Pour nourrir la réflexion aussi, je pourrais citer un article de mars 1995. C'est tiré d'une revue de catholiques "sédévacantistes" en Italie. Il en vaut la peine par les rappels historiques proprement dit. Et en ce qu'il permet de mieux visualiser le spectre plus complet du problème et comme vu sous l'angle des adversaires de la "nouvelle théologie". On comprend mieux la source d'un problème en saisissant ce qui anime les opposants.
SAINT PIE V, “LE PAPE DE
LA SAINTE MESSE”
par
M. l’abbé Ugolino Giugni
«c’est donc en 1570 que Pie V fut en mesure de promulguer le Missel réformé, accompagné de la constitution “Quo primum tempore”. Voici certains des passages les plus importants de cette bulle de St Pie V qui a été l’un des “chevaux de bataille” de la littérature “traditionaliste” contre la “Nouvelle Messe” de Paul VI dans les années 60 et 70:
Pie V
« Pie, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu. Du moment que Nous avons été élévé au sommet de l’Apostolat, Nous avons appliqué de grand cœur toutes Nos forces et dirigé toutes Nos pensées aux choses qui concernent la pureté du culte ecclésiastique, travaillant avec toute notre application à préparer et obtenir ce but. (…) Ce Missel ayant donc été reconnu et corrigé avec un grand soin, Nous avons donné ordre… Nous défendons, pour l’avenir, et à perpétuité, que l’on chante ou récite la Messe autrement que suivant la forme du Missel par Nous publié, dans toutes les églises ou chapelles du monde chrétien... de quelque Ordre que ce soit… à moins qu’en vertu d’une première institution ou d’une coutume, antérieures, l’une et l’autre à deux cents ans. (…) Quant à toutes les autres églises susdites, nous ôtons et rejetons entièrement l’usage des missels dont elles se servent. (…) Statuons et ordonnons, sous la peine de Notre indignation, en vertu de cette constitution qui doit valoir à perpétuité, qu’on ne pourra rien ajouter, retrancher ou changer au Missel que Nous publions. Si, cependant, quelqu’un se permettait une telle altération, qu’il sache qu’il encourrait l’indignation de Dieu tout-puissant et de ses bienheureux Apôtres Pierre et Paul ».
Le “Missel Romain selon les décrets du Concile de Trente, promulgué par St Pie V” fut quasi universellement accepté, avec grande joie dans toute l’Eglise. Rome la première, et peu à peu toutes les autres églises locales l’adoptèrent au cours des siècles suivants. Comme il l’avait déjà fait pour le Bréviaire Romain, St Pie V établissait que partout on devait utiliser son Missel réformé, mais en n’obligeant pas les églises (et Ordres religieux) qui possédaient un Missel propre depuis au moins deux cents ans, et en les laissant libres de passer au Missel Romain.
Il interdisait en outre, par des mots très sévères et catégoriques que l’on n’osât dans le futur ajouter, retrancher, ou modifier dans sa substance le Missel promulgué par lui.
Cependant par cette interdiction le Pape Ghislieri n’entendait certainement pas limiter le pouvoir de ses successeurs sur le trône de Pierre, d’apporter des réformes ultérieures au Missel, comme l’ont prétendu sottement certains “traditionalistes”. A preuve de cela il suffit de penser à ses successeurs immédiats et à un autre Pape saint, St Pie X, qui réforma dans les rubriques le Missel de Pie V et personne (sain d’esprit…) n’a jamais dit qu’il n’en aurait pas eu le droit à cause de la bulle “Quo primum”.
St Pie V voulait signifier qu’à partir de ce moment les évêques et les autorités locales n’auraient plus eu, comme au contraire il arrivait assez librement avant lui, le pouvoir de légiférer en matière liturgique, puisque ce droit devait être dorénavant exclusivement réservé au Pontife Romain.
St Pie V pouvait utiliser ce langage (Si quis autem hoc attentare præsumpserit, indignationem Omnipotenti Dei ac beatorum Petri et Pauli Apostolorum eius se noverit incursurum) parce que sa “réforme” consistait dans le fait de “restituer” la Messe Romaine à sa pureté d’origine, en la purgeant de tous les éléments profanes et issus de la Renaissance qui l’avaient envahie au fil des derniers siècles. La substance de la Messe Romaine de St Pie V correspondait à celle des Apôtres et des Saints Pères et était parfaitement dans la ligne de la tradition plus que millénaire de la Sainte Eglise.
L’une des erreurs de Paul VI en promulguant la “Nouvelle Messe” ne consista pas dans le fait que [...] il n’aurait pas eu le droit de réformer le Missel, mais plutôt
dans le fait qu’il introduisît un “nouveau rite” de la messe qui n’avait rien à voir avec l’ancien.
