l'avenir. Nous Nous promettons de ces corporations les plus heureux fruits, pourvu qu'elles continuent à se développer et que la prudence préside toujours à leur organisation. Que l'Etat protège ces sociétés fondées selon le droit ; que toutefois il ne s'immisce point dans leur gouvernement intérieur et ne touche point aux ressorts intimes qui leur donnent la vie; car le mouvement vital procède essentiellement d'un principe intérieur et s'éteint très facilement sous l'action d'une cause externe.

A ces corporations, il faut évidemment, pour qu'il y ait unité d'action et accord des volontés, une organisation et une discipline sage et prudente. Si donc, comme il est certain, les citoyens sont libres de s'associer, ils doivent l'être également de se donner les statuts et règlements qui leur paraissent les plus appropriés au but qu'ils poursuivent. Nous ne croyons pas qu'on puisse donner de règles certaines et précises pour déterminer le détail de ces statuts et règlements. Tout dépend du génie de chaque nation, des essais tentés et de l'expérience acquise, du genre de travail, de l'extension du commerce, et d'autres circonstances de choses et de temps qu'il faut peser avec maturité.

Tout ce qu'on peut dire en général, c'est qu'on doit prendre pour règle universelle et constante d'organiser et de gouverner les corporations, de façon qu'elles fournissent à chacun de leurs membres les moyens propres à lui faire atteindre, par la voie la plus commode et la plus courte, le but qu'il se propose. Ce but consiste dans l'accroissement le plus grand possible, pour chacun, des biens du corps, de l'esprit et de la fortune.

Mais il est évident qu'il faut viser avant tout à l'objet principal qui est le perfectionnement moral et religieux. C'est surtout cette fin qui doit régler l'économie sociale. Autrement, ces sociétés dégénéreraient bien vite et tomberaient, ou peu s'en faut, au rang des sociétés où la religion ne tient aucune place. Aussi bien, que servirait à l'ouvrier d'avoir trouvé au sein de la corporation l'abondance matérielle, si la disette d'aliments spirituels mettait en péril le salut de son âme ? "Que sert à l'homme de gagner l'univers entier, s'il vient à perdre son âme ?" (44) Voici le caractère auquel Notre Seigneur Jésus-Christ veut qu'on distingue le chrétien d'avec le païen. "Les païens recherchent toutes ces choses... cherchez d'abord le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront ajoutées par surcroît". (45)

Ainsi donc, après avoir pris Dieu comme point de départ, qu'on donne une large place à l'instruction religieuse, afin que tous connaissent leurs devoirs envers lui. Ce qu'il faut croire, ce qu'il faut espérer, ce qu'il faut faire en vue du salut éternel, tout cela doit leur être soigneusement inculqué. Qu'on les prémunisse avec une sollicitude particulière contre les opinions erronées et toutes les variétés du vice. Qu'on porte l'ouvrier au culte de Dieu, qu'on excite en lui l'esprit de piété, qu'on le rende surtout fidèle à l'observation des dimanches et des jours de fête. Qu'il apprenne à respecter et à aimer l'Eglise, la commune Mère de tous les chrétiens; à obéir à ses préceptes, à fréquenter ses sacrements qui sont des sources divines où l'âme se purifie de ses taches et puise la sainteté.

La religion ainsi constituée comme fondement de toutes les lois sociales, il n'est pas difficile de déterminer les relations mutuelles à établir entre les membres pour obtenir la paix et la prospérité de la société.

Les diverses fonctions doivent être réparties de la manière la plus favorable aux intérêts communs et de telle sorte que l'inégalité ne nuise point à la concorde. Il importe grandement que les charges soient distribuées avec intelligence et clairement définies, afin que personne n'ait à souffrir d'injustice. Que la masse commune soit administrée avec intégrité et qu'on détermine d'avance, par le degré d'indigence de chacun des membres, la mesure de secours à lui accorder.

