Fascisme et catholicisme (Onfray)
Publié : dim. 14 févr. 2021, 17:50
Bonjour,
Une petite lecture de Michel Onfray qui peut être intéressant par moment. C'est sûr. Même si dans l'ensemble je trouverais quand même assez vénéneuse sa fréquentation littéraire pour être franc avec vous. Je pense qu'à une autre époque l'abbé Bethléem aurait fait mettre ses oeuvres sous clé dans le Capharnaüm, l'auteur mis à l'index; non pas sans raison. Et - oui - je crois que j'aurais été assez d'accord avec la décision disciplinaire par-dessus le marché. "Au cachot !"
Donc, qu'est-ce qu'il raconte ?
Il écrit :
Le fascisme comme réaction chrétienne
11 février 1929
Le Vatican est crée par le s accords du Latran
signés entre Mussolini et Pie XI
" ... Mussolini crée le fascisme avec le Parti national fasciste en 1921. Le 22 octobre 1922, il marche sur Rome avec ses chemises noires. Il obtient le pouvoir et constitue le gouvernement le 30 octobre 1922. En septembre 1923, un rapport classé dans les archives du Vatican envisage un Programme de collaboration des catholiques avec le gouvernement de Mussolini. On y lit ceci :
Dans son discours à la chambre des députés du 14 mai 1929, concernant les accords du Latran, Mussolini dit :
"L'État fasciste revendique pleinement son caractère éthique : il est catholique, mais avant tout, il est fasciste, exclusivement, essentiellement fasciste. Le catholicisme en fait partie intégrante et nous le déclarons ouvertement, mais que personne ne pense de brouiller les cartes par des subtilités philosophiques ou métaphysiques."
Autrement dit : pas de patristiques, pas de scolastiques, pas de sophistiques, pas de rhétorique, mais un catholicisme de combat, celui qui revendique le glaive de saint Paul, fût-ce au détriment des vertus évangéliques de Jésus. Il s'agit de rien de moins que du catholicisme élaboré par Constantin qui s'appuie sur le Christ en colère chassant les marchands du Temple - juifs. Le moment préféré d'Hitler dans les évangiles comme il le signale dans Mein Kampf.
Dans La Doctrine du fascisme, Mussolini écrit :
"L'État fasciste ne reste indifférent ni en face du fait religieux, en général, ni en face de cette religion positive particulière qu'est le catholicisme italien. L'État n'a pas une théologie, mais il a une morale. Dans l'État fasciste, la religion est considérée comme une des manifestations les plus profondes de l'esprit et, en conséquence, elle est non seulement respectée mais défendue (sic.) et protégée (sic.). L'État fasciste ne se crée par un Dieu particulier comme Robespierre a voulu faire , un jour, dans l'extrême délire de la Convention; il ne cherche pas non plus vainement à l'effacer des âmes, ainsi que le bolchévisme. Le fascisme respecte le Dieu des ascètes, des saints, des héros en même temps que le Dieu que voit et prie le coeur ingénu et primitif du peuple."
Au contraire du bolchévisme, le fascisme n'est pas un athéisme; il serait bien plutôt un bolchévisme chrétien, de même que le bolchévisme s'apparente à un fascisme athée. Le Duce veut dans son état fasciste la religion catholique de ceux qui l'ont faite dans l'histoire, les moines du désert, les grandes figures sanctifiées par l'Église, les noms notables de ceux qui l'ont historiquement incarnée. Ce catholicisme est celui des gens simples et intellectuellement modestes.
Lorsque Mussolini définit le fascisme, il en fait clairement un spiritualisme opposé au matérialisme et au positivisme :
"La vie, par conséquent, telle que la conçoit le fasciste, est grave, austère, religieuse : elle est vécue tout entière dans un monde que soutiennent les forces morales et responsables de l'esprit. Le fasciste méprise la vie commode."
Le Duce oppose donc deux mondes : d'une part, le matérialisme, le positivisme, le communisme, le bolchévisme, l'athéisme, le marxisme-léninisme qu'il exècre; d'autre part, le spiritualisme, l'idéalisme, le mysticisme, le catholicisme, le fascisme qu'il célèbre.
