L'homme qui poussait sa croix et l'autre qui la tirait

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etienne lorant
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L'homme qui poussait sa croix et l'autre qui la tirait

Message non lu par etienne lorant » mer. 16 juil. 2008, 18:52

Je voudrais publier ce témoignage, du fait du courrier que je reçois me conseillant, à présent que mon père est décédé et ma mère en maison de repos, de "vivre ma vie", de "penser à moi", et j'ai même reçu une lettre d'une vieille amie catholique qui apparemment n'a pas compris et me dit: "Maintenant, c'est l'heure de la mission". L'heure de la mission, mon Dieu, la mission est commencée depuis plus de vingt ans ! Et si j'en suis certain, c'est parce que je n'ai jamais fais ce que j'avais envie de faire, mais ce qui s'imposait littéralement à moi. Comme de tirer la croix de mon père dans ce témoignage:

19/4/2008 - Souvenir de mon père. Depuis 2001, et de plus en plus, jusqu'à son décès, il a souffert de son dos et essayé différents traitements palliatifs. Durant les périodes de rémission de son mal, il poussait devant lui cette sorte de double-canne à roulettes, séparée par un plateau, qu'on appelle ici une "tribune". Chaque main enserrant une poignée de cette forme de poussette, le patient se déplace plus facilement et peut transporter quelques menus objets (sacs, couverts, journaux, etc.) Mais mon père, quant à lui, passait d'une pièce à l'autre, parcourant plusieurs fois comme en circuit, toutes les pièces du rez-de-chaussée. Un jour, je l'ai trouvé occupé ainsi et je me suis demandé s'il n'avait pas perdu la tête... pas du tout: "C'est pour affermir les muscles de mes jambes, j'ai besoin d'exercices si je veux guérir". Il se battait. C'était douloureux et à certains moments je l'entendais souffler fort, mais quel exemple de volonté, quelle ténacité !

Au cours de ces trois dernières années - encore mille jours, cet exercice devint de plus en plus difficile et il finit par y renoncer. A partir de ce jour-là, lorsqu'il s'extrayait péniblement de son grand fauteuil pour se rendre à son lit, j'ai commencé de l'aider à s'asseoir sur le plateau de la tribune et, cette fois, c'est moi qui tirais sur les poignées, en marchant à reculons pour traverser la salle à manger, puis le salon jusqu'à son lit.

Je le revois encore: déshabillé, puis couché, il fixait le plafond avec de grands yeux qui avaient toujours l'air étonné et comme regardant au-delà. On eût dit un de ses enfants du tiers-monde aux yeux globuleux - c'est vrai qu'il ne se nourrissait plus que d'aliments moulus et toute trace de graisse avait déserté sa figure, mais il y avait plus: il déprimait et c'est sa déchéance, ainsi que sa fin prochaine, qu'il contemplait comme un scénario visible pour lui seul sur le plafond... Pour remédier à ce moment toujours pénible avant le sommeil, nous lui avions obtenu un léger calmant - un des rares médicaments qu'il acceptait. Finalement, comme je lui souhaitais bonne nuit, il me répétait "Merci... merci... merci... " Et moi de répondre aussi vite: "Ce n'est rien, vraiment rien, repose-toi".

Ce chemin qui allait du fauteuil au lit, je l'ai parcouru chaque soir, trois années de suite, et je n'y ai manqué que les soirs où ma propre angoisse me serrait la gorge, ou bien au contraire parce que je me rebellais : ah, si l'on m'avait prédit, des années plus tôt, que je passerais chaque soir de dix à trente minutes (ce n'est pas moi qui décidais de l'heure du coucher), à attendre mon tour de service dans la pièce voisine... comme j'aurais dit: "Non, pas question, allons, jamais de la vie !"

Eh bien, je peux arrêter ce témoignage ici : à l'époque où je me suis converti, il y a cette fois plus de 23 ans, la volonté de Dieu m'est d'abord apparue comme quelque chose de "grandiose" à accomplir, et j'avais l'esprit vagabond, mais j'ai vite déchanté ! Cependant, j'étais en relation étroite avec un vieux Rédemptoriste et c'est lui qui m'a dit: "Si vous rêvez de mission, attendez le jour où vous vous sentirez poussé à faire ce que vous ne voudriez "certainement pas" fair: car, c'est là, et uniquement par le secours de la grâce, que vous aurez la certitude d'accomplir quelque chose d'utile à Dieu"...

J'ai bien envie de répondre à cette amie, qui me voit peut-être partir pour l'Afrique comme coopérant, qu'elle n'a pas encore compris: il y a bien longtemps que la "mission" est commencée ... Oh, je ne dis pas que je ne partirai jamais, mais je sais que de toute manière, à mes yeux, cela n'aura rien de glorieux, ni d'enthousiasmant: il y aura toujours un soir et un matin, il y aura toujours une peine à supporter le mieux possible, et la Joie sera voisine de la souffrance - ce qui est tout à fait dans les "normes" de la vie en Dieu.
Pièces jointes
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«Cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ mais bien pour les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’ëtre associés au mystère pascal ». ( Gaudium et Spes, le Concile Vatican II )

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