Que les droits et les devoirs des patrons soient parfaitement conciliés avec les droits et les devoirs des ouvriers.

Pour le cas où l'une ou l'autre classe se croirait lésée en quelque façon, il serait très désirable que les statuts mêmes chargeassent des hommes prudents et intègres, tirés de son sein, de régler le litige en qualité d'arbitres.

Il faut encore pourvoir d'une manière toute spéciale à ce qu'en aucun temps l'ouvrier ne manque de travail, et qu'il y ait un fonds de réserve destiné à faire face, non seulement aux accidents soudains et fortuits inséparables du travail industriel, mais encore à la maladie, à la vieillesse et aux coups de la mauvaise fortune.

Ces lois, pourvu qu'elles soient acceptées de bon coeur, suffisent pour assurer aux faibles la subsistance et un certain bien-être. Mais les corporations des catholiques sont appelées encore à apporter leur bonne part à la prospérité générale. Par le passé, nous pouvons juger sans témérité de l'avenir. Un âge fait place à un autre, mais le cours des choses présente de merveilleuses similitudes ménagées par cette Providence qui règle et dirige tout vers la fin que Dieu s'est proposée en créant l'humanité.

Nous savons que, dans les premiers âges de l'Eglise, on lui faisait un crime de l'indigence de ses membres condamnés à vivre d'aumônes ou de travail. Mais dénués comme ils étaient de richesses et de puissance, ils surent se concilier la faveur des riches et la protection des puissants. On pouvait les voir, diligents, laborieux, pacifiques, modèles de justice et surtout de charité. Au spectacle d'une vie si parfaite et de moeurs si pures, tous les préjugés se dissipèrent, le sarcasme malveillant se tut, et les fictions d'une superstition invétérée s'évanouirent peu à peu devant la vérité chrétienne.

La question qui s'agite aujourd'hui est le sort de la classe ouvrière: elle sera résolue par la raison ou sans elle. La solution prise est de la plus grande importance pour les nations. Or, les ouvriers chrétiens la résoudront facilement par la raison si, unis en sociétés et conduits par une direction prudente, ils entrent dans la voie où leurs pères et leurs ancêtres trouvèrent leur salut et celui des peuples. Quelle que soit, dans les hommes, la force des préjugés et des passions, si une volonté perverse n'a pas entièrement étouffé le sentiment du juste et de l'honnête, il faudra que tôt ou tard la bienveillance publique se tourne vers ces ouvriers qu'on aura vus actifs et modestes, mettant l'équité avant le gain et préférant à tout la religion du devoir.

Il résultera de là cet autre avantage, que l'espoir et la possibilité d'une vie saine et normale seront abondamment offerts aux ouvriers qui vivent dans le mépris de la foi chrétienne ou dans les habitudes qu'elle réprouve. Ils comprennent d'ordinaire qu'ils ont été le jouet d'espérances trompeuses et d'apparences mensongères. Ils sentent, par les traitements inhumains qu'ils reçoivent de leurs maîtres, qu'ils ne sont guère estimés qu'au poids de l'or produit par leur travail. Quant aux sociétés qui les ont circonvenus, ils voient bien qu'à la place de la charité et de l'amour, ils n'y trouvent que les discordes intestines, ces compagnes inséparables de la pauvreté insolente et incrédule. L'âme brisée, le corps exténué, combien qui voudraient secouer un joug si humiliant ! Mais soit respect humain, soit crainte de l'indigence, ils ne l'osent pas. Eh bien, à tous ces ouvriers, les corporations des catholiques peuvent être d'une merveilleuse utilité, si, hésitants, elles les invitent à venir chercher dans leur sein un remède à tous leurs maux, si, repentants, elles les accueillent avec empressement et leur assurent sauvegarde et protection.