"Le fascisme est une conception religieuse, qui considère l'homme dans son rapport sublime avec une loi supérieure, avec une Volonté objective qui dépasse l'individu comme tel et l'élève à la dignité de membre conscient d'une société spirituelle. [...]"
Cette relation entre fascisme et catholicisme n'est pas sans heurts car Mussolini entend plus fasciser le christianisme que christianiser son fascisme. Dans le même logique Hitler voudra lui aussi nazifier le christianisme plutôt que christianiser son nazisme. Le fascisme mussolinien est un spiritualisme chrétien, mais nullement saint-sulpicien. Cette doctrine procède d'un patchwork intellectuel dans lequel on retrouve la philosophie du droit et de la religion hégélienne, le surhomme nietzschéen, le vitalisme bergsonien, le pragmatisme jamesien, l'éloge de la violence sorélien, autrement dit, un certain nombre de thèses que l'Église catholique officielle récuse.
Mussolini reconnaît la puissance du catholicisme, mais refuse que cette puissance soit plus efficiente que celle de l'État fasciste. Le souverain pontife quant à lui, effectue son travail de pape en souhaitant que l'Église conserve le monopole de l'éducation des jeunes, une activité que le Duce se réserve car il sait que l'endoctrinement assure l'être et la pérennité du fascisme dans le temps.
Les accords du Latran sont signés le 11 février 1929 entre le royaume d'Italie et le Saint-Siège, autrement dit entre Mussolini et le cardinal Pietro Gasparri, secrétaire du pape. Il est décidé que le pouvoir temporel du pape se réduit à la cité du Vatican qui devient un État avec tous ses attributs et que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État italien fasciste. Le Vatican devient un État avec sa police, sa presse, ses médias, ses timbres, sa monnaie. Le pape devient un chef d'État temporel comme les autres chefs d'État de la planète avec pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Mussolini fait verser une somme considérable en prix de l'abandon du règne papal sur les États pontificaux. Le Concordat stipule que le catholicisme est la religion officielle de l'État italien. L'enseignement religieux devient obligatoire dans toutes les écoles.
L'Église pouvait donc voir d'un bon oeil le fascisme en tant qu'il partage les mêmes ennemis : les communistes, les bolchéviques, les matérialistes, les athées, les Juifs, les philosophes rationalistes. [...] La montée en puissance du monde moderne, athée et matérialiste, consumériste et postchrétien, hédoniste et immoral, met la papauté en face de ses responsabilités : certes, le fascisme n'est pas, dans l'absolu chrétien, son premier choix, mais c'est un second choix qui, dans le relatif historique, fait très bien l'affaire, car le marxisme-léninisme gronde, la bolchévisation menace, l'internationalisation du communisme est d'actualité, une seconde guerre mondiale menace et le fascisme représente le meilleur rempart pour le christianisme. Le pape invite à multiplier les prières et les veillées sur toute la planète, mais un peu moins d'angélisme ne fait pas de mal [...] Le catholicisme officiel se fera donc le compagnon de route de tous les fascismes, le premier, celui de Mussolini donc, mais des suivants, celui de Franco en Espagne, celui d'Hitler en Allemagne, celui de Pétain en France, plus tard même celui des colonels en Grèce ou celui des dictatures d'Amérique du Sud dans les années 1970.
Franco
Après Mussolini, mais avant Pétain, Francisco Franco lui aussi joue la carte catholique contre la montée du péril bolchévique en Europe. Catholique, fils d'un père ayant quitté le domicile conjugal et d'une mère pieuse, taciturne et maigrelet, surnommé l'allumette et parlant avec une voix de fausset, Franco est un élève neutre. Il entre à l'école militaire ou il aime l'histoire, la topograohie et l'équitation. Il connaît le feu au Maroc lors des batailles du Rif et s'y fait gravement blesser. Il décroche des médailles et devient commandant à vingt-cinq ans. Il est détesté, froid, méprisant. Arrogant sous le feu, il donne ou fait donner la mort sans état d'âme. Il est austère jusqu'à l'ascèse - pas d'alcool, pas de filles. A trente-quatre ans, en 1926, il est le plus jeune général d'Europe. En 1935, il est chef d'état-major de l'armée. En février 1936, le Front populaire remporte les élections législatives. Un coup d'État se prépare. La guerre civile est déclarée le 18 juillet 1936, elle va durer presque trois ans.