Tout était changé en lui, s’inspirant entre autres du soi-disant “canon de St Hippolyte” et d’autres textes hétérodoxes, avec cet “insensé archéologisme” moderniste déjà condamné par Pie XII dans
Mediator Dei. Une “Nouvelle Messe” donc dont la substance n’avait plus rien à voir avec le Canon Romain que St Pie V avait défini comme intouchable, «
afin qu’il fût un instrument d’unité catholique. En conformité avec les prescriptions du Concile de Trente il devait empêcher que pût s’introduire dans le culte divin aucune des insidieuses erreurs dont la foi était menacée par la Réforme protestante » . (Bref examen critique du Novus Ordo Missæ, n° VIII)
Là où St Pie V avait voulu unir dans la foi les catholiques au moyen de l’unité du culte (lex orandi lex credendi) Paul VI a au contraire voulu diviser, en décrétant aussi la fin du latin (qui était un lien supplémentaire d’unité dans la prière de toute l’Eglise); comme disent les cardinaux Ottaviani et Bacci: « Le nouveau rite se présente donc, d’emblée, comme pluraliste et expérimental, comme lié au temps et au lieu. L’unité de culte étant ainsi définitivement brisée, on ne voit pas en quoi pourra consister désormais l’unité de la foi qui lui est intimement liée et dont pourtant on continue de parler comme de la substance qu’il faut défendre sans compromission [...] »
Il est évident que le Novus Ordo se refuse à être l’expression de la doctrine que le Concile de Trente a définie comme étant de foi divine et catholique.
Et cependant la conscience catholique demeure à jamais liée à cette doctrine. (…) Vouloir à tout prix remettre en vigueur le culte antique en refaisant froidement,
in vitro, ce qui à l’origine eut la grâce de la spontanéité jaillissante, (…) équivaut à dépouiller la liturgie non seulement de toutes les beautés pieusement accumulées pendant des siècles, mais de toutes les sécurités théologiques. (…) L’abandon d’une tradition liturgique qui fut pendant quatre siècles [depuis St Pie V] le signe et le gage de l’unité de culte (pour la remplacer par une autre, qui ne pourra être qu’une cause de division par les licences innombrables qu’elle autorise implicitement, par les insinuations qu’elle favorise et par ses atteintes manifestes à la pureté de la foi catholique) apparaît, pour parler en termes les plus modérés, comme une incalculable erreur » .
A côté de ces paroles éclairantes des deux cardinaux, et tragiques dans leurs conséquences logiques (qui comportent… la perte de l’autorité en celui qui a voulu le “Novus Ordo Missæ”) je voudrais encore citer l’abbé de Solesmes,
dom Guéranger:
« Mes paroles sont esprit et vie, dit le Sauveur: elles donnent à la fois la lumière à l’intelligence, et au cœur la charité qui est la vie. Il en est de même des paroles de l’Eglise qui possède la plénitude des mystères et la dispense sur le peuple chrétien par des rites et des formules remplis de vérité et d’amour. Aussi a-t-on toujours considéré la liturgie comme le haut enseignement du dogme, en même temps qu’elle est sa formule la plus populaire » . DOM P. GUÉRANGER, Institutions Liturgiques,
op. cit. p. 9
Les points que St Pie V fixa par son autorité dans la rubrique du Missel Romain réformé par lui s’insèrent tous dans la ligne de la tradition de l’Eglise, et sont les suivants: - obligation du psaume
Introibo et du
Confiteor au début de la Messe (en usage depuis les Xè et XIè siècles, apporté en Italie par les moines de Cluny). - Introduction du
Suscipe Sancta Trinitas (XIè siècle, déjà présent dans les Ordines Romani d’Innocent III). - Définition des rites accompagnant l’
Hanc Igitur et le
Per Ipsum (bénédictions et imposition des mains). - Mise au point des formules de la bénédiction finale (Ite Missa est du IVè siècle et Placeat du XIè). - Obligation du Prologue de St Jean à la fin de la Messe.
Essor des Missions
Le Pontificat de St Pie V revêtit une importance remarquable également pour la propagation de la Foi. Si d’un côté il se préoccupa de défendre la Foi contre l’attaque des hérésies en Europe, de l’autre il en assura l’accroissement dans les autres parties du monde. Si sur le vieux continent on devait déplorer la perte quasi totale d’états un temps catholiques, comme l’Allemagne, dans le nouveau continent américain d’autres peuples s’ouvraient à la lumière de l’Evangile.