Notes :
39. Ecclésiaste 4, 9-12.
40. Proverbes 18,19.
41. Saint Thomas, Contra impugnantes Dei cultum et religionem, 2.
42. Saint Thomas, ibidem.
43. Cf. saint Thomas, Sum. theol. I-II q. 13 a.3.
44. Saint Matthieu 16, 26.
45. Saint Matthieu 6, 32-33.
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Bruno1600 » sam. 28 févr. 2009, 19:57

Salut Christophe!

Merci pour toutes ces précisions. J'ai intitulé le prochain thème de notre groupe de réflexion: "Des seigneurs de l'an 1000 au saigneurs de l'an 2000, les nouveaux rapports de force dans une économie dominée par la finance". J'ai prévu d'inviter pour débattre des paysans syndiqués, des investisseurs et des membres de l'ANF, ça va chauffer! :boxe: surtout qu'on a prévu les munitions. :toast: :-D

J'aimerais solliciter votre avis sur la position catho par rapport à la division de la société en classe. D'après ma compréhension l'Eglise reconnaissait la division de la société en ordres: les oratores, bellatores, laboratores (clergé, noblesse, travailleurs).

Est-ce qu'aujourd'hui l'Eglise reconnait une division bipartite et antagoniste entre travailleurs et profiteurs? :incertain:
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Christophe
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Christophe » sam. 28 févr. 2009, 21:20

Bonjour Bruno
Bruno1600 a écrit :J'aimerais solliciter votre avis sur la position catho par rapport à la division de la société en classe. D'après ma compréhension l'Église reconnaissait la division de la société en ordres: les oratores, bellatores, laboratores (clergé, noblesse, travailleurs).

Est-ce qu'aujourd'hui l'Église reconnait une division bipartite et antagoniste entre travailleurs et profiteurs ? :incertain:
Intéressante question que celle-ci... et qui mériterait quelques développements.
;)

Pour illustrer la conception organique de la société, qui est celle de l'Église, une très belle analogie - que puise son origine dans l'Écriture - est celle du corps. Chaque personne humaine, institution sociale - naturelle ou instituée - , est un membre du corps social (la société). Le fonctionnement harmonieux du corps global requiert que chaque membre soit sain, et fonctionne lui-même correctement.
Les membres du corps social sont différenciés entre eux : de même que les bras n'ont pas la même fonction que le cerveau, les ouvriers n'ont pas la même fonction sociale que les gouvernants... Cette différentiation fonctionnelle peut justifier une différence de statut social, mais - d'une part - elle ne contredit pas l'égale dignité des personnes et - d'autre part - n'implique aucun antagoniste.

La justice sociale admet - ou implique - une certaine inégalité sociale, mais dans le même temps s'oppose à l'iniquité que constituerait une répartition excessivement inégalitaire des richesses. Pour discerner où se situe la justice sociale, l'Église s'est beaucoup attachée à la caractérisation du juste salaire : le revenu qui permet à un salarié de faire vivre honnêtement sa famille et d'épargner un peu.

Il n'y a pas d'antagonisme intrinsèque entre les membres du corps social, parce qu'ils sont - en principe - ordonnés à la même finalité : le bien commun. Le concept de "lutte des classes" est le motif même de la condamnation du libéralisme et du communisme par l'Église au moment où "la question sociale" était particulièrement aiguë. Condamnation du libéralisme comme idéologie de classe niant les droits sociaux de la classe ouvrière ; condamnation du communisme athée pour incitation à la haine des classes et excitation de la lutte de classes.

La promotion par les Souverains Pontifes des institutions corporatistes participe de la même logique : face à des libéraux qui niaient tout droit d'association aux ouvriers et à des communistes qui voyaient dans le syndicat ouvrier le fer de lance de la Révolution, l'Église promeut les corporations, c'est-à-dire des syndicats mixtes - réunissant patrons et salariés - liés par la profession. Mais l'Église reconnaît dans le même temps la légitimité des syndicats ouvriers - pourvu qu'ils soient d'inspiration chrétienne, donc non marxiste - pour la défense des droits légitimes de la classe ouvrière.