La guerre d'Espagne oppose les phalangistes de la droite catholique aux républicains qui contiennent tant bien que mal communistes staliniens, trotskystes, anarcho-syndicalistes et anarchistes - les premiers qui prennent leurs ordres à Moscou feront autant de ravages parmi les républicains que les franquistes. Orwell a raconté cette boucherie de la gauche moscoutaire contre la gauche qui ne l'est pas dans Hommage à la Catalogne et Simone Weil a rapporté comment on tue des humains pour le bien de l'humanité dans sa lettre à Georges Bernanos.
Franco fait couler le sang de gauche au nom du Christ : 8 000 charniers contenant des milliers de cadavres ont été répertoriés à ce jour. Les franquistes veulent éviter une révolution de type marxiste et pour ce faire revendiquent une répression sans limite. Le sang coule à flots : à la baïonnette, au couteau, une balle dans la nuque, attaché à un poteau, torturé, la mort fait la loi. Les franquistes massacrent 10% de la population de Cordoue. Parfois, plusieurs centaines d'exécution ont lieu en une seule journée. Le massacre de Badajoz qui a lieu dans la nuit du 14 au 15 août 1936 occasionne entre 2000 et 4000 victimes. Près de 200 camps de concentration rassemblent des prisonniers politiques, mais aussi des homosexuels ou des droits communs. Tous sont condamnés à des travaux forcés. Près de 200 000 personnes y trouvent la mort. Là aussi, des centaines d'exécution peuvent avoir lieu en une seul et même journée. Certains prisonniers sont envoyés dans les camps nazis via des transits dans les camps français du maréchal Pétain.
Face au projet de déchristianisation clairement avoué dès le départ du gouvernement républicain, l'Église catholique prend ouvertement parti pour Franco. En septembre 1936, l'archevêque de Salamanque se prononce "en faveur de la défense de la civilisation chrétienne et de ses fondements". En 1937, le secrétaire général du Parti communiste espagnol José Diaz écrit : "Dans les provinces que nous contrôlons, nous avons dépassé amplement l'oeuvre des soviets, car l'Église en Espagne est aujourd'hui anéantie."
Le bilan total de cette terreur blanche est impossible à établir. Les estimations oscillent entre 80 000 et 400 000 personnes. Bernanos, qui fut un temps sympatisant de Franco au nom de l'espoir chrétien que le général portait au moment du coup d'État, se ravise au vu de la tournure des événements et raconte cette boucherie catholique dans Les grands cimetières sous la lune (1938). Ses tableaux sont terribles. Il rapporte qu'un prêtre de Palma de Majorque bénit les tueurs phalangistes les pieds dans le sang de leurs victimes républicaines. Il renvoie les franquistes dans le camp de Fouquier-Tinville et de Marat, Franco met sa tête à prix. Simone Weil et Albert Camus saluent la liberté et la grandeur de Bernanos. La droite renie l'homme de droite; la gauche l'acclame, alors qu'elle n'est pas de son camp.
Cette terreur des franquistes vers les républicains fonctionnent en contrepoint d'une terreur rouge des républicains vers les franquistes - ou l'on retrouve les pratiques de la déchristianisation de 1793 : profanation des lieux saints, vandalisme dans les monastères, pillage des églises, meurtre de près de 10 000 membres du clergé, castration et éviscération de prêtres, exécution de laïcs, viols de religieuses, assassinat de propriétaires, d'industriels, de commerçants, d'hommes politiques, incendies de bibliothèques religieuses, destruction des plans de la Sagrada Familia de Gaudi.
Des tribunaux révolutionnaires expédient au peloton d'exécution après des parodies de procès. Les commissions d'enquête se nomment checas - en hommage à la Tchéka. Des centaines de personnes sont abattues après dénonciations calomnieuses, pour des règlements de compte ou en vertu d'une simple suspicion. Les milices qui se disent antifascistes sortent des prisonniers politiques des prisons pour les massacrer sommairement. La police politique de l'armée populaire abat également ceux de gauche qu'elle estime déviants et qui, bien sûr, sont traités de fascistes. Les communistes soutenus par Staline déciment les rangs des anarchistes et du POUM trotskyste. En plus des 10 000 religieux morts il faut ajouter 75 000 autres victimes dites nationalistes.
