Bonjour Suliko. Je vais tenter une réponse - certainement pas définitive - à cette question complexe.Suliko a écrit :Cela fait déjà quelque temps que je me pose beaucoup de questions par rapport à la position de l'Eglise sur la liberté religieuse. Je vais être sincère: je n'arrive pas à comprendre en quoi il n'y a pas rupture sur la question depuis Vatican II. J'ai beau retourner la question dans tous les sens, j'ai de la peine à comprendre la logique du Concile sur ce point précis. Par exemple, est-ce que la nouvelle position de l'Eglise n'empêche-t-elle pas, dans la pratique, d'avoir un Etat dont les lois seraient en accord avec la doctrine catholique? Comment concilier un texte comme « Dignitatis humanae » et certains passages du Syllabus (par exemple) ?
Dans un cas comme cela, ce que je me demande d'abord, c'est: que nous enseignent les sources de la Révélation, c'est-à-dire l'Ecriture et la Tradition Apostoliques (les textes magistériels comme ceux mentionnés ci-dessus n'étant qu'au service de cette Révélation)?
Il y a un premier point, essentiel, c'est le fameux "rendez à César ce qui est à César...".
César, c'est le titre des empereurs romains. Qui se considéraient comme détenteurs du pouvoir spirituel...
S'il y a bien une rupture - sans aucun doute providentielle pour la survie de l'Eglise, mais annonciatrice de bien des difficultés et des ambiguités - ce fut la conversion de Constantin, à partir de laquelle César a été chrétien. Il n'en a pas moins continué de se considérer comme détenteur du pouvoir spirituel, demandant qu'on rende à César ce qui est à Dieu. Le césaro-papisme de l'empereur romain d'Orient a été bien établi jusqu'à la chute de Constantinople en 1453, l'empereur nommait les patriarches et les clercs étaient des fonctionnaires impériaux. Plus près de nous, la Russie tsariste a repris le même modèle, avec une tournure particulièrement despotique sous Ivan le Terrible puis Pierre le Grand.
En Occident, la Papauté n'a eu de cesse de lutter contre la prétention des souverains temporels à détenir le pouvoir spirituel, de Charlemagne à Napoléon en passant par Henri IV (l'Empereur germanique), Philippe le Bel, Henri VIII d'Angleterre, Louis XIV... Si on lit l'histoire de la Papauté, l'essentiel de cette histoire a consisté dans cette lutte. Avec un succès rematif d'ailleurs, si l'on en juge par les Concordats et autres compromis qui ont souvent dû être adoptés.
Le problème est que dans cette démarche, on peut considérer qu'elle a fini, dans l'autre sens, par se prendre pour César, par attendre des souverains temporels qu'ils soient purement et simplement le bras armé de l'Eglise, appliquant les décisions des Papes et des Conciles. Latran IV avec ses canons pour réprimer l'hérésie albigeoise, comme celui imposant aux souverains (sous peine d'excommunication) de brûler les hérétiques, en est un bon exemple... Un St Jean Chrysostome était horrifié par une telle idée.
Or, le 2e point qui se dégage tout ce qu'il y a de plus clairement de l'Ecriture Sainte, c'est que le Christ, qui est certes le véritable Roi du monde, n'a pas voulu manifester sa puissance sur le plan temporel, a même obstinément refusé ceux qui auraient voulu le faire Roi lors du triomphe des Rameaux. Lorsque l'Eglise en vient à faire ce que le Christ avait refusé, il me semble qu'il y a une dérive à corriger...
La situation actuelle est quelque peu différente (encore que... cf la situation de l'Eglise en Chine). Dans les pays occidentaux, le pluralisme religieux est devenu la règle. L'Eglise a fini par comprendre qu'elle n'avait pas à craindre un régime de "libre concurrence" religieuse, selon le modèle américain. Et il n'est pas anormal qu'elle le réclame contre les pays qui tendraient à imposer une fausse religion, et n'a pas à regretter outre mesure l'époque où c'est la religion chrétienne que les souverains imposaient, avec toutes les ambiguités que cela comportait.
Avons-nous confiance en l'action du Saint Esprit? La Vérité peut-elle s'imposer librement sans les armes de la coercition? Si oui, nous ne devrions pas craindre une situation d'égalité de traitement... Sinon, où est notre foi?Les fausses religions ont-elles véritablement les mêmes droits que la vraie ? Parce que dans la pratique, c’est bien d’un traitement égal entre le vrai et le faux dont il s’agit…Or, n’est-ce pas favoriser l’erreur que de le mettre, du point de vue du droit, à égalité avec la vérité ? N’est-ce pas dangereux pour les âmes, qui risquent de s’égarer bien plus facilement qu’autrefois ? J’ai l’impression que la position de l’Eglise accepte la situation actuelle, càd d’être placé à égalité avec les autres religions et sectes dans ce qu’on pourrait appeler le marché du religieux, L’Eglise n’y est qu’un « produit » parmi tant d’autres…Je ne dis pas que l’Eglise n’enseigne plus la vérité, mais seulement que sur le plan pratique, cela ne se voit pas.
Ceci dit, on peut trouver qu'il y a une certaine naïveté à généraliser un "modèle américain" qui ne marche guère qu'aux USA et dans une certaine mesure dans les pays occidentaux, et rien n'indique que cela durera. L'histoire des pays non chrétiens, c'est plutôt celle d'une persécution. Qui a bien failli devenir mortelle, n'eût été, justement, l'action de l'Esprit, dans les premiers siècles du christianisme. Qui l'a déjà fait disparaître de certains pays... Qui entraîne toutes les persécutions que nous connaissons. Reste que dans ce contexte, la doctrine revendiquant la liberté de culte pour tous, y compris les chrétiens, est appropriée.
L'idéal serait peut-être le souverain se considérant chrétien, craignant Dieu, et pas détenteur du pouvoir spirituel, respectant la liberté des cultes du moment qu'elle ne franchit pas certaines bornes (Dignitatis Humanae indique bien que la liberté religieuse ne peut être absolue). Comme dans d'autres domaines, entre ce que disait le Concile et ce que l'Eglise en a fait, il y a eu un décalage, bien excessif quand certains ont renoncé à la conversion de ceux mêmes qui la demandaient, quand un Pape a demandé à des chefs d'Etat de retirer malgré eux les références chrétiennes de leur Constitution (en Colombie par exemple)... aujourd'hui on revient en arrière, on se rend compte que les terres chrétiennes doivent se souvenir de leurs racines spirituelles. Il est impossible d'être neutre, on est avec Dieu ou contre Lui.
Mais encore une fois, ce n'est pas à l'Eglise d'imposer sa loi par la coercition, mais au souverain chrétien, s'il s'en trouve (et ça c'est par la prédication apostolique que ça pourra de nouveau arriver), de garantir à l'Eglise et à la Vérité qu'elle transmet la place qu'elle mérite dans la vie civile, mais aussi dans la morale en tant qu'organisatrice des lois.
In Xto,
archi