L'Église ne parle pas de division entre "travailleurs et profiteurs", précisément parce que dans son esprit il ne peut y avoir de travail sans capital, ni de capital sans travail et la possession de capital n'est pas un droit à l'exploitation outrancière du travail. Pour l'Église, dans une société chrétiennement organisée, les détenteurs de capital ne doivent pas être des profiteurs. D'abord parce que dans une société chrétiennement organisée, le premier titre à la possession du capital, c'est le travail et - par voie de conséquence - dans une société chrétiennement organisée le capital devrait être bien plus largement réparti qu'il ne l'est aujourd'hui.

J'ai répondu succinctement à vos questions, mais n'hésitez pas à me demander des précisions ou des références.

Que Dieu vous bénisse
Christophe
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Bruno1600 » sam. 21 mars 2009, 18:29

Salut Christophe! :ciao:

Au risque d'être un brin provocateur, est-ce que l'Etat corporatiste type mussolinien ou franquiste n'est-il pas le plus proche de la doctrine sociale de l'Eglise? :saint:

Je vous pose cette question car récemment j'ai eu un intervenant tradi et il soutenait mordicus que le fascisme est politiquement et socialement beaucoup plus proche de la doctrine sociale de l'Eglise que le sont les démocraties libérales.

:sonne:
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Christophe » sam. 21 mars 2009, 18:57

Oui, vous avez raison de préciser que votre question est un brin polémique... parce qu'en fait - et permettez-moi d'être aussi franc - elle n'a pas grand intérêt... Il est certain que l'on peut jouer au jeu des 7 différences et voir ce qui - aussi bien dans les démocraties libérales que dans les républiques fascisantes - se rapproche ou au contraire s'éloigne des normes de la doctrine sociale chrétienne. Ce qui est certain, c'est qu'aucun de ces deux types de régime n'est pleinement conforme. Juger "lequel est le moins éloigné", revient à hiérarchiser subjectivement les divergences.

A titre personnel, je trouve que le régime de la royauté est sans conteste le plus conforme à la doctrine sociale chrétienne... Vous trouverez dans Quadragesimo anno (Pie XI, 1931) une critique du corporatisme mussolinien... Et la déclaration conciliaire Dignitatis humanae pose une doctrine de la liberté sociale qui s'oppose à la conception franquiste. D'une certaine façon, pour un traditionaliste qui refuse cette part de la doctrine sociale, le franquisme est certainement un modèle à suivre... (J'avais abordé cette question dans un message sur les Dubia de Mgr Lebfevre.)

Bine à vous. :sayo:
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Bruno1600 » sam. 04 avr. 2009, 13:42

Christophe a écrit :
A titre personnel, je trouve que le régime de la royauté est sans conteste le plus conforme à la doctrine sociale chrétienne...
Salut Christophe! :ciao:

Vous penchez plutôt du côté de la monarchie absolue de droit divin de Bossuet ou plutôt du côté de la monarchie constitutionnelle appelée de leurs voeux par les philosophes des lumières?
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Christophe » sam. 04 avr. 2009, 16:46

Bonjour Bruno
Bruno1600 a écrit :Vous penchez plutôt du côté de la monarchie absolue de droit divin de Bossuet ou plutôt du côté de la monarchie constitutionnelle appelée de leurs voeux par les philosophes des lumières?
Clairement du côté de la monarchie de droit divin. :oui:
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Sapin » mer. 15 avr. 2009, 19:50

Christophe a écrit :A titre personnel, je trouve que le régime de la royauté est sans conteste le plus conforme à la doctrine sociale chrétienne...
Christophe a écrit :Clairement du côté de la monarchie de droit divin. :oui:

La monarchie quoique respectée par l'Église, n'est plus encouragée par elle car dépassée et désuète. Le cadre politique qui est le plus compatible avec le christianisme demeure le cadre de la res publica. Et il faut bien s'entendre, la res publica dans le sens des vrais modèles à savoir ceux de l'antiquité: Rome, Carthage, Sparte, Athènes ou bien celui de Venise au IXe siècle.