Le 28 mars 1939, Madrid tombe; le 1er avril 1939, la guerre civile est terminée. ce même jour, Pie XII télégraphie ce message à Franco :
Michel Onfray, Décadence, Flammarion, 2017, p. 458
P.S. : je reporte ici un passage de Michel Onfray que j'estime être globalement correct. Il en permet de bien comprendre pourquoi nos gauchistes d'aujourd'hui aiment tant qualifier indistinctement de fascistes le moindre sympatisant de l'Église catholique et qui ne ferait pas en même temps soumission aux canons de la bonne pensée de gauche. Une sorte de réflexe pavlovien et patrimonial transmis et hérité ...
Une petite lecture de Michel Onfray qui peut être intéressant par moment. C'est sûr. Même si dans l'ensemble je trouverais quand même assez vénéneuse sa fréquentation littéraire pour être franc avec vous. Je pense qu'à une autre époque l'abbé Bethléem aurait fait mettre ses oeuvres sous clé dans le Capharnaüm, l'auteur mis à l'index; non pas sans raison. Et - oui - je crois que j'aurais été assez d'accord avec la décision disciplinaire par-dessus le marché. "Au cachot !"
Donc, qu'est-ce qu'il raconte ?
Il écrit :
Le fascisme comme réaction chrétienne
11 février 1929
Le Vatican est crée par le s accords du Latran
signés entre Mussolini et Pie XI
" ... Mussolini crée le fascisme avec le Parti national fasciste en 1921. Le 22 octobre 1922, il marche sur Rome avec ses chemises noires. Il obtient le pouvoir et constitue le gouvernement le 30 octobre 1922. En septembre 1923, un rapport classé dans les archives du Vatican envisage un Programme de collaboration des catholiques avec le gouvernement de Mussolini. On y lit ceci :
Entre 1925 et 1926, Mussolini promulgue les lois fascistissimes qui constituent le régime fasciste avec parti unique et chef absolu répondant au nom de Duce : contrôle de la presse, interdiction des journaux d'opposition, tribunaux aux ordres, suppression du droit de grève, parti unique, interdiction du syndicalisme de gauche remplacé par le corporatisme fasciste, soumission de toutes les associations à la police, suppression d'élus auxquels sont substitués des individus désignés par le Parti, assignation à résidence ou relégation des antifascistes, création des tribunaux spéciaux, recours à la peine de mort pour les délits contre l'État, création d'une police secrète."Les catholiques, grâce à plusieurs dispositions adaptées par le gouvernement conformément à ses principes [....] ont dû convenir qu'aucun gouvernement en Italie, et peut-être dans le monde entier, n'aurait pu, en une seule année, faire autant en faveur de l religion catholique. Les catholiques ne peuvent que penser avec horreur à ce qui pourrait se passer en Italie si le gouvernement de Mussolini devait céder face à une éventuelle insurrection des forces subversives; ils ont par conséquent tout intérêt à le soutenir."
Dans son discours à la chambre des députés du 14 mai 1929, concernant les accords du Latran, Mussolini dit :
"L'État fasciste revendique pleinement son caractère éthique : il est catholique, mais avant tout, il est fasciste, exclusivement, essentiellement fasciste. Le catholicisme en fait partie intégrante et nous le déclarons ouvertement, mais que personne ne pense de brouiller les cartes par des subtilités philosophiques ou métaphysiques."
Autrement dit : pas de patristiques, pas de scolastiques, pas de sophistiques, pas de rhétorique, mais un catholicisme de combat, celui qui revendique le glaive de saint Paul, fût-ce au détriment des vertus évangéliques de Jésus. Il s'agit de rien de moins que du catholicisme élaboré par Constantin qui s'appuie sur le Christ en colère chassant les marchands du Temple - juifs. Le moment préféré d'Hitler dans les évangiles comme il le signale dans Mein Kampf.