St Pie V institua une commission cardinalice qui devait diriger l’évangélisation des peuples d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. Il s’agissait de la congrégation “De Propaganda Fide” qui devait permettre aux missions d’avoir un rapport plus direct avec le Saint-Siège, en les libérant un peu de l’influence des souverains laïcs; les cardinaux Mula, Crivelli, Sirleto et Carafa furent nommés pour la présider. Il encouragea, en outre, la formation de communautés indigènes en des endroits séparés des habitations des blancs, soutenant l’œuvre de son confrère dominicain Bartolomeo Las Casas (†1566). Dans certains pays (Pérou, Mexique, Colombie, Goa) le Pape put voir les bons résultats de son apostolat missionnaire, dans d’autres il sema ce que d’autres recueilleraient après lui. Il bénit, par exemple, une image de la Sainte Vierge, qui accompagnera dans le martyre le Bienheureux Ignace d’Azevedo, jésuite [...]
Autres réformes et congrégations
Le Pape Ghislieri augmenta les privilèges de cette “Congrégation pour l’exécution des décrets du Concile de Trente”, voulue par Pie IV, en lui concédant la faculté de décider des cas les plus simples et en réservant au Pape la solution des cas plus difficiles. Durant son œuvre d’Inquisiteur, frère Ghislieri avait eu l’occasion de constater l’ampleur du mal fait par les mauvais livres. Une fois devenu Pape, il fit en sorte d’en régulariser mieux la répression en instituant la congrégation de
l’Index des livres défendus, qui en ayant, à partir de ce moment une législation officielle, put opérer avec plus d’efficacité.
La condamnation de Baïus
« Tandis que le protestantisme était déjà frappé à mort en Italie, dans le Nord des symptômes multipliés indiquaient que, sous le masque du catholicisme, une nouvelle forme d’hérésie commençait à s’implanter. (…) Les Pays-Bas, déjà si profondément minés au point de vue religieux, menaçaient de devenir le centre du mouvement nouveau, en particulier l’Université de Louvain, l’école d’antique célébrité, l’ancienne ennemie si résolue de Luther. (…) Les doctrines protestantes sur la grâce et le libre arbitre exercèrent sur la pensée et la vie catholique un contre-coup de conséquence incalculable et pour des siècles (…).
Michel Baïus, professeur à Louvain depuis 1552 dans la chaire d’Histoire sainte,
part, dans ses recherches,
du désir de réconcilier les nouvelles croyances avec la doctrine catholique. Puisque les protestants, écrit-il en 1569 au cardinal Simonetta, n’admettent rien que l’Ecriture Sainte et les plus anciens Pères de l’Eglise, il s’est efforcé de ramener la théologie à l’étude de l’Ecriture Sainte et de ceux des Pères qui valent encore aux yeux des protestants, tels que Cyprien, Prosper, Léon, et les quatre docteurs d’Occident. Toutefois, si Baïus veut négliger le travail des théologiens du Moyen Age, sa réserve ne doit pas être attribuée au seul désir de se rapprocher de ses adversaires professant la foi nouvelle; elle part bien plutôt de l’idée que la théologie a été attirée et égarée au Moyen Age par des mélanges de philosophie aristotélicienne, et qu’elle doit revenir aux Pères les plus anciens, parmi lesquels l’auteur vénère avant tout St Augustin comme son maître »
Quant à sa doctrine Baïus niait la surnaturalité des dons de l’état originel (les dons préternaturels et la grâce qui sont absolument gratuits selon la théologie catholique) en les considérant comme une chose due à la perfection de la nature humaine (leur perte aurait donc comporté une corruption intrinsèque de la nature humaine). Il plaçait l’essence du péché originel dans la concupiscence, qui priverait la volonté de sa liberté intérieure. Toutes les actions humaines proviendraient, ou de la “cupiditas” c’est-à-dire la concupiscence ou amour terrestre et alors ces actions sont péchés [les œuvres des païens, privés de grâce sont “des vices déguisés sous des apparences de vertu”], ou de la “caritas” ou amour juste infusé par Dieu et alors les actions sont bonnes et dignes du Paradis. Pour faire le bien la grâce efficace irrésistible serait nécessaire qui déterminerait intrinsèquement la volonté sans en détruire la liberté. De cette manière « Baïus en procédant par la voie du pessimisme préludait au Jansénisme. …On peut dire qu’il est pélagien au Paradis terrestre et qu’il est luthérien, en principe après le péché originel. Il eut une mentalité hérétique » .
Puisque ses propositions étaient scandaleuses pour les fidèles elles furent déférées au Saint-Siège. St Pie V condamna 79 propositions de Baïus par la bulle
Ex omnibus afflictionis du 1er octobre 1567.
En censurant Baïus, il condamna ainsi par anticipation de nombreuses erreurs de la “Nouvelle Théologie” reprises ensuite par Vatican II.
Par la suite Michel Baïus, à la différence de Luther, se soumit à la sentence du Saint-Siège mais en continuant à considérer avec nostalgie ses principes.»