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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Christophe » mer. 15 avr. 2009, 21:00

Cher Père
Sapin a écrit :La monarchie quoique respectée par l'Église, n'est plus encouragée par elle car dépassée et désuète. Le cadre politique qui est le plus compatible avec le christianisme demeure le cadre de la res publica. Et il faut bien s'entendre, la res publica dans le sens des vrais modèles à savoir ceux de l'antiquité: Rome, Carthage, Sparte, Athènes ou bien celui de Venise au IXe siècle.
Tout d'abord, je n'ai nulle part affirmé que le régime de la royauté était aujourd'hui promue par l'Église : je me suis contenté d'exprimer mon avis personnel comme cela est explicitement mentionné. D'autre part, si la royauté chrétienne (Vème - XVIIIème siècle) est considéré comme dépassée et désuète (merci de préciser votre source), comment donc sont considérées les républiques païennes de l'antiquité ???

Lorsque vous écrivez "le cadre politique qui est le plus compatible avec le christianisme demeure le cadre de la res publica [...] dans le sens des vrais modèles à savoir ceux de l'antiquité", j'espère que vous avez conscience que vous ne faites qu'exprimer votre avis personnel, et en aucun cas celui de l'Église...

Mais nous sommes au moins d'accord sur un point : lorsque nous parlons de la res publica, ce n'est pas dans le sens moderne de république. Mais dans son sens antique de chose publique : une société orientée vers le bien commun ; ce n'est en aucun cas une référence à une forme particulière de gouvernement.

Bien à vous dans le Christ
Christophe
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Sapin » mer. 15 avr. 2009, 23:14

Cher Christophe, :) :D :cool: :-D :fleur:
Christophe a écrit :Tout d'abord, je n'ai nulle part affirmé que le régime de la royauté était aujourd'hui promue par l'Église : je me suis contenté d'exprimer mon avis personnel comme cela est explicitement mentionné. D'autre part, si la royauté chrétienne (Vème - XVIIIème siècle) est considéré comme dépassée et désuète (merci de préciser votre source), comment donc sont considérées les républiques païennes de l'antiquité ???
Mais je n'ai jamais affirmé une telle chose de votre part. Par contre, force est de constater que les monarchies chrétiennes n'ont connu aucune apothéose, et de mémoire je crois que non. Soit que le roi fut écarté singulièrement du pouvoir comme en Angleterre (et non sans effusion de sang!), ou bien, comme en France, on a supprimé la royauté en la jetant, avec la tête du roi, dans les égouts de Paris tout simplement. En plus, comme nous savons que les rois des monarchies chrétiennes étaient des modèles de vertu et de charité (?), selon leur coutumier, il n'en demeure pas moins que sur les 68 rois Très Chrétiens, un seul en France à été élevé sur les autels de l'Église. Rêver encore la monarchie c'est faire de la poésie lyrique en chantant la nostalgie de l'Âge d'Or du règne de Saturne. Si un modèle de gouvernement monarchique avait subsisté jusqu'à nos jours, nous pourrions envisager cette option. Malheureusement cela n'est pas le cas. Par contre, la res publica a subsistée! Et c'est l'Église qui en est, selon moi, le modèle!

Christophe a écrit :Lorsque vous écrivez "le cadre politique qui est le plus compatible avec le christianisme demeure le cadre de la res publica [...] dans le sens des vrais modèles à savoir ceux de l'antiquité", j'espère que vous avez conscience que vous ne faites qu'exprimer votre avis personnel, et en aucun cas celui de l'Église...