Dans La Doctrine du fascisme, Mussolini écrit :
"L'État fasciste ne reste indifférent ni en face du fait religieux, en général, ni en face de cette religion positive particulière qu'est le catholicisme italien. L'État n'a pas une théologie, mais il a une morale. Dans l'État fasciste, la religion est considérée comme une des manifestations les plus profondes de l'esprit et, en conséquence, elle est non seulement respectée mais défendue (sic.) et protégée (sic.). L'État fasciste ne se crée par un Dieu particulier comme Robespierre a voulu faire , un jour, dans l'extrême délire de la Convention; il ne cherche pas non plus vainement à l'effacer des âmes, ainsi que le bolchévisme. Le fascisme respecte le Dieu des ascètes, des saints, des héros en même temps que le Dieu que voit et prie le coeur ingénu et primitif du peuple."
Au contraire du bolchévisme, le fascisme n'est pas un athéisme; il serait bien plutôt un bolchévisme chrétien, de même que le bolchévisme s'apparente à un fascisme athée. Le Duce veut dans son état fasciste la religion catholique de ceux qui l'ont faite dans l'histoire, les moines du désert, les grandes figures sanctifiées par l'Église, les noms notables de ceux qui l'ont historiquement incarnée. Ce catholicisme est celui des gens simples et intellectuellement modestes.
Lorsque Mussolini définit le fascisme, il en fait clairement un spiritualisme opposé au matérialisme et au positivisme :
"La vie, par conséquent, telle que la conçoit le fasciste, est grave, austère, religieuse : elle est vécue tout entière dans un monde que soutiennent les forces morales et responsables de l'esprit. Le fasciste méprise la vie commode."
Le Duce oppose donc deux mondes : d'une part, le matérialisme, le positivisme, le communisme, le bolchévisme, l'athéisme, le marxisme-léninisme qu'il exècre; d'autre part, le spiritualisme, l'idéalisme, le mysticisme, le catholicisme, le fascisme qu'il célèbre.
"Le fascisme est une conception religieuse, qui considère l'homme dans son rapport sublime avec une loi supérieure, avec une Volonté objective qui dépasse l'individu comme tel et l'élève à la dignité de membre conscient d'une société spirituelle. [...]"
Cette relation entre fascisme et catholicisme n'est pas sans heurts car Mussolini entend plus fasciser le christianisme que christianiser son fascisme. Dans le même logique Hitler voudra lui aussi nazifier le christianisme plutôt que christianiser son nazisme. Le fascisme mussolinien est un spiritualisme chrétien, mais nullement saint-sulpicien. Cette doctrine procède d'un patchwork intellectuel dans lequel on retrouve la philosophie du droit et de la religion hégélienne, le surhomme nietzschéen, le vitalisme bergsonien, le pragmatisme jamesien, l'éloge de la violence sorélien, autrement dit, un certain nombre de thèses que l'Église catholique officielle récuse.
Mussolini reconnaît la puissance du catholicisme, mais refuse que cette puissance soit plus efficiente que celle de l'État fasciste. Le souverain pontife quant à lui, effectue son travail de pape en souhaitant que l'Église conserve le monopole de l'éducation des jeunes, une activité que le Duce se réserve car il sait que l'endoctrinement assure l'être et la pérennité du fascisme dans le temps.
Les accords du Latran sont signés le 11 février 1929 entre le royaume d'Italie et le Saint-Siège, autrement dit entre Mussolini et le cardinal Pietro Gasparri, secrétaire du pape. Il est décidé que le pouvoir temporel du pape se réduit à la cité du Vatican qui devient un État avec tous ses attributs et que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État italien fasciste. Le Vatican devient un État avec sa police, sa presse, ses médias, ses timbres, sa monnaie. Le pape devient un chef d'État temporel comme les autres chefs d'État de la planète avec pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Mussolini fait verser une somme considérable en prix de l'abandon du règne papal sur les États pontificaux. Le Concordat stipule que le catholicisme est la religion officielle de l'État italien. L'enseignement religieux devient obligatoire dans toutes les écoles.
L'Église pouvait donc voir d'un bon oeil le fascisme en tant qu'il partage les mêmes ennemis : les communistes, les bolchéviques, les matérialistes, les athées, les Juifs, les philosophes rationalistes. [...] La montée en puissance du monde moderne, athée et matérialiste, consumériste et postchrétien, hédoniste et immoral, met la papauté en face de ses responsabilités : certes, le fascisme n'est pas, dans l'absolu chrétien, son premier choix, mais c'est un second choix qui, dans le relatif historique, fait très bien l'affaire, car le marxisme-léninisme gronde, la bolchévisation menace, l'internationalisation du communisme est d'actualité, une seconde guerre mondiale menace et le fascisme représente le meilleur rempart pour le christianisme. Le pape invite à multiplier les prières et les veillées sur toute la planète, mais un peu moins d'angélisme ne fait pas de mal [...] Le catholicisme officiel se fera donc le compagnon de route de tous les fascismes, le premier, celui de Mussolini donc, mais des suivants, celui de Franco en Espagne, celui d'Hitler en Allemagne, celui de Pétain en France, plus tard même celui des colonels en Grèce ou celui des dictatures d'Amérique du Sud dans les années 1970.
Franco
Après Mussolini, mais avant Pétain, Francisco Franco lui aussi joue la carte catholique contre la montée du péril bolchévique en Europe. Catholique, fils d'un père ayant quitté le domicile conjugal et d'une mère pieuse, taciturne et maigrelet, surnommé l'allumette et parlant avec une voix de fausset, Franco est un élève neutre. Il entre à l'école militaire ou il aime l'histoire, la topograohie et l'équitation. Il connaît le feu au Maroc lors des batailles du Rif et s'y fait gravement blesser. Il décroche des médailles et devient commandant à vingt-cinq ans. Il est détesté, froid, méprisant. Arrogant sous le feu, il donne ou fait donner la mort sans état d'âme. Il est austère jusqu'à l'ascèse - pas d'alcool, pas de filles. A trente-quatre ans, en 1926, il est le plus jeune général d'Europe. En 1935, il est chef d'état-major de l'armée. En février 1936, le Front populaire remporte les élections législatives. Un coup d'État se prépare. La guerre civile est déclarée le 18 juillet 1936, elle va durer presque trois ans.
La guerre d'Espagne oppose les phalangistes de la droite catholique aux républicains qui contiennent tant bien que mal communistes staliniens, trotskystes, anarcho-syndicalistes et anarchistes - les premiers qui prennent leurs ordres à Moscou feront autant de ravages parmi les républicains que les franquistes. Orwell a raconté cette boucherie de la gauche moscoutaire contre la gauche qui ne l'est pas dans Hommage à la Catalogne et Simone Weil a rapporté comment on tue des humains pour le bien de l'humanité dans sa lettre à Georges Bernanos.
Franco fait couler le sang de gauche au nom du Christ : 8 000 charniers contenant des milliers de cadavres ont été répertoriés à ce jour. Les franquistes veulent éviter une révolution de type marxiste et pour ce faire revendiquent une répression sans limite. Le sang coule à flots : à la baïonnette, au couteau, une balle dans la nuque, attaché à un poteau, torturé, la mort fait la loi. Les franquistes massacrent 10% de la population de Cordoue. Parfois, plusieurs centaines d'exécution ont lieu en une seule journée. Le massacre de Badajoz qui a lieu dans la nuit du 14 au 15 août 1936 occasionne entre 2000 et 4000 victimes. Près de 200 camps de concentration rassemblent des prisonniers politiques, mais aussi des homosexuels ou des droits communs. Tous sont condamnés à des travaux forcés. Près de 200 000 personnes y trouvent la mort. Là aussi, des centaines d'exécution peuvent avoir lieu en une seul et même journée. Certains prisonniers sont envoyés dans les camps nazis via des transits dans les camps français du maréchal Pétain.
Face au projet de déchristianisation clairement avoué dès le départ du gouvernement républicain, l'Église catholique prend ouvertement parti pour Franco. En septembre 1936, l'archevêque de Salamanque se prononce "en faveur de la défense de la civilisation chrétienne et de ses fondements". En 1937, le secrétaire général du Parti communiste espagnol José Diaz écrit : "Dans les provinces que nous contrôlons, nous avons dépassé amplement l'oeuvre des soviets, car l'Église en Espagne est aujourd'hui anéantie."