Oui c'est un avis personnel et je pourrai développer davantage un peu plus tard, mais je tiens à vous faire remarquer que l'organisation de l'Église catholique est un calque de la res publica et non d'une quelconque monarchie contrairement aux apparences (pontifex maximus, pontifex, curia (sénat), tribunal, diocèse, élections etc.) et l'organisation des communautés religieuses, des paroisses tient beaucoup plus de la res publica que d'une monarchie de droit divin, qui est en plus héréditaire, y-a-t-il quelque chose d'héréditaire dans l'organisation de l'Église catholique? bien sûr que non!

Nous parlons davantage du peuple de Dieu, de l'ensemble des baptisés, de l'Assemblée (L'Église), du prêtre (sacerdos) qui préside l'assemblée dominical, du pape (Pontifex Maximus: Princeps) qui préside l'Assemblée (Église) universelle. le collegium: le collège des cardinaux, des évêques etc., Nous sommes beaucoup plus près d'un vocabulaire et d'une conception de la res publica (de l'antiquité) que d'une monarchie absolue ou de droit divin.

Donc nous sommes plutôt loin d'une conception monarchique et qui est contraire à toute conception de la démocratie qui régit une nation, une société et contraire à l'enseignement des papes sur la doctrine sociale de l'Église, selon moi.


Avec mon plus grand respect in Xto
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Christian » ven. 17 avr. 2009, 17:32

Bonjour à tous,

Je suis bien d’accord avec l’analyse que propose Sapin de l’Eglise catholique comme ‘calque de la res publica’ La pérennité du modèle tient à sa parfaite adéquation au but poursuivi, qui est la conservation et l’enseignement de la Révélation, sous l’inspiration de l’Esprit Saint. Une aristocratie du mérite, relativement restreinte, qui élit à vie l’un des siens, après l’avoir longuement pratiqué, évite à la fois les dérives de la démagogie et les aléas de l’hérédité (je crois savoir qu’une des raisons du célibat des prêtres fut d’éviter la constitution d’une caste héréditaire, à l’instar des Lévites).

La comparaison obligée avec l’Islam montre combien ce dernier, en apparence plus ‘démocratique’, souffre de n’avoir pas un Pontifex, choisi par des sages et réputé dans la confidence d’Allah, qui eut pu établir un lien vivant entre le Coran et la modernité. N’importe quel imam illettré peut émettre une fatwa légitime, quelque aberrante qu’elle puisse être.

Mais le mode de Gouvernement de l’Eglise est-il transposable à d’autres institutions que religieuses, par exemple à un Etat moderne ?

La caractéristique d’un Etat, comme le rappelle Max Weber, est l’exercice du monopole légal de la violence sur un territoire donné. Cette dimension spatiale est problématique. Car il ne s’agit pas de vouloir être soumis à l’autorité des hommes de l’Etat (comme les catholiques choisissent de l’être au Pape, les acteurs au metteur en scène, les patients à leur médecin, les employés à leur patron, tous sachant qu’ils ont le droit de mettre fin à la relation à leur gré, même si le coût peut être élevé) ; les hommes de l’Etat imposent leur pouvoir à tous ceux, divers et variés, qui se trouvent sur leur territoire, notamment les nationaux.

Or si je suis Français, nul autre ne l’est plus que moi. Le pays, sa culture, son histoire n’appartiennent pas à d’autres plus qu’ils ne m’appartiennent. L’argument ‘si vous n’êtes pas content, vous n’avez qu’à voir ailleurs’ n’est pas plus valable que si je le retournais ‘fichez le camp, vous’. Le propriétaire d’une maison possède une certaine légitimité en me donnant mon congé, le Pape en m’excommuniant, mais entre nationaux d’un pays, nous sommes sommés de vivre ensemble. La res publica est en indivision.

Quel peut être alors le critère de bonne gestion de ce bien indivis ? Car ce n’est pas le projet qui a réuni les acteurs, comme il le fait des actionnaires d’une société ou des joueurs de foot ; ceux-là peuvent être en désaccord sur les moyens de l’atteindre, mais ils cherchent la même chose, générer du profit ou gagner des matches. Nationaux d’un pays, nous sommes cohéritiers d’un bien qui, par nature, n’a pas de projet. Quel pourrait être celui de la France ? redevenir une grande puissance ? réaliser le paradis socialiste ? assurer le salut de l’âme de tous les citoyens ? ou la croissance économique indéfinie ? On ne peut imaginer un projet, tendu vers l’avenir, qui ne soit contré par une plus ou moins grande proportion des Français. Même la ‘tendance à persévérer dans son être’, que Spinoza repère chez tous les vivants, ne se retrouve pas ici, puisque d’aucuns voudraient détacher des bouts de territoire, Bretagne, Corse, Savoie, ou transformer profondément l’âme du pays par l’islamisation ou l’américanisation. Alors si l’on parle de projet commun, il faut se demander : ‘commun à qui ?’

L’alternative pour la gestion de la res publica me paraît donc être celle-ci :

-- soit exercer le monopole de la violence des hommes de l’Etat pour imposer un projet quelconque à ceux qui n’en veulent point ; c’est la solution généralement adoptée ; elle ne me semble pas conforme à la morale, ni même efficace

-- soit restreindre les hommes de l’Etat à ces quelques fonctions, sur lesquelles l’unanimité est possible et l'application immédiate (notamment sanctionner les agressions physiques contre les personnes et leurs biens) ; le Bien commun, réellement commun, à tous les êtres humains au sein de toutes les sociétés est le Droit de n’être pas agressé ; laisser alors chacun répondre à sa vocation à travers des engagements forts dans une famille et/ou au sein d’associations volontaires, culturelles, religieuses, éducatives, caritatives…

Peu importe alors la forme que prend le gouvernement de la société : monarchie héréditaire, république à la Vénitienne, tirage au sort des dirigeants... Seul compte l'étendue du pouvoir exercé. Seule l'unanimité lui confère une légitimité.

Cordialement
Christian

Les princes me donnent beaucoup s’ils ne m’ôtent rien,
et me font assez de bien quand ils ne me font point de mal ;
c’est tout ce que j’en demande.

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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Bruno1600 » ven. 17 avr. 2009, 21:35

Christophe a écrit :
Clairement du côté de la monarchie de droit divin. :oui:
Hugh! :hugh:

Vous omettez absolue, vous considérez alors que le roi tient le pouvoir de Dieu par le peuple et qu'il est responsable devant ce dernier ?

Vous savez, je me demande aujourd'hui où pourrait bien se trouver le "Lieutenant de Dieu sur terre", cela paraît tellement surréaliste, et pourtant c'est plus de milles ans d'histoire de France. Ne croyez-vous pas que la religion chrétienne, religion de la Personne , est incompatible avec l'impersonnalité du système politique moderne? :incertain:
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Pneumatis » ven. 15 mai 2009, 14:39

Bonjour,

Je découvre un peu ce fil, du moins ses développements, et j'y viens suite à une question que j'ai posé tout récemment sur un autre fil de discussion :
Pneumatis a écrit :En gros ma question c'est : c'est quoi l'utopie sociale chrétienne ?
...
En effet, l'encyclique [Rerum Novarum] propose des grands principes fondateurs, mais ne propose aucun modèle institutionnel, ni de gouvernement, ni de structure sociale concrète... Quoique de mémoire il me semble que j'en étais ressorti avec l'idée que l'Eglise proposerait peut-être bien, si on décrypte le fond de l'encyclique, la remise en place d'un modèle à 3 ordres : clergé, noblesse, tiers-état (ou a minima une structure corporatiste qui s'en rapproche), dans une forme de gouvernement quasi théocratique, sinon au moins inspiré, avec l'Eglise comme rôle consultatif. Mais ce n'était que mon interprétation, ça fait déjà un moment que je n'y ais pas réfléchi et en lisant tout ça je me repose la question.
Alors je précise d'abord que je suis totalement inculte en matière d'histoire politique ou d'histoire sociale, donc mes références sont a priori très scolaires.