Le bilan total de cette terreur blanche est impossible à établir. Les estimations oscillent entre 80 000 et 400 000 personnes. Bernanos, qui fut un temps sympatisant de Franco au nom de l'espoir chrétien que le général portait au moment du coup d'État, se ravise au vu de la tournure des événements et raconte cette boucherie catholique dans Les grands cimetières sous la lune (1938). Ses tableaux sont terribles. Il rapporte qu'un prêtre de Palma de Majorque bénit les tueurs phalangistes les pieds dans le sang de leurs victimes républicaines. Il renvoie les franquistes dans le camp de Fouquier-Tinville et de Marat, Franco met sa tête à prix. Simone Weil et Albert Camus saluent la liberté et la grandeur de Bernanos. La droite renie l'homme de droite; la gauche l'acclame, alors qu'elle n'est pas de son camp.
Cette terreur des franquistes vers les républicains fonctionnent en contrepoint d'une terreur rouge des républicains vers les franquistes - ou l'on retrouve les pratiques de la déchristianisation de 1793 : profanation des lieux saints, vandalisme dans les monastères, pillage des églises, meurtre de près de 10 000 membres du clergé, castration et éviscération de prêtres, exécution de laïcs, viols de religieuses, assassinat de propriétaires, d'industriels, de commerçants, d'hommes politiques, incendies de bibliothèques religieuses, destruction des plans de la Sagrada Familia de Gaudi.
Des tribunaux révolutionnaires expédient au peloton d'exécution après des parodies de procès. Les commissions d'enquête se nomment checas - en hommage à la Tchéka. Des centaines de personnes sont abattues après dénonciations calomnieuses, pour des règlements de compte ou en vertu d'une simple suspicion. Les milices qui se disent antifascistes sortent des prisonniers politiques des prisons pour les massacrer sommairement. La police politique de l'armée populaire abat également ceux de gauche qu'elle estime déviants et qui, bien sûr, sont traités de fascistes. Les communistes soutenus par Staline déciment les rangs des anarchistes et du POUM trotskyste. En plus des 10 000 religieux morts il faut ajouter 75 000 autres victimes dites nationalistes.
Le 28 mars 1939, Madrid tombe; le 1er avril 1939, la guerre civile est terminée. ce même jour, Pie XII télégraphie ce message à Franco :
Quinze jours plus tard, s'adressant au peuple espagnol à la radio, le pape précise les choses ::"Nous nous réjouissons avec Votre Excellence de la victoire tant désirée de l'Espagne catholique."
En 1941, des négociations commencent entre l'Espagne franquiste et le Saint-Siège afin de parvenir à un accord. Treize ans plus tard, le Concordat est signé. L'Église est très bien servie : les religieux ne peuvent être convoqués au tribunal civile sans l'autorisation du Vatican; s'ils doivent être détenus, c'est dans un local ecclésiastique; l'Église échappe à l'impôt; l'enseignement de la religion catholique est obligatoire dans les écoles; le christianisme est traité correctement dans les médias, tous supports confondus - papier, radio, télé; le personnel soignant, éducatif et pénitentiaire reçoit une formation religieuse; les membres du clergé sont dispensés du service militaire; les fêtes religieuses deviennent fériées; l'État assure les dépenses des diocèses; églises et couvents sont inviolables; le catholicisme devient religion officielle de l'État espagnol. En contrepartie de ces cadeaux faits par Franco à l'Église, l'Église le nomme chanoine honoraire; les prêtres espagnols prient chaque jour pour lui et le pays. Franco meurt dans son lit le 20 novembre 1975 après une longue agonie."Les desseins de la Providence, très chers fils, se sont manifestés une fois encore sur l'héroïque Espagne. la nation choisie par Dieu comme principal instrument d'évangélisation du Nouveau Monde et comme rempart inexpugnable de la foi catholique vient de donner aux prosélytes de l'athéisme matérialiste de notre siècle la preuve la plus élevée qu'au-dessus de tout se placent les valeurs éternelles de la religion et de l'esprit."
Michel Onfray, Décadence, Flammarion, 2017, p. 458
P.S. : je reporte ici un passage de Michel Onfray que j'estime être globalement correct. Il en permet de bien comprendre pourquoi nos gauchistes d'aujourd'hui aiment tant qualifier indistinctement de fascistes le moindre sympatisant de l'Église catholique et qui ne ferait pas en même temps soumission aux canons de la bonne pensée de gauche. Une sorte de réflexe pavlovien et patrimonial transmis et hérité ...