Après avoir lu la discussion, je me reconnais assez dans les positions de Christophe, sauf que pour l'instant mon opinion est plutôt "a priori" (et c'est ce que je lui reproche... à mon opinion, pas à Christophe). Je trouve très intéressante l'analyse de Christian sur la limitation des pouvoirs, quoique je lui ai déjà objecté, sur un autre fil, la critique de l'arbitraire. Ou plutôt non, pas l'arbitraire, mais que même par une réduction minimaliste des pouvoirs, il y aura toujours quelque chose qui ne peut faire prétendre à l'universalité nos choix de priorités dans la gestion du corps social.

Pour reprendre l'exemple de la non agression physique, si on décidait de réduire la définition de nuisance à une nuisance physique, cela supposerait immédiatement que l'on réduit l'homme à son physique, ou bien la portée du corps social au physique. Si, comme lorsqu'on est chrétien, on considère que l'homme a aussi une âme, alors il faut envisager nécessairement de légiférer sur les nuisances de l'âme de la même manière qu'on légifère sur les nuisances physiques.

Voilà après je me dis qu'il ne faut pas nécessairement réduire une société à l'organisation des pouvoirs. L'analogie avec le corps m'intéresse car elle met en valeur plutôt des "fonctions" que des "pouvoirs". Et ce qui m'intéresse c'est de considérer ces fonctions, non pas comme seulement nécessaires à la res publica, mais signifiantes d'un ordre transcendant. C'est la seule chose, par exemple, qui peut justifier qu'une monarchie puisse être de droit divin. Du coup c'est d'abord pour cette histoire de "fonction" plutôt que "pouvoir" que, plutôt que de parler de monarchie, je préférerai parler de royauté. En effet, le terme de monarchie indique une concentration des pouvoirs, et si je reste persuadé qu'il faut à ce corps une figure (représentant) du grand prêtre, une caste comportant un unique individu tout comme le Christ est unique grand prêtre, j'y vois avant tout une "fonction" et non une quelconque concentration de pouvoirs. Pour aller plus loin, j'y vois-même plutôt un modèle de "devoir".

C'est cette organisation en castes par fonctions, analogiquement à la structure du corps de l'homme (pas au sens biologique du terme mais plutôt structurel), ou encore analogiquement au Saint Temple qui nous en offre une vision plus claire parce que plus épurée et souvent mieux traduite que l'anthropologie génésiaque, que j'en viens à envisager un retour aux ordres clergé-noblesse-tiers état. Et puis un petit quelque chose me dit aussi que ce modèle n'est pas sorti de nulle part, mais là s'arrête mes "connaissances" historiques.

Bref, je précise donc un peu plus ma question : est-il possible, selon vous, de résoudre la question des pouvoirs sous une forme plutôt "anarchiste", tout en envisageant une structure ordonnée selon un modèle signifiant dans sa structure et efficace dans l'organisation de ses fonctions (devoirs) ; ceci incluant notamment à la tête de l'état un roi, figure représentative de la royauté céleste, premier serviteur plutôt que premier potentat ? Pressentant mon propre écueil, je me demande si ce ne serait pas simplement une négation de la notion de pouvoir. N'ayant pas suffisamment réfléchi à cette question, et manquant de culture, je viens à la pêche et sollicite vos propres réflexions.
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par Pneumatis » lun. 15 juin 2009, 14:20

Bonjour,

Je fais remonter ce sujet pour voir si quelques bonnes âmes se sentiraient inspirées par ma question précédente. :)
Site : http://www.pneumatis.net/
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Re: Politique catholique: la Doctrine Sociale de l'Eglise

Message non lu par jeanbaptiste » mar. 16 juin 2009, 12:20

La discussion continue sur le fil Un pouvoir gouvernemental est-il nécessaire